La Gauche, la droite et le marché
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Description

Le libéralisme peut-il être de gauche ? En France, les mécanismes de marché suscitent une aversion plus forte qu’ailleurs. Au point de faire naître des alliances inattendues entre la droite et une partie de la gauche, par exemple pour s’opposer à la déréglementation de certaines professions (loi Macron) ou à la concurrence entre grands distributeurs (loi Galland). Surtout, plus qu’à l’étranger, la gauche peine à concilier l’adhésion au marché et les aspirations égalitaires. Les ressorts historiques de cette méfiance sont le thème de ce livre. David Spector y mène une enquête minutieuse et passionnante qui nous conduit de la Grande-Bretagne libre-échangiste des années 1840 à la France protectionniste de la Troisième République, de l’évolution tumultueuse des lois sur la concurrence aux controverses toujours renouvelées sur la nature de la « science économique », jusqu’à l’ouverture européenne des dernières décennies. Une lecture indispensable pour comprendre les réticences des Français à l’égard du marché. David Spector est chercheur au CNRS et professeur associé à l’École d’économie de Paris. Spécialiste des questions de concurrence, il a enseigné auparavant à la London School of Economics et au Massachusetts Institute of Technology (MIT). 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 22 mars 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738138682
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , MARS  2017
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-3868-2
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Introduction

La France contre le marché ?

À l’été 2007, deux dirigeants européens, l’un de gauche, l’autre de droite, se sont opposés sur le statut de la « concurrence libre et non faussée » : fallait-il la mentionner comme un des objectifs de l’Union européenne dans le traité alors en cours de négociation ? C’est un président de droite, Nicolas Sarkozy, qui réclamait la suppression de toute référence à la concurrence, et un Premier ministre de gauche, le Britannique Gordon Brown, qui s’y opposait. Comme toujours en Europe, le résultat fut un compromis : la concurrence disparut du texte pour réapparaître dans un protocole annexe, ajouté à la demande de la Grande-Bretagne.
Ce débat sémantique n’avait aucun enjeu réel. Il montre seulement qu’un président de droite nouvellement élu se devait de tenir compte de l’aversion réelle ou supposée de la majorité des Français pour la concurrence. Il est vrai que, sur ce sujet, l’unanimité nationale paraît de mise : le Parti socialiste dénonce régulièrement « le dogme de la concurrence libre et non faussée 1  », dans des termes identiques à ceux du Medef qui critique « l’idéologie de la concurrence 2  ».
Les enquêtes d’opinion montrent année après année la singularité de la France sur ce point. Selon une étude menée en 2011 dans six pays européens ainsi qu’au Brésil, en Chine et aux États-Unis, les Français étaient, de loin, les moins nombreux à estimer que « l’économie de marché est un système qui fonctionne plutôt bien » : presque deux fois moins que les Italiens (15 % contre 26 %), pourtant davantage affectés par la crise financière, trois fois moins que les Britanniques et les Allemands, et presque quatre fois moins que les Américains, qui, loin d’être d’humeur ultralibérale, s’apprêtaient à réélire Barack Obama 3 .

La méfiance à l’égard du marché : cliché ou réalité ?
Cette expression de défiance à l’égard du marché renvoie-t-elle à une véritable spécificité, à des croyances, des préférences collectives, une manière d’appréhender l’économie et la société, et des politiques publiques différentes de celles qui ont cours ailleurs ? Ou bien s’agit-il d’une exception française purement verbale, sans substance réelle ?
Poser cette question, c’est d’abord se montrer prudent devant ce qui ressemble à un cliché.
Dans sa version de droite, il s’agit de se lamenter devant des Français indécrottablement étatistes, qui n’aimeraient pas assez leurs entreprises ni leurs riches, et garderaient un attachement anachronique à des valeurs égalitaristes incompatibles avec une économie moderne.
Dans sa version de gauche, le cliché est presque identique : la défiance à l’égard du marché serait le reflet d’un attachement louable à l’égalité et à l’État, fruit d’une longue tradition française. Cette idée s’est manifestée notamment à l’occasion du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen : pour ses adversaires de gauche, la victoire du non témoignait du rejet d’une Europe libérale vouée à la concurrence, qui menaçait le modèle social français.
Quelle part de vérité contiennent ces clichés ? Pour le savoir, il faut quitter les discours généraux et se pencher sur les débats concernant des politiques publiques précises. On examinera dans les pages suivantes ce que nous apprennent sur le rapport des Français aux mécanismes de marché des épisodes aussi divers que la timide réforme du statut des notaires dans la loi Macron, les négociations européennes sur la manière de répondre à la crise du lait, les récentes lois « anti-Uber » et « anti-Amazon », le blocage des loyers, mais aussi les débats sur d’éventuels péages urbains ; puis, en remontant plus loin dans le passé, les divergences européennes sur l’aide à apporter aux pays victimes du tsunami asiatique de 2004 et la régulation des prix dans la grande distribution.

Une réticence multiforme
Ce tour d’horizon montrera que le cliché rappelé plus haut est à moitié vrai : oui, il existe bien une réticence française spécifique devant la concurrence et les mécanismes de marché, qui s’exprime dans des contextes très variés. Non, cette réticence n’est liée à aucune haine des riches, de l’argent ou des entreprises, ni à un penchant étatiste.
L’un des volets de la loi Macron, discutée à partir de la fin 2014, consistait à augmenter la concurrence dans les professions réglementées comme les huissiers, les avoués et les notaires. Il s’agissait notamment de diminuer les barrières à l’entrée dans ces secteurs caractérisés par un numerus clausus , et d’instaurer une certaine liberté tarifaire.
Les notaires ont tenté de limiter la portée de ces réformes pour préserver un statu quo qui leur assurait un revenu moyen d’environ 20 000 euros par mois. Ils y sont parvenus, puisque la liberté d’installation de nouveaux offices de notaires a été très encadrée.
Comment expliquer la difficulté d’un gouvernement de gauche à remettre en cause les privilèges aussi évidemment exorbitants d’une profession par ailleurs acquise à la droite ?
La réponse tient sans doute à un malaise de principe : même lorsque l’intensification de la concurrence va sans ambiguïté dans le sens de l’intérêt général et de la justice, il est difficile pour la gauche de la soutenir avec ardeur. De fait, malgré les sondages favorables à la loi, la gauche ne s’est pas mobilisée pour la défendre.
Plus encore, on a pu assister à une étrange convergence entre le discours d’une partie de la gauche et celui des notaires et de leurs soutiens traditionnels, les partis de droite. Le président du Conseil supérieur du notariat a utilisé un vocabulaire que ne renieraient pas les altermondialistes : « Le droit n’est pas une marchandise livrée à l’économie comme elle peut l’être dans les pays anglo-saxons. » Avec presque les mêmes mots, la ministre de la Justice proclamait sa « conviction que le droit n’est pas une marchandise ».
De droite ou de gauche, les adversaires de la loi exprimaient à l’unisson le refus d’une approche économique du secteur, d’une vulgaire analyse en termes d’offre et de demande. Un député de droite assurait à l’Assemblée nationale (en février 2015) qu’il fallait placer les professions juridiques réglementées « à l’abri sous l’autorité de la garde des Sceaux, loin du prisme économique de l’Autorité de la concurrence », en accord avec un député socialiste qui regrettait la cotutelle des ministères de l’Économie et de la Justice, contraire à « la tradition du système juridique français ». Comme en écho, une sénatrice socialiste craignait que « la concurrence déstabilise […] le droit » et fasse « basculer vers un modèle anglo-saxon » générateur d’« inégalités accrues ».
Ces citations illustrent jusqu’à la caricature la convergence entre un antilibéralisme de droite, mû par la défense ponctuelle d’intérêts bien compris, et un antilibéralisme de gauche rétif au marché par principe.
Pour les opposants de gauche à la libéralisation des professions réglementées, le refus de la « marchandisation » exprimait bien une hostilité réelle à la concurrence. Il ne s’agissait pas d’un habillage rhétorique destiné à masquer des visées électoralistes ou des intérêts catégoriels : pourquoi des élus de gauche voudraient-ils défendre une profession conservatrice, riche et impopulaire ?
On ne saurait en dire autant des notaires ni des parlementaires de droite qui les soutenaient. Comment croire au refus de la « marchandisation » alors que les notaires, en vertu d’un « droit de présentation » remontant à l’Ancien Régime, monnayent (ou faut-il écrire « marchandisent » ?) la présentation de leurs successeurs à la Chancellerie ?

FACE À AMAZON ET UBER
La vente de livres et le transport de passagers ont peu en commun – sauf le fait d’avoir récemment fait l’objet de lois restreignant la concurrence au profit de quelques grandes entreprises sans susciter d’opposition majeure. En 2014, une loi dite « anti-Amazon », votée à l’unanimité des deux assemblées, est entrée en vigueur en France. Elle interdit aux distributeurs de livres sur Internet d’accorder la remise de 5 % autorisée aux libraires. Il s’agissait de protéger ces derniers de la concurrence d’Internet, et en premier lieu d’Amazon.
La ministre de la Culture s’est félicitée de ce consensus et n’a pas craint de voir dans la fin de la remise de 5 % sur Internet « le signe de l’idée que la France se fait d’elle-même, de son histoire et de son avenir ».
Quelles sont les conséquences de cette loi ? À court terme, les consommateurs sont perdants, puisqu’ils paient plus cher les livres achetés sur Internet. Les petites librairies, que la loi est censée défendre, sont-elles au moins gagnantes ? C’est possible, mais l’impact de la loi est sans doute modeste pour elles, parce que les principaux concurrents d’Amazon sont les très grandes librairies capables de rivaliser avec son vaste catalogue. Surtout, la loi a atténué la concurrence entre les deux principaux distributeurs de livres sur Internet, Amazon et la Fnac. Il est d’ailleurs possible que pour cette raison, elle ait augmenté les profits d’Amazon qui en était pourtant la cible 4 .
La même année, et dans la même veine, l’Assemblée a légiféré pour protéger les taxis de

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