Non for Profit Organisation Michel Coomans, Essai sur Héraclite d’Ephèse, dit l’Obscur (+- 540 – 480 av. JC.) Champ Vallée, 17 B box 1 00-32-(0)10-45.17.97 1348 Louvain la Neuve www.heraclite.be Belgium. info@heraclite.be Univers et Logos, Harmonie et Equilibre, Verbe et Sagesse, Connaissance et Raison, Philosophie et Ethique, Homme et Liberté, Changement et Eternel Retour, Temps et Destin… Il semble bien qu’ Héraclite l’Obscur ait été le premier philosophe, « la première lumière qui ait brillé au firmament de la pensée occidentale ». Puisse « la lumière de l’Obscur » eéclairer le chemin du 21 siècle vers l’harmonie. éveiller l’Homme endormi et le conduire au-delà du matérialisme et de l’individualisme, à l’ouverture au monde, à l’épanouissement de soi... à la découverte du Logos. Michel Coomans. HERACLITE & Seven Pillars, asbl Etude Héraclite, p. 2 Table des matières Biographie de l’auteur. Introduction : liberté d’esprit. 1. Un penseur libre et indépendant. 2. Une pensée présocratique de l’Univers (la Nature). 3. La mécanique de l’Univers : changement perpétuel. 4. Le Logos : principe d’ordre et de changement universels. 5. L’univers : système global complexe ? 6. Au seuil du monothéisme ? 7. Le Logos : totalité du verbe et discours de la totalité. 8. L’homme dans l’univers : liberté ou déterminisme ? 9. Le temps : ...
Univers et Logos, Harmonie et Equilibre, Verbe et Sagesse, Connaissance et Raison, Philosophie et Ethique, Homme et Liberté, Changement et Eternel Retour, Temps et Destin Il semble bien qu’ Héraclite l’Obscur ait été le premier philosophe, « la première lumière qui ait brillé au firmament de la pensée occidentale ». Puisse « la lumière de l’Obscur » éclairer le chemin du 21esiècle vers l’harmonie. Puisse « la lumière de l’Obscur » éveiller l’Homme endormi et le conduire au-delà du matérialisme et de l’individualisme, à l’ouverture au monde, à l’épanouissement de soi... à la découverte du Logos.
HERACLITE & Seven Pillars, asbl
Michel Coomans.
Etude Héraclite, p. 2
Table des matières Biographie de lauteur. Introduction : liberté desprit. 1. Un penseur libre et indépendant. 2. Une pensée présocratique de lUnivers (la Nature). 3. La mécanique de lUnivers : changement perpétuel. 4. Le Logos : principe dordre et de changement universels.5. Lunivers : système global complexe ? 6. Au seuil du monothéisme ? 7. Le Logos : totalité du verbe et discours de la totalité. 8. Lhomme dans lunivers : liberté ou déterminisme ? 9. Le temps : éternel retour et destin de liberté. 10. A laube de la pensée occidentale. Conclusion : la Lumière de lObscur. Résumé : à travers Héraclite.
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Etude Héraclite, p. 3
Biographie de l’auteur. Belge, ingénieur commercial et de gestion diplômé de lInstitut dAdministration et de Gestion (IAG, UCL, 1974), Michel Coomans a mené une première carrière comme directeur, directeur général et administrateur délégué dentreprises, notamment au sein du groupe Pétrofina, en Belgique et hors dEurope. En 2002, il sinterroge sur les dilemmes éthiques des affaires et sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) et obtient un diplôme en Ethique Economique et Sociale (Chaire Hoover, UCL, 2003). Depuis début 2004, il est chercheur à temps partiel auprès du Centre de Recherche en Ethique Economique (CREE) de lUniversité Catholique de Lille au sein de laquelle il enseigne et anime des séminaires en faculté déconomie et de gestion et dans plusieurs hautes écoles de commerce. En parallèle, il étudie le Droit Humanitaire (2003) puis les Relations Internationales (2005) à lInstitut Royal Supérieur de Défense (IRSD, ERM) et, comme lieutenant colonel de réserve, devient Conseiller en Droit des Conflits Armés puis, suite à un mémoire sur les Acteurs Non Etatiques de pouvoir dans le cadre de la globalisation, est rattaché à létat major de larmée belge, au service Politique de Défense au sein du Département Stratégie, et y devient conseiller en éthique militaire. Son principal centre dintérêts réside dans les causes profondes du déséquilibre des sociétés et du monde à laube du 21e siècle, quil résume en deux mots : Valeurs et Pouvoir. Ses travaux portent, pour les valeurs, sur la finalité des entreprises et le concept déthique européenne (par différence avec léthique anglo-saxonne dominante) et, pour le pouvoir, sur celui des Acteurs Non Etatiques que sont les multinationales et le capitalisme. Dans ce cadre, il participe annuellement à plusieurs congrès européens et organise le « congrès annuel dHéraclite » sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises, à Louvain la Neuve. Il dirige lasbl Héraclite (2003) puis crée lasbl HERACLITE & Seven Pillars (2005) dont il coordonne les travaux et souhaite faire un centre de recherche européen autour de sept piliers : cinq piliers de recherche sur (1) le Progrès, (2) les Pouvoirs, (3) le Système économique capitaliste, (4) lEthique européenne et (5) le Business Model des entreprises, et deux piliers de développement, (6) vers la société et les citoyens européens et (7) vers les entreprises.
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Etude Héraclite, p. 4
Introduction : liberté de pensée
Notre association porte le nom dHéraclite. Il nous semble donc opportun déclairer la personnalité et la pensée de ce philosophe grec présocratique dont la profondeur et la modernité va bien au-delà de ce que la plupart sait de lui. A travers le nom, cest une partie significative de notre propre philosophie que nous cherchons à éclairer ici. On connaît Héraclite comme le philosophe du changement : tout coule (πανταρει) et lon ne se baigne jamais deux fois dans la même eau. Le monde, les choses, les hommes, tout change en permanence et rien nest acquis. Mais Héraclite est bien plus que cela : au-delà de la permanence du changement, il nous livre une conception du monde qui, selon nous, se prête bien à aborder les situations complexes et mouvantes du 21edes changements substantiels auquel nous souhaitons réfléchir.siècle, lesquelles exigent De luvre dHéraclite, seuls nous sont parvenus les commentaires et citations de philosophes antiques et un peu plus de 130 « fragments » ou « aphorismes ambigus ». Ceux-ci sont de courtes phrases sans ponctuation ni commentaire ou contexte qui les éclairent. Ajoutons y le recours au paradoxe, au double sens, aux figures de style confuses et lusage, tantôt, de mots différents pour énoncer des concepts similaires et, tantôt, de concepts indéfinis, comme le Logos (λογος). On comprend alors la difficulté dinterpréter sa pensée ou de saccorder sur le contenu de celle-ci. Aristote en parlait dailleurs en terme dobscurité. Doù le surnom dHéraclite : « lObscur ». Friand de contradictions et de paradoxes, ce nest pas le moindre de ceux-ci que lObscur soit souvent considéré comme « la première lumière qui ait brillé au firmament de la pensée occidentale ». Certains 1 parlent de « la Lumière de lObscur ». Sur de telles bases, on ne peut donc quinterpréter sa pensée et formuler des hypothèses. Dailleurs, comme on le verra, Héraclite lui-même nous suggère de le faire. Cest donc ce que nous faisons ici, avec la liberté desprit dont se réclame notre association et dont Héraclite faisait preuve, afin dexprimer notre lecture de sa pensée dans le cadre du questionnement de notre époque, et afin de saisir ce que cette pensée peut apporter au 21e Nous pensons ainsi ne pas trahir celui dont notre association a emprunté le siècle. nom. Remarques. 1.Les fragments sont numérotés2et reproduits ci-après dans la traduction de différentes sources3, dont la principale est celle de Simone Weil4 2.sens. Mais il peut y avoir plusieursPour Héraclite comme pour nous, le mot est indissociable de son sens puisque le mot exprime notre pensée à un moment et peut varier avec celui-ci, ne fût-ce que dans la nuance. En fonction de cela, nous avons parfois changé un mot dun même fragment reproduit à divers moments de notre texte. Ce faisant, nous avons seulement veillé au sens nuancé du mot en fonction de son contexte. 3.A propos de la difficulté de traduire, comprendre et interpréter la pensée dHéraclite, le fragment 21 est exemplatif, en voici la traduction de deux sources différentes : Tout ce que nous voyons éveillés est mort, tout ce que nous voyons endormis est sommeil. Quand ils sont nés, ils veulent vivre et subir la mort et laisser des enfants pour la mort.
1Jean Bouchart d'Orval, Les Éditions du Relié, 1997, http://www.omalpha.com/heraclite.html 2 La numérotation utilisée est la plus courante : celle de Diels-Kranz. 3http://philoctetes.free.fr/heraclitefraneng.htm http://ratmachines.com/philosophy/heraclites/ http://fr.wikisource.org/wiki/Fragments_d'H%C3%A9raclite 4ttha/.cqca.orag//p:eisroDsssn/fom.tteacli/HerHERACLITE & Seven Pillars, asbl
Etude Héraclite, p. 5
1. Un penseur libre et indépendant.Nous savons peu de la vie dHéraclite, et ce peu mélange vérité et légende. Il serait né vers 540 av. JC., à Ephèse, en Ionie, colonie grecque d'Asie Mineure, dans une famille daristocrates et de prêtres. Il serait mort vers la soixantaine en laissant une uvre philosophique autant que poétique, intitulée « De la Nature » (περιϕυσεωςde façon « obscure », volontairement semble-t-il. Il se complaît en effet) et écrite dans des phrases brèves, mais frappantes et ambiguës sinon paradoxales, de type oraculaire, et sans ponctuation, ce qui en complique encore la lecture, sans compter que tout contexte a été perdu. On ne peut donc quinterpréter la pensée dHéraclite, forcément selon notre culture et notre propre vécu. Et, sans doute, est-ce ce quil souhaitait quand il écrivait : Dieu est jour et nuit, hiver et été, rassasiement et famine. Il change commele feuqui, quand il est mêlé aux parfums, reçoit un nom selon le plaisir de chacun (67).Héraclite aurait connu les guerres médiques (500-479) et loccupation perse, ce qui expliquerait, dans son uvre, la place du concept de polemos (πολεμος) qui, plus que guerre, combat ou lutte, signifie conflit et opposition des contraires : La guerre est source de toute chose (53) Il faut comprendre que la guerre est la commune condition, que la justice est combat, Et que toutes choses ressortent d’une lutte (80). La fréquentation des Mèdes lui aurait été loccasion de confronter la mythologie grecque et la théologie de Zarathoustra5penseur face au divin, autant que. Cette ouverture à deux religions expliquerait son côté libre sa réputation dimpie ou dathée. En effet, Héraclite napparaît assurément pas conformiste en matière de religion, notamment par : (1) la distance irrévérencieuse et la liberté critique quil prend, par rapport aux dieux et à la mythologie, ne fût-ce que dans la forme, et même si le sens est ailleurs : Cet ordre du monde (ςομσοκ),le même pour tous, aucun des dieux, aucun des hommes ne l'a fait (30) Les immortels sont des mortels, les mortels sont des immortels, car ils vivent la mort et meurent la vie les uns des autres (62) Dieu est jour et nuit, hiver et été, rassasiement et famine. Il change comme le feu qui, quand il est mêlé aux parfums,reçoit un nom selon le plaisir de chacun (67) Il disait aux Égyptiens : si ce sont des dieux, pourquoi chanter sur eux des chants funèbres ? Si vous chantez sur eux des chants funèbres, vous ne les prenez pas pour des dieux (127) Les honneurs tiennent en esclavage les dieux et les hommes (132). (2) sa recherche dun principe unificateur en dépit du polythéisme grec ambiant : Unis sont tout et non tout, convergent et divergent, consonant et dissonant; de toutes choses procède l’un et de l'un toutes choses (10) Cet ordre du monde,le même pour tous (30) Le un, cet unique sage, (32) Ceux qui ont entendu, non moi mais le logos, sont d’accord que la sagesse c’est : un est tout (50) Ils ne comprennent pas comment ce qui s’oppose s’accorde dans une identité (51) Et il ne connaissait pas le jour et la nuit, car ce sont une seule et même chose (57) 5 prophète monothéiste dAhura Mazda, le Seigneur Sage et le Grand Créateur (Zoroastrisme). HERACLITE & Seven Pillars, asbl Etude Héraclite, p. 6
Mal et bien sont un (58) La route qui monte et qui descend est une seule et la même (60) Ce logos qui gouverne l’ensemble de toutes choses (l’ i ) (72) un vers L’origine et l’achèvement sont réunis dans la circonférence du cercle (103) Car toutes les lois se nourrissent d’une seule loi divine. Car elle peut ce qu’elle veut et suffit à toutes choses et triomphe (114). Linfluence des Mèdes, venus de Mésopotamie au temps de prestigieuse Babylone, expliquerait aussi la place prépondérante du feu dans la cosmologie dHéraclite, dautant plus quil associe souvent celui-ci à la sagesse6, alors que, dans la mythologie grecque, le feu nest que lun des principes fondamentaux de lunivers, à légal de la terre, de leau et de lair : Cet ordre du monde , toujours il a été, est et sera, feu toujours vivant, alluméselon la mesure, éteint selon la mesure (30) La foudre gouverne tout. La foudre est le feu éternel, un feu sage et auteur de l’administration du monde (64) Le feu est besoin et rassasiement (65) Le feu survenant saisira et jugera toutes choses (66) Le feu vit la mort de la terre, l'air vit la mort du feu, l'eau vit la mort de l'air, la terre vit la mort de l'eau. La mort du feu est naissance de l'air, la mort de l'air est naissance de l'eau. La mort de la terre est de naître comme eau, et la mort de l'eau de naître comme air, et de l'air, comme feu, et ainsi de suite (76)Le feu est la monnaie de toutes choses et toutes choses sont la monnaie du feu (90). Atypique et bien quissu dune famille fondatrice dEphèse, Héraclite aurait renoncé à ses privilèges aristocratiques et sacerdotaux, et il en aurait été réprouvé par ses contemporains. Autre vérité ou légende : il était dhumeur mélancolique et irrascible. Peu avide dhonneur et sans doute élitiste, il méprisait ses semblables, ou à tout le moins se montrait ironique et abrupt, ce qui reste cohérent avec ce qui précède : Un âne choisirait des chardons plutôt que de l'or (9) Tout ce qui rampe a pour partage les coups (11) Trouver son plaisir dans l'ordure (13) Si ce n'était pas pour Dionysos qu'ils font la procession et chantent l'hymne du phallus, ce seraient des actions de la dernière impudence. C'est un seul et même être que Hadès et Dionysos, pour qui ils délirent et font les bacchants (15) La multitude se rassasie co mme des troupeaux (29) Entendant sans comprendre, ils sont comme des sourds. Cette parole témoigne à leur sujet, que présents ils sont absents (34) Les médecins coupent, brûlent, torturent de toute façon les malades et, leur faisant un bien qui est la même chose qu’une maladie, réclament une récompense qu’ils ne méritent guère (58) Les opinions des hommes : des jeux d'enfants (70) L'homme stupide, devant tout discours, demeure frappé d’effroi (87) Les chiens aboient contre ceux qu'ils ne connaissent pas (97) 6Ahuda Mazda est le Seigneur Sage HERACLITE & Seven Pillars, asbl Etude Héraclite, p. 7
L'habitude est le génie de l'homme (119)autant que leurs dirigeants, Quel est leur esprit, leur pensée? Ils obéissent aux incantations des peuples, ils ont pour instructeur la foule, ne sachant pas que la multitude est mauvaise, que les bons sont en petit nombre (104) ainsi que ses collègues savants : Homère se trompait en disant : « Que puissent s'estomper la discorde entre les dieux et entre les hommes ». Car si cela arrivait, toute chose cesserait d’exister L'étendue des connaissances n'enseigne pas à avoir l'esprit ; sans quoi elle l'aurait enseigné à Hésiode et Pythagore, et encore à Xénophane et Hécatalos (40) Hésiode est maître de la plupart des choses. On sait qu'il a su la plupart des choses. Et il ne connaissait pas le jour et la nuit, car ce sont une seule et même chose (57)Pythagore, fils de Mnésarque, plus que tout homme s’est appliqué a l’étude, et recueillant ces écrits il s’est fait sa sagesse, polymathie, méchant art (129). Ne fut-ce que par son origine ionienne, Héraclite fut rattaché à lécole de Milet, comme Thalès et Anaximandre. Mais il ne les cite nulle part ou en dit très peu : Thalès, le premier astronome (38).Il ne cite pas davantage Parménide dElée, qui serait son contemporain et avec lequel il aurait pourtant eu matière à polémiquer puisque Héraclite prônait le changement perpétuel et le Devenir, le mobilisme universel, là où Parménide ne voyait quEtre et immobilisme universel7.
7Pour Parménide, lÊtre na ni commencement ni fin, il est continu, immuable, hors du temps : si l'être est, le temps n'est pas. Tout est et sera éternellement. Parménide est le philosophe de luniversel l'immobilisme. HERACLITE & Seven Pillars, asbl Etude Héraclite, p. 8
2. Une pensée présocratique de l’Univers (la Nature).
Héraclite était un « physicien », littéralement : qui soccupe de la Nature, comme lindique lintitulé de son uvre : « De la Nature » (περιϕυσεως). Il sagit bien sûr de la nature en général, y compris lhumaine, et de la réalité, en un mot : lunivers. Il pratique donc la « physique », une philosophie « archaïque », si lon peut dire ! La métaphysique est encore absente, ou plutôt non séparée de la physique, et elle napparaîtra quavec les philosophes classiques. Comme ses collègues ioniens présocratiques, Héraclite cherche dans la nature lexplication rationnelle et lordre de lunivers. Il sagit de dépasser les mythes et les dieux, notamment ceux dHomère dont on a vu plus haut ce quil en pense, au profit de principes universels établissant une règle unique gouvernant les phénomènes multiples et divers. Ceci implique de compléter lobservation concrète par labstraction et la raison. Tel est lenjeu de la physique présocratique et son apport capital à la pensée et à la civilisation occidentales. Sa méthodecommence donc par lobservation et lexpérience du monde : Je fais cas de tout ce qu'on peut voir, entendre, apprendre (55) Même les boissons mélangées se séparent si on ne les agite pas (125) Les choses froides s'échauffent, les choses chaudes se refroidissent, l'humide sèche, le sec s'humecte (126). Mais celles-ci ne suffisent pas parce que nos sens ne perçoivent que des apparences, que celles-ci sont trompeuses et que nous nous contentons le plus souvent de croire ce que nos sens ou les autres gens nous révèlent : Alors que toutes choses se produisent conformément au logos, on croirait qu'ils n'en ont pas fait l'expérience (1) Ceux qui cherchent de l'or retournent beaucoup de terre et trouvent peu (22) Les yeux sont des témoins plus sûrs que les oreilles (101a) Les yeux et les oreilles sont de mauvais témoins pour les hommes qui ont une âme inculte (107) La nature aime à être cachée (123). Dès lors, il faut dépasser les apparences pour entrer dans le domaine de la pensée, de la raison, de la connaissance et de la sagesse : Celui qui est le plus estimé connaît et préserve des apparences (28) Etre sage consiste en un seul point, qui est de savoir que la pensée (ομηνγ) gouverne toutes choses au moyen de toutes choses (41) Ne pas conjecturer au hasard du plus important (47) L'harmonie invisible est plus que l'harmonie manifeste (54). Et la sagesseest un domaine « supérieur », celui où lhomme peut atteindre au divin : [Il nommait la pensée] le mal sacré (46) Le comportement humain n'enferme pas les connaissances ; le divin si (78) Etre raisonnable est la plus grande vertu, et la sagesse est de dire la vérité et d'agir conformément à la nature avec attention (112) L'enseignement est un autre soleil pour ceux qui le reçoivent (134). Mais ce domaine supérieur nest pas accessible à tous, non que chacun nen aie les moyens : HERACLITE & Seven Pillars, asbl Etude Héraclite, p. 9
Mais lors que lelogosest commun aux êtres vivants (2) La raison est commune à tous (113). mais parce que chacun nen fait pas leffort ou, même éveillé, nest pas « en éveil » : Les autres hommes ne savent pas ce qu'ils font étant éveillés, de même qu'ils ne savent plus ce qu'ils ont fait dans leur sommeil (1) Tout ce que nous voyons éveillés est mort, tout ce que nous voyons endormis est sommeil (21) Quand ils sont nés, ils veulent vivre et subir la mort et laisser des enfants pour la mort (21) L'homme dans la nuit touche une lumière, étant mort pour lui-même et vivant. Endormi, il touche ce qui est mort, ayant éteint sa vue. Éveillé, il touche ce qui est endormi (26) Entendant sans comprendre, ils sont comme des sourds. Cette parole témoigne à leur sujet, que présents ils sont absents (34) il ne faut pas parler et agir comme en dormant (73) Pour les âmes, devenir humides est délices ou mort.Nous vivons leur mort et elles vivent notre mort (77)La plupart des choses divines échappent à la connaissance par manque de foi (86) Léveil, mais nous y reviendrons, cest évidemment, pour le sage, louverture de lhomme à la connaissance, à la pensée, à la raison, à la sagesse. Le sommeil, cest naturellement linverse : se réfugier dans le monde des apparences, celui des choses matérielles, futiles et superficielles, celui du désir et des passions immédiates. On dirait aujourdhui : le monde de la consommation ! En sorte que, en tant quâmes humides, ce que nous voyons et qui est apparent, est en fait mort, et que ce que nous ne voyons pas, qui est caché, est en fait vivant. Donc, celui qui « vit », jouissant des délices de la vie immédiate, sans penser, il vit en subissant sa mort et, laissant un bel héritage matériel à ses enfants, il laisse un héritage pour la mort. Cest pourquoi : Ce qui attend les hommes morts, c'est tout autre chose que ce qu’ils espèrent et croient (27). Les cadavres doivent être rejetés plus que la fange (96). Il vaut mieux cacher son ignorance (109) Par contre, lâme sèche, celle qui éteint sa vue à la jouissance et à la consommation immédiates, celle de celui qui est mort à lui-même en tant quêtre commun, être de désir, est pourtant vivante et naît, séveillant au divin qui sommeille en elle, au monde de la sagesse, le seul monde de léveillé : Pour ceux qui sont éveillés il n'y a qu'un seul et même monde (89) L'âme qui est lumière sèche est la plus sage et la meilleure (118) Lobscurité dHéraclite réside dans son discours de linverse et de son contraire, qui oblige à lattention et à la réflexion, c-à-d à séveiller. Son obscure dialectique est didactique ! Ce que nous disions ci-dessus, on lentend tous les jours dans notre société, mais on reste sourd aux oiseaux de mauvais augure qui prêchent dans le désert quon est et quon vit. On ne comprend pas que la consommation nest pas divine sagesse et on persévère dans lerreur et la médiocrité, sans discernement. Vainement les hommes souillés de sang par le sang se purifient; comme si quelqu'un qui est tombé dans la boue se lavait avec de la boue. Si on voyait un homme agir ainsi on le croirait fou. Et ils prient les images des dieux, comme si on s'entretenait avec une maison. Ils ne savent pas ce que sont les dieux et les héros (5)
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Etude Héraclite, p. 10
Trouver son plaisir dans l’ordure (13) Tout cela est vrai aujourdhui comme au temps dHéraclite même si, comme loracle, ce nest pas drôle à entendre : La sibylle, de sa bouche en fureur, jette des paroles qui ne font pas rire,qui ne sont pas ornées et fardées, mais le dieu prolonge sa voix pendant mille ans (92) et même sil nest pas facile davoir raison contre le commun des mortels : Les Ephésiens méritent que tous ceux qui ont âge d’homme meurent,que les enfants perdent leur patrie, eux qui ont chassé Hermodore, le meilleur d’entre eux, en disant: « Que parmi nous il n y en ait pas de meilleur; ’ s’il y en a un, qu’il aille vivre ailleurs » (121). Sans éveil à la pensée, à la connaissance et à la raison, ce que lon nommerait aujourdhui esprit critique, ouverture desprit, soif de savoir ou capacité réflexive, lhomme se cantonne dans un état inférieur. L'homme est regardé comme sans raison par rapport à la divinité, comme l'enfant(nouveau-né)par rapport à l’homme (79) L'homme le plus sage comparé à Dieu est un singe pour la sagesse, la beauté et le reste (83) La solution pour échapper aux apparences et utiliser valablement ses connaissances et sa raison, lhomme doit la trouver en lui-même et, pour cela, dabord, se connaître soi-même : Il faut éteindre l’ubris (la démesure) de préférence à l'incendie (42) J'ai été en quête de moi-même (101) Il appartient à tous les hommes d'avoir la connaissance de soi et la sagesse (116).Héraclite annonce ainsi le « Connais-toi toi-même » (γνῶθισεαυτόν) de Socrate qui sinscrivait dailleurs déjà au fronton du temple de Delphes au temps dHéraclite. Celui-ci est donc bien un « pré-socratique », pas seulement dans le temps, parce quil vient avant Socrate, mais aussi dans lesprit, parce quil lannonce. La théorie héraclitéenne du changement et du Logos influencera dailleurs aussi Platon.