L'Alcool, un ennemi intime , livre ebook

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« Je buvais à même la bouteille en la tenant à deux mains ; je tremblais tellement que je n'aurais pas pu tenir un verre sans en renverser le contenu. Dans la demi-heure qui suivait je vomissais ce que j'avais bu. Une fois le liquide rendu, je recrachais de la bile en grande quantité ; j'avais l'impression que mon foie partait en lambeaux. Cela mettait aussi mes intestins à rude épreuve. Quand j'osais me regarder dans un miroir, je voyais mes yeux jaunes, exorbités. Mon visage était rouge, bouffi avec des traces visibles de couperose sur les joues. Je me faisais horreur mais je n'avais pas peur de ce qui pouvait m'arriver. Dans ces cas-là, on a dépassé ce stade et, en y réfléchissant, je n'ai jamais pensé que je risquais de mourir. »

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Date de parution

05 juillet 2013

Nombre de lectures

1

EAN13

9782342009255

Langue

Français

L'Alcool, un ennemi intime
Georges Hudiné
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
L'Alcool, un ennemi intime
 
 
 
À ma fille Émilie,
À ma petite fille Erin,
À mon épouse Bernadette,
 
À mes amis de l’Association,
À ceux que j’ai blessés.
 
 
 
 
Remerciements à Pascal Varejka
 
 
 
 
Préface
 
 
 
Dans l’exercice habituel d’un médecin généraliste, il nous arrive quotidiennement de croiser des buveurs excessifs. Alors quand un ami vous demande de rédiger en tant que professionnel une préface sur son expérience personnelle, on est un peu effaré, à la fois décontenancé par l’ampleur de la tâche et partagé entre la tentation de faire un exposé technique ou celle de privilégier l’expérience humaine.
 
Le plus souvent d’ailleurs, l’excès d’alcool se trouve noyé parmi d’autres : tabac, suralimentation, faisant partie des « excès ordinaires » que notre société d’abondance nous propose – je n’ose dire « nous impose » – et autour desquels se forme un muet consensus selon lequel on finit par abdiquer même en tant que professionnel de santé, tant devient fréquente cette surconsommation
 
Et c’est déjà là que réside le danger car tous : patients potentiels mais aussi médecins, tendons à perdre de vue combien est dangereuse cette banalisation, cette tolérance qui absout nos intempérances, cette moindre réactivité qui laisse place, pour ne pas dire qui accorde une inattention presque coupable de bienveillance, à nos dérives.
 
De temps à autre bien sûr se constitue un drame : un tel s’ancre dans la dérive au point d’en perdre le contrôle, au point qu’elle le conduise à la maladie, à la folie, à la déchéance, à l’accident, au meurtre, au suicide.
De temps à autre un tel s’ancre dans la dérive au point que sa vie sociale disparaît, que ses amis s’éloignent, que sa famille éclate, que son univers se dissout dans l’alcool.
 
Le constat en pareil cas devrait être mobilisateur, mais la plupart du temps nous sommes devant l’obligation de reconnaître soit que « nous n’avons rien vu venir », soit que nous n’avons rien pu faire, soit que nous n’avons pas su quoi faire.
 
Prenons le problème par l’autre bout de la lorgnette :
 
L’alcool au début est un médicament. Sa consommation est agréable, son pouvoir est euphorisant, il donne confiance en soi, il désinhibe, permet de créer des contacts au sein d’un groupe d’autant que l’ambiance du groupe est exaltée par la prise d’alcool en commun.
 
Mais on doit vite déchanter : c’est un mauvais médicament. Lorsqu’il cesse d’agir, son effet s’inverse : et son évaporation de l’organisme ne laisse que cafard, dépression, culpabilité de ce que l’on a pu dire ou faire alors qu’on était « sous influence », renforçant le fond de mésestime de soi. Sans parler de la sensation de malaise physique.
 
Une tentation alors à certains s’impose dès les lendemains qui déchantent : retrouver ce paradis perdu dans lequel on était si bien, si hardi, si volubile et si actif et la solution bien évidemment c’est de boire à nouveau, oh ! pas beaucoup, juste ce qu’il faut pour ne pas se sentir si mal, si nul… on saura toujours s’arrêter…
 
Mais c’est là aussi que l’alcool trompe (L’étymologie nous apprend qu’« al kohol » en Arabe, c’est « le fard » : ce qui masque, ce qui travestit la réalité, ce qui trompe, ce qui abuse) une fois de plus : avec le temps et les consommations successives, ses effets bénéfiques s’affaiblissent, obligeant à des consommations de plus en plus abondantes, alors même que les effets négatifs bien connus de l’ivresse surviennent toujours à peu près pour la même consommation. Mais l’alcoolique n’en est déjà plus là. Il a dépassé le stade où son esprit critique lui permet de percevoir qu’il a trop bu et que cela se voit : il devient le seul à croire que personne ne voit qu’il a trop bu.
 
Pour certains le piège est déjà refermé, l’escalade va les conduire à consommer toujours plus. L’alcool devient alors une fin en soi, un mode de vie, un intérêt se substituant à tous les autres.
 
Et nous en revenons au constat de tout à l’heure de notre impuissance en tant que témoins à aider celui que nous observons dans ce type d’escalade.
 
Alors lorsqu’un ami vous propose son témoignage, la relation de ce qu’il a – au sens propre – vécu de l’intérieur, il nous apporte à tous un outil d’une valeur considérable à de multiples égards :
- En tant que soignants, il nous enseigne à détecter ce lent mécanisme qui insensiblement crée l’addiction, il nous fait toucher du doigt le déni de la situation, les ruses de l’alcoolique pour dissimuler à son entourage sa consommation excessive d’alcool.
- En tant que patients, il enseigne combien ces mécanismes sont stéréotypés, embarquant dans la même galère tous les buveurs excessifs, permettant de poser des jalons, d’exercer l’esprit critique.
- à tous il nous redit combien l’aide des autres : entourage, famille, amis, relations de travail, soignants, associations d’entraide, est capitale, combien il est capital de ne jamais renoncer à solliciter l’entourage et combien pour l’entourage il est capital de ne jamais renoncer à proposer son aide.
 
Enfin, on ne peut que saluer le courage, l’humilité, la lucidité, la clairvoyance et l’esprit ouvert à l’autocritique de l’auteur de cet essai. On ne peut que souligner combien son récit contribue à métamorphoser un vécu douloureux et négatif en un témoignage rédempteur.
Docteur Michel Ravoisier
 
 
 
 
Entrée en matière
 
 
 
J’ai été alcoolique pendant des années. Ou plutôt, de mon point de vue, je suis alcoolique. Car je me suis pris en main, j’ai réussi à arrêter de boire, mais au fond, je le sais, je le sens, on reste alcoolique – alcoolique un jour, alcoolique toujours, si je puis me permettre ce trait de la sagesse populaire – et on risque constamment de rechuter.
Quand je parle d’alcoolisme, je parle d’un état de dépendance absolue qui entraîne une véritable descente aux enfers. Pas du plaisir de boire une « bonne bouteille » entre amis. Pas des trois verres de trop pris au cours d’un pot de fin d’année ou d’un vernissage au risque de se retrouver vaguement éméché. La définition de l’OMS, d’après laquelle on est menacé de devenir alcoolique quand on consomme plus de 3 verres par jour pour un homme, plus de 2 verres par jour pour une femme, me fait doucement rigoler. À mes yeux, quelqu’un qui prend régulièrement un ou deux verres de vin en mangeant, en général en compagnie, n’est pas un alcoolique. Je sais que les avis diffèrent sur la question, et nous pourrons y revenir le cas échéant. Mais mon expérience m’a donné une autre vision de ce qu’est l’alcoolisme.
Il s’agit d’un état où le plaisir n’a pas vraiment sa place, ou bien où il demeure, si l’on peut dire, marginal : l’alcoolique est confronté à un besoin irrésistible, comme le drogué. Il s’agit du même type d’addiction, et ce que l’alcoolique, comme le drogué, craint plus que tout, c’est d’être en manque.
Contrairement à ce que l’on croit – on parle souvent par exemple « d’alcoolisme mondain » –, l’alcoolisme est, tout compte fait, essentiellement une manie (au sens psychiatrique du terme), un vice solitaire, un comportement fondamentalement égoïste. On planque ses bouteilles, on boit en douce – au fond on a honte et on cherche, souvent de façon naïve et malhabile, à se soustraire au regard d’autrui pour satisfaire son irrépressible envie de boire.
En fait, l’une des nombreuses conséquences néfastes de l’alcoolisme est de couper l’alcoolique des autres, et d’abord, ce qui est tragique, de ses proches. On devient inconscient, non pas tant dans le sens où on perd conscience sous l’emprise de l’alcool, mais dans le sens ou on perd tout contact, si l’on peut dire, avec sa propre conscience. On trompe ou on cherche à tromper son entourage, on ne tient pas compte, même si l’on en a vaguement honte, de l’impression que l’on produit sur ses proches, de la peine qu’on leur cause, du fait qu’on trahit leur confiance, qu’on leur rend la vie impossible et que lentement mais sûrement, on détruit les rapports qui nous lient à eux. On est tellement inconscient que, souvent, on met même leur vie en danger.
Sans compter que l’on risque de ruiner sa propre vie, sur le plan physique, psychique et matériel. Car certains perdent leur emploi et se retrouvent à la rue à cause de cela. J’ai eu la chance de ne pas en arriver à cette extrémité. Un jour j’ai décidé de m’en sortir et maintenant, j’ai réussi à me libérer de l’emprise de l’alcool. Même si, comme je l’ai dit plus haut, l’alcoolique repenti est toujours en sursis. Cela fait maintenant une vingtaine d’années que je ne bois plus. Et je peux désormais me trouver avec quelqu’un qui boit un verre de vin ou de whisky sans que cela me fasse envie.
Je me dis que si je suis encore vivant, compte tenu des quantités d’alcool que je consommais avant d’arrêter, c’est un miracle. J’ai retrouvé ma propre estime et celle de ma fille. Je me suis reconstruit, j’ai pu reprendre des rapports normaux avec les autres.
Aujourd’hui, comme j’ai un peu de temps libre devant moi, j’éprouve le besoin de faire le point et de revenir sur mon passé d’alcoolique, sur les divers stades de ma relation avec l’alcool, de réfléchir au mal que j’ai fait à ceux que j’aimais durant ces années infernales – je pense notamment avec horreur que j’ai mis la vie de ma fille en danger et que j’ai risqué de perdre son estime, ce qui s’avère sans doute le pire de tout.
Je voudrais donc faire le point, raconter sans complaisance,

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