Loin de lui le soleil
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Loin de lui le soleil , livre ebook

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Description

«J’ai aimé Alphée dès le premier instant. Comme si je l’avais attendu toute ma vie. Comme si je l’attendais déjà avant même de vivre. Mais de ce premier instant à celui, des années plus tard, où Alphée est devenu Aphelion, qu’y a-t-il eu ? Je ne sais presque rien.
Je voudrais parler de lui malgré tout. Parler de lui, voilà. De sa pâleur, de ses cheveux noirs. De sa voix qu’on entend si peu. De la nuit qui règne sur lui.
Dire son histoire comme je la connais, sans qu’elle ait jamais été dite ou confirmée par lui.
Que chaque mot soit comme prêt à disparaître. Comme une apparition vaine et fragile du désir.


Je ne pourrai pas faire le livre. Seulement l’idée passagère que je me fais du livre.»



Préquelle indépendante d’Apostasie, ce roman prenant et onirique explore le passé d’Alvaron et Aphelion et plonge son lecteur dans d’immenses et fascinantes ténèbres.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 3
EAN13 9782375681299
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Vincent Tassy
Loin de lui le soleil
Editions du Chat Noir


«  Une douleur si aiguë qu’on dirait que pour survivre je dérive aussitôt vers autre chose.  »
Roland Barthes, Journal de Deuil.


J’ai fait ce livre en sachant que ce n’était pas possible de le faire.
Qu’il ne pouvait qu’échouer à dire ce qu’il y avait à dire.
Cette impossibilité-là est la raison même de son existence.
Donner l’idée, même lointaine – surtout lointaine –, d’Alphée, est une chose qu’on ne peut entreprendre qu’avec un certain renoncement.
J’ai aimé Alphée dès le premier instant. Comme si je l’avais attendu toute ma vie. Comme si je l’attendais déjà avant même de vivre. Mais de ce premier instant à celui, des années plus tard, où Alphée est devenu Aphelion, qu’y a-t-il eu ? Je ne sais presque rien.
Je voudrais parler de lui malgré tout. Parler de lui, voilà. De sa pâleur, de ses cheveux noirs. De sa voix qu’on entend si peu. De la nuit qui règne sur lui.
Dire son histoire comme je la connais, sans qu’elle ait jamais été dite ou confirmée par lui.
Que chaque mot soit comme prêt à disparaître. Comme une apparition vaine et fragile du désir.
Je ne pourrai pas faire le livre. Seulement l’idée passagère que je me fais du livre.
Ça commencera quand le petit garçon nommé Alphée est invité par une dame à la suivre dans son château.
Ça ne se terminera pas avant d’être passé par un moment d’une grande importance : celui où Alphée découvre – cela je le suppose – une fleur qui a pour nom Ovange.
Cette fleur peut exaucer le désir le plus profond de celui qui tombe amoureux d’elle. Alphée, je le crois, a trouvé un jour l’Ovange. Sans la chercher, sans connaître son pouvoir. Il l’a aimée ; plus qu’il ne m’a jamais aimé sans doute. Et son désir, immense, impossible, à lui-même inconnu, s’est matérialisé. C’est devenu une forêt. Infinie. Arbres rouges – l’écorce, les feuilles, rouges. Fleurs impossibles. Chimères. Reflets irisés, partout, d’une lune absente. Et lui au cœur de tout ça. Cœur de tout ça. Lui dans une tour, perdue quelque part dans la forêt. Moi près de lui. C’est ce qui est arrivé à la fin. Je le dis.
Je n’ai toujours pas compris. Et j’aimerais faire le livre de ça. De comment ça a pu arriver. Quelle a été sa vie pour qu’à la fin il y ait ça : une forêt de sang et de merveilles.
Mon nom est Alvare.
Nous vivons lui et moi dans la forêt.
J’écris comme je l’aime. Des profondeurs.


Il cherche.
À cette heure-là de la nuit, il marche dans la forêt. Il n’y a aucune lumière. Le clair de lune ne passe pas à travers les arbres.
Je marche derrière lui. Il ne sait pas que je suis là.
Nous sommes des enfants.
On ne s’est encore jamais parlé. Mais je le connais depuis toujours. Il est cet enfant maigre et perdu qui traîne parfois près du village, toujours seul. Il est pâle. Mutique. Ne sourit pas.
Il fait froid. Elle est gelée, la forêt.
Il porte des haillons. Il n’a pas l’air d’avoir froid. Il marche. Il cherche.
Je me cache derrière les arbres, loin de lui. Je ne fais pas de bruit. À chaque instant je manque de le perdre de vue. Il a les cheveux noirs, très longs. La nuit l’efface.
Où va-t-il ?
Je ne sais pas pourquoi je suis là, à le suivre. Sans doute, pour être là où il est. Chercher avec lui.
Soudain j’entends le son d’une voix, près de lui. Il se fige.
Quelqu’un dit :
— Que fais-tu là ?
Une grande silhouette s’approche de la sienne.
Je m’approche pour mieux entendre.
— Je sais qui tu es, dit-elle. Je t’ai suivi. Tu es Alphée.
Il ne répond pas. Voici que la lune passe à travers les arbres. Je crois voir la personne qui a parlé. C’est une femme. Elle porte une robe de châtelaine, étincelante. On la dirait faite des rayons de la lune et des ombres de la forêt.
Et son visage. Je ne suis pas sûr, je m’approche encore et je vois son visage. La moitié est celui d’une très belle dame, l’autre moitié est ravagée, comme brûlée, c’est très lisse, tiré, ça brille, l’œil paraît fermé.
— Tu es tout seul, dit-elle.
Il ne fait rien. Je ne crois pas qu’il la regarde, mais je ne sais pas, il me tourne le dos.
Elle s’accroupit devant lui. Elle lui caresse les cheveux.
Quelques pas me séparent encore d’eux. Je vois, j’entends tout. Elle dit : petit oiseau, petit, petit oiseau. Et puis des choses comme : tu as froid, n’est-ce pas, c’est l’hiver, la neige arrivera bientôt, tu portes des loques, quelle misère, et tu es beau petit oisillon, mais que tu es beau. Il reste immobile.
Elle se relève et lui tend la main.
Elle lui lance un regard très triste. Est-ce qu’il pleure ? Il lui prend la main.
— Tu vas venir avec moi, dit-elle.
Il va avec elle.
Ils sortent de la forêt. Puis c’est la vallée. Je ne peux plus les suivre. Ils me surprendraient. Je les regarde s’éloigner dans l’automne. L’herbe mouillée brille, ils brillent. Au loin, il y a le château. Je crois qu’ils vont là-bas.
Mon inconnu disparaît dans la rosée de la nuit.
Je voudrais tant te revoir.


Je ne me souviens pas de la première fois que je l’ai vu.
Peut-être parce que notre rencontre est un événement qui n’avait pas besoin d’avoir lieu.
Alphée, ce n’était pas la peine qu’il existe pour que je l’aime.
Cette première fois, je peux l’inventer. Changer tout le temps, dans ma tête, son déroulement. Ce sera toujours la vérité.
Ce dont je ne peux douter : il y a eu un moment de ma vie où il n’était pas encore là. Aujourd’hui ce lointain m’éblouit, me laisse sans voix.
J’aime l’idée que notre rencontre arrive un matin. Un matin noir, presque sans lumière, en automne ou en hiver. Sur une plage déserte.
Il apparaît. Je me promène sur la plage, il n’est encore qu’une ombre loin devant moi.
Je me rapproche de lui, toujours il est loin, mais déjà sa pâleur existe. Elle est sur lui, elle est autour de lui, elle se communique au ciel, à la mer.
Il est immobile. Sans y croire tout à fait, je me dis qu’il est mort. Toujours il est loin, mais qu’il soit mort ou vivant, l’existence là-bas de son corps, je ne sais pourquoi, m’émerveille.
Je m’oublie à marcher vers lui, dans le sable.
J’arrive à lui.
Il est devant la mer, assis. Il porte un voile informe, élimé, une déchirure.
Il ne bouge pas.
Ses yeux sont ouverts. À cette heure-là de notre rencontre, je n’ai pas encore vu leur couleur. Il ne s’est pas retourné vers moi.
Ses cheveux sont très longs, d’une noirceur infiniment noire. Le vent faible les agite.
Déjà j’ai attendu trop longtemps pour partir. Je reste près de lui, il ne peut plus ignorer que je suis là. Ce n’est plus possible de continuer mon chemin, de faire semblant d’avoir juste longé la rive.
Les minutes passent et nous demeurons ainsi. Moi debout près de lui, et lui assis face à la mer, à tenir secrète la couleur de ses yeux.
Bientôt la lumière n’est plus celle, grise, de l’aurore. C’est celle du matin, radieuse et blanche, qui s’approche de lui, et qui soudain l’éclaire.
Puis il y a cet instant où un nuage passe devant le soleil, et il me regarde pour la première fois.
Voilà. Ce serait ça, notre rencontre.


Ce qui se dit de lui parfois, au village, après son passage :
Il s’appelle Alphée. Il est abandonné. Il n’a pas de parents. Il paraît que sa mère a été brûlée parce qu’elle aimait les personnes mortes. On le dit. Ça se serait passé loin d’ici. On dit : c’était la belle aux cadavres. Les vivants, elle ne les aimait pas. Elle allait la nuit dans les cimetières, on ne la voyait pas. Elle était maigre et usée, puait la charogne, plaies verdâtres partout sur la peau. Elle creusait, elle se recouvrait de terre. Et puis c’étaient les caresses, les baisers, elle dansait, elle rampait, couchée sur les corps, elle léchait, elle avalait les vers, les humeurs, la poussière.
On dit : ses cuisses se trempaient en un instant q

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