CONSTRUIRE DEMAIN ? REGARDS MAÇONNIQUES SUR LES SOLIDARITÉS POST COVID SOMMAIRE Serions-nous dans l¶utopie en voulant à nouveau fonder une vision longue de la société et de ses nécessaires transformations sur le principe de solidarités renouvelées ? Pourquoi pas d¶ailleurs, si on admet que le moteur de l¶innovation sociale et du progrès réside dans notre capacité à nous réinventer, à nous dégager des cadres de pensée rigides ou inopérants, à construire à nouveau des utopies qui préfigurent le réel. x Nous entendons contribuer à poser des questions concrètes et à confronter au réel notre vision de la solidarité et de ses déclinaisons concrètes. Il est impossible d¶être exhaustif, c¶est pourquoi nous avons retenu trois terrains particulièrement bousculés par la crise sanitaire : la santé, O¶économie, ainsi que ledroit(car derrière la crise sanitaire puis la crise économique et sociale se profile une menace plus sourde, sur la nécessité de garantir d¶état de droit au sens fort notre modèle politique et social).
CONSTRUIRE DEMAIN?REGARDSMAÇONNIQUESSUR LES SOLIDARITÉS POSTCOVID
SOMMAIRESerions-nous dans l’utopie en voulant à nouveau fonder une vision longue de la société et de ses nécessaires transformations sur le principe de solidarités renouvelées ? Pourquoi pas d’ailleurs, si on admet que le moteur de l’innovation sociale et du progrès réside dans notre capacité à nous réinventer, à nous dégager des cadres de pensée rigides ou inopérants, à construire à nouveau des utopies qui préfigurent le réel. Nous entendons contribuer à poser des questions concrètes et à confronter au réel notre vision de la solidarité et de ses déclinaisons concrètes. Il est impossible d’être exhaustif, c’est pourquoi nous avons retenu trois terrains particulièrement bousculés par la crise sanitaire : la santé, l’économie, ainsi que ledroit(car derrière la crise sanitaire puis la crise économique et sociale se profile une menace plus sourde, sur la nécessité de garantir d’état de droit au sens fort notre modèle politique et social). Nous devons aussi considérer l’incidence sur lesprincipes, et d’abord sur nosutopiesdans un sens large (considérées comme nos réflexions prospectives pour demain) et sur les principes qui peuvent armer un renouvellement de notre vision de la solidarité agissante ; laRépublique, incarnation de la forme idéale de gouvernement, enfin les gouvernances, qui sont les formes prises par l’organisation des pouvoirs, dont les formes sont évidemment variables mais qui pourraient souvent donner plus de place à des complémentarités organisées. Cette réflexion nous permet de poser de manière mieux outillée la question desleviers ou des domaines intermédiaires, qui peuvent paraître plus éloignés de cette crise multiforme, mais qui eux aussi se trouvent questionnés 3
à frais nouveaux, et qui peuvent nous aider à renouveler l’architecture des solidarités concrètes : lessciences, qui devraient mieux contribuer à éclairer les voies du progrès social, ladéfense qui est lui aussi un outil potentiel pour structurer et conforter les différents niveaux de solidarités ; l’éthiquequi croise toutes nos actions concrètes. L’Éducation et la Culture ne se réduisent pas à un Ministère et ne peuvent être isolées, elles sont les deux axes autour desquels tournent toutes les thématiques proposées dans ce sommaire. Préambule…………………………………………… 5 Introduction…………………………………………. 23 Schéma d’organisation du projet………………….. 47 Thématiques du concret……………………………. 49 Chapitre 1–La Santé………………………………… 51 Chapitre 2–L’Économie…………………………….. 125 Chapitre 3–Le Droit………………………………… 187 Thématiques des principes et de l’237action publique... Chapitre 4–L’Utopie………………………………… 239 Chapitre 5–La Gouvernance………………………… 299 Chapitre 6–La République et la Citoyenneté………... 369 Thématiques des leviers intermédiaires…………....... 455 Chapitre 7–Les Sciences……………………………… 457 Chapitre 8–La Défense……………………………….. 525 Chapitre 9–L’Éthique………………………………… 549 Conclusion générale : Les maçons et les solidarités… 617
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PRÉAMBULEApprocher l’« Après » suppose de s’arrêter préalablement sur l’de se livrer à quelques considérations sans aucuneAvant et prétention à l’exhaustivité. Elles permettront de situer le cadre dans lesquelles se sont inscrites les réflexions des membres intéressés de la Juridiction élaborées au cours de ces six mois de mars à septembre 2020. Ces réflexions issues des travaux de maçons rompus à la méthode symbolique ont permis de sélectionner les quelques 400 travaux qui peuvent être contributifs pour penser le Nouveau Monde, celui de « l’Après ». L’mot grec (épidémie, ce epi: au-dessus etdemos: peuple) qui signifie « ce qui est au dessus du peuple » a envahi la Terre en 2020 dans le même temps que cette Covid-19 due au SARS-Cov-2. Dans l’Antiquité grecque ou romaine, ce mot « épidémie »annonçait aux contemporains que la maladie planait sur leurs têtes, que la vengeance des dieux s’exerçait ainsi et que seule, leur hubris en était la cause. Ce concept est toujours opératoire au sein d’un courant écologiste radical qui estime que la pandémie actuelle est en quelque sorte une vengeance de la Nature naturante en rébellion contre un Anthropocène de 1 création purement humaine . Ce concept relève, à l’évidence, d’une Théodicée. Or, les maçons du Grand Orient de France, à la suite de la Renaissance et du Siècle des Lumières et quelles que soient leurs conceptions métaphysiques personnelles, s’inscrivent dans une 2 Anthropodicée au sens de Vladimir Jankélévitch . 1 « Le Franc-maçon face à l’Anthropocène »,Les Essais Écossais, volume 9, Éditions AMHG, 2018. 2 Vladimir Jankélévitch,Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, PUF, 1957. 5
Une telle Anthropodicée impose à l’humanité non seulement de ne s’en remettre qu’à elle-même mais aussi de prendre pleinement conscience qu’elle n’a à attendre ni recours ni secours d’une quelconque instance extrahumaine, c’est ce que lui dicte la Raison que d’aucuns voulaient ériger en déesse, ce en quoi ils paraissaient avoir échoué. Mais cet échec n’est qu’apparent comme l’illustrerait sans peine un dictionnaire des croyances et des voyances, des astrologues et futurologues, des guérisseurs et imposteurs et autres colporteurs d’fake-news ».insupportables « À l’angoisse existentielle liée à sa finitude en tant que personne, l’être humain, en tant que membre de l’humanité, se trouve en proie au vertige d’une responsabilité démesurée qu’il se sent incapable d’assumer.Cette épidémie aura révélé l’inculture scientifique de nombre de médias et l’imposture médiatique de non moins nombreux scientifiques dont il est inutile de faire le recensement. Les maçons sont très familiers du symbole de l’ouroboros, qui figure l’ouverture à tous les possibles. Ce symbole rend parfaitement compte du concept de feedback découvert en 1943 qui s’applique aussi bien en biologie qu’en cybernétique. Ce feedback ou rétroaction, lorsqu’il est négatif, a pour fonction de conserver le système en équilibre. Par contre, lorsqu’il est positif, il induit des réactions en chaîne qui s’enchaînent et qui nous enchaînent dans des spirales infernales qui, cette année, ont pour nom « confinements » La fonction mathématique qui rend compte de cette réaction en chaîne est la fonction exponentielle dont une des expressions est le temps de doublement. Ce temps de doublement est très familier des cancérologues car il rend compte, entre autres de l’agressivité d’une tumeur. Il l’est beaucoup moins de nombre de nos concitoyens, y compris parmi les politiques.
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En effet, il se trouve qu’ils n’ont que des notions statistiques très approximatives et ne mesurent pas que les enchaînements logiques sont tout aussi utiles en science qu’en philosophie. Ils sont pourtant indispensables à la compréhension des phénomènes que nous subissons et aux remèdes que nous attendons. Cette compréhension passe aussi par une culture statistique approfondie. Les calculs de probabilités inventées à partir des travaux de Blaise Pascal ont permis d’identifier et dequantifier les risques en se donnant les moyens d’agir sur eux tout en sachant que la quantification n’est pas la solution mais la simple exposition du problème. Les statistiques sont ainsi actualisées et modélisées avec l’apport de nouveaux événements mais, aussi sophistiquées soient-elles, elles ne constituent qu’problème, elles nune des données du ’en sont jamais la solution. Les usages désinvoltes dont ceux qui en usent sont prodigues en font des arguments d’autorité qui ne sont pas non plus des solutions. La seule certitude statistique irréfutable à 100% est la mort de tout ce qui est vivant. Seul, ce qui n’est pas né ne peut pas mourir. Les solutions ne sont que de l’ordre du politique qui doit recueillir l’adhésion des citoyens, mais celle-ci est proportionnelle à la confiance que ceux-ci accordent aux politiques et contingente à une infosphère pléthorique sans hiérarchisation critique. Or, la perméabilité des sociétés aux 3 mensonges n’est pas sans rappeler le constat de Goebbels qui élevait le mensonge en doctrine politique en remplaçant l’explication par l’incantation. Cette adhésion ne peut être profonde et durable que si elle repose sur des vérités reconnues et partagées. 3 Gérald Bronner,La démocratie des crédules, PUF, 2013. 7
Il est tout aussi impératif de mesurer l’importance des réseaux sociaux qui relativisent tous les discours en hypertrophiant la 4 valorisation du discours simpliste, complotiste , 5 conspirationniste , anathémisant et hyper-violent. Ces discours témoignent du refus obtus d’accepter le réel de l’autre et toute autre réalité que l’irréalité dans laquelle ils baignent. Ces discours rendent compte de la très difficile émergence d’un discours scientifique fondé et argumenté, par nature, complexe et critique. L’de la chloroquine et de soncriant » exemple « thuriféraire a démontré en 2020 cette babélisation des rationalités, les théories du complot élevé par les gouvernements à la hauteur d’arguments diplomatiques comme le montrent les accusations chinoises ou américaines de diffusion de l’épidémie 6 en 2020 ne font que crédibiliser les complots antérieurs dont le plus achevé est représenté par les Protocoles des Sages de Sion L’qui traverse toutes les thématiqueséducation scientifique proposées doit proposer cette nouvelle alphabétisation en dotant chaque être humain des moyens technologiques d’accès à tous les canaux propices à cette nouvelle alphabétisation et réparer ce qu’il est convenu d’appeler « la fracture numérique ». Un niveau raisonnablement élevé de formation en sciences est à la fois 7 source de connaissances et de reconnaissance tant pour celui qui en bénéficie que pour la société qui l’en fait bénéficier. Ce n’est qu’à ce prix que les scientifiques, les politiques et les citoyens pourront établir un dialogue fructueux dans une 4 Rudy Reichstadt,L’opium des imbéciles, Grasset, 2000. 5 Sylvie Kaufmann, « Qui contrôle le débat public ? En France comme aux États-Unis, c’est devenu un enjeu crucial pour la démocratie.», JournalLe Monde, 18-11-2020. 6 Vincent Quivy,Incroyables mais…Faux, Seuil, 2020. 7 Vanessa Wisnia-Weill,Les nouveaux pouvoirs d’agirLa, Collection « République des Idées », Seuil, 2020. 8
interdisciplinarité tripartite, désirée et consentie dont les décisions légalement validées seront ainsi reconnues et 8 légitimées . La triple évaluation attendue des contributions présentées par les coordinateurs généraux, les conseillers scientifiques et Membres du Suprême Conseil témoignent de la rigueur logique mise en œuvre tout au long de la réalisation des travaux effectués.9 DE LA MÉFIANCE À LA DÉFIANCEPOUR UN RETOUR À UNE SOCIÉTÉ DE CONFIANCELa méfiance est inhérente à toutes les sociétés démocratiques dont la raison critique est un des fondements, le quatrième pouvoir, celui de l’information n’est-il pas constitué des professionnels indépendants de la méfiance que sont les journalistes dans leur pluralité. Ils permettent aux citoyens de s’informer librement, de former leurs jugements et de sanctionner par leurs votes ceux qui sollicitent leurs suffrages. Mais, depuis 1989, cette méfiance légitime se transforme en défiance, dans laquelle s’est dissoute l’indispensable confiance. Or, l’analyse sociologique démontre que depuis plusieurs décennies, les sociétés modernes sont entrées dans une ère de 10 défiance envers les institutions qui les rendent perméables à toutes les aventures voire aux pires « démocratures ». La
8 Bruno Deffains,Samuel Ferey,Agir et Juger, Comment les économistes pensent le droit, Éditions Panthéon Assas, 2010 9 Yasha Mounk,Le peuple contre la démocratie, L’Observatoire, 2018. 10 Yann Algan et Pierre Cahuc,La société de défiance, Éditions Rue d’Ulm, 2016.
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11 persistance d’triomphant aux USA, malgré ouun trumpisme en raison d’une défaite électorale très courte, porte témoignage de cette défiance institutionnelle qui sévit sur tous les continents. Contrairement à ce que la victoire démocrate pourrait laisser croire, le populisme est installé pour plusieurs générations aux USA, comme il l’est depuis plusieurs générations en Europe. En France, la défiance envers les institutions a débuté, depuis 40 ans, en 1981 avec la volte-face de François Mitterrand et l’abandon du programme commun pour se manifester par une 12 abstention record lors des élections européennes de 1989 avec l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle en 2002, l’élection de Jacques Chirac et sa condamnation par la Justice en 2011. Le point culminant de cette défiance sera la déclaration commune de tous les candidats à l’élection présidentielle de 2017 au cours de laquelle ils se sont tous présentés comme « candidats anti-système » quelles qu’aient été leurs fonctions antérieures. Cette défiance envers le « système » se double en France d’une irrémédiable défiance envers les autres, les lointains alors que les voisins sont privilégiés. Cette double défiance explique que le Maire reste l’homme public politique qui conserve un prestige intact. Cette double défiance s’et la hiérarchie quiexplique par le centralisme sévissent à tous les échelons de l’administration, de l’éducation, de l’entreprise et d’un système sanitaire hospitalo-centré. Cette double défiance s’explique aussi par le fait que les élites au 11 Richard Hofstadter,Le style paranoïaque dans la vie politique américaine, François Bourin, 2012. 12 L’scrutin national des électionsabstention supérieure à 50% lors du européennes de 1989. 10
sommet des hiérarchies n’ont pas confiance dans leurs administrés. Cette sommation des défiances, à double sens et à contre-sens, constitue le défi démocratique que doit relever le monde de l’Après. En effet, ces défiances constituent le terreau dont se nourrissent tous les populismes. Or le confinement social a commencé bien avant le confinement sanitaire avec l’exclusion de pans entiers de la société comme le montre cette nouvelle dichotomie de l’humanité conceptualisée 13 par David Goodhart : les « somewhere » et les « anywhere » . Les somewhere se perçoivent comme les laissés pour compte, les exclus de la mondialisation, concurrencés par la robotisation, 14 dépassés par l’, déclassés en une sous-Intelligence artificielle humanité, écartés de la distribution des richesses voire du simple « bien-être ». Le confinement sanitaire n’est que le dernier en date et le révélateur de tous les confinements antérieurs. Ces confinements successifs, les errements réels ou ressentis dans la gestion de la crise sanitaire qui évolue depuis neuf mois, la persistance du risque d’implosion du système sanitaire qui constitue le maillon faible par excellence de notre société contribuent à accélérer cette perte de confiance des citoyens envers leurs gouvernants. Dans ce qui est devenu une culture du ressentiment, l’irresponsabilité collective se substitue à la responsabilité individuelle qui relevait de chaque citoyen et qu’il revendiquait fièrement.
13 David Goodhart,The road to somewhere, C.Hurst & Co. Ltd, 2017. 14 « Éthique et Intelligence artificielle »,Essais Écossais, volume n° 18, AMHG, 2019.