Mademoiselle Cassie
42 pages
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Mademoiselle Cassie , livre ebook

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Description

« Jadis, sa parole était si facile. Comme un petit ruisseau en cascades, les mots débordaient au rythme de ses mains, qui les accompagnaient. Maintenant, ils s'affolent, s'embarrassent, pour finir par se perdre dans le brouillard. Timides, ils manquent de plus en plus de confiance et renoncent à l'effort de se tenir en rang ou même de se montrer la figure. Rétifs, ils se referment sur eux-mêmes. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 avril 2012
Nombre de lectures 2
EAN13 9782895972594
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Mademoiselle Cassie
Prix LeDroit 2000
De la même auteure

Nouvelles volantes , 1994
L’envers de toi , 1997
Mademoiselle Cassie , c1999, 2003
L’harmonica , 2000
Les bernaches en voyage , 2001
Les soleils incendiés , 2004
Fantômier , 2005
Marie-Andrée Donovan
Mademoiselle Cassie
récit
Les Éditions David remercient de leur appui : le Conseil des Arts du Canada, le ministère du Patrimoine canadien, par l’entremise du Partenariat interministériel avec les communautés de langue officielle (PICLO), le Secteur franco-ontarien du Conseil des arts de l’Ontario et la Ville d’Ottawa.

Elles remercient également : Alexandra et Patrick Champagne, Coughlin & Associés Ltée, le Cabinet juridique Emond Harnden, la Firme comptable Vaillancourt & Lavigne.

Données de catalogage avant publication (Canada)

Donovan, Marie-Andrée, 1947-
Mademoiselle Cassie: récit/Marie-Andrée Donovan.
2 e éd. canadienne, revue et augm.
(Voix narratives et oniriques)
ISBN 2-89597-004-1
I.Titre. II. Collection
PS8557.0565M33 2003 C843’.54 C2003-904040-2
PQ3919.2

Les Éditions David, 2003
Ottawa, 2003

Tous droits réservés. Imprimé au Canada.

ISBN format ePub : 978-2-89597-259-4
On l’appelait Mademoiselle Cassie.
Elle avait les cheveux roux. Touffus, ébouriffés comme ses idées, tirant à hue et à dia, ils flamboyaient comme une auréole. Tout son visage semblait en retrait derrière ses lunettes parfaitement rondes et rouges. Pourtant, ses yeux, toujours en mouvement, n’attendaient que le moment de prendre en embuscade le moindre regard qui s’aventurait de son côté.
Elle n’était toujours vêtue que d’une seule couleur, mais sa chevelure contrastait à tel point avec tout le reste qu’on se croyait en présence de deux personnalités : l’une sobre et effacée, l’autre exubérante et fascinante.
On la disait excentrique. Venant d’elle, les pires extravagances allaient de soi, non seulement permises, mais attendues.
Dès qu’elle parlait, ses mains s’animaient, en accord avec son regard qui scintillait lui aussi. Ses gestes, par saccades, hachaient l’air dans tous les sens et elle plissait les paupières comme si les rayons du soleil qu’elle venait de trancher lui volaient en éclats dans les yeux. Mais lorsqu’elle écoutait, tout d’elle s’immobilisait. Ses interlocuteurs, désarmés, s’émerveillaient de se trouver en présence de ce mouvement soudain figé.
La parole lui manquait parfois brusquement au milieu d’une phrase. Elle s’excusait alors en disant qu’elle avait la mémoire cassée. «J’ai les mots en vacance», ajoutait-elle dans un éclat de rire. «Sans s , précisait-elle avec un sourire malicieux. En tous cas, si c’est avec un s , ils sont partis sans moi.»
Elle n’avait que faire de la pitié des autres, préférant le dur regard des jeunes du quartier, qui l’appelaient la «grand-branche». Et c’est vrai qu’elle ressemblait à une longue branche sèche, disait-elle. Mais elle ajoutait aussitôt: une longue branche coiffée d’un bouquet de feuilles rousses.
*
Dans le matin naissant, Cassandre fait sa tournée habituelle du jardin. Son premier regard se porte en direction du fond de la cour, vers la palissade blanche qui arrête le débordement de couleurs de la platebande. Mais on croirait que la clôture, qui s’incline vers l’extérieur, a d’abord été installée à cet endroit pour soutenir l’énorme lilas planté juste derrière, qui, la saison venue, déverse ses branches chargées de fleurs et de parfum du côté de la cour.
Comme si elle craignait de rompre le silence matinal, Cassie s’approche discrètement des fleurs pour en observer le réveil. Penchée vers les iris, elle en relève un de ses deux mains, le hume et le complimente sur le bleu-mauve exquis de ses pétales.
Près de la maison, les rosiers sauvages montent à l’assaut de la fenêtre de la cuisine, comme s’ils allaient envahir toute la maison. Au pied de la terrasse, les géraniums éclatent de couleurs presque aussi flamboyantes que la chevelure de Cassie.
En suivant l’allée de grandes plaques d’ardoise posées à même le sol, parmi le gazon et les fleurs, Cassie dépasse la balançoire, contourne les hibiscus, pour se retrouver près de son arbre préféré. Est-ce bien sous le pommier de Chine qu’elle a enterré cette bribe de mémoire?
Enveloppée de sa longue robe de chambre marine, les cheveux encore plus ébouriffés que d’habitude par le sommeil et par les caprices de la brise, elle fouille la terre de ses mains nues. Tout entière attentive à ce qu’elle cherche, elle rebrousse d’un geste impatient une mèche de cheveux qui lui tombe sur le front. Songeuse, elle se passe la main sur le menton et les joues, y laissant de larges traces noires. De temps à autre, sans quitter du regard le terreau où elle est accroupie, elle s’essuie les doigts à sa robe de chambre comme pour s’assurer qu’elle a les mains bien propres pour fouiller le sol.
Enfin, elle sent le papier lisse parmi le paillis et le terreau rugueux. Du bout des doigts, elle tire une demi-feuille pliée en quatre, puis la tient entre ses lèvres pincées, pendant qu’elle replace le sol au pied de l’arbre. Le jardin, bien bêché, ne porte plus trace de ses fouilles. Cassie rentre chez elle à grands pas, tenant entre ses doigts le précieux billet tout maculé.
« la force solitaire d’extraire du chaos la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi »
Les mots sont soulignés. Cassandre les relit pour la sixième fois, sans parvenir à en déchiffrer le sens, même si elle y reconnaît son écriture. Pourtant, il y a là quelque chose de rassurant malgré tout.
Elle défroisse soigneusement le billet et en fait tomber un peu de terreau avant de le placer sur la pile des mots à déchiffrer. Où a-t-elle bien pu lire cette phrase? Quand elle retrouvera cette part de son histoire, elle pourra déposer le papier sur la table réservée à son autobiographie.
À défaut de mémoire, les écrits retrouvés — ceux des autres autant que les siens, mieux que les siens peut-être — lui permettront de reconstruire sa vie. Mais il lui faudra, pour cela, continuer de pouvoir lire. À la fin, il se peut bien qu’elle n’y comprenne plus rien: ni aux mots, ni à sa vie. En fin de compte, peut-être ces billets accumulés, tout froissés et tachés de terreau, seront-ils sa seule assurance d’avoir vécu.
Craignant que la maladie ne l’arrache à elle-même avant même qu’elle n’arrive à se connaître, Cassie se laisse des indices un peu partout, surtout dans le jardin. Elle pourra toujours les faire ressusciter au besoin, se dit-elle. Mais, certains jours, quand les frontières entre le présent et le passé s’effacent, quand l’avenir paraît céder sous chacun de ses pas, elle songe que c’est peut-être aussi pour se donner une raison de vivre.
Coûte que coûte, elle fabriquera son histoire. À défaut de s’y reconnaître, ce sera son passe-temps. Comme un perpétuel casse-tête. Elle refuse de se laisser dévorer à petites bouchées par la maladie, sans fournir de résistance. Elle a d’ailleurs fait part de son projet à Julien, qui s’inquiète beaucoup trop à son sujet.
*
Le jardin est maintenant le seul endroit où Cassandre a l’impression de se retrouver. Elle y cultive les souvenirs aussi tendrement que les fleurs. Elle y passe de longues heures en compagnie de Julien, parfois sans prononcer une seule parole, respirant avec lui le lourd parfum de la terre.
Sans le lui laisser deviner, en retrait derrière la fenêtre, Julien la surveille chaque fois qu’elle sort de la maison. Un jour, il l’aperçoit qui vide les cinq pots de violettes sur l’étagère au fond du jardin, avant de rentrer précipitamment à la maison avec une feuille de papier d’un bleu pastel. Quand Cassie s’installe à la table de cuisine pour la défroisser et la nettoyer, Julien, en se penchant par-dessus son épaule, y voit quelques lignes d’une écriture toute en grands traits à l’encre noire, qu’il ne parvient pas à déchiffrer. Depuis, il fait chaque nuit le tour du jardin pour y recueillir les papiers égarés et les glisse subrepticement dans la boîte à chapeau de Cassie. Ce sera sa contribution au projet d’autobiographie, se dit-il. C’est aussi sa façon de lui témoigner une affection qui ne peut plus se manifester par les gestes qui ont rempli leur vie, comme s’il lui fallait s’exprimer dans une langue inconnue, sans jamais être sûr qu’il sera compris.
*
Par la fenêtre, Julien aperçoit Cassie qui court nerveusement dans le jardin, en faisant de petits sauts, comme si la rosée lui chatouillait les orteils. Elle a la figure ravagée par une grande détresse: elle semble aux prises avec une angoisse terrible. Pour éviter de la bouleverser davantage en lui laissant voir qu’il s’inquiète, il

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