Le Fils des Lumières
171 pages
Français

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Le Fils des Lumières , livre ebook

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Description

Des années 1750, au cours desquelles les Lumières s'affirment, jusqu'aux grondements de la Révolution de 1789, c'est une série de transformations sans précédent que les Chapelin, famille de paysans, et les de Nuys, comtes et aristocrates, devront affronter. Le jeune Antoine Chapelin, fils du paysan Martin, découvre les guerres du Canada et l'éducation des Lumières - en agronomie comme en politique. Le comte Louis de Nuys, pour sa part, rêve de gloire… En ces temps où les idées des Lumières révolutionnent les esprits et où la monarchie s'affaisse, les deux héros voient leur destinée se croiser pour le pire. Cette fresque historique, qui se lit d'une traite, fait suite au précédent tome, Le Temps des blés.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 février 2015
Nombre de lectures 45
EAN13 9782365752725
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Guillaume Trotignon



Le Temps des blés

Tome II : Le Fils des Lumières

Roman des Terroirs de France






À mes parents et à mon frère


PREMIÈRE PARTIE. Guerres lointaines


1

Ce fut un tir rapide et précis.
Le renard mourut instantanément.
Puis le silence, pesant. Le fusil à la main, Antoine Chapelin sortit d’un buisson et s’avança. Il observa le calme qui régnait en cette fin de journée dans le bois : quelques chants d’oiseaux, des craquements, le bruissement du vent dans le feuillage.
Il prit le cadavre de l’animal et remarqua qu’il avait touché la poitrine, droit dans le cœur.
En l’enfouissant dans le sac, il se félicita intérieurement : tuer un animal aussi vif demandait une certaine adresse et sans aucun doute, il pouvait se targuer d’être l’un des meilleurs tireurs du village. Par ailleurs, il était satisfait que son grand-cousin, un laboureur aisé de Louvet, ait pu lui prêter son arme, de bonne qualité.
Il sortit du bois et emprunta un chemin qui menait au village de Louvet.
Il marchait d’un pas tranquille mais, dans son esprit, ses pensées volaient : il songea à sa vie quotidienne, aux travaux agricoles qui l’attendaient – en ce jour de mai 1753, il lui faudrait curer des fossés et s’occuper des vaches ; il songea aux Roblaste qui l’hébergeaient, s’arrêta à son grand-cousin Philippe, dont il se méfiait plus que tout ; il songea à Dorsanne, qu’il retrouverait tard dans la nuit, et avec qui il ferait l’amour, dans la bergerie de la colline.
À cette perspective, il eut une petite pointe de désir : dans le vieux bâtiment isolé (on disait qu’il avait servi de repaire à des contrebandiers du sel et à un berger bègue nommé Pataudin), Dorsanne était tout simplement irrésistible : avec ses cheveux sombres qui coulaient en cascade sur ses épaules et qui renforçaient l’éclat cristallin de ses yeux, elle ressemblait à ces déesses grecques qui hantaient volontiers les poèmes des rhapsodes ; Antoine aimait la serrer dans ses bras, attarder sa main sur ses seins lourds, et se laisser envelopper de sa chaleur.
D’un pas rapide, il entra dans Louvet.
À la place de l’église, aux abords du cabaret, des muletiers avaient fait halte. Ils le saluèrent de la main ; leurs mulets, lourdement chargés, firent comprendre à Antoine qu’ils se rendaient à Lignières. Il voulut leur répondre mais les regards insistants que lui jetèrent deux villageois près de là l’immobilisèrent.
C’est qu’ils exprimaient trop de choses, ces regards. Acides, ils sifflaient : voici donc le fils de Chapelin-le-Loup…
Antoine Chapelin sentit une bouffée de colère le traverser mais il se retint. Il préféra tourner le dos et filer dans une rue contiguë au cabaret.
Regardez donc marcher le fils de Chapelin-le-Loup… C’est le fils de Chapelin-le-Loup… Il avait l’impression que ces regards le pourchassaient. Quelques irréductibles, à l’instar de ces individus ou de son oncle Jacques Roblaste, continuaient de considérer son père, Martin Chapelin, comme le pire brigand qui eût existé : d’où le cruel surnom de « Loup » qu’ils lui avaient attribué. D’autres, à vrai dire bien plus nombreux, préféraient oublier sa mauvaise vie : ils disaient « Chapelin-le-Long » plutôt que « Chapelin-le-Loup ».
Mais la mémoire d’un village a la vie dure, et Antoine savait que plusieurs années encore, il devrait supporter le sobriquet de « Chapelin-le-Loup ».
Son poing se serra de colère.

Pourtant, au départ, rien ne prévoyait que Martin Chapelin 1 ne devienne cette figure malveillante qui hanterait la conscience du village pendant des années. Né en 1705, le père d’Antoine avait avant tout été un laboureur 2 . Pour être plus précis : un laboureur honnête, mais qui n’avait point eu la chance de le rester.
Instable et maladroit dans sa jeunesse, une faute terrible l’avait conduit à fuir Louvet puis à vivre caché à Bourges. Mais ne pouvant rester en place, il s’était plu à vagabonder dans les villes du bord de Loire et à Paris. Ce périple lui avait permis de trouver une épouse : Anne Ledin, la mère d’Antoine.
Ensemble, ils étaient retournés à Louvet, espérant que le village avait oublié la faute de Martin Chapelin. Son père, qui avait toujours veillé à ses côtés – sa mère était morte quand il était enfant –, avait accueilli le fils prodigue et lui avait légué ses terres.
À cette époque, Martin Chapelin, père d’Antoine, avait pu voir la vie sous un jour lumineux : avec les terres de son père à sa disposition, il s’était senti renaître ; son existence s’annonçait sous de beaux auspices.
Hélas, la Providence en avait décidé autrement : c’était compter sans les moissons calamiteuses et les perfides agissements du procureur du seigneur de Louvet, le comte De Nuys, qui avait tout fait pour mener la famille à la ruine et la tuer à petits feux.
La suite avait été un véritable enfer pour Martin : son père, Chapelin l’Aîné, avait trouvé la mort dans un accident ; son épouse, Anne Ledin, rachitique, affaiblie par ces temps durs et par la disette, avait rendu l’âme en accouchant Grégoire, le petit frère d’Antoine.
Et ces coups du sort avaient anéanti Martin Chapelin. Sans le sou et dénué de ressources, il avait pris une décision qui devait changer à jamais la vie de ses deux fils : pour leur assurer une enfance normale et digne, il les avait confiés aux Roblaste, le grand-oncle Jacques et le cousin Philippe, des laboureurs aisés.
Puis, désespéré, il avait de nouveau quitté le village.

Jusqu’à la fin de sa vie, Antoine se souviendrait du dernier moment où il avait contemplé son père, Martin : c’était lors d’un après-midi grisâtre d’octobre, dans un bois voisin de la seigneurie de De Nuys. Il lui était alors apparu comme un homme à bout de forces, en fuite perpétuelle.
La fatigue s’était lue de suite chez lui : une barbe de plusieurs jours, des traits tirés, un regard hagard, et affolé aussi. Durant leur entrevue (Grégoire, le petit frère d’Antoine, était présent), son père n’avait presque pas parlé mais cela avait suffi : en l’observant, Antoine Chapelin avait réalisé que cet homme n’avait été rien d’autre que la proie d’un tragique destin. De fait, refusant de devenir un vulgaire vagabond, son père avait trouvé son salut dans la contrebande du sel. Antoine voulait croire que devenir hors-la-loi lui conférait paradoxalement une certaine dignité.
Mais le village de Louvet, lui, ne pouvait pardonner un tel geste : un surnom inhumain ne tarda pas à désigner le père d’Antoine : Chapelin-le-Loup … Le contrebandier du sel qui, en raison de ses méfaits et de ses rapines indignes, se métamorphose en loup-garou ou en loup-brou . Un être malfaisant et impie, de mèche avec les pires sorciers…
La légende avait perduré quelque temps. Jusqu’à ce que, fatalement, un jour de juin 1748, Martin Chapelin soit fait prisonnier des gabelous. Antoine vécut la suite dans une souffrance sans nom : un silence de cinq années, une période de douleur qui n’en finissait pas, jusqu’à ce qu’il apprenne, avec son frère, le décès de son père au bagne de Toulon.
C’était l’année dernière.
D’un geste, Antoine écarta ces douloureuses pensées et franchit l’entrée de la ferme des Roblaste, l’une des plus vastes du village. Trop perdu dans ses pensées, il ignora l’épouse de son grand-cousin qui s’activait dans la cour, entra dans le bâtiment central et prit dans la grand’salle des feuillets usés qui traînaient sur la table – un Almanach, ou plutôt ce qu’il en restait.
Il se plongea dans cette lecture, un goût amer dans la gorge.
Faire taire sa souffrance, c’était tout ce qui importait.


2

D’ordinaire, lorsqu’il ne remuait pas ce douloureux passé, le jeune Antoine Chapelin aimait s’adonner à des séances solitaires de lecture, dans la tranquillité de la chaumière de son grand-cousin Roblaste – le plus souvent, au crépuscule ou durant la nuit, à la lumière d’une chandelle, dans un recoin de la salle commune. Ces moments silencieux ne faisaient que prolonger les leçons qu’il avait suivies avec le curé Mathurin, l’un des rares hommes sachant lire et écrire au village. À cette occasion, il enrichissait son journal, offert par son maître le jour de son anniversaire, de diverses réflexions.
Enfant, il avait voulu fréquenter l’école. Or, il n’y en avait pas à Louvet.
Naturellement, quelques professeurs itinérants s’étaient déclarés, mais le plus souvent ivrognes, voleurs ou simplement menteurs, ils n’assuraient jamais un enseignement à la hauteur du Père Mathurin. Et beaucoup de laboureurs, à l’exem

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