Un mari pacifique , livre ebook

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Tristan Bernard (1866-1947)



"Quand Daniel rentra du bureau, après avoir attendu assez longtemps chez le coiffeur, Berthe était déjà en toilette de soirée. Avec une irritation que ne calmait point la présence sur son menton d’un petit bouton rouge, la jeune femme affirma qu’il était près de huit heures. « Et la carte des Capitan, ajouta-t-elle, porte sept heures trois quarts exactement. » Daniel essaya de prétendre qu’il n’était que sept heures et demie et que, lorsqu’on dit sept heures trois quarts, c’est huit heures... Vraiment, ce n’était pas gai de se mettre en retard avec des gens qui vous invitent pour la première fois. M. Capitan, un ancien commis de magasin, avait dû sa fortune et son élévation à son air distingué, toujours trop distingué, semblait-il, pour les positions où il se trouvait ; quand il fut parvenu à la grande opulence, on commença à s’apercevoir qu’il ressemblait à un prestidigitateur hongrois. Tel qu’il était, il impressionnait beaucoup le jeune ménage. Berthe et Daniel avaient été surpris et charmés de cette invitation à dîner. Ils s’attendaient tout au plus à une carte pour le bal.


Daniel enleva précipitamment ses vêtements un peu crottés. La femme de chambre était sortie chercher des épingles neige pour le front de madame, et la cuisinière ne savait pas où était l’habit. Daniel se souvint tout à coup qu’il n’avait qu’un bouton de perle pour les deux boutonnières de son devant de chemise. L’autre bouton avait été perdu et Daniel portait pour toute sa vie le remords de n’avoir pas attaché toute la garniture avec un fil de soie ; ce qui est une précaution indispensable quand on porte des plastrons mous."



Suite de "Mémoires d'un jeune homme rangé".


Daniel et Berthe sont mariés. Un bébé arrive. Ils continuent de vivre bourgeoisement dans le moule du conformisme. Un jour Daniel retrouve un de ses anciens camarades d'école...

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0

EAN13

9782374637822

Langue

Français

Un mari pacifique
 
 
Tristan Bernard
 
 
Octobre 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-782-2
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 782
À L UCIEN G UITRY
Son ami,
T. B.
 
I
En retard
 
Quand Daniel rentra du bureau, après avoir attendu assez longtemps chez le coiffeur, Berthe était déjà en toilette de soirée. Avec une irritation que ne calmait point la présence sur son menton d’un petit bouton rouge, la jeune femme affirma qu’il était près de huit heures. « Et la carte des Capitan, ajouta-t-elle, porte sept heures trois quarts exactement. » Daniel essaya de prétendre qu’il n’était que sept heures et demie et que, lorsqu’on dit sept heures trois quarts, c’est huit heures... Vraiment, ce n’était pas gai de se mettre en retard avec des gens qui vous invitent pour la première fois. M. Capitan, un ancien commis de magasin, avait dû sa fortune et son élévation à son air distingué, toujours trop distingué, semblait-il, pour les positions où il se trouvait ; quand il fut parvenu à la grande opulence, on commença à s’apercevoir qu’il ressemblait à un prestidigitateur hongrois. Tel qu’il était, il impressionnait beaucoup le jeune ménage. Berthe et Daniel avaient été surpris et charmés de cette invitation à dîner. Ils s’attendaient tout au plus à une carte pour le bal.
Daniel enleva précipitamment ses vêtements un peu crottés. La femme de chambre était sortie chercher des épingles neige pour le front de madame, et la cuisinière ne savait pas où était l’habit. Daniel se souvint tout à coup qu’il n’avait qu’un bouton de perle pour les deux boutonnières de son devant de chemise. L’autre bouton avait été perdu et Daniel portait pour toute sa vie le remords de n’avoir pas attaché toute la garniture avec un fil de soie ; ce qui est une précaution indispensable quand on porte des plastrons mous.
Il dut se contenter de deux boutons ordinaires retrouvés au fond d’un tiroir. Mieux valait être modeste et correct avec de la nacre que d’afficher un luxe de perles fines incomplet. Une autre déception, au moment d’enfiler ses chaussures, attendait le malheureux dîneur. La semelle de la bottine gauche était trouée. Il avait bien des bottines non vernies toutes neuves avec de triples semelles. Peut-on, avec l’habit, mettre des bottines non vernies ? Son ami Julius prétendait, mais était-ce bien sûr ? que c’était le chic américain.
Il se décida à consulter Berthe et parut dans l’embrasure du cabinet de toilette :
–  Est-ce que tu crois qu’on peut se mettre en habit avec des bottines non vernies ?
Mais il n’obtint aucune réponse de cette femme irritée, et désireuse de sanctionner sa rancune par un mutisme d’une heure au moins. Il prit donc le parti de s’en tenir aux bottines vernies. Il aurait simplement la préoccupation, en croisant les jambes, de placer toujours la jambe droite en dessus, afin de maintenir le pied gauche et la semelle ulcérée en contact avec le tapis.
Son habit endossé, son faux-col serré un peu trop par une cravate élastique, sa barbe taillée de frais, et l’intérieur de ses oreilles semé de petits poils récemment coupés, il entra dans le cabinet de toilette de sa femme. Il avait un peu chaud de s’être habillé vite et ne laissait pas d’être inquiet, car sait-on jamais, au moment de partir pour une fête, si on est absolument en règle avec ses intestins ? Berthe semblait en être encore au même point : assise devant sa toilette, une longue épingle à chapeau au bout des doigts, elle en avait toujours à la même mèche, qu’elle arrondissait sur son front. Daniel sentit, avec un âcre plaisir, que c’était son tour à lui d’avoir un sujet d’irritation, mais il le mit sagement de côté pour plus tard, pour ne pas perdre encore un temps précieux. Quelle heure, d’ailleurs, était-il ? Les trois pendules de la maison, profitant de ce qu’elles étaient chez un jeune ménage, n’avaient jamais marché que quinze jours à peine, tout au début. Un grand discrédit pesait sur la montre de la cuisinière, qui, selon que le dîner était prêt ou non, avançait ou retardait d’une façon invraisemblable. La première indication sérieuse leur fut fournie, quand ils descendirent, par la pendule de la concierge : huit heures vingt-cinq ! Il faut dire qu’elle avançait de dix minutes... peut-être de vingt. Le trajet était long de la rue Caumartin au boulevard Pereire. Daniel aurait bien voulu choisir un bon cheval, mais Berthe n’était pas disposée à attendre dans le courant d’air de la porte. Il fallut se décider pour une voiture qui fermait mal. Un cocher informe et bastionné de cache-nez inutiles effleura de son fouet le doyen des chevaux arqués. On prétend que les chevaux arqués, qui paient peu de mine, sont meilleurs que les autres. Mais ce n’était pas sans doute à propos de celui-là que cet axiome avait pris naissance.
Comme Daniel, désireux de guetter les horloges à l’intérieur des boutiques, faisait mine de baisser la glace, la jeune femme eut une petite toux sèche et un regard résigné qui firent entrevoir au cruel mari tout le sombre cortège des bronchites capillaires et des pleurésies. Alors il essuya tant bien que mal la buée des vitres, juste pour apercevoir l’horloge du boucher, qui, au-dessus du petit kiosque où se trouvait la caissière, marquait huit heures vingt, froidement. Et tout de suite après, au fond d’un magasin de modes, une pendule d’aspect gothique, aux chiffres émaillés, n’allait-elle pas jusqu’à annoncer huit heures trente-cinq, avec ses aiguilles contournées ! Mais cela, c’était évidemment de la fantaisie diabolique.
Daniel ne fut pas rassuré par l’horloge d’un pharmacien, qui marquait sept heures trois quarts ; ce qui était d’un optimisme fou. Il eût désiré un mensonge plus plausible. Enfin le chiffre officiel de huit heures vingt-trois fut accusé par l’horloge du chemin de fer de l’Ouest qu’on apercevait depuis le pont de l’Europe. Daniel osait à peine se dire que c’était l’heure intérieure, et qu’il fallait encore ajouter cinq minutes.
S’il eût été seul il serait assurément retourné chez lui, laissant l’orage, qui s’amoncelait dans la salle à manger des Capitan, éclater un peu loin de sa tête. Mais ce n’était pas une chose à proposer à Berthe. Il se borna à dire, d’une voix faible :
–  Huit heures et demie.
Elle répondit sèchement :
–  C’est ta faute.
Il ne discuta pas. Plus impartial qu’elle, il reconnaissait que, d’une façon générale, il est difficile de démêler la responsabilité des époux dans un retard de ce genre, où chacun s’autorise, pour ne pas se presser, de la complicité forcée de l’autre.
Cependant le cocher emmitouflé mettait son cheval au pas dans des montées imperceptibles, où il se faisait dépasser par les piétons les plus languissants. Sur le plat, l’allure du pas était remplacée par une sorte de sautillement rétrograde. Daniel, s’il eût été seul, eût pris bravement un autre fiacre, après avoir réglé celui-là. Mais, avec Berthe, il ne fallait pas songer à des prodigalités pareilles.
Enfin l’on arriva au boulevard Pereire, et le cocher s’arrêta, en se trompant de deux numéros. Il n’y avait qu’à descendre là, et à faire vingt-cinq pas à pied. Mais Berthe s’y opposa ; ce qui donna lieu à une remise en train de tout l’appareil.
Dans la maison, une nouvelle perte de temps fut occasionnée par la recherche infructueuse de la corde verticale qui fait monter l’ascenseur. Daniel, sous le regard méprisant de Berthe, alla demander l’aide du concierge.
–  Ah ! se dit Daniel, quand ils arrivèrent sur le palier des Capitan, pourvu qu’ils ne nous aient pas attendus et qu’ils se soient mis à table !
Il sonna. Un moment très long se passa avant qu’on donnât signe de vie. Il espéra un instant qu’ils s’étaient trompés de jour ; mais, quand un domestique leur ouvrit la porte, ils aperçurent dans l’antichambre un nombre imposant de chapeaux hauts de forme.
–  On est à table ? demanda Daniel au garçon.
–  Oui, monsieur, on est encore à table...
Il les introduit dans un grand salon vid

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