Cours 2 Crise et réformes de l État-providence
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Cours 2 Crise et réformes de l'État-providence

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¾¾POL3085/POL5831/SABRUNEL UQAM - DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE Cours 2 - Crise et réformes de l’État-providence Résumé de la séance Le paradigme de l’État-providence fonctionnant sous voile d’ignorance rawlsien aura son âge d’or pendant 30 ans après la Seconde guerre mondiale. A partir de 1975, la crise de la social-démocratie est triple : crise de l’État passif-providence, crise des modes assuranciels, crise du modèle bureaucratique. La réforme de l’État-providence passe alors par les enjeux suivants : repenser les niveaux d’intervention sociale au sein de la nation, repenser les droits sociaux, refonder le droit au travail, réinventer une société d’insertion. Crise et réformes de l’État-providence aboutissent à un nouvel ordre social marqué par le retour de l’incertitude et une nouvelle problématique du risque. La question sociale devient même question vitale. Le nouveau paradigme libéral-démocrate se fonde sur l’idéologie humanitariste des droits de la personne qui se substituant, comme croyance, èmeaux grandes utopies futuristes du 20 siècle participe aussi du retrait de l’État. Avec la reconnaissance des droits contre le Droit et la Loi, ce sont en définitive trois idéologies contemporaines qui se constituent comme seul horizon politique des sociétés modernes : humanitarisme, écologisme, multiculturalisme. Préparation de la séance suivante Lire la biographie de William Beveridge et le sommaire exécutif du premier rapport Beveridge de ...

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POL3085/POL5831/SABRUNEL
1
UQAM - DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE
Cours 2 - Crise et réformes de l’État-providence
Résumé de la séance
Le paradigme de l’État-providence fonctionnant sous voile d’ignorance rawlsien aura son âge d’or pendant 30 ans
après la Seconde guerre mondiale. A partir de 1975, la crise de la social-démocratie est triple : crise de l’État
passif-providence, crise des modes assuranciels, crise du modèle bureaucratique. La réforme de l’État-providence
passe alors par les enjeux suivants : repenser les niveaux d’intervention sociale au sein de la nation, repenser les
droits sociaux, refonder le droit au travail, réinventer une société d’insertion. Crise et réformes de l’État-
providence aboutissent à un nouvel ordre social marqué par le retour de l’incertitude et une nouvelle
problématique du risque. La question sociale devient même question vitale. Le nouveau paradigme libéral-
démocrate se fonde sur l’idéologie humanitariste des droits de la personne qui se substituant, comme croyance,
aux grandes utopies futuristes du 20
ème
siècle participe aussi du retrait de l’État. Avec la reconnaissance des droits
contre le Droit et la Loi, ce sont en définitive trois idéologies contemporaines qui se constituent comme seul
horizon politique des sociétés modernes : humanitarisme, écologisme, multiculturalisme.
Préparation de la séance suivante
Lire la biographie de William Beveridge et le sommaire exécutif du premier rapport Beveridge de novembre
1942 (
Social Insurance and Allied Services
) sur Wikipédia (
http://fr.wikipedia.org/wiki/William_Beveridge
),
particulièrement les paragraphes suivants : three guiding principles, the way to freedom from want, the nature
of social insurance
La crise de l’État-providence, du paradigme assuranciel et du modèle bureaucratique ou la
crise du modèle bismarckien et du modèle beveridgien
Depuis 25 ans que le constat de la crise de l’État-providence a été établi, au sens de la crise de la forme d’État-
nation social tel que celui-ci a été constitué à l’issue de la grande phase libérale de la fin du 19
ème
siècle, et par
étape successive après la première et le deuxième guerre mondiale, les démocraties occidentales ont
difficilement trouvées les remèdes propres à créer un nouveau paradigme politique et idéel refondateur de
liens d’un vivre-ensemble citoyen et du Contrat social. Ni les dérégulations propres au libéralisme, ni les
valeurs chères au conservatisme ni les politiques inspirées du socialisme n’ont pu venir à bout des trois
manifestations sociales de cette crise : explosion et perte de maîtrise des budgets publics consacrés à la santé
et au social, accroissement du nombre d’exclus ou des inéquités sociales, insatisfaction de la population
relativement à ses aspirations de protection sociale ou à ses perceptions des risques et de l’insécurité encourus
par elle.
1. Le déchirement du voile d’ignorance rawlsien
Principes de justice de Rawls formulés sous « voile d’ignorance ».
Les deux principes normatifs de justice distributive sont, pour Rawls, les suivants :
¾
1 « Chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu de libertés de bases égales
pour tous, compatible avec un même système pour tous », principe de liberté qui est prioritaire
lexicalement par rapport au suivant, à savoir que,
¾
2 « Les inégalités sociales et économiques doivent être telles qu'elles soient :
-
au plus grand bénéfice des plus désavantagés » (principe de différence)
-
et qu’une juste égalité des chances ait été respecté (règles justes et équitables)
-
au nom de l’utilité commune (la satisfaction des biens premiers, nouvelle formulation kantienne
du bien commun et de la raison morale).
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Juste et inéquitable: l’inégalité des conditions fausse le modèle rawlsien de justice
En matière de protection sociale, les principes rawlsiens présupposent une égalité des chances mais aussi
l’égalité des conditions face aux risques sociaux. Ce présupposé d’égalité des conditions est au fondement des
systèmes universels de protection -le même droit d’accès (santé, éducation) pour chacun quelque soient ses
revenus ou ses capacités- et aussi des systèmes assuranciels (à cotisation égale, prestation égale). Or, les
individus sont très inégaux devant les risques de la vie (espérance de vie, accès aux études supérieures, accès à
certaines prestations de santé, chômage et reconversion professionnelle) et l’égalité devant la protection
sociale s’avère dès lors très inéquitable dans les modèles existants d’États-providence, les pauvres, les
défavorisés et surtout la classe moyenne prolétaire finissant même par financer les politiques sociales des plus
favorisés (retraite, éducation, santé, chômage).
Par suite de politiques à destination, ou au profit, de certaines catégories spécifiques de population
(affirmative action, mesures familiales, mesures d’insertion), l’inégalité d’accès à la protection sociale se
rencontre aussi à l’intérieur d’une même couche socio-économique, par exemple entre pauvres et défavorisés,
suscitant alors un fort ressentiment social. Le déchirement du voile d’ignorance c’est quand, à partir des
années 70, par suite de la diffusion de l’information et de la plus grande transparence démocratique se rompt
cette « opacité du social comme condition implicite du sentiment d’équité », quand cesse « le partage des
risques vu comme norme d’équité et procédure de solidarité et que équité et redistribution se confondent
alors » (P Rosanvallon).
Des solidarités injustes ?
La justice et le savoir des différences
: la solidarité se fonde sur le traitement différencié des individus ;
différence équitable (la justice comme convention pratique pour Aristote).
Solidarité et démocratie délibérative
; une solidarité substantielle est nécessaire à l’État-providence ; elle
contribue à l’intégration des individus dans une société aux régionalismes exacerbés. Ainsi au Québec, la
solidarité sociale canadienne exercerait une influence plus forte que la solidarité politique et culturelle
québécoise selon Alan Cairn et Cynthia Williams (Constitutionalism, Citizenship and Society in Canada,
1985); les symboles nationaux valorisants ou l’opposition à des tiers (logique amis-ennemis de Carl Schmidt)
ne suffisent pas.
La déchirure du voile d’ignorance
est le renouvellement de l’opposition entre justice et solidarité, ou entre
justice commutative (égalité formelle des droits, à chacun selon son dû) et justice distributive (égalité réelle et
économique, à chacun selon ses besoins).
2. La crise de l’État-passif providence (P Rosanvallon)
Cette crise est triple et se définit comme inadaptation des anciennes méthodes de gestion du social :
Crise financière
de l’État-providence : effet de ciseau entre recettes et dépenses compensé par une
augmentation des prélèvements (de 35 à 45 % entre 1975 et 1985).
Crise idéologique
de l’État-entrepreneur devenu bureaucratique et illégitime. Modalités différentes de ces
crises : ainsi la formule française de l’universalité sans la contrainte paraît moins efficace que le système
de contrôle financier d’un service de santé centralisé et étatique à l’anglaise ou la régulation contractuelle
à l’allemande.
Crise philosophique
remettant en cause les distinctions datant d’un siècle entre droits formels et réels,
droits sociaux et politiques. Le rôle incontournable de l’État est réaffirmé pour maintenir la cohésion
sociale, pour combattre la désagrégation des principes organisateurs de la solidarité, avec cette séparation
progressive des univers de l’assurance sociale et de la solidarité, l’ébranlement de la vision assurancielle
de la solidarité et l’échec de la conception traditionnelle des droits sociaux pour penser la situation des
exclus. L’État compensateur est devenu une machine à indemniser, les droits sociaux étant des droits de
tirage. Ce sont les effets pervers de « l’État passif-providence » : l’exclusion est financée sur le travail :
déflation sociale ; spirale d’autodestruction de la solidarité par les prélèvements sur le travail, coupure
entre indemnisation et insertion nécessitant une redéfinition de la notion de droit social vers le droit à
l’insertion.
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3. La crise du paradigme assuranciel (Rosanvallon)
Le dysfonctionnement des systèmes de protections et d’indemnisations.
Le substrat technique et philosophique de l’État-providence où les risques étaient également répartis et
aléatoires s’épuise. Le concept de précarité et de vulnérabilité l’emporte sur celui de risque. Retour de la
responsabilité individuelle. Nouvelles formes d’insécurité : urbaine, familiale, géopolitique. Santé : approche
plus individualiste et déterministe avec la médecine prédictive et la fin de la croyance dans l’émancipation
progressive des forces de la nature, aboutissant à une exigence de contrôle des comportements.
Les redistributions cachées
Passage à une logique solidariste (déplafonnement des cotisations, contribution des fonctionnaires) quand la
logique assurancielle devient compensatoire, quand elle vise à annuler des dommages. Fonction de report
démographique des politiques sociales. Génération sacrifiée : les 20 - 45 ans.
Le déclin du consensus et du paritarisme
Épuisement des deux modèles bismarckiens (prestations en contreparties de cotisations, concertation et
représentation sociale déficientes) et beveridgiens (prestations uniformes mais basses financées par les impôts,
nécessité d’allocation complémentaire d’assistance).
La tentation de la victimisation sociale
La reconstruction civique suppose une formulation plus exigeante de la dette sociale, de l’appartenance
communautaire, antagoniste au processus de radicalisation des droits civils dans la société de réparation
généralisée dans laquelle la figure de l’interaction sociale est la victime. Capital victimaire des blessures et
souffrances du passé, mémoire de l’infériorité, théâtralisation du malheur : victimes et indemnisations, du
terrain du civil ou de la lutte des classes à celui de la CS, avec un coupable déterminé sociologiquement et
historiquement. Aux EU, personnalisation de la responsabilité. Multiculturalisme, valeurs de tolérance et
impartialité plutôt que solidarité et égalité ; assemblage de quasi nations.
4. La crise du modèle bureaucratique (Ezra Suleiman)
Infériorité de la bureaucratie où manque « l’intérêt personnel, cette indispensable pierre à affûter la créativité
et à l’éperonner » (Bentham) Weber dépassé ? Weber : « Plus une bureaucratie est parfaitement
déshumanisée, plus complètement elle réussit à éliminer de ses tâches officielles tout ce qui est amour, haine
et tous les éléments affectifs purement personnels et irrationnels qui échappent au calcul ». David Osborne et
Peter Plastrick,
Banishing Bureaucraty : The Five Strategies for Reinventing Government,
1992; William A
Nisnaken Jr,
Bureaucracy and Representative Government
, 1971: bureaucrates et bureaux cherchent à
maximiser leurs intérêts; redondance organisationnelle.
New Public Management
(NPM). École du choix
public : bureaucratie est incompatible avec la démocratie. Valeurs : esprit d’entreprise, l’usager devient client,
le tassement des hiérarchies. Formes : dégraissage, privatisation et sous-traitance, compétition entre services,
dévolution de l’autorité vers le bas. En Europe, les États forts avaient pour tâche de garantir l’unité de la
nation et l’unité et l’indivisibilité de la République d’où la difficulté de réformer la bureaucratie en France et
la relation État/nation. L’opposition démocratie/républicanisme a sa contrepartie dans la dichotomie
consommateur/citoyen.
Solutions et réformes sociales-libérales: repenser l’État-providence selon P Rosanvallon
1. Refaire nation
La logique solidariste de l’État-providence entraîne la reformulation du lien entre le social et la citoyenneté.
Histoire institutionnelle de l’État social renvoie aux techniques assurantielles, son histoire philosophique à la
question civique, l’État-providence étant encastré dans l’État-nation.
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2. Les voies nouvelles de la solidarité : valoriser la citoyenneté sociale
De l’assuré social au contribuable
: illusion de la séparation entre assurance (une technique) et solidarité
(une valeur) ; incapacité de la gauche à penser pratiquement la solidarité, effondrement du mythe de la
réforme fiscale comme opérateur du changement social.
Le danger de réduire le social à l’exclusion
: dégradation de la condition travailleuse.
La question des classes moyennes
: aux EU, coalition progressiste entre les noirs et la classe moyenne
blanche, les démocrates trop identifiés aux minorités en perdant les classes moyennes; point d’ébullition
(« boiling point » Kevin Philipps) des classes moyennes.
L’état providence sélectif
: la gauche contre la suppression des conditions de ressources au motif de
l’universalisation comme effacement symbolique des différences de classes mais au prix du saupoudrage
financier et de l’inefficience des politiques ; droite pour une sélectivité sociale modérée. La sélectivité
découpe la société en deux blocs, les bénéficiaires et les exclus, les classes moyennes étant déchirées et
mécontentes, les effets pervers des seuils sociaux et fiscaux se chevauchant.
3. Repenser les droits
La séparation entre économie et société
: effet pervers dit de composition (arbitrage entre chômage et
travail, les faits se vengent de l’analyse, Raymond Boudon, Effets pervers et Ordre social, PUF, 1977) et effet
pervers dit de dissociation entre deux sphères d’activité sociale ou entre économique et social.
Dissolution du contrat salarial
: la séparation entre l’économique et le social a suscité un chômage de masse
et de longue durée : radicalisation et polarisation du processus de modernisation économique, fin de l’échelle
resserrée de hiérarchie des salaires (salaire de solidarité ou économie de partage), détérioration de la situation
des classes intermédiaires, ajustement sur les quantités par la réduction du volume des emplois,
l’externalisation traduit un principe de séparation entre efficacité (entreprise) et solidarité (État), la
différenciation salariale traduit l’individualisation de la performance.
Radicalisation de la modernité
: les microdispositifs de protection sociale dans le système productif ont été
remplacés par l’État passif-providence assuranciel et indemnisateur en provoquant une dissociation radicale
entre le citoyen et le travailleur, entre principe démocratique d’inclusion et d’égalité et principe productif de
différenciation et d’exclusion.
La tentation de salarier l’exclusion
: indemnisation du handicap social (handicapologie), 17 % de la
population active (1.2 M) contre 600 000 chômeurs touche des allocations invalidité aux PB en 1994, de
400 000 à 1.2 M en Italie, avec une assurance invalidité comme relais de l’assurance maladie et chômage ;
revenu d’existence, « pointe extrême de la société d’indemnisation », clôture de l’État-providence, réunissant
communisme utopique et ultra libéraux, dissociation radicale de l’économique et du social ; mais droit à
l’utilité au-delà du droit au revenu => réinventer un droit au travail.
De l’indemnisation à l’insertion
: retrouver des effets équivalant aux anciens modes d’encastrement du
social dans l’économique, internalisation du social, « concilier les vertus protectrices de l’ancien système
corporatiste avec l’économie de marché », réintégrer les individus dans la sphère du travail. Système national
universel d’assurance maladie, qualifié de « folie universaliste » (universal fallacy).
4. Le droit au travail : histoire d’un problème
Le moment révolutionnaire
: droit à vivre de son travail. Target : « le corps politique doit à chaque homme
des moyens de subsistance, soit par la propriété, soit par le travail, soit par le secours de ses semblables ».
Aux origines : contrainte et assistance
; philosophie répressive et curative de l’hôpital général fondé en
1656 (à Québec en 1692 et Montréal, en 1694, lieux d’enfermement et de mise au travail des mendiants et des
invalides). Ateliers de charité posent 3 problèmes : l’obligation au travail des indigents, le caractère de salaire
ou de secours de la rémunération, le sens juridique entre droit au travail et instrument social conjoncturel.
Renvoie à la tension entre droits personnels ou civils ou droits-libertés et droit sociaux (comme dette de la
société envers les individus, droits-créances).
L’assistance par le travail
oeuvres charitables privées, colonies agricoles entre 1830 et 1850 ; chantiers
nationaux ; droit à l’assistance devient droit réorganisateur de l’État et de la société. Question du passage de
l’assistance passive (distribution de secours) à une forme active d’insertion par le travail
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5. La société d’insertion
Emploi et État-providence sont indissociables. « Repenser l’État-providence implique prioritairement
d’envisager de façon neuve la gestion sociale du chômage ».
Rédéfinition du social
. RMI, droit procédural, dette sociale et contrepartie d’insertion. Le workfare pour
vaincre « la culture de la dépendance permanente » (Clinton) et la permissivité que symbolise l’AFDC (Aid to
Families with Dependent Children). L’État a une fonction de socialisation et de moralisation. Formulation de
contreparties aux droits sociaux (obligations positives ouvrant la voie à un individualisme contractuel)
particulièrement aux EU où le Welfare se limite à l’assistance sociale.
Sécurité contre liberté
: éloigner la dépendance, ouvrir à l’autonomie « donner à tous les Français le moyen
d’obtenir les premières nécessités de la vie sans dépendre d’autre chose que des lois et sans dépendance
mutuelle dans l’État civil » Saint-Just ; corporations médiévales et antiques offraient la sécurité.
Le droit de mendier
comme exercice des droits de l’homme et ceux-ci comme vecteur de l’indifférence
sociale ; mendier relève d’un choix.
Économie d’insertion
: ouverture à l’économie intermédiaire plutôt que plier la société à la logique du
marché (GB, EU), la lutte contre le chômage par l’appauvrissement s’avérant une sorte d’ « inclusion par
l’hétérogénéité radicale » reproduisant la forme ancienne du rapport du serf et du seigneur dans une
représentation unifiée d’un monde hiérarchisé.
6. L’individualisation du social
Les magistratures du sujet
(A Garapon) : learnfare et wedfare, un nouveau paternalisme et contrôle social
dans une démocratie de surveillance visant l’individu moral ou de nouvelles politiques visant l’individu
social ? Justice : de la délinquance-acte à délinquance-personnalité.
Repenser l’égalité des chances
: compréhension des trajectoires de l’individu à travers un droit procédural
(Habermas) dont le fondement est l’équité de traitement à travers des droits sociaux plus individualisés et un
État-service.
Repenser le progrès social
: plus que par l’État-providence il faut penser le progrès à travers un
«
réformisme de l’individu »; l’opposition classique entre individuel et collectif n’est plus opératoire,
fondation d’un nouvel État actif-providence, d’une nouvelle culture politique : nouvel âge du politique
répondant au nouvel âge du social
.
Le nouvel ordre social : incertitude, société du risque et question vitale
1. La remontée de l’incertitude (Robert Castel)
Depuis 1975, pour Castel, on vit la crise de la modernité organisée ou de la modernité restreinte : échec du
libéralisme à appliquer les principes d’autonomie et d’égalité des droits.
-
affaiblissement de l’État national-social (E Balibar)
-
érosion
des
formes
d’organisations
collectives
de
la société
salariale ;
mobilité
généralisée,
« déstandardisation du travail » (Ulrich Beck) en allant vers un modèle biographique du travailleur
entrepreneur.
L’insécurité moderne ce n’est pas l’absence de protections mais la conséquence des protections, dans des
sociétés d’individus qui « ne trouvent, ni en eux-mêmes ni dans leur entourage immédiat, la capacité d’assurer
leur protection ». Relations ambiguës assurances-risques : recherche de protections et frustration sécuritaire
sont consubstantielles à la société fondée sur l’économie de protections. L’insécurité civile et sociale est
l’envers d’une société de sécurité, elle est le résultat de l’aversion au risque, lui-même lié aux facteurs de
dissociation sociale, dans un contexte de décollectivisation des enjeux et des débats publics et de promotion et
déclin de groupes dominants. Le ressentiment est une réponse sociale au malheur social, un mélange d’envie
et de mépris jouant sur les différentiels de situation sociale. Les banlieues sont vues comme le retour des
classes dangereuses, de tout ce que la société porte de menaces car non intégrées à elle : après le prolétariat
industriel, ceux qui « campent au sein de la société occidentale sans y être casé » ; un ennemi de l’intérieur à
la périphérie du corps social.
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2. Une nouvelle problématique du risque (Ulrich Beck)
Ulrich Beck voit une « société du risque » dans le principe de précaution. Pour Anthony Giddens, « la culture
du risque » qui se manifeste à travers la demande irréaliste de sécurité fabrique du danger : le danger de
manger, de voyager, de boire, de respirer. L’idéologie du risque ouvre aux assurances privées (les risquophiles
et les risquophobes de Seillières) et va avec la célébration de l’individu désenchâssé de ces appartenances
collectives (disembedded). État social a agi comme puissant facteur d’individualisation : « l’État a été le
libérateur de l’individu » (Gauchet) ; l’assurance et l’assistance affranchissent l’individu de sa dépendance
aux communautés intermédiaires.
3. La lutte de tous contre tous : la question vitale supplante la question sociale (Marcel Gauchet)
Pacification démocratique, désertion civique (Le Débat mai-août 1990). Le débat civil est remplacé par
l’incantation morale, le discours des bons sentiments et des beaux principes. Régression de l’esprit public dans
un moralisme où la vertu n’est pas seulement un masque mais une marchandise. « A partir de 1975, la seconde
grande crise de ce siècle a complètement subverti les représentations de l’action collective, du devenir et de
l’organisation sociale que la première avait puissamment contribué à enraciner » ; relégitimation de l’individu
comme vrai vecteur de l’histoire, retour de l’entrepreneur schumpetérien. La gauche devenue parti de l’ordre
et de la conservation pour maintenir son idéal du pouvoir de tous. Questionnement du libéralisme en terme de
gestion de la communauté politique dans un pays qui a poussé plus loin que partout ailleurs « cette aspiration
à l’autorité de tous comme légitime prolongement de la liberté de chacun ».
Capitalisme comme économie de l’innovation et conditions du renouvellement de la production. Fin de la
croyance à la bureaucratie rationnelle (Hegel, Weber) avec la fin du communisme. Enjeu démocratique dans
« la redéfinition des conditions de concrétisation d’un dessein collectif ». Carence de l’État protégeant mal et
ne procurant pas « l’assurance identitaire qu’exige une ouverture maîtrisée sur l’extérieur ». A la lutte de
classes traditionnelles et à « la division nette a fait place un continuum où les appartenances marquées se sont
défaites ». Effacement de la question sociale avec un « retour de la nature au sein de la culture… à force de
socialisation de la vie, voici l’ordre vital en passe de devenir le coeur de la question sociale » (age, sexe,
fécondité, éducation, santé, retraite, immigration).
Le nouveau paradigme libéral-démocrate : les politiques sociales et de santé
contemporaines entre idéologie humanitariste et faux retrait de l’État
1. L’idéologie humanitariste
Les idées néo-libérales, telles qu’elles se sont imposées partout depuis le début des années 80 ont consacré
une approche humanitariste et non politique du social, appelant en particulier les associations humanitaires et
les ONG à se substituer à un État déficient ou absent, en se fondant pour cela sur la philosophie des droits de
l’homme née des Lumières et de 1789 mais en débarrassant ceux-ci de la dimension nationale et citoyenne qui
les habitaient jusque là dans la démocratie moderne, à travers cet « Etat national-social » (Etienne Balibar,
Robert Castel) qui fut le modèle d’organisation de ces démocraties. Pour Marcel Gauchet, ce mouvement est
le résultat de l’exacerbation individualiste de la personnalité contemporaine, dans ce qui est devenu la
« société des individus ».
L’idéologie humanitariste peut se comprendre comme une version hystérisée des droits de la personne, après
que ceux-ci ont perdu les dimensions politique, publique, universaliste et solidariste qui les fondaient au sein
de l’État-nation social moderne. Les « droits-de-l’hommistes » ont cru pouvoir fonder une nouvelle frontière
de la vie démocratique et de l’engagement citoyen qui aurait été à même de faire barrage à la résurgence de
grande ampleur du néo libéralisme économique. Or, loin d’être son opposé, l’universalisme relativiste et
multiculturaliste de l’humanitarisme, en particulier dans sa version altermondialiste, est l’alter ego, dans le
politique, de la mondialisation économique libérale. Ce que Charles Taylor confirme de cette manière: «
Some
adversaries of savage capitalism carry possessive individualism farther than its most untroubled defenders
».
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En cela, les humanitaristes n’ont fait que précipiter et accélérer la révolution néo libérale en donnant naissance
à un libéralisme politique inconnu jusqu’alors, que seuls certains épisodes de la Révolution française avaient
traduits dans les faits et que Sade, Stirner ou Pasolini traduisirent avec clairvoyance et prescience, le
libéralisme politique et moral relevant d’un processus de dissolution complet du politique et des institutions,
le libéralisme ou le libertarisme politique étant, en définitive, anti-politique. En ce sens l’humanitarisme a
préparé le terrain à la résurgence de la « défunte philanthropie » des grandes religions et le retour des valeurs
conservatrices de sociétés hiérarchisées et inégalitaires, la charité chrétienne prenant la forme de ces politiques
compassionnelles qui se popularisent aujourd’hui et qui consistent en un principe d’entraide interpersonnelle
et conditionnelle des plus riches vers les plus pauvres, sans intervention de l’État et des pouvoirs publics, et
sans le Sacré et l’Holisme qui habitaient les religions anciennes.
2. Le faux retrait de l’État en matière de politiques sociales
En termes d’administration et de gestion publique, le libéralisme politique humanitariste a été la caution
idéologique bien-pensante du libéralisme économique mondialiste. On en a vu les effets dans le retrait et le
désengagement de l’État, le dégraissage de ses effectifs, la contractualisation de ses embauches,
l’externalisation et la sous-traitance de ses actions, la transformation de l’usager en client et du citoyen en
consommateur. Dans la plupart des États, l’apurement des comptes publics et le retrait de l’État fut une
impérieuse nécessité budgétaire, financière, économique et les premiers qui s’y sont mis (Royaume-Uni,
Australie, Nouvelle Zélande, Canada, Finlande, Suède) en ont rapidement tiré un avantage compétitif et de
croissance, là où les autres (France, Allemagne, Italie, Québec) ont continué à en payer un prix économique
exorbitant. La réforme et la réingénierie de l’Etat, le
New Public Management
réussissent quand la gestion
publique peut être déléguée, tout en étant soigneusement contrôlée, à des organismes indépendants,
compétitifs et responsables. Les politiques publiques sont alors rendues plus efficientes, les citoyens sentent
de manière tangible que l’argent public est bien utilisé dans l’amélioration des services qui leur sont rendus, et
l’acceptation de l’impôt, souvent lourd dans des pays de tradition interventionniste et étatiste, en est facilitée.
Il en est allé tout autrement dans le domaine de la santé, de l’éducation ou de la protection sociale : le retrait
de l’État n’est pas patent, au contraire, l’État accroit ses modalités d’intervention et ne diminue pas ses
moyens financiers destinés au social. Seuls deux États ont vraiment transformés en profondeur leur modèle de
protection sociale : le Royaume-Uni en revenant aux sources du capitalisme libéral manchestérien et la Suède
en inventant un nouveau modèle social décentralisé plus proche qu’auparavant des principes qui fondent le
modèle bismarckien. Tous les autres, États-Unis compris, n’ont osé ou n’ont pu, par absence de consensus
social et électoral, défaire leur système de protection sociale.
En revanche, ils ont tenté d’appliquer aux politiques sociales et à leurs administrations les principes de
management et de gestion du privé, avec des conséquences le plus souvent négatives, et quelquefois
catastrophiques, en termes d’efficacité des politiques et surtout de cohésion sociale. Le passage de mesures
sociales générales à des mesures individualisées et la multiplication des contraintes et de la complexité
règlementaire ont transformé ce cher État autoritaire Big Brother en un État Big Mother étouffant et
maternant. De plus, ni la dévolution au secteur privé ou aux organismes humanitaires ni l’application des
principes de compétition et de marché, ni l’individualisation ou l’activation des mesures dites passives, ni
cette philosophie qui inspire les principes de pédagogie individualisée, de « l’enfant-personne » et de « l’élève
apprenant » dans l’enseignement, ou celles de « patient au centre » ou de « programmes-clientèles »
hospitaliers dans la santé, n’ont réussi à venir à bout de la nouvelle question sociale, comme si la matière
spécifique du « social » qui forme le coeur de l’État-providence était irréductible à la logique libérale et, au
centre de celle-ci, aux principes de contrat et de marché, comme s’il y avait une dynamique aporétique des
droits individuels en matière de santé et de social, comme si, en définitive, l’obtention ou l’attribution de
nouveaux droits sociaux au citoyen-consommateur ne faisait qu’exacerber son sentiment de manque, sa
perception du risque, son besoin de plus de sécurité et in fine son angoisse extrême devant la vie et son
angoisse de mort.
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