Primo Levi revisité
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Primo Levi revisité , livre ebook

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Description

« Avec un écrivain, à travers ses livres, on peut avoir des rapports aussi profonds, et complexes, qu’avec n’importe quel homme vivant. Primo Levi était un homme. Je l’ai visité autrefois et j’ai senti le courant magnétique. La joie qu’on éprouve à une telle rencontre n’a rien à voir avec des théories d’école, ni même avec la raison. Il s’est intégré à ma vie, et m’a beaucoup aidée au cours d’années très lourdes. D’autres, aujourd’hui, cherchent encore à le rencontrer. C’est pour eux que j’ai décidé, alors que les commentaires fleurissent, ainsi que les inédits, de revisiter Primo Levi. » C. Q. Agrégée de lettres, Claire Quilliot a été professeur de littérature. Elle s’est également consacrée aux mémoires posthumes (tome I et II) de Roger Quilliot.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2004
Nombre de lectures 1
EAN13 9782738187192
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Claire Quilliot
PRIMO LEVI REVISITÉ
 
 
© Odile Jacob, janvier 2004 15, rue Soufflot, 75005 Paris
ISBN : 978-2-7381-8719-2
www.odilejacob.fr
Table

TOHU-BOHU OU PRIMO LEVI VISITÉ
PRÉFACE À LA VISITE
I. PALÉOGÈNE (ÉOCÈNE)
II. PALÉOGÈNE (OLIGOCÈNE)
III. PALÉOGÈNE (MIOCÈNE)
IV. NÉOGÈNE (PLIOCÈNE)
V. FIN DE L’ÈRE TERTIAIRE
VI. L’ENFER
VII. LA REMONTÉE DE L’ENFER
VIII. LA VIE NORMALE
IX. UN ÉCRIVAIN À DEUX VISAGES ?
X. UNE MAILLE FILÉE
XI. LE CHIMISTE DANS LE PARC
XII. LA VIE COMMENCE À CINQUANTE-CINQ ANS
XIII. LES PAROLES CONFIÉES AUX AUTRES
XIV. LA VIE PARALLÈLE AUX PAROLES
XV. LA MORT DANS L’ESCALIER
NOTES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ŒUVRES DE PRIMO LEVI
PUBLICATIONS POSTHUMES
Avec Roger
à Primo Levi
 
TOHU-BOHU OU PRIMO LEVI VISITÉ
 
— Voilà Primo Levi proposé aux programmes de français pour Littéraires de nos lycées et collèges.
— En traduction ?
— Naturellement ! S’il fallait, en plus, obliger les élèves à apprendre l’italien… On l’étudiera dans le cadre de la littérature contemporaine, c’est un écrivain immense, non ? Nous nous en tiendrons à Si c’est un homme , sur le thème de « l’Autobiographie ». Dans le sondage 2000 à la Foire du livre de Turin, les élèves italiens le classaient premier des « dix livres à sauver » ; les nôtres pourraient peut-être se décider à le lire, c’est court. Non ?
— Ho ! si.
 
Lorsque Primo Levi trouva la mort en se jetant dans la cage d’escalier de son immeuble, le 11 avril 1987, il restait pratiquement inconnu en France, bien que le monde entier eût déjà repéré comme un écrivain majeur ce chimiste juif, ancien déporté d’Auschwitz. Les meilleurs de nos critiques en éprouvèrent de la mauvaise conscience, « le regret d’avoir failli à notre tâche, qui est d’attester inlassablement des secrètes grandeurs contre les figures médiatiques et les batteurs d’estrades 1  ». Mais seul Jorge Semprun se demanda : « Pourquoi Primo Levi s’est-il donné la mort 2  ? »
« Des voix se sont élevées en Italie, et non des moindres, et proches de lui, pour demander que cette question ne soit pas posée. Et c’est vrai qu’il faut respecter le mystère de cette mort », assurait-il aussitôt. Vrai ? Sans doute, si on songe aux paparazzi qui assiègent dans La Dolce Vita la femme du suicidé, qui ne sait rien encore et rit de les voir se bousculer autour d’elle : « Vous me prenez pour une star ? » Les reporters de La Stampa ne s’étonnèrent pas de trouver la porte close au 75, Corso Re Umberto, ni d’entendre une voix métallique leur dire : « N’insistez pas, il n’y a personne. » En compensation, ils interviewèrent la concierge, dernière personne à avoir vu l’écrivain vivant. Comme tous les matins, elle avait monté le courrier, sonné ; Levi lui-même lui ouvrit, en bras de chemise ; gentil comme toujours, une main appuyée au battant de la porte et l’autre tendue pour prendre le courrier. Elle a commencé à descendre ; une masse qui tombe, un bruit sourd, au bas de l’escalier elle trouva le corps écrasé. Inutile d’appeler l’hôpital, l’affaire ne relevait plus que de la police. La concierge prévint elle-même le fils et la fille de Levi, logés dans l’immeuble. Personne n’osa annoncer la nouvelle à la mère de Primo Levi, 92 ans, sénile et paralysée, qui vivait chez son fils. Dans un moment de lucidité, la vieille femme dut percevoir de l’insolite, car elle demanda : « Primo ?… Il lui est arrivé quelque chose ? » « “La maman”, notaient les reporters, se raccrochait à son fils, et le lien du fils avec la mère était solide, de même que son affection pour sa belle-mère aveugle de 95 ans, logée elle aussi chez lui. Pour Primo Levi, l’âge et les infirmités des deux dames étaient certainement des motifs d’inquiétude, mais ils ne pouvaient pas devenir des causes de désespoir. »
Les journalistes de La Stampa s’interrogeaient : « Suicide ? cela pouvait paraître invraisemblable » ; mais le témoignage de son épouse Lucia a clarifié toute équivoque : « Depuis longtemps il souffrait de dépression. » Ils évoquaient « une petite intervention chirurgicale » – sans conséquence, d’après les médecins, mais « pour lui c’était un motif d’angoisse ». Ils évoquaient surtout la mémoire de tant d’atrocités vues et souffertes : « Le souvenir souvent devient maladie. »
Dès le 11 mai 1987, Jorge Semprun, aussitôt après avoir dit : « Ce n’est pas nous qui questionnons cette mort, c’est cette mort qui nous questionne », se ralliait à cette seconde explication, en lui ajoutant une nuance accusatrice : « Peut-être a-t-il volontairement rejoint la mort d’Auschwitz parce que la perspective de l’oubli historique devient inévitable. » – Lui-même vivait violemment « le jour de la mort de Primo Levi », anniversaire de ce 11 avril 1945 où le réseau de résistance anglaise à Buchenwald, dont il faisait partie avec le groupe communiste espagnol qu’il dirigeait, aida les troupes de Patton à libérer le camp des SS. Il se débattait dans un maelström d’images foudroyantes, de souvenirs décousus, de femmes, d’autres 11 avril, de littérature, de rencontres, de destins en train d’émerger, et le parapluie de Bakounine par-dessus le marché. Dans le tourbillon devenu en 1994 un beau livre, on retrouve, haletantes, les questions de 1987 : « Pourquoi, quarante ans après, avait-il perdu la paix que l’écriture semblait lui avoir rendue ? Qu’était-il advenu dans sa mémoire, quel cataclysme, ce samedi-là ? Pourquoi lui était-il soudain devenu impossible d’assumer l’atrocité de ses souvenirs 3  ? »
En 1987, je ne connaissais pas Primo Levi, personnellement. J’attends toujours, pour découvrir les « secrètes grandeurs contre les figures médiatiques et les batteurs d’estrade », qu’elles aient survécu aux « attestations ». Mais à Noël 1989, un de mes fils m’offrit Le Système périodique  ; et j’y trouvai Primo Levi.
Je ne le lus même pas tout de suite. Un titre pareil, qui sait comme le livre est embêtant ! Et puis, il fallait garder son équilibre vital, dans cette fin tumultueuse du « bicentenaire de la Révolution ». Nous sortions d’une tempête hugolienne (« C’est l’essaim des Djinns qui passe » !…) qui nous avait arraché deux bandeaux de fenêtre, le treillage vert des rosiers et un sous-toit de bois verni. Le tohu-bohu se calmait, le paysage auvergnat reprenait ses couleurs d’hiver sous un grand ciel gris foncé gris clair, troué parfois d’un éblouissement incolore ; voilà que la Roumanie envahit nos écrans. Émeutes, sauvagement réprimées ; des charniers se découvraient ; des photos insoutenables. Timisoara, inconnue jusque-là, devint aussi célèbre qu’Oradour. On suivait les événements comme un western. Ceausescu commandait une manifestation de foule pour l’acclamer, et la foule, énorme, criait : « À mort Ceausescu ! » On voyait en gros plan le visage de Ceausescu quand ses esclaves le jetaient à bas… Gagnera ? Gagnera pas ? Combien de morts ? Ceausescu s’est enfui avec sa femme, on ne sait pas où ils se trouvent. Ils sont arrêtés. Non. Si. Ils sont pris, jugés, exécutés. (Si vite ?) La Roumanie fêta Noël dans les églises. Mais elle manque de tout ! Nourriture, médicaments, vêtements chauds, ils voteront librement au printemps, mais il faut les aider tout de suite. Des trains de provisions affluèrent de toute l’Europe ; Bernard Kouchner mit bientôt en garde contre les envois excessifs de secours, qui encombraient les transports jusqu’à la catastrophe. – Au Panama, révolution aussi, durant cette même fin 1989, et le dictateur Noriega, en fuite, se réfugiait à l’ambassade du Vatican ; mais les Américains, intervenus militairement, au prix de centaines de victimes, pour provoquer sa chute, exigeaient de le capturer eux-mêmes pour le traîner devant leurs tribunaux, alors que la CIA l’avait soutenu des années… – Les Américains ne pensent qu’à imposer sur tout des dictatures, ils manient les opinions publiques par les médias et tout le monde approuve, c’est le Quatrième Reich. – N’exagérez pas, tout de même. – Vous ne voulez pas voir que… Ce genre de discussion me poussait à exploser en sottises, puis à méditer mélancoliquement dessus dans mon cahier d’alors – pas à lire Le Système périodique .
Cette année 1989 fut mondialement aussi importante que celle de la Révolution française. En Chine, au printemps, l’armée avait tiré sur la foule des étudiants place Tiananmen : printemps chinois fini ? Celui de Prague, écrasé en 68, fleurissait en décembre. Le mur de Berlin, solide depuis près de trente ans, s’était effondré en automne, et la Hongrie réhabilitait Nagy le jour même où mourait Kadar ; la perestroïka galopait jusqu’en Afghanistan, d’où venait de sortir le dernier soldat soviétique. – Pour le charnier de Timisoara, il s’avérait que l’image bouleversante était truquée.
Avec les chagrins personnels qui s’entremêlaient aux matraquages historiques durant ces fêtes-là, je n’avais guère le cœur à lire ; je me sentais plutôt m’émietter dans l’Histoire vécue. Une fois de plus j’enviais Roger : la convalescence houleuse de la plus cruelle opération de sa vie et les souffrances physiques diverses qui s’obstinaient ne l’empêchaient pas, à soixante-quatre ans, de dominer, six heures d’affilée, un conseil municipal agité ; il restait le sénateur-maire de Clermont, le président du CHRU, le président de ses chères HLM ; et, en plus, il éprouvait la nécessité d’un bilan et d’un livre à écrire. Sournoisement, il profitait de sa sieste théorique pour y travailler, et se mettait à rire quand je le surprenais en flagrant délit. Moi, tout au tréfonds, je gardais sans en guérir la non-naissance du livre de ma vie, rejeté par les éditeurs. – Beckett, mort et revu à la télé, avec ses yeux bleus de fauve mystique, m’avait bien momentanément fourni une formule :
 

« Il faut continuer
Je ne peux pas continuer
Je vais continuer »,
 
mais je ne la trouvais pas tonique. Je me réfugiais en corvées et tricots. Une lecture dont on n’attend rien peut s’y mêler sans problème.
Tout janvier 1990 sur les chapeaux de roue. Le 29, Roger, en consulta

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