La tradition de l amour courtois dans De l amour et dans La Chartreuse de Parme de Stendhal - article ; n°91 ; vol.26, pg 53-65
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La tradition de l'amour courtois dans De l'amour et dans La Chartreuse de Parme de Stendhal - article ; n°91 ; vol.26, pg 53-65

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Romantisme - Année 1996 - Volume 26 - Numéro 91 - Pages 53-65
La Chartreuse de Parme réactive et réinterprète de façon romantique la tradition provençale de l'amour courtois. Celle-ci apparaît déjà au centre de De l'Amour, où Stendhal, notamment à travers le Choix de poésies originales des troubadours publié par Raynouard, reconnaît dans la conception provençale de l'amor de lonh (amour de loin), une forme exemplaire de sa propre théorie de la « cristallisation ». Contrairement à la tradition ovidienne, de type volontariste (il existerait des « remèdes » à la « maladie » d'amour), la tradition provençale met l'accent sur la soumission absolue de l'amant à sa dame, fût-ce au prix des plus grandes souffrances (joie paradoxale du tourment d'amour). La Chartreuse de Parme reprend ainsi une série de motifs de la rhétorique courtoise, transposés dans la fiction : rituel d'agenouillement de l'amant, « transi de peur » devant sa dame, « exil » temporaire de celui-ci lorsqu'il s'approche trop de la femme aimée, mais surtout, mise en scène de ce leitmotiv de la lyrique courtoise qu'est la prison d'amour. Cependant, Stendhal infléchit ce modèle « féodal » (domination de la dame) dans un sens « égalitaire » (soumission réciproque de Fabrice et de Clélia).
This paper shows how the Chartreuse de Parme gives a romantic reinterpretation of the troubadour lyric poetry. In De l'Amour, Stendhal recognizes that the provencal conception of the so called amor de longh (love at distance) represents an exemplary form of his own theory of « cristallisation » an idealization of the beloved, whose distance is a.necessary condition for the lasting desire of the lover. Contrary to the Ovidian tradition (« remedies » can cure the « sickness » of love), the provencal tradition Stendhal inherits accentuates the absolute submission of the lover, even if he has to suffer, which leads to a paradoxical happiness. The Chartreuse de Parme uses a gamut of motives routed in the troubadour rhetoric in order to transpose them into fictionnal form : the kneeing ritual of the lover who appears « frozen with fear », the temporary « exile » of the latter if he gets too close to his beloved, but also and over ail the configuration of the prison of love, a recurrent motive in the troubadour poetry. However, Stendhal modifies this « feudal » pattern (dominant position of the lady) in an « egalitarian » way (mutual submission of Fabrice and Clelia).
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 83
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

MME Sarga Moussa
La tradition de l'amour courtois dans De l'amour et dans La
Chartreuse de Parme de Stendhal
In: Romantisme, 1996, n°91. pp. 53-65.
Citer ce document / Cite this document :
Moussa Sarga. La tradition de l'amour courtois dans De l'amour et dans La Chartreuse de Parme de Stendhal. In: Romantisme,
1996, n°91. pp. 53-65.
doi : 10.3406/roman.1996.3072
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1996_num_26_91_3072Résumé
La Chartreuse de Parme réactive et réinterprète de façon romantique la tradition provençale de l'amour
courtois. Celle-ci apparaît déjà au centre de De l'Amour, où Stendhal, notamment à travers le Choix de
poésies originales des troubadours publié par Raynouard, reconnaît dans la conception provençale de
l'amor de lonh (amour de loin), une forme exemplaire de sa propre théorie de la « cristallisation ».
Contrairement à la tradition ovidienne, de type volontariste (il existerait des « remèdes » à la « maladie
» d'amour), la tradition provençale met l'accent sur la soumission absolue de l'amant à sa dame, fût-ce
au prix des plus grandes souffrances (joie paradoxale du tourment d'amour). La Chartreuse de Parme
reprend ainsi une série de motifs de la rhétorique courtoise, transposés dans la fiction : rituel
d'agenouillement de l'amant, « transi de peur » devant sa dame, « exil » temporaire de celui-ci lorsqu'il
s'approche trop de la femme aimée, mais surtout, mise en scène de ce leitmotiv de la lyrique courtoise
qu'est la prison d'amour. Cependant, Stendhal infléchit ce modèle « féodal » (domination de la dame)
dans un sens « égalitaire » (soumission réciproque de Fabrice et de Clélia).
Abstract
This paper shows how the Chartreuse de Parme gives a romantic reinterpretation of the troubadour lyric
poetry. In De l'Amour, Stendhal recognizes that the provencal conception of the so called amor de longh
(love at distance) represents an exemplary form of his own theory of « cristallisation » an idealization of
the beloved, whose distance is a.necessary condition for the lasting desire of the lover. Contrary to the
Ovidian tradition (« remedies » can cure the « sickness » of love), the provencal tradition Stendhal
inherits accentuates the absolute submission of the lover, even if he has to suffer, which leads to a
paradoxical happiness. The Chartreuse de Parme uses a gamut of motives routed in the troubadour
rhetoric in order to transpose them into fictionnal form : the kneeing ritual of the lover who appears «
frozen with fear », the temporary « exile » of the latter if he gets too close to his beloved, but also and
over ail the configuration of the prison of love, a recurrent motive in the troubadour poetry. However,
Stendhal modifies this « feudal » pattern (dominant position of the lady) in an « egalitarian » way
(mutual submission of Fabrice and Clelia).Sarga MOUSSA
La tradition de l'amour courtois dans De l'Amour et dans
La Chartreuse de Parme de Stendhal
Dans La Chartreuse de Parme, Stendhal oppose deux types de comportement liés
à l'amour. Il y a d'une part les sentiments calculés des acteurs de la cour, où le jeu
des alliances répond à une volonté d'accroissement du pouvoir et de la richesse ;
d'autre part la passion sincère de Fabrice et de Clélia, prêts à tout sacrifier pour se
voir et communiquer, fût-ce de manière oblique. Pourtant, l' amour-passion que
connaissent les deux jeunes héros n'a rien de « naturel ». Tout en faisant écho à
l'antique topos de Yomnia vincit Amor l, il s'inscrit dans la tradition provençale de
Vamor de lonh (amour de loin), qui repose sur une exacerbation du désir par la distance
maintenue entre les amants. Stendhal connaissait cette tradition au moins depuis les
années 1820. En font foi les pages consacrées aux Provençaux dans De l'Amour, où
est exposée la conception stendhalienne de la passion amoureuse, qui sera ensuite
transposée sur le plan romanesque. On se concentrera ici sur La Chartreuse de Parme,
qui illustre de façon exemplaire la lecture romantique que fait Stendhal de l'amour
courtois. Quelle que soit la sincérité des sentiments qui animent les héros de la
Chartreuse, l'expression de ces sentiments répond à des modèles de comportement.
Ainsi le leitmotiv de la prison heureuse renvoie-t-il à un topos de la poésie des trou
badours. Mais avant d'en venir à la façon dont la tradition de l'amour courtois est
réactivée dans la fiction stendhalienne, il faut examiner comment Stendhal parle lui-
même des poètes provençaux, et situer brièvement la poésie de ceux-ci par rapport à
la tradition ovidienne.
« Les troubadours sont ennuyeux », note Stendhal dans son Journal en 1822 2.
Curieuse déclaration, si l'on songe qu'il consacre au même moment, dans De
l'Amour, deux chapitres entiers aux troubadours et tout un appendice à la codification
de l'amour courtois au Moyen Age. A vrai dire, on est tenté d'y lire l'aveu même
d'une fascination en forme de dénégation. De même que Y oubli trahit bien souvent,
chez Stendhal, un mécanisme de censure intérieure 3, Y ennui peut être lu comme le
symptôme d'un intérêt inavoué 4. En voici un exemple avec ce jugement négatif
1. L'expression « l'Amour triomphe de tout » se trouve tout d'abord chez Virgile {Bucoliques X, vers
69). Elle devient rapidement un topos chez Ovide, qui diffuse celui-ci avec l'Art d'aimer et avec les
Remèdes à l'amour, textes sur lesquels on reviendra.
2. Œuvres intimes, éd. Victor Del Litto, Pléiade, Gallimard, 1982, t. II, p. 60.
3. Sur les « trous de mémoire » de Stendhal comme symptôme de refoulement, voir la préface de
Béatrice Didier à la Vie de Henry Brulard, Gallimard, « Folio », 1973, p. 17-18. Voir aussi B. Didier, « Le
discours amoureux dans le Journal de Stendhal », Romantisme, n° 62, p. 61-74.
4. Ces deux aspects du refoulement se trouvent d'ailleurs associés, comme pour mieux mettre à distan
ce une frustration passée, dans les Souvenirs d'égotisme. Evoquant implicitement sa rupture dramatique
avec Matilde Dembowski, il fait ce commentaire autoréflexif : « Ce que j'écris me semble bien ennuyeux ;
si cela continue, cela ne sera pas un livre, mais un examen de conscience. Je n'ai presque pas de souvenirs
détaillés de ces temps d'orage et de passion » (Œuvres intimes, ouvr. cité, t. II, p. 443).
ROMANTISME n°91 (1996-1) 54 Sarga Moussa
concernant un érudit dont on sait par ailleurs qu'il a orienté les lectures de Stendhal
sur les troubadours 5 : « Je me crève d'ennui en essayant de lire la Vie de Dante par
ce fat de Fauriel... » 6. Or on sait que Stendhal attachait au contraire une grande
importance à cet article, au point de l'avoir fait relier dans un volume factice 7. Dès
lors, faut-il voir dans l'apparent ennui stendhalien à l'égard des poètes provençaux
une passion refoulée ? Le jugement lapidaire et apparemment sans appel que Stendhal
porte sur eux, dans son Journal, prouve en tout cas qu'il a lu très tôt certains d'entre
eux. Sa connaissance, bien sûr lacunaire, lui vient essentiellement du Choix de poésies
originales des troubadours de Raynouard, que Fauriel lui avait conseillé de lire, et
qu'il cite au début du chapitre 52 de De l'Amour. Il s'agit de 6 volumes parus entre
1816 et 1821, et qui constituent la première anthologie de textes de troubadours,
accompagnés de leur traduction, d'une présentation, et d'une grammaire provençale.
Au début du tome II, Raynouard explicite son projet : « D'abord, j'essaierai de repro
duire les sentiments tendres et affectueux de ces amants passionnés et timides, les
vœux, les craintes, la soumission, les espérances, la reconnaissance de l'amour » 8. La
soumission est l'un des mots clé caractérisant cette conception de 9, selon
laquelle l'amant doit être entièrement dévoué à sa dame, dont il se déclare l'homme-
lige, le serviteur, le vassal, le prisonnier, etc., toutes métaphores qui insistent sur le
statut inférieur du troubadour par rapport à celle dont il célèbre les qualités 10.
En ce sens, et malgré de nombreuses réminiscences de la tradition ovidienne,
l'image de l'amant soumis proposée par la rhétorique courtoise est à l'opposé de la
conception volontariste qu'on trouve chez Ovide. Le

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