Les Mariés de Tournai
214 pages
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Les Mariés de Tournai , livre ebook

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Description

Au printemps 1726, au début du règne de Louis XV, deux couples de paysans - les ancêtres de l'auteur - s'éloignaient de leur province, l'Orléanais, pour se rendre à Tournai, au-delà des frontières du Nord, dans le but de s'y marier selon leur religion. Ils étaient protestants. Pareil déplacement enfreignait la loi. Ils allaient en sabots, couchant ici sous une grange, là dans une maison sûre, mais toujours se cachant des délateurs et des argousins. Ils couvrirent, en vingt et un jours, deux cent vingt-cinq lieues, soit quotidiennement cinquante de nos kilomètres. À leur retour au pays, les tracasseries rancunières, constamment attisées par le curé du village, tournèrent vite au drame. Leur existence devint un enfer.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 février 2015
Nombre de lectures 36
EAN13 9782365752749
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Gérard Boutet


Les Mariés de Tournai








En couverture : Marie Boutet et Mathieu Caplanne,
photographiés par Julien Boutet.
Le personnage principal du livre, Jacques Gréjon,
est l’ancêtre de Marie et de Julien.




© Gérard Boutet, 2009.
© Marivole pour la présente édition, 2015.


À Coline et Maëlle,
à Ugo et Lili,
à Énora, Malo et Élouan,
à Élya et Mahé,
à Killian et Amaury,
à Romain, Cécilia et Ambre,
à Gautier, Gwladys et Cyriane,
à Nathan et Antoine,
à Maxime et Basile,
à Marianne, à Camille,
tout derniers nés
parmi l’innombrable descendance
de Moïse Gréjon.


Préambule


dans lequel l’auteur nous rappelle les navrants épisodes
auxquels les chapitres de ce livre font une sorte de suite.



LE VILLAGE DE JOSNES
se situe en Orléanais, à deux lieues au nord de Beaugency. C’était, au début du règne de Louis XV, une contrée paisible, quoique profondément divisée sur la question religieuse. Ce coin de Beauce, en effet, comptait dans sa population un bon tiers de calvinistes.
Au plus chaud de l’été 1724, par un temps très orageux, une descente de magistrature fut effectuée à la maison Boullays, au hameau de Prenay. Le bailli civil et criminel de Saint-Mesmin-lès-Micy, Zacharie Paullin, venait d’être saisi d’une plainte émanant du curé desservant, l’abbé Michel Sarrebourse. Ce dernier accusait un certain Moïse Gréjon, 64 ans, huguenot notoire, d’être mort hérétique et relaps, une semaine plus tôt.
L’affaire paraissait grave.
Le défunt était tonnelier et marchand de vin, au demeurant fort apprécié à la ronde. Parpaillot dans l’âme, il avait effectivement refusé l’extrême-onction sur son lit d’agonie. En cela, il s’était placé hors la loi, délibérément. Car un décret royal — promulgué trois mois auparavant — obligeait tout moribond du Royaume à recevoir les sacrements de l’Église catholique, apostolique et romaine.
Pis : la fille dudit mourant, Suzanne, 18 ans, avait osé éconduire vertement le prêtre plaignant, alors que celui-ci venait administrer les saintes huiles à l’agonisant ! Décidément, l’affaire était encore plus grave qu’on ne l’avait pensé de prime abord…
L’accès du cimetière leur étant barré sur ordre du prêtre, les proches de Moïse Gréjon avaient enterré le patriarche dans l’arrière-cour de la maison familiale. Les magistrats ordonnèrent bientôt l’exhumation de la dépouille. Les chaleurs orageuses l’avaient déjà corrompue. On la lava, on l’éviscéra. Un chirurgien la saupoudra de sel. Les robins purent enfin instrumenter.
Pendant un mois, c’est-à-dire la durée de l’instruction, le corps mutilé resta à la garde de la famille, qui devait le tenir visible, à la disposition des juges. Un « curateur à cadavre » fut désigné en guise d’avocat, pour la forme. Finalement, le tribunal prononça la sentence à la fin d’août.
Ce fut la condamnation à la claie d’infamie.
Les exempts attachèrent les restes pourrissants de Moïse Gréjon à la ridelle d’une charrette, tête en bas, afin de les trimballer, dans cet équipage, par les rues du bourg. Ensuite, ils les exposèrent pendant trois jours et trois nuits à la porte du cimetière, devant l’auberge du village qui était tenue par un religionnaire, ami du supplicié. À travers le mort, on punissait ses complices vivants.
C’est le fils, Jacques, qui décrocha le corps, en cachette, pour le coucher dans la fosse d’où les magistrats l’avaient retiré.

CETTE MACABRE ANECDOTE
s’inscrit dans les querelles confessionnelles qui, après la Régence, ravivèrent les rancœurs causées naguère par la Révocation. L’événement est local, mais il illustre parfaitement la haine que l’entourage du jeune roi réservait aux protestants.
Le demandeur, le curé Sarrebourse, n’avait que la trentaine à l’époque ; il venait de s’installer dans la paroisse. On peut supposer que, trop frais émoulu du séminaire, il sous-estima la complexité de la société paysanne dans laquelle il arrivait. D’où sa maladroite intolérance, son fanatisme exacerbé. Les paroissiens ne le soutiendront d’ailleurs point, puisque, mal accepté au pays, il réclamera sa mutation deux années plus tard. D’ordinaire, la plupart des curés séjournaient là pendant une couple de décennies.
Moïse Gréjon, quant à lui, était un ancien du prêche de l’endroit. Pendant quarante ans, sans interruption, il fut élu collecteur des tailles : c’est dire la confiance que lui accordait le voisinage ! Il n’est pas impossible qu’en frappant si durement l’image respectée d’un vieil insoumis, le jeune curé ait cherché à faire un exemple dans le but d’affermir son pouvoir auprès des réformés, ces « maudits luthériens » qui infestaient les parages.
Sa vie durant, Moïse Gréjon fut en butte aux manigances des « papelards ». Il supporta trois procès dès l’âge de 24 ans, sur des griefs qui semblaient davantage des chicaneries que des délits véritables. Il fut relaxé à chaque fois. Il abjura évidemment à la Révocation, comme beaucoup de protestants, seul moyen pour eux de se soustraire aux dragonnades qui se multipliaient dans les alentours. Toutefois, le « nouveau converti » qu’il devint, ne renia jamais sa foi évangélique.
Moïse Gréjon est mon ancêtre maternel à la neuvième génération. Le principal témoin qui déposa contre lui s’appelait Gentien Boutet ; ce dernier appartient aussi à mon ascendance, mais du côté paternel ! Les malicieuses bizarreries de l’Histoire, même petite, se changent parfois en intrigues de roman. Voilà pourquoi l’écrivain que je suis, se sent doublement impliqué dans ces surprenantes annales.
Jacques et Suzanne, les enfants du patriarche, mes aïeux, furent de ces obstinés qui partirent se marier au loin, afin de ne pas trahir leur croyance. Il faut être un paysan de ma trempe, effrayé de la moindre aventure, pour mesurer l’épreuve qu’ils durent affronter.


À Josnes et à Tournai, ce printemps 2008,
deux cent huitante et deux ans après un certain
voyage au temple de la Barrière.


De 1726 à 1734
sous le ministère
de l’abbé Chapelain, curé
de la paroisse Saint-Médard,
à Josnes.


JACQUES GRÉJON
maître tonnelier à la maison Boullays,
en chemin pour le Refuge
des Pays-Bas autrichiens.
Mardi, quatrième jour de mai, an 1726.


NOUS SOMMES LES ENFANTS DE MOÏSE, comment pourrais-je l’oublier ? Ah ! c’est un héritage qui pèse tellement lourd sur mes épaules !
À l’heure du trépas, ça fera bientôt deux ans de cela, mon père fut la victime d’une effroyable machination ourdie par l’abbé Sarrebourse, curé de la paroisse, et le sieur Ragu, procureur-fiscal de la Justice. Mon père, parce qu’il avait refusé de renier la foi huguenote sur son lit d’agonie, fut tourmenté jusqu’après sa mort. On déterra son cadavre, on l’étripa, on le sala ; puis, au terme d’un simulacre de jugement, on fit insulte à sa renommée. Quand je pense à lui, à mon vieil homme de père, et je pense à lui constamment, je ne me remémore qu’une charogne que l’appareil judiciaire fit charroyer à la vue de tous, il y a peu. Sa dépouille fut traînée sur la claie d’infamie. Je suis le fils de ce cadavre supplicié ; et Suzanne, ma sœur cadette, en est la fille.
D’un parent décédé, tout un chacun garde, peu ou prou, une image magnifiée par la piété filiale. Nous, de feu notre pauvre père Moïse Gréjon, ne conservons qu’une vision épouvantable. Le curé et le magistrat se sont acharnés à le tuer par-delà sa mort. Nous sommes ses enfants, nous devons endurer cette souffrance vrillée au plus profond de notre être. Il nous faut vivre avec elle. La torture en est permanente ; la douleur, toujours cruelle. Nous vivons néanmoins.
Rien ne sert de touiller les vieilles rancunes, à ce qu’on dit souvent. Ce sont de méchantes manies que l’on re

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