Ecrits & Autres écrits  J.Lacan / APPORTS DE JACQUES LACAN A LA CRIMINOLOGIE
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. Quels sont les apports de Jacques Lacan à la psychanalyse ? Je pense, il est vrai, que la réponse est la même. Ce que Lacan a apporté à la psychanalyse, c'est aussi ce que Lacan peut apporter aux criminologues qui s'y intéresseront et plus encore aux criminologues qui ne feront pas que le lire mais qui pousseront l'expérience jusqu'à la mettre en pratique c'est-à-dire à rentrer eux-mêmes dans le travail d'une cure analytique. Non je ne fais pas un exercice d'évangélisation des terres vierges, ni d'endoctrinement politique, ni même de prosélytisme engagé. En effet pas de psychanalyse possible si le sujet qui la demande ne souffre pas, c'est la plus importante des contre-indications au traitement analytique.
Est-t-il réellement possible de lire, vraiment lire, les travaux d’un psychanalyste célèbre? Quand le lecteur s’empare des premiers mots des “Ecrits” il ressemble à un voyageur déjà trop ou trop peu savant. Lacan, c’est une œuvre, une terre ardue qu’il faut âprement défricher; d
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Psychanalyse et criminologie
APPORTS DE JACQUES LACAN A LA CRIMINOLOGIE Katty Langelez
Nota Bene : Ceci n'est pas un texte mais un compte rendu rapidement saisi sans corrections de mes notes après la conférence. Lecteurs, merci pour votre indulgence...
Depuis que j'ai accepté l'offre de Jonathan Collin d'intervenir ce soir dans le cycle « psychanalyse et criminologie », un lapus insiste : au mot criminologie présent dans le titre je substitue presque à chaque fois celui de psychanalyse. Quels sont les apports de Jacques Lacan à la psychanalyse ? Je pense, il est vrai, que la réponse est la même. Ce que Lacan a apporté à la psychanalyse, c'est aussi ce que Lacan peut apporter aux criminologues qui s'y intéresseront et plus encore aux criminologues qui ne feront pas que le lire mais qui pousseront l'expérience jusqu'à la mettre en pratique c'est-à-dire à rentrer eux-mêmes dans le travail d'une cure analytique. Non je ne fais pas un exercice d'évangélisation des terres vierges, ni d'endoctrinement politique, ni même de prosélytisme engagé. En effet pas de psychanalyse possible si le sujet qui la demande ne souffre pas, c'est la plus importante des contre-indications au traitement analytique. Quelqu'un qui viendrait juste pour parfaire sa formation ou pour faire une expérience particulière ne pourrait s'y engager faute du levier essentiel pour commencer une analyse : le symptôme qui fait souffrir le sujet.
Mais la réponse que j'avais faite à Jonathan Collin lors de sa venue est différente. J'avais commencé par penser qu'évidemment l'apport de Jacques Lacan à la criminologie, tout autant qu'à la psychanalyse : c'est l'étude des psychoses. Bien sûr cette réponse est juste mais elle est réductrice, un peu moins que de considérer que sa seule contribution serait à situer entre 1932 et 1959. En effet en 1932, Lacan
termine la rédaction de sa thèse sur le cas Aimée qui a tenter d'assassiner une actrice, en 1933 il rédige un article sur le crime abominable des soeurs Papin qui ont trucidé leurs patronnes en les énucléant et puis en 1950, il conclut avec l'article « Fonctions de la psychanalyse en criminologie ». Ma réponse aujourd'hui rassemble tout l'enseignement de Jacques Lacan : l'apport de Lacan, c'est l'abord du réel. Pourquoi commence-t-il avec l'étude des crimes pour terminer avec l'étude du cas de James Joyce ? Pourquoi Lacan ne s'arrête-t-il pas satisfait après avoir inventé et développé le stade du miroir (que plus personne ne lui contredit) et après avoir construit une théorie solide de différenciation structurale des psychoses et des névroses (càd le premier temps de son enseignement)? Il aurait pu s'arrêter là, aurait obtenu la reconnaissance et l'approbation de ses pairs et aurait même pu éviter l'exclusion de l'IPA. Lacan ne peut pas s'arrêter là parce qu'il sait que quelque chose ne rentre pas tout à fait bien dans sa théorisation, c'est le réel. Non pas le réel en tant que réalité communément partagée mais bien au contraire comme une expérience très difficile à faire de ce qu'il y a derrière le voile de la réalité. Le réel est bien la chose dont il est le plus difficile de parler puisqu'il s'agit de ce qui est avant les mots, de ce qui n'est pas organisé par le langage, de ce qui tout aussi bien est une évidence mais qui comme toute évidence est le point aveugle, l'impossible à dire. C'est la recherche qui animera Lacan tout au long de sa tâche d'enseignement et de transmission : tenter de cerner le réel auquel les êtres parlants ont affaire. Il développera plusieurs concepts pour cela mais ne considérera jamais avoir abouti. Il mettra également en oeuvre une procédure au sein de son Ecole pour étudier ce réel au cas par cas dans les névroses au terme d'une analyse. La fin d'une analyse doit permettre à l'analysant le passage à l'analyste càd de prendre une vue sur le réel, de mesurer les défenses mises en place et d'ajuster un sinthome pour y répondre autrement. Non plus un symptôme dont il souffre mais d'un sinthome, càd une manière de faire sens à la vie au-delà du sens et sans souffrance.
Si un psychanalyste lacanien peut être utile dans les institutions, dans les supervisions, dans les groupes d'études ou autres lieux, c'est bien parce qu'il peut être à l'écoute d'une autre dimension, celle du réel. Il ne s'agit plus de l'inconscient freudien mais de l'inconscient réel, ou plutôt du réel comme inconscient à cerner. C'est le statut d'inconscient qui s'est transformé avec Jacques Lacan. Ce n'est pas parce qu'un lacanien serait plus érudit, plus formé, plus rigoureux mais au contraire parce qu'il est moins encombré par sa formation, ses idéaux, son imaginaire, ses identifications et surtout parce qu'il supporte de se présenter avec ce moins et d'écouter à partir de là qu'il peut vous aider à entendre d'autres choses dans ce qui se dit derrière ce qui s'entend. Un psychanalyste lacanien, c'est un attrapeur de signes du réel : un accent, une insistance, un tic de langage, un soupir, un trois fois rien. Quand il peut surfer sur cette vague du réel, le psychanalyste lacanien pourrait presque entendre l'avenir mais il n'entend que le présent qui dit l'avenir. Il entend, tout contrairement au sujet névrosé caché par la fenêtre du fantasme qui lui donne une lecture et organise sa réalité. C'est aussi pour cette raison qu'il doit être le plus silencieux possible car les mots prononcés sont encore une fenêtre interprétative.
Le cas Aimée
Dans sa thèse de psychiatrie, Jacques Lacan, jeune médecin lecteur de Freud,
s'attache à deux points essentiels pour la suite de son lien à la clinique psychanalytique : 1)son refus de considérer la psychose comme déficit « la psychose, écrit-il page 13, prend toute sa portée de révéler qu'en l'absence de tout déficit décelable par les différentes épreuves de capacité et en l'absence de toute lésion organique, il existe des troubles mentaux (...) C'est pourquoi la psychose restera toujours une énigme. » 2)son choix pour la monographie, autrement dit pour la construction du cas clinique à l'instar de Freud et de ses cinq psychanalyses. « Nous tentons de montrer, écrit-il page 15, que l'application d'une méthode théoriquement plus rigoureuse mène à une description plus concrète et à une conception plus satisfaisante des faits de la psychose. »
Lacan choisit de surnommer la patiente Aimée car il s'agit d'un nom de sa maladie. Marguerite Pantaine de son vrai nom se sent aimée, c'est une érotomane qui écrit de nombreuses lettres au Prince de Galles dont elle attend le soutien, pour faire front à ses persécuteurs. Lacan à cette époque est donc intéressé par la machinerie du passage à l'acte : qu'est-ce qui peut amener un sujet à un tel passage à l'acte ? Qu'en est-il de la réalité subjective aliénée du criminel? Il écrit aussi un article sur le crime des soeurs Papin en l'intitulant « Motifs du crime paranoïaque » que l'on trouve repris à la fin du volume qui contient sa thèse. C'est un crime qui a fait couler beaucoup d'encre et inspire plus d'un, notamment Jean Genet qui écrivit à partir ce cet horrible histoire une pièce de théâtre souvent mise en scène « Les Bonnes » et aussi Claude Chabrol qui s'en inspira pour son film « La cérémonie ».
Aimée a 38 ans lorsqu'elle agresse une actrice connue à l'arme blanche. Elle l'aborde, lui demande de confirmer son identité et assurée de ne pas se tromper de personne, sort un couteau de son sac et lève le bras. L'actrice doit pour se défendre attraper l'arme par la lame. D'autres personnes s'interposent et on arrête Aimée. Elle dira lors de son arrestation que si on n'était pas venu l'arrêter, elle aurait continué de frapper. Elle n'exprime pas de regrets mais expose son délire systématique de persécution à base d'interprétations avec des tendances mégalomanes et érotomanes. Elle est emprisonnée pendant deux mois puis internée à la clinique Sainte Anne. Elle avait déjà été internée 6ans et demi auparavant pour persécution généralisée : tous dans la rue l'injuriait et disaient du mal d'elle. Essentiellement la persécution qu'elle ressentait visait son enfant « on voulait tuer mon enfant » est la phrase par laquelle elle justifie son acte et son délire. L'histoire clinique permet de placer à 28 ans le début des troubles psychopathiques lorsqu'elle est enceinte une première fois. Les propos de ses collègues la visent : ils la critiquent et lui annoncent des malheurs. Les passants chuchotent contre elle et dans les journaux des allusions lui sont adressées. Elle se serait dit : « pourquoi m'en font-ils autant ? Ils veulent la mort de mon enfant. Si cet enfant ne vit pas, ils en seront responsables. » Elle accouche d'un enfant de sexe féminin, mort-né. Un grand bouleversement s'ensuit pour Aimée. Elle impute le malheur à ses ennemis. Une seconde grossesse entraîne le retour d'un état dépressif, d'une anxiété et d'interprétations. Tous menacent son enfant.
Pourquoi l'actrice fut-elle localisée, ciblée comme persécutrice et l'objet du crime ? « Un jour, explique Aimée, comme je travaillais au bureau, tout en cherchant en
moi-même d'où pouvait venir les menaces contre mon fils, j'ai entendu mes collègues parler de Madame Z. J'ai compris alors que c'était elle qui nous en voulait. Autrefois j'avais mal parlé d'elle. J'avais protesté en disant que c'était une putain. C'est pour cela qu'elle doit m'en vouloir. »
Mais la future victime n'est pas la seule persécutrice. Notamment l'écrivain PB vient même avant l'actrice au premier plan de son délire. La révélation du persécuteur a marqué la souvenir de la malade par son caractère illuminatif : « cela a fait comme un ricochet dans mon imagination » dit-elle. « J'ai pensé que Madame Z ne pouvait être seule pour me faire tant de mal impunément, il fallait qu'elle fut soutenue par quelqu'un d'important. » Dans plusieurs romans de PB, elle a cru se reconnaître. Elle y voyait d'incessantes allusions à sa vie privée.
Plus on se rapproche de l'attentat, plus un thème érotomane se développe dans le délire d'Aimée dont l'objet est le Prince de Galles qu'elle sollicite pour la protéger. C'est donc une érotomanie qui tente de traiter la persécution. Ainsi constitué et malgré des poussées anxieuses aigües, le délire ne s'est traduit par aucune réaction délictueuse pendant plus de cinq ans. C'est un fait tout à fait remarquable et qui souligne la fonction et l'efficacité de l'érotomanie comme recours.
Quelques semaines avant le passage à l'acte, Aimée avait envoyé au Prince de Galles ses manuscrits en dernier recours pour qu'ils trouvent publication. Elle recevra un document daté de la veille de l'attentat lorsqu'elle sera déjà en prison. « Le Secrétaire privé de sa Majesté vous retourne les manuscrits que Madame A. fut assez bonne pour envoyer, il est en effet contraire aux règles de sa Majesté d'accepter des présents de ceux avec qui il n'a pas de liens personnels. » Aucun soulagement ne suit l'acte et tout le délire tombe d'un coup 25 jours après son arrestation. Par ailleurs, la mère d'Aimée est réputée atteinte de la maladie de persécution. Un évènement traumatique a marqué le désir de sa mère pour Aimée : l'aînée de ses enfants, Marguerite, brûle comme une torche dans une robe d'organdi à l'approche d'un fourneau allumé. La mère qui était enceinte met au monde une enfant mort-née. Puis elle est de nouveau enceinte et elle met au monde une petite fille qu'elle prénommera comme son aînée décédée et qui sera Aimée.
Aimée a des ambitions littéraires (alors que sa mère était une illettrée). Elle rédige deux ouvrages de piètre qualité qu'elle a l'ambition de faire publier. C'est devant les refus réitérés que son délire grandit. Lacan cherche dans la personnalité de la malade avant la maladie les traces qui auraient déjà pu l'indiquer. Il cherche les liens entre la personnalité et la maladie qu'il n'envisage pas encore à l'époque comme une structure. Il note que, dans son enfance, la malade était déjà très « personnelle ». Elle était la seule dans sa famille à oser braver le père et elle avait une relation très privilégiée avec sa mère. On remarque aussi qu'elle n'est jamais prête avec les autres. Elle est toujours en retard. Les premiers signes de la maladie apparaissent vers 17 ans. Elle qui provient d'un milieu paysan et dont la mère est illettrée possède de bonnes qualités intellectuelles au point qu'on pense la destiner à une carrière d'institutrice (une éminence à l'époque!). Mais elle échoue au concours et elle se braque. Autre fait marquant : à cette période de la vie d'Aimée, une camarade, candidate elle aussi aux examens de l'enseignement, succombe d'une affection
pulmonaire grave. Cette fin précoce chamboule Aimée, la laisse sans point d'appui imaginaire. Elle décide donc d'entrer dans l'Administration des postes. Envoyée loin, elle s'amourache d'un Don Juan de village à qui pendant trois années, elle écrira passionnément. Brusquement l'amour se transforme en haine. Ensuite elle rencontre un collègue des Postes avec qui elle se mariera. Son mari assez vite note ses troubles du comportement : impulsions à marcher, courir, des rires intempestifs et immotivés, des accès paroxystiques de phobie de la souillure, des lavages interminables et répétés des mains.
C'est avec le trauma moral du premier enfant mort-né qu'apparaît chez Aimée la première systématisation de son délire autour d'une personne à qui sont imputées les persécutions subies. Le délire d'alors se cristallise sur une collègue de bureau provenant d'une famille noble déchue. Après la naissance de son fils, Aimée va très bien jusqu'à ses cinq mois c'est-à-dire jusqu'au moment où elle en a exclusivement le soin et elle l'allaite. Mais le mari d'une de ses soeurs décède et celle-ci sous prétexte de l'inexpérience d'Aimée, vient s'installer chez elle. Elle imposera sa direction pour élever l'enfant. Les grandes réactions interprétatives florissent jusqu'au dessein de fuir aux Etats-Unis pour devenir écrivain, en laissant paradoxalement son fils en France. C'est à ce moment que se situe son premier internement, six ans et demi avant l'attentat contre l'actrice Mme Z. Dans les périodes où elle retrouve son rôle materne, les croyances délirantes se résolvent à l'état de simples idées obsédantes. Il est aussi remarquable que pendant le temps où elle habitera Paris dans sa famille, suite à une mutation, sa vie est solitaire. Au début, elle rentre chaque week-end dans sa famille et puis de moins en moins souvent. Tout l'amène à réaliser progressivement un isolement presque complet. A côté de sa vie professionnelle, où l'adaptation est relativement conservée, la malade mène une autre vie « irréelle » on entièrement imaginaire. Lacan est intéressé par la guérison spontanée du délire au 25ème jour de l'enferment. Sa thèse soutient qu'il s'agit d'un cas de paranoïa d'auto-punition. En effet rien n'a changé du côté de la victime, l'actrice est toujours en vie. Mais quelque chose a bien changé du côté de la criminelle. La malade a « réalisé » son châtiment : elle a éprouvé la compagnie des délinquants divers. Elle a pu constater le blâme et l'abandon des siens. Elle réalise qu'elle s'est frappée elle-même et c'est alors qu'elle éprouve le soulagement affectif et la chute brusque du délire qui caractérisent la satisfaction de la hantise passionnelle. L'hypothèse de paranoïa d'auto-punition explique le sens du délire. La tendance à l'auto-punition s'y exprime directement. Les persécuteurs menacent l'enfant « pour punir sa mère » qui est médisante. Les figures féminines persécutrices d'Aimée sont des femmes de lettres, actrices, femmes du monde. Exactement ce qu'elle rêve de devenir. La même image qui représente son idéal est aussi l'objet de sa haine. Aimée frappe donc en sa victime son idéal extériorisé mais l'objet qu'atteint Aimée n'a donc qu'une valeur de pur symbole. D'où elle n'éprouve aucun soulagement. Par le même coup qui la rend coupable devant la loi, Aimée s'est frappée elle-même et quand elle le comprend, elle éprouve la satisfaction du désir accompli.
Dans le numéro 50 d'Ornicar, Dominique Laurent fait un retour sur le cas Aimée à partir du dernier enseignement de Lacan. Elle repère de manière remarquable qu'un signifiant est central dans l'organisation du cas. Lacan met en 1932 l'accent sur la discontinuité, les scansions, le passage à l'acte et sa valeur de guérison. Dominique
Laurent met l'accent sur la continuité, le fil rouge du cas. Elle souligne que le signifiant « femmes de lettres » traverse toute l'histoire d'Aimée et elle dégage la multiplicité et la discontinuité de ses usages. Dans le cas Aimée, la lettre, atome matériel, touche de près à la lettre que sa mère ne lit pas mais interprète. On veut faire d'elle une institutrice mais le décès inopiné d'une amie qui lui servait de point d'appui dans la réalisation de cet idéal laisse sans recours. Aimée sera donc demoiselle des postes. On y décèle la continuité entre celle qui apprend à lire et écrire et celle qui transmet les lettres. Ses rencontres amoureuses sont marquées du même sceau : le premier est un petit poète avec qui elle échangera surtout une correspondance passionnée puis elle passera au postier.
Le passage de la femme à la mère sera déclenchant. Pour Aimée il n'y a qu'une seule signification à assigner à un enfant, c'est un enfant mort. Aimée a donc une certitude identificatoire, elle est une « femme de lettres ». Elle est identifiée à ce qui manque à la Mère, à ce qui fait l'x du désir maternel. Mais elle n'est pas reconnue comme telle, d'où le passage à l'acte. L'appel au Prince de Galles tente de trouver un point qui garantirait son être. A partir de cette logique du cas, Lacan règlera sa position. En publiant des parties de ses romans et en utilisant le prénom d'une de ses héroïnes pour cacher son identité, il permet à Aimée de trouver un point de reconnaissance dans l'Autre du monde littéraire. Aimée est passée à l'acte parce que l'effort de sa construction signifiante s'est avéré caduque pour chiffrer la jouissance de l'Autre. Il ne lui restera donc plus que cette solution pour la barrer. Lacan a une intuition saisissante lorsqu'il écrit dans sa thèse ce qui trouve écho dans la fin de son enseignement : « son goût de l'écrit, cette jouissance quasi sensible que lui donnent les mots de sa langue... »
La paranoïa c'est l'identification de la jouissance (mauvaise) sur un Autre localisé : Dieu, le percepteur des impôts, ou le voisin... L'Autre est réel, il est le lieu d'où ça jouit du sujet. Le passage à l'acte a pour but de séparer le sujet de cet Autre mauvais. Le passage à l'acte a pour but de séparer le sujet de cet Autre mauvais. Le passage à l'acte dans la paranoïa est donc un acte de protection aux yeux du sujet : il est innocent et dans son bon droit. C'est un point de vue qui prend en compte le sujet, qui ne le dédouane aucunement de sa responsabilité mais qui permet de comprendre la logique du passage à l'acte.
Les soeurs Papin
Christine et Léa Papin, 28 et 21 ans, étaient depuis plusieurs années les bonnes d'honorables bourgeois de province. Entre les deux camps, pas un mot n'était échangé, on ne se parlait pas. Un soir, une panne d'électricité provoquée par une des soeurs en l'absence des maîtresses matérialise l'obscurité de ce huis-clos. Au retour des bourgeoises, le drame se déclenche vite : l'attaque fut soudaine, simultanée et d'emblée portée au paroxysme de la fureur : chacune s'empare d'une adversaire, lui arrache vivante les yeux des orbites et l'assomme. Puis à l'aide de ce qu'elles ont à portée de la main, elles s'acharnent sur le corps de leurs victimes, leur écrasent la face et dévoilant leur sexe tailladent profondément les cuisses et fesses de l'une pour souiller de sang celles de l'autre. Elles font ensuite le ménage et se couchent dans le même lit avec cette expression « En voilà du propre! »
Dans un premier temps, aucun signe de troubles psychiatriques n'apparaîtra. Puis après cinq mois de prison, Christine, isolée de sa soeur, fera une crise d'agitation violente avec hallucinations. Au cours de cette crise, elle tente de s'arracher les yeux. Elle se livre aussi à des exhibitions érotiques puis viendront les symptômes de mélancolie. La pulsion agressive, qui ici se résout dans le meurtre, a toujours l'intentionnalité du crime et presque toujours celle d'une vengeance, souvent le sens d'une punition à infliger à l'Autre. Mais les conditions du meurtre, le choix de la victime, son efficacité, ses modes de déclenchement et d'exécution varient.
Entre Christine et Léa Papin, on peut parler d'un délire à deux, ce qui est une des formes les plus connues de psychose déclenchée. Il y a aussi besoin d'autopunition dans ce crime. On le voit dans l'agenouillement de Christine au moment de recevoir le verdict. Elles étaient comme deux soeurs siamoises formant un domaine à jamais clos.
C'est comme si cette panne d'électricité était une brusque mise off des fonctions du symbolique et de l'imaginaire, et que Christine et Léa Papin se retrouvent avec pour seule dimension le réel. Face à la crainte de se faire réprimander vertement pour la bêtise commise, elles arrachent les yeux de leurs victimes (ainsi elles ne verront rien!) et puis les achèvent sans jamais avoir eu l'intention de les tuer. C'est un surmoi réel qui vient répondre à la « bêtise » plutôt qu'un surmoi symbolisé, introjeté. Pour ne pas assumer la bêtise d'une coupure de courant électrique, elles commettent un crime atroce, un crime empreint de symbolisme.
Les fonctions de la psychanalyse en criminologie
Jacques Lacan dans ce texte développe les apports et les limites de la psychanalyse par rapport à l'étude du crime. Il s'agit peu des apports que lui même a donnés mais des fonctions que la psychanalyse en tant que doctrine, éthique et technique peut avoir en criminologie. C'est un état des lieux du point de connexion psychanalyse et criminologie. Son apport est d'avoir fait un recensement précis et rigoureux de la question . Mais ses réels apports ne viendront que plus tard.
Quelques points cruciaux dans ce texte :
1.La place de la vérité Est bien sûr différente pour le psychanalyste et pour le criminologue. La vérité n'est pas la même du point de vue policier et ou du point de vue psychanalytique. Une conférence éclairante à ce sujet fut prononcée par Philippe de Georges dans le cadre de la Section clinique. Sa conférence se terminait sur la différenciation essentielle qu'il y a encore à faire entre vérité et réel. 2.La psychanalyse irréalise le crime mais ne déshumanise pas le criminel. Càd que proposant une nouvelle lecture du crime, elle le rend moins réel, au sens de la réalité commune. Sa lecture est symbolique, disons plutôt qu'elle décrypte, traduit le symbolisme qui y est en jeu. Mais elle n'exempte pas de ce fait le criminel de son acte, bien au contraire!
PS : Claude Lanzmann témoigne dans « Le Lièvre de Patagonie » de sa recherche pour cerner le réel sans le voiler par des images. Philippe Forest fait la même tentative dans ses romans pour ne pas oublier sa petite fille décédée et le scandale de l'absurdité de sa mort (autre nom du réel) sans le voiler par une écriture qui serait thérapeutique.
BIBLIOGRAPHIE
LACAN Jacques, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Seuil, 1975. LACAN Jacques, Fonctions de la psychanalyse en criminologie, in Ecrits, 1966. MILLER J-A, Les paradigmes de la jouissance, Cause freudienne 43. LAURENT Dominique, Retour sur la thèse de Lacan : l'avenir d'Aimée, Ornicar 50. LANZMANN C, Shoah, documentaire cinématographique. LANZMANN C, Le lièvre de Patagonie, Gallimard, 2009.
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Est-t-il réellement possible de lire, vraiment lire, les travaux d’un psychanalyste célèbre?
Quand le lecteur s’empare des premiers mots des “Ecrits” il ressemble à un voyageur déjà trop ou trop peu savant. Lacan, c’est une œuvre, une terre ardue qu’il faut âprement défricher; des relatives qui s’enchâssent et n’en finissent pas de s’enchâsser dans les anneaux du style, et paradoxalement pour les rares initiés qui connaissent un espace familier avec ses thèmes et développements, ses lignes de fuite. Un profil quadrillé par l’accumulation du savoir critique, surtout par ses commentaires qu’il faut vérifier, comparer à nouveau à l’aune de Freud; l’inconscient à la lumière de théorique. Tout est là: assigner la relecture de Freud dans l’édifice du savoir psychanalytique. Rien n’est plus ardu, plus profond, il est vrai que les concepts lacaniens qui indiquent tout à la foi, cette “théorisation du sujet de l’inconscient” à travers les opérations du professeur et de son brio stylistique fait qu’un livre de Lacan ressemblera toujours, à ne pas s’y tromper à un autre livre de Lacan, est en même temps marqué de la singularité qui convient d’accueillir comme une œuvre unique et non comme l’aboutissement de la tradition freudienne, mais comme un livre libre.
FRANS TASSIGNY source : http://users.swing.be/sw271551/
Présentation
Il faut avoir lu ce recueil, et dans son long, pour y sentir que s'y poursuit un seul débat, toujours le même, et qui, dût-il paraître dater, se reconnaît pour être le débat des lumières.
C'est qu'il est un domaine où l'aurore même tarde : celui qui va d'un préjugé dont ne se débarrasse pas la psychopathologie, à la fausse évidence dont le moi se fait titre à parader de l'existence.
L'obscur y passe pour objet et fleurit de l'obscurantisme qui y retrouve ses valeurs.
Nulle surprise donc qu'on résiste là même à la découverte de Freud, terme qui se rallonge ici d'une amphibologie : la découverte de Freud par Jacques Lacan.
Le lecteur apprendra ce qui s'y démontre : l'inconscient relève du logique pur, autrement dit du signifiant.
L'épistémologie ici fera toujours défaut, si elle ne part d'une réforme, qui est subversion du sujet.
L'avènement ne peut s'en produire que réellement, et à une place que tiennent présentement les psychanalystes.
C'est à transcrire cette subversion, du plus quotidien de leur expérience, que Jacques Lacan s'emploie pour eux depuis quinze ans.
La chose a trop d'intérêt pour tous, pour qu'elle ne fasse pas rumeur.
C'est pour qu'elle ne vienne pas à être détournée par le commerce culturel que Jacques Lacan de ces écrits fait appel à l'attention.
PAS-À-LIRE.
Présentation
Définition lacanienne de l’écrit. Quelque chose comme « Chien méchant », ou « Défense d’entrer ». Voire : «Lasciate ogni speranza».
Disons que c’est un défi, fait pour tenter le désir.
Lacan résumait d’une phrase la leçon desÉcrits: « l’inconscient relève du logique pur, autrement dit du signifiant ». LesAutres écritsenseignent de la jouissance qu’elle aussi relève du signifiant, mais à son joint avec le vivant ; qu’elle se produit de « manipulations » non pas génétiques mais langagières, affectant le vivant qui parle, celui que la langue traumatise.
Il s’ensuit : que la jouissance, cynique comme telle, ne condescend au désir que par la voie de l’amour ; qu’elle fait obstacle à toute programmation du rapport sexuel ; que, féminine, elle répugne à l’universel et s’accorde à l’infini ; que, phallique, elle est « hors-corps » ; et autres théorèmes jusqu’alors inouïs dans la psychanalyse.
On n’en trouvera pas le répondant dans le génome, dont le décryptage pourtant fait promesse, de noces nouvelles du signifiant et du vivant. On pressent l’avènement du self-made-man. Nous l’appellerons : LOM du XXIe siècle.
Ce recueil pourrait être viatique.
A le déchiffrer, on saura mieux y faire avec les symptômes inconnus de demain.
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