Le "Bloc-notes" de François Mauriac
249 pages
Français

Le "Bloc-notes" de François Mauriac , livre ebook

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249 pages
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Description

Le thème de la mort revient longuement dans l'œuvre romanesque de François Mauriac. Le journaliste avance lui-même que celle-ci reflétait ses préoccupations les plus manifestes, les plus secrètes. Cette hantise de la mort est d'autant plus saisissante dans son Bloc-notes. François Mauriac joue sur les variations dans l'intensité de l'expérience de la mort, qui constitue un élément architectural du journal.

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Publié par
Date de parution 01 janvier 2018
Nombre de lectures 32
EAN13 9782140054303
Langue Français
Poids de l'ouvrage 8 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Bellarmin Étienne I
Le « Blocnotes » de François Mauriac Création avec la mort
LEBLOC-NOTESˮDE FRANÇOIS MAURIAC Création avec la mort
Bellarmin Étienne ILOKILEBLOC-NOTESˮDE FRANÇOIS MAURIAC Création avec la mort
© L’Harmattan, 2017 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-13466-6 EAN : 9782343134666
AVANT-PROPOS Nous sommes tous affectés par la mort, directement ou indirectement, que notre pays soit déchiré par la guerre ou jouisse d'une relative stabilité. Nous sommes dans un monde où la vie ne vaut pas cher : on tue pour quelques centaines de dollars ou d’euros, et les volontaires ne manquent pas. Pour le pouvoir ou pour l'argent, beaucoup tuent sans le moindre scrupule, en banalisant le meurtre par des euphémismes tels que « effacer », « éliminer ». Plus récemment, une haute autorité française a employé l’expression « nettoyer au karcher » pour signifier la mort. Les guerres, les génocides et les purifications ethniques contribuent également à la désacralisation de la vie. Il ne se passe pas un jour sans que les médias annoncent de nouveaux massacres. Ces faits répétitifs ou fréquemment répandus dans le monde montrent évidemment le manque d’attention accordée à la vie. Parallèlement, on assiste à une prolifération des discours sur la mort dans la littérature tant scientifique que populaire. On observe, dans divers milieux du savoir, l’éveil simultané d’une curiosité intellectuelle, accrue et renouvelée, autour de la mort. S’agit-il d’une redécouverte de la mort ou d’une prise de conscience collective au sujet de la mort ; celle-ci étant étroitement liée à la vie ? Pourtant, le déni de la mort demeure manifeste dans les comportements de nos contemporains qui, à la fois, vivent et agissent comme si la mort ne pouvait pas les emporter personnellement. Pensez, par exemple, à la manière dont la télévision et le cinéma glorifient la violence, et vous constaterez que la société humaine baigne dans une culture morbide, fondée sur la mort. Alors qu’autrefois, aussi surprenant que cela puisse paraître, la recherche scientifique sérieuse et, dans une moindre mesure, la philosophie évitaient généralement d’aborder ce sujet. Le trait le plus caractéristique de notre « culture de mort » est peut-être l'idée très répandue selon laquelle le pouvoir, la suprématie, l'argent et le plaisir ont bien plus d'importance que
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la vie humaine et les valeurs morales. Michael Kearl, sociologue et anthropologue américain, écrit à propos de l'exploitation du thème de la mort : « Avec le recul dont nous e jouissons en cette fin de XX siècle, nous constatons que […] la mort commence à être reconnue comme le principe dynamique central qui sous-tend le fonctionnement, la vitalité et la structure de l'ordre social. La mort est la muse des religions, des philosophies, des idéologies politiques, des arts et des techniques médicales. Elle fait vendre journaux et polices d'assurance, met de l'animation dans nos émissions de télévision et […] fait même vivre nos industries ». Mais, au-delà de la banalisation même de la mort, il est important de montrer clairement l’objectif poursuivi par François Mauriac dans le Bloc-notes. Il semble, en effet, que celui-ci ait trois aspects. Le premier objectif consiste à exalter les valeurs de la vie : la mort en ouverture duBloc-notes estsurmontée, à la fin du livre, par l'importance de la vie et son élargissement vers le futur, grâce à la mise en relief des valeurs de la vie et de la paix. Le deuxième objectif examine le souvenir. Par l’écriture, le journaliste devient l’intermédiaire et assure la continuité du souvenir. Il est l'intermédiaire, le gardien de la mémoire de l'histoire. Il associe son combat à celui de la nation tout entière, par les mots. Le passage de « je » à « nous », du passé au présent, invite les compagnons à se joindre au combat. Le troisième et dernier objectif consiste à éveiller les consciences : le journaliste éveille les consciences, engage ses compagnons à travers l’emploi de « nous », implique ses amis dans la lutte et les invite au rapprochement dans la fraternité. En définitive, leBloc-notesde François Mauriac témoigne de la dénonciation d’une « mort injuste », en même temps, la célébration d’une « mort chrétienne ». Il exalte parallèlement les valeurs de la vie, et souligne la fraternité à laquelle ces valeurs invitent. Il met en valeur l'importance des mots comme actes, et détermine le rôle du journaliste à travers ceux-ci : perpétuer le souvenir et appeler à la résistance.
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INTRODUCTION GENERALE « Heureux celui qui peut regarder en face la vérité de sa vie et s'en réjouir ; heureux celui qui la déchiffre sur les 1 visages d'amis » . C'est à Simone de Beauvoir que Mauriac doit cette formule saisissante de ce qui constitue pour lui le bonheur en ce monde. Ce cri lui échappe un jour de 1954, à une époque où la vie semble l'avoir comblé. Rappelons que Mauriac est successivement Président de l'Association des gens de lettres (1932), membre de l'Académie française (1933), et auteur de plusieurs romans dontLe Mystère Frontenac(1933),Les Anges noirs(1936),La Pharisienne(1944),Le Sagouin(1951). Il a également reçu le prix Nobel de littérature (1952), et laissé une intense activité journalistique derrière lui.
LeBloc-notesdont la collaboration, au départ, hebdomadaire à l'Express, se poursuit et devient quotidienne. Et pourtant, l'homme est « malheureux », parce que foncièrement hanté par la mort. L'odieux spectacle du monde le désole à tel point que les satisfactions que lui apporte la vie ne le consolent pas. « Ai-je peur de la mort ? Oui. J'en ai peur. Cet effroi a-t-il décidé de toute ma vie ? En fait, je ne suis consolé de rien, ni de mes chagrins secrets, ni de l'abomination publique, ni de mon histoire privée, ni de la criminelle 2 histoire humaine » . La hantise de la mort qui accompagne Mauriac durant toute sa vie trouve un prolongement surprenant dans son œuvre. Celle-ci est d'autant plus marquée que le besoin d'écrire chez l'auteur est intimement lié à la lutte contre ses angoisses. Le journaliste
1 François Mauriac, LeBloc-notes, T. I, p. 228. 2  François Mauriac,Mémoires intérieurs, Flammarion Editeur, Paris, 1985, p. 327.
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Mauriac, a plus d'une fois avancé que, si sa production littéraire ne correspondait pas à une transposition de sa vie privée, elle pouvait néanmoins être en partie le reflet de ses préoccupations les plus manifestes comme les plus secrètes. Autant l'obsession de la mort est apparue de manière précoce chez l'écrivain, autant elle occupe déjà une place importante dans les chefs-d'œuvre du roman mauriacien(Le Baiser aulépreux, Genitrix, Le Nœud de vipère). Les travaux de Marie Françoise Canerot sur le thème «Mauriac devant la maladie et la mort »,montrent que Mauriac réservait une place de choix au thème de la mort, et particulièrement aux interrogations d'un esprit jeune et sensible devant la disparition de tous ces êtres qui lui sont chers. DansDieu et Mamnon,la hantise de la mort transparaît et révèle également les préoccupations personnelles du romancier. « Chacun d'entre nous a sa croix qui l'attend, et même si l'homme emploie son génie et ses forces à la refuser en invoquant les innombrables ressources du divertissement et du plaisir, il ne pourra faire que son corps au moins ne 3 connaisse la décrépitude, la vieillesse et la mort » . Mais, si le thème de la mort envahit l’œuvre romanesque de Mauriac, c'est surtout en écrivant leBloc-notesque l'auteur lui a donné toute sa force et toute sa complexité. Chaque aspect du thème est développé, notamment les différentes formesque peut prendre la mort, les problèmes que celle-ci soulève, sans oublier les réactions et les attitudes du lecteur. Le rôle que joue la mort dans leBloc-notesn'est cependant pas subordonné au hasard des angoisses de l'auteur ; le plus souvent, il correspond à une structure artistique délibérée. Certaines morts individuelles (la mort du père Maydieu, la mort de Colette) oucollectives (la guerre d'Algérie, la guerre d’Indochine), influencent d'ailleurs la progression du journal et
3 François Mauriac,Dieu et Mamnon, Le Capital, 1929, II, p. 794.
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témoignent de l'utilisation croissante de ce thème par l'artiste. Mis à part les multiples spectacles d'agonies et de morts décrits directement, d'autres manifestations externes sont aussi empreintes de la présence de la mort, elles apparaissent justement sous des formes diverses comme la solitude, la maladie, la vieillesse ouencore la perte de la mystique, et toujours intimement associées à la vie. Loin d’être uniquement le tissu de l'action de tout leBloc-notes, la mort détermine néanmoins la composition de la plupart de ses textes, en intervenant dans l'articulation du récit. La perspective ou l'éventualité de la mort plus que la mort elle-même constitue les ressorts de l'intrigue. Le Bloc-notesdu 4 août 1954 illustre bien ce propos : la mort y revêt déjà une importance assez nette pour la structure et représente le point de départ de l'action. Le début du récit s’inscrit dans l'ambiance d'un jour sombre : la nature du ciel (pâle, presque noire), la musique douce qui passe à la radio, le temps employé (le passé), ne sont que des détails qui préparent le lecteur à apprendre la mort de Colette. Dans ce cas, il est évident que la mort forme le véritable fil conducteur du récit.
Dans le Bloc-notes, le thème de la mort est plus organisé et constitue même la partie essentielle de l'architecture du journal. Son évolution correspond aux trois âges de l'homme, et est organisée en fonction d'une conception cyclique de la vie humaine. Les générations se succèdent, mais à l'intérieur d'une génération, quel que soit son point de départ, la vie de chaque homme forme à son tour un cercle fermé. Ainsi, à la fin du journal, le journaliste présente les mêmes attitudes et les mêmes faiblesses comme au début de sa vie, le cercle se referme avec sa propre mort et son retour au néant. Cette conception circulaire de la vie articulée autour de trois sections distinctes est mise en évidence par la technique employée.
Le thème de la mort apparaît différemment traité dans chacune des trois étapes : la nature cyclique des liens entre la première section ascendante, et la dernière descendante, est soulignée par
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