L escalier ou les fuites de l espace
195 pages
Français

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L'escalier ou les fuites de l'espace , livre ebook

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Description

Comment pourrait-on considérer comme simple moyen d'accès et d'articulation un élément architectural aussi paradoxal et fascinant que l'escalier ? Incontournable dans nos lieux d'existence comme dans les espaces plastiques, cinématographiques ou littéraires, l'escalier cristallise à lui seul toutes les directions imaginables! Mais ce "conduit" par lequel s'écoulent le flux et le reflux humain, symboliquement assimilé à un processus d'ascension vers la perfection ou de descente vers la décrépitude, n'est-il pas susceptible de fuir ? L'escalier nous transporte vers d'insoupçonnées destinations.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2005
Nombre de lectures 480
EAN13 9782336270395
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

www.librairicharmattan.com harmattan1@wanadoo.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr
© L’Harmattan, 2005
9782747594615
EAN : 9782747594615
L'escalier ou les fuites de l'espace

Lydie Decobert
Sommaire
Page de Copyright Page de titre MISE EN MARCHE I - L’escalier comme processus
- DESCENDRE - DESCENDRE / MONTER - MONTER Interlude 1
II - L’escalier comme motif
- DU MOTIF AU MOTET - CONTREPOINTS DE FUITE - SUITES ET FUGUE Interlude 2
III - L’escalier comme temps
- L’ESPACE D’APPARITION - TEMPS D’APPARITION Interlude 3
IV - L’escalier comme musique - VARIATIONS - DEJOUER LA MESURE - TEMPS, MOTIF ET PROCESSUS FINALE BIBLIOGRAPHIE - PRINCIPAUX OUVRAGES DE REFERENCES DISCOGRAPHIE INDEX DES NOMS PRINCIPALEMENT CITÉS - Les chiffres en italiques renvoient aux illustrations. Index des illustrations
« Les marches de la cave ont grimpé la colline dans le clair de lune et T. P. est tombé en haut de la colline dans le clair de lune et j’ai couru le long de la barrière et T. P. courait derrière moi en disant : “chut, chut.” » 1
MISE EN MARCHE

I
L’escalier nous échappe : constats
On ne pense pas assez à l’escalier ; on ne lui prête pas suffisamment attention : « N’a-t-on pas remarqué l’air absorbé des gens qui montent d’étage en étage ? 2 » écrit Julien Green dans son essai sur Paris...
Suite de degrés qui servent à monter, descendre, et desservent les diverses parties des bâtiments, l’escalier est pour cela symbole privilégié de la progression vers le savoir, de l’élévation de l’être autant que de son exact contraire, la régression, le risque de chute étant toujours présent. Au regard de ces caractéristiques, de quelque nature qu’il soit, banal ou prestigieux, public ou dérobé, quelles que soient sa forme ou sa structure, l’escalier est essentiellement perçu comme moyen d’accès et, conséquemment, comme lieu de passage : il est considéré comme un espace de transition 3 , déterminé par les différents lieux d’un bâtiment, d’une ville ou encore, au figuré, par les « paliers » inscrits dans un processus d’ascension.
Cependant, ces définitions ne sont pas satisfaisantes et semblent même réductrices. Nous avons le sentiment que l’escalier nous échappe... et ceci, que nous soyons attentifs ou pas à sa présence. Il nous échappe lorsqu’il est moyen d’accès au seul « lieu » de la pensée, lorsque « c’est ici, sur ces marches, le lieu et le moment de se décider, la dernière minute de réflexion avant le geste définitif 4 ».
L’escalier, chargé de toutes les pensées de l’homme qui va vers son but, est emprunté machinalement : a-t-on remarqué le serpent qui rampe quotidiennement le long des marches des cathédrales vers les habitations, au gré des rayons solaires (en couverture)... ou encore la forte musicalité inhérente à la structure architecturale du plus modeste escalier ? De troublantes analogies visuelles se décèlent cependant entre l’écriture musicale et l’architectonique, si l’on confronte différentes cellules musicales empruntées à Mozart 5 , Tchaïkowsky 6 , Schubert 7 , à d’anodins cadrages photographiques sur la balustrade et les marches d’un escalier 8 (pp. 11 à 14). Le « détail musical » affiche une plasticité proche du « détail photographique » : ainsi, dans un fragment de La Flûte enchantée , à la montée des blanches (accompagnement au piano situé sous la portée réservée à la voix), répond le crescendo des balustres, tandis qu’à la descente des doubles croches, cadrées entre ces mêmes blanches, fait écho le decrescendo des balustres d’un arrière-plan mis en évidence par l’aplatissement sur le papier ; une ligne noire et modulée, courbe et souple dans la partition, oblique et rigide dans la photographie, assure la liaison entre les figures et rythme les deux images.


La puissance du rythme, au-delà de la frontière officielle, la barre de mesure, est d’autre part mise en évidence par les bribes de mots « chos se- » prises entre « les é- » et « ront ra », le texte chanté étant « les échos seront ravis »...
Ensuite, l’escalier nous échappe ou plutôt s’échappe 9 ... lorsqu’il est moyen d’accès au lieu construit, vécu par le corps, en toute lucidité : si « dans les espaces aménagés par des lieux, on découvre toujours l’espace comme intervalle 10 », comme spatium, l’espace spécifiquement in-tervallaire constitué par l’escalier, « espacement » entre les lieux et « conduit » utilisé pour se rendre en ces lieux, ne semble pas, de prime abord, nous retenir... Cependant, bien qu’ayant été « ménagé » et « inséré », pour reprendre les mots précis de Martin Heidegger 11 , en dépit des limites établies par le constructeur, l’escalier s’élance dans son propre espace jusqu’à « perte de vue », ce qu’un artiste comme Piranèse, de façon obsessionnelle, est parvenu à graver dans notre mémoire : il nous est permis de croire alors que notre vertige face au monde irrationnel des Prisions 12 résulte du fait que « l’escalier inachevé et Piranèse se perdent l’un et l’autre dans les hauteurs obscures de la salle 13 », ainsi que l’a écrit Thomas de Quincey. Mais nous ne sommes pas convaincus ! Curieuses « prisons » que ces espaces décentrés et expansibles, traversés en tous sens par des tronçons de marches déboulant sur autant de paliers/passerelles en suspension ! Ce lancer de courbes et d’obliques ne serait là que pour nous rappeler notre modeste condition, notre emprisonnement dans la finitude ? Pour dire et répéter que l’accession à l’infini ne peut que se rêver 14 ? En regardant de très près l’une de ces gravures (p. 173), les figures humaines inconsistantes, sans identité ou encore confondues avec le dessin des marches et des balustrades, suggèrent à peine une échelle, tandis que forces ascendantes et descendantes se meuvent, ceci à partir de n’importe quel point d’entrée (il faudrait dire d’« irruption ») dans l’image. Quant à l’architecture représentée et parcourue par les escaliers, elle se transforme au fur et à mesure de leur déploiement, passant de la structure d’un paquebot à quai à celle d’un château fort sans difficulté de jonction, les notions mêmes d’intérieur et d’extérieur étant évacuées !
De quels étranges pouvoirs l’escalier est-il détenteur ? De quelle nature sont les relations qu’il entretient avec l’espace ? L’univers troublant des gravures de Piranèse soulève la remise en question complète de la fonction articulatrice de l’escalier : en écrivant que « un peu plus haut l’escalier s’arrête net, sans aucun garde fou », ceci, avant de reprendre sa course effrénée vers d’inaccessibles régions, c’est une « puissance » que Quincey décrit. Et ce vertige qui s’empare de nous n’est-il pas provoqué par ces implacables fuites de l’espace développées et renouvelées tout au long des gravures par le biais de l’escalier ? Le concept de fuite nous semble d’autant plus approprié que ces planches sont réunies sous l’intitulé de Poisons  ; l’échappée est impensable sans la notion d’emprisonnement : pas de fuite sans détention.

II
Allers et retours : passages
Notre présence n’est pas indispensable pour que s’effectue l’inlassable dynamique de l’escalier : « De un à trois ou quatre s’en vont les escaliers. Tous différenciés 15 ». En le désignant littéralement comme « maison de l’escalier », treppenhaus , la langue allemande marque son individualité et notre expression « cage d’escalier » affirme sa corporéité, met en évidence la compacité et la résonance du dispositif. Davantage encore, Michel Leiris exprime vigoureusement le caractère organique de l’escalier : « Cet escalier, ce n’est pas le passage à échelons disposés en spirale qui permet d’accéder aux diverses parties [...], c’est ton tube digestif qui fait communiquer ta bouche, dont tu es fier, et ton anus, dont tu as honte, creusant à travers tout ton corps une sinueuse et gluante tranchée 16 ». Cette métaphore de la maison-corps, toujours enracinée dans la symbolique traditionnelle, se détourne de la fonction articulatrice de l’escalier pour poser implicitement l’essentielle question du transit 17  : l’escalier ne serait-il pas le lieu privilégié du passage, de la transformation ?
Il est question dans Le Merveilleux voyage de Nils Holgerson à travers la Suède 18 d’un large escalier de trois marches, « le Blekinge » étendu sur quatre-vingt kilomètres le long de la façade du Smâland, maison haute avec des sapins sur le toit, men

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