Hitler (début)
un - deux - trois - quatre - cinq
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[L’idéal serait que Hitler, Göring, Goebbels, Himmler portent des masques représentant leur vraie
figure.]
Munich. Hofbraukeller. Au fond de la salle, mais de côté, pour bien indiquer qu’il s’agit d’une petite
salle, devant une double porte fermée, donnant sur une salle de réunion. Sur la porte, une feuille sur
laquelle est inscrit, en lettres majuscules manuscrites et maladroites : Parti des Travailleurs
Allemands. Hitler, en uniforme de caporal, allant et venant devant la porte.
Hitler.– Nul. 40 millions d’Allemands, dans la dernière rangée, la rangée des unités,
le zéro, c’est moi. Qu’est-ce que je fais ici ?… ... Le collège, mes études : lamentables :
pas le plus petit bout du plus petit brevet… … Je me croyais un talent d’artiste, je me
présente deux fois à l’Académie Viennoise des Beaux-Arts : refusé deux fois. ... La
guerre se déclare entre l’Allemagne et la France. Je cours à Münich m’engager dans
l’armée allemande, je crois me battre bravement : soldat, moins que soldat, soldat
avec une petite tape sur l’épaule, méprisante, c’est bien mon garçon, tu t’es bien
conduit : caporal. Non seulement caporal, mais pendant qu’au front on combattait
d’arrache-pied, à l’arrière, les politiques signaient la capitulation. Triple défaite :
cancre confirmé, artiste échoué, caporal vaincu… … Cependant, bien que n’étant rien,
considéré par les autres comme rien, d’où vient que je ne me croyais pas rien ? Cette
croyance, m’étais-je dit, vient bien de quelque chose… ... Des gens, de nom inconnu,
de fortune nulle, sans diplôme, mais ambitieux, quelle est leur seule ressource, pour
se faire un nom ? Faire de la politique. Faisons donc de la politique, c’est ce que je
m’étais dit… ….Entrer dans un grand parti, SPD, KPD ? Sans relations ? Avoir pour
avenir de coller des enveloppes, mettre des journaux sous bande, distribuer des tracts
? Le seul parti que je pouvais prendre, c’était de m’inscrire dans le plus petit des
petits partis : d’où mon choix (montrant la porte) du Parti des Travailleurs
Allemands. … … Maintenant, même eux. Parti des travailleurs ? Je ne suis pas même
ouvrier. Lorsque je me sers d’un tournevis, je me fais une cloque dans la main, d’un
marteau je me tape sur un ongle qui devient tout bleu, d’une pince je m’arrache un
morceau de chair sanguinolent. Pas même un zéro, un zéro virgule zéro. Un zéro
moins : du négatif. (il va vers la sortie) Toi et ta vanité, va-t-en avant que même les
ouvriers te fassent honte.
Il sort.
La salle elle-même, derrière la double porte, mais elle n’occupe qu’un tiers de la scène, parce que c’est
une petite salle. Au devant de la scène, de plain-pied, qui est une estrade, autour d’une table, le
bureau du DAP composé de 6 membres, dont le Président Führer Drexler. Derrière, en contrebas,
dans une demi-obscurité, la salle avec des chaises, avec au fond, la double porte.
Drexler.– (se levant) Chers membres du parti ouvrier, 6 dirigeants, O adhérent, toute le
monde est là. J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer. A partir d’aujourd’hui, les
choses vont changer : les 6 dirigeants du Parti vont avoir quelqu’un à diriger.
Tous.– Non ?
Le trésorier.– Un ouvrier ?
Drexler.– Un caporal.
Le trésorier.– (fronçant le sourcil) Un caporal ?
Drexler.– Qui a exercé ses travaux guerriers de 14 à 18… ...Ni Prussien, ni Berlinois.
Pas même Bavarois. Autrichien… ... Mr le trésorier, je ne crois pas qu’on puisse faire
tellement le difficile. (Il regarde sa montre)
Drexler descend de l’estrade. On le voit apparaître au fond de la salle, ouvrir un des battants de la
porte, sortir, rentrer, Hitler le suivant. Tous deux traversent la salle, montent l’estrade.
Drexler.- (présentant) Adolf Hitler. Le DAP. (à Hitler) Nous sommes honorés, que parmi
les 73 partis allemands, vous ayez choisi le 73 ème.
Hitler.– Laissez-moi prévenir mon renvoi, Monsieur. Je n’exerce pas de métier. Je ne
suis pas même ouvrier. La seule chose que je sache faire, c’est faire ce que font ceux
qui ne savent rien faire : tuer. Offrir à mon pays d’adoption cette chose inutile, c’est la
seule chose que j’aie su faire dans ma vie. (il recule pour descendre de l’estrade) Je retire
ma candidature, avant que vous la retiriez vous-même. Drexler.– Que croyez-vous que nous pensons de nous, Mr Hitler ? Notre métier
semble quelque chose de positif : conduire des locomotives, poser des ballasts, des
traverses, des rails sur des coussinets entre des semelles, les fixer avec des tire-fonds,
ça semble une chose tangible, à quoi nous nous raccrochons, certes, mais que nous
savons, dans la machine générale du pays chose tout à fait accessoire. Les chemins de
fer sont déficitaires, ils sont vus par l’Etat d’un mauvais œil, comme une charge non
rentable pour son budget. Nous coûtons peu, mais nous rapportons moins que nous
coûtons. Notre amertume n’est pas moins amère que la vôtre. … … Vous nous avez dit
les raisons pour lesquelles vous ne pouviez pas adhérer au parti, ce sont ces mêmes
raisons pour lesquelles nous voulons que vous y adhériez. (il lui tend la main) Bienvenue
à vous.
Hitler.– (à tous) Merci de tout coeur. (Il tend la main à tous et incline sa tête)
Drexler .—Si vous permettez, passons à l’ordre du jour. (il prend un document sur la table)
(Il lui fait signe de s’asseoir, Hitler s’assied) J’’ai l’intention de lire, lors de la réunion, notre
programme électoral. (Il lui tend le programme, Hitler lit le programme en oblique, sous les yeux
de tous.)
Hitler.- (posant son programme sur la table) Parfait.
Drexler.- (à tous) ... Cette nuit, j’ai fait un rêve si indécent, camarades, que j’ose à
peine le confesser.
Le trésorier.– Dis toujours.
Drexler.– J’ai rêvé que le parti s’achetait une ronéo.
1er membre.– Qu’est-ce que c’est que ça ?
Drexler.– C’est une machine qui utilise le procédé du pochoir. On tape un texte à la
machine à écrire sur du papier paraffiné, le stencil, qui est percé. On pose le stencil
sur un tissu encré d’une encre grasse, fixé sur un rouleau. On tourne le rouleau en
présentant les feuilles une à une. On peut tirer jusqu’à 3 000 feuilles.
1er membre.– Le prix ?
Drexler.– Machine, stencil, tubes d’encre, papier : il faudrait quadrupler ce mois-ci la
cotisation.
Le trésorier.– Aux voix.
1er membre.- Ma femme dirait non : je dis non après ma femme.
2ème membre.– Ma femme me laisse libre : je dis non pour elle.
Le trésorier.– Comme trésorier, je suis trop souvent de ma poche : je dis non. (seuls
Drexler et Hitler lèvent la main) La proposition est repoussée.
Drexler.– Je me doutais que le rêve resterait un rêve… ... J’ai recopié notre
programme électoral en 5 exemplaires, 1 pour chacun d’entre vous, avec pour tâche de le recopier en autant d’exemplaires qu’il pourra……(il distribue les exemplaires aux
membres du bureau)
Hitler.– … …Pardon. Serez-vous seul à parler ?
Le trésorier.– Nous voulons limiter l’impact à la lecture du programme. Tout
commentaire amortirait cet impact.
Hitler.– Si quelqu’un voulait lui donner du relief ?
Drexler.– Plus les sentiments sont puissants, Mr Hitler, plus les mots s’embarrassent
au portillon de la gorge, et laissent la bouche muette. L’art de parler s’apprend.
Hitler.– Vous êtes pour le peuple, à condition qu’il reste muet ?
Drexler.- (à tous) Donnons droit au droit que Mr. Hitler revendique. Un ancien
combattant peut nous rallier quelques uns de ses pairs.
Le trésorier.—S’il se limite.
Hitler.– Je me limiterai.(Drexler regarde le bureau, lève la main, tous lèvent la main avec lui.)
Drexler.– Il est l’heure. Ouvrez la porte.
Le 1er membre va ouvrir, et revient. Hitler prend sa chaise et s’asseoit de côté. Une dizaine de
personnes entrent, et s’assiéent au petit bonheur. Cela fait une salle très clairsemée.
Drexler.– (au bout d’un certain temps) Je crois que nous avons fait le plein.
2 ème membre.– Le plein du vide.
De la salle, on entend une rumeur de conversations, des toux, des raclements de gorge, des bruits de
chaise, des gens qui se mouchent, tout le temps que Drexler parle.
Drexler.- (se lève, son programme électoral en main) Chers camarades, le parti des
travailleurs allemands présente le programme électoral suivant : (il lit) 1. Création
d’une grande Allemagne, regroupant tous les pays de langue allemande. 2.
L’Allemagne aux seuls Allemands. 3. Abolition de l’esclavage par l’intérêt ; sujétion
des puissances financières internationales à l’Etat. 4. Egalité de tous les citoyens. 5.
Confiscation des profits de guerre. 6. Abolition des revenus acquis sans travail. 7.
Nationalisation des monopoles industriels. 8. Participation des ouvriers aux bénéfices
des entreprises. 9. Protection de la classe moyenne. 10. Obligation pour tous les
citoyens d’accomplir leurs devoirs. 11. Réglementation de la presse. 12. Neutralité
religieuse. 13. Le bien commun prime sur le bien de l’individu. 14. Réforme agraire :
expropriation des sols sans indemnité. 15. Nationalisation des grands magasins et
leur location par lots bon marché aux petits commerçants. 16. Création d’un pouvoir
centralisé et fort. (au public, allant et venant) Camarades, à vous la parole. (silence) Si vous
avez des explications à demander, nous sommes prêts à vous répondre.(silence)Ne
craignez pas de lever la main.
Long silence, avec la même rumeur. Hitler.- (se levant, sa voix naturelle est un peu éraillée) Si quelqu’un parmi vous, Allemands,
se levait et me disait : qui es-tu, toi ? De quel droit prends-tu la parole ? Qu’est-ce que
tu as de plus que moi ? Je lui répondrai : mon honneur, c’est de n’avoir et de n’être
rien de plus que chacun de vous. Allemands, selon quel critère l’homme est-il
apprécié dans notre République de Weimar ? Selon l’argent qu’il gagne : c’est l’argent
qui fait qu’on vous appelle réussi, c’est l’argent qui fait qu’on vous appelle échoué.
L’homme est-il loué pour son travail, pour