Rapport d'information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale par le groupe de travail sur les conflits d'intérêts
Créé le 9 novembre 2010 afin de dégager de nouvelles règles pour prévenir efficacement l'émergence de conflits d'intérêts au sein du Parlement, le groupe de travail pluraliste de la commission des lois a élaboré quarante propositions visant à mieux encadrer, dans un souci de transparence et de meilleur contrôle, les relations entre les parlementaires et les intérêts privés. Au terme de ses travaux, le groupe de travail a préconisé : la mise en place d'une définition des conflits d'intérêts adaptée aux spécificités du mandat parlementaire ; la souscription périodique d'une déclaration d'intérêts par les membres du Parlement, qui feraient état de l'ensemble de leurs intérêts, aussi bien présents que passés, et de ceux de leurs « proches » ; l'institution d'une autorité dédiée à la prévention des conflits d'intérêts au sein du Sénat, composée de sénateurs et disposant de larges pouvoirs ; la mise en place de sanctions disciplinaires pour sanctionner les parlementaires qui se seraient placés en situation de conflit d'intérêts ; l'extension des incompatibilités parlementaires et le plafonnement des rémunérations perçues au titre de fonctions privées.
Paternité, pas d'utilisation commerciale, partage des conditions initiales à l'identique
Langue
Français
Extrait
N° 518
SÉNATSESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mai 2011
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par legroupe de travailsur lesconflitsd’intérêts(2),
Par MM. Jean-Jacques HYEST, Alain ANZIANI, Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, MM. Pierre-Yves COLLOMBAT, Yves DÉTRAIGNE, Mme Anne-Marie ESCOFFIER et M. Jean-Pierre VIAL,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de :M. Jean-Jacques Hyest, président ;M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. Yves Détraigne, vice-présidents ;MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas, secrétaires ;MM. Jean-Paul Amoudry, Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mme Jacqueline Gourault, Mlle Sophie Joissains, Mme Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, André Reichardt, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung, François Zocchetto.(2) Ce groupe de travail est composé de :Hyest, Alain Anziani, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat,MM. Jean-Jacques MM. Pierre-Yves Collombat, Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, M. Jean-Pierre Vial,co-rapporteurs.
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O
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Pages
LES 40 RECOMMANDATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL SUR LES CONFLITS DINTÉRÊTS...5.............................................................................................................................
I. LA PRÉVENTION DES CONFLITS DINTÉRÊTS POUR LES PARLEMENTAIRES....................................................12..........................................................
A. LA PRISE ILLÉGALE DINTÉRÊT : UN OUTIL RÉPRESSIF PEU UTILISÉ À LENCONTREDESPARLEMENTAIRES...............................................................................13
B. DES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION DES CONFLITS DINTÉRÊTS SPÉCIFIQUES AUX PARLEMENTAIRES .............................................................................. 171. Le statut matériel du parlementaire, garantie de son indépendance financière....................... 172. Lencadrement du financement des candidats et des partis politiques..................................... 183. Des obligations déclaratives déjà fortes................................91..................................................a) Les déclarations de situation patrimoniale .......................................................................... 19b)Ladéclarationdactivités....................................................................................................214. Les incompatibilités parlementaires : une prévention radicale des conflits dintérêts............. 22a) Les incompatibilités avec des fonctions publiques : des règles liées à limpératif de séparationdespouvoirs......................................................................................................23b) Les incompatibilités avec des activités économiques, au cur de la prévention des conflits entre intérêt général et intérêts privés .................................................................... 255. Des dispositions réglementaires internes aux assemblées....................................................... 28a) La prohibition des groupes parlementaires de défense dintérêts particuliers ...................... 28b) La récente réglementation des activités de « lobbying » au sein des assemblées................. 28c) Les initiatives déontologiques des professionnels du « lobbying »...................................... 31
C. LES SYSTÈMES DE PRÉVENTION DES CONFLITS DINTÉRÊTS À LÉTRANGER : Y A-T-IL UN « RETARD » FRANÇAIS ? ..................................................... 321. Le conflit dintérêts : une notion dorigine nord-américaine................................................... 33a) Le conflit dintérêts : une notion inspirée par le concept de « représentation réelle»................................................................................................................................33b) Une définition maximaliste des conflits dintérêts .............................................................. 35c) Des obligations lourdes : le cas du Congrès américain ........................................................ 36d) Des sanctions faibles et essentiellement symboliques ......................................................... 442. Labsence dapproche unifiée des conflits dintérêts à léchelle européenne.......................... 45a) Des points communs sur la forme, qui ne doivent pas masquer lexistence dimportantes disparités...................................................................................................... 46b) Lexception anglo-saxonne : une divulgation maximale des intérêts................................... 493. Les règles de prévention des conflits dintérêts dans les Parlements étrangers : une application parfois « molle »5..................................................................................................2 a) La prévalence de la liberté parlementaire : lexemple allemand .......................................... 52b) Les États-Unis : des règles rigoureuses, une application discutable .................................... 54
II. DES MÉCANISMES DE GESTION DES CONFLITS DINTÉRÊTS EFFICACES, TRANSPARENTS ET PRAGMATIQUES56.............................................................................
A. UNE DÉFINITION DES CONFLITS DINTÉRÊTS ADAPTÉE AUX MISSIONS DES PARLEMENTAIRES.................................................................................................................561. Une définition souple et pragmatique...............................................................................65.......2. Les questions liées à une définition des conflits dintérêts...................................................... 60
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B. CRÉER DES DÉCLARATIONS DINTÉRÊTS POUR ASSURER LA TRANSPARENCE DES ENGAGEMENTS DES PARLEMENTAIRES.................................... 611. La portée de la déclaration dintérêts.........26............................................................................2. Le contenu des déclarations dintérêts : des déclarations sincères et précises........................ 65a) Une obligation générale de sincérité de la déclaration ........................................................ 65b) La typologie des intérêts soumis à déclaration .................................................................... 66c) Les modalités de prise en compte des intérêts des « proches » des parlementaires .............. 70d)Laformedesdéclarationsdintérêts...................................................................................723. La périodicité de souscription des déclarations dintérêts...................................................... 724. Des déclarations accessibles à lensemble des sénateurs........................................................ 745. Lintégration des déclarations dintérêts dans larchitecture prévue par le droit en vigueur.........................................................77...........................................................................
C. METTRE EN PLACE UNE AUTORITÉ DE DÉONTOLOGIE OUVERTE SUR LEXTÉRIEUR..........................................................................................................................781. Un organe de déontologie propre à chaque Assemblée, mais associant à ses travaux des acteurs extérieurs au Parlement......................................................................................87.2. Une autorité pluraliste assurant la légitimité de ses décisions................................................ 823. Des prérogatives larges permettant à lorgane en charge de la déontologie de prévenir effectivement les conflits dintérêts........................................................................... 83
D. ÉTENDRE LES INCOMPATIBILITÉS PARLEMENTAIRES POUR MIEUX PRÉVENIRLESCONFLITSDINTÉRÊTS..............................................................................851. Étendre les incompatibilités parlementaires............................................................................ 86a) Le cumul du mandat avec une activité de conseil et lexercice dune profession libéraleréglementée............................................................................................................86b) Le cumul du mandat avec une autre activité professionnelle............................................... 882. Encadrer les rémunérations perçues par les parlementaires au titre de leurs activités professionnelles accessoires90...................................................................................................
E. MIEUX ENCADRER LES RELATIONS ENTRE LES PARLEMENTAIRES ET LES ENTITÉSEXTÉRIEURESAUXASSEMBLÉES......................................................................921. La création dune déclaration des dons et cadeaux................................................................. 922. Un renforcement de lencadrement de linfluence des "lobbies" au sein du Sénat................... 943. Le plafonnement des indemnités perçues au titre des organismes extraparlementaires........... 97
F. GARANTIR LEFFECTIVITÉ DES SANCTIONS.....................................................................1001. Les types de manquements sanctionnés................................1...............01....................................2. Les sanctions encourues : privilégier la voie disciplinaire.......102...............................................
Contribution de M. Alain Anziani, sénateur de Gironde....510........................................................
Contribution de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice de Paris.........................................107.
Contribution de M. Pierre-Yves Collombat, sénateur du Var................910....................................
EXAMEN EN COMMISSION..............................................................................111........................
ANNEXE 1 - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES..................................213............................
ANNEXE 2 - LES CONFLITS DINTÉRÊTS DANS LE SECTEUR PRIVÉ............................127
ANNEXE 3 - ETUDE DE LÉGISLATION COMPARÉE SUR LA PRÉVENTION, LE CONTRÔLE ET LES SANCTIONS DU CONFLIT DINTÉRÊTS..................133...................
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LES 40 RECOMMANDATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL SUR LES CONFLITS DINTÉRÊTS
A. Une définition des conflits dintérêts adaptée aux missions des parlementaires Proposition n° 1 Définir les conflits dintérêts pour un parlementaire de la façon suivante :«Un conflit dintérêts naît dune situation dans laquelle un parlementaire détient des intérêts privés qui peuvent indûment influer sur la façon dont ilsacquittedes missions liées à son mandat, et le conduire ainsi à privilégier son intérêt particulier face à lintérêt général. Ne peuvent être regardés comme de nature à susciter des conflits dintérêts, les intérêts en cause dans les décisions de portée générale ainsi que les intérêts qui se rattachent à une vaste catégorie de personnes.»
Proposition n° 2 en place, autant que faire se peut, des règles de déontologie Mettre communes aux parlementaires des deux Assemblées.
Proposition n° 3 Redéfinir le délit de prise illégale dintérêt comme le fait de privilégier «un intérêt personnel distinct de lintérêt général».
B. Créer des déclarations dintérêts pour assurer la transparence des engagements des parlementaires
Proposition n° 4 Soumettre lensemble des parlementaires à lobligation de souscrire une déclaration dintérêts.
Proposition n° 5 déclarations dintérêts des parlementaires pour éviter laUtiliser les nomination comme rapporteur dune personne ayant des intérêts dans le secteur concerné par le texte.
Proposition n° 6 un système de « réserves » pour éviter les conflits dintérêtsUtiliser créés par les intérêts des « proches » des parlementaires.
Proposition n° 7 Ne pas instaurer une « obligation de déport »ex ante, par laquelle lautorité en charge de la déontologie pour une Assemblée pourrait interdire préventivement à un parlementaire de participer aux débats et au vote sur un texte.
Proposition n° 8 Mettre en place une exigence générale de sincérité des déclarations dintérêts.
Proposition n° 9 à lautorité en charge de la prévention des conflitsPermettre dintérêts de demander des éclaircissements si elle considère que lexigence de sincérité de la déclaration dintérêts na pas été respectée.
Proposition n° 10 Limiter le champ de la déclaration dintérêts aux intérêts matériels des parlementaires, à lexclusion de leurs intérêts moraux.
Proposition n° 11 Prévoir que les parlementaires déclarent en priorité leurs intérêts professionnels et financiers.
Proposition n° 12 Retracer, au sein de la déclaration dintérêts, le montant précis des rémunérations de toutes natures perçues au titre dune activité accessoire au mandat parlementaire.
Proposition n° 13 Tenir compte, pour la souscription de la déclaration dintérêts, des intérêts détenus pendant les trois ans qui précèdent le début du mandat.
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Proposition n° 14 proches »Intégrer les intérêts des « des parlementaires (et notamment ceux de leur conjoint, de leurs ascendants et de leurs descendants) à la déclaration dintérêts de ces derniers.
Proposition n° 15 obligatoire de la déclaration dintérêts àPrévoir une actualisation mi-mandat ; adresser un document proposant dopérer des « mises à jour » chaque année aux parlementaires.
Proposition n° 16 Permettre à chaque parlementaire de saisir lautorité en charge de la déontologieles intérêts détenus par ses collègues.de son Assemblée afin quelle vérifie Proposition n° 17 anonymes les données relatives aux proches desRendre parlementaires lors de la communication déléments de leur déclaration dintérêts à un autre parlementaire. Proposition n° 18 Supprimer la déclaration dactivités, à laquelle la déclaration dintérêts se substituerait.
C. Une autorité de déontologie ouverte sur lextérieur Proposition n° 19 Prévoir que lautorité en charge de la déontologie pour le Sénat sera composée exclusivement de sénateurs, assistés par un magistrat de lordre judiciaire, élu au sein de la Cour de cassation par les magistrats du siège de cette Cour et ayant notamment pour mission de saisir le parquet des éventuels manquements pénaux. Proposition n° 20 Prévoir que lautorité en charge de la déontologie pour le Sénat peut se prononcer sur saisine du Président du Sénat, de chacun des membres du Bureau ou sur autosaisine. Proposition n° 21 en charge de la déontologie de manièreComposer lautorité pluraliste, en dotant chaque groupe politique dau moins un représentant en son sein.
Proposition n° 22 majorité qualifiée pour la prise de décisionsRetenir la règle de la par les membres de lautorité de déontologie du Sénat. Proposition n° 23 Doter lautorité en charge de la prévention des conflits dintérêts au Sénat :
- de pouvoirs dinvestigation et de contrôle ; - du pouvoir de saisir le parquet ; - du pouvoir de donner un avis sur les incompatibilités ; - dun rôle général de conseil aux sénateurs. Proposition n° 24 Préserver la compétence exclusive du Bureau en matière disciplinaire.
D. Étendre les incompatibilités parlementaires pour mieux prévenir les conflits dintérêts Proposition n° 25 Rendre lexercice de fonctions de conseil nouvelles incompatibles avec le mandat parlementaire, même lorsque ces fonctions sont exercées dans le cadre dune profession réglementée. Proposition n° 26 Rendre les fonctions de professeur associé, de maître de conférences et de maître de conférences associé compatibles avec le mandat parlementaire.
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Proposition n° 27 Rendre la présidence dun syndicat professionnel incompatible avec le mandat parlementaire.
Proposition n° 28 Rendre lexercice de fonctions de direction, dadministration ou de surveillance dans des entreprises percevant des subventions dun État étranger incompatibles avec le mandat parlementaire.
Proposition n° 29 Rendre lexercice de fonctions de direction, dadministration ou de surveillance dans des sociétés-mères des sociétés visées par le code électoral incompatibles avec le mandat parlementaire.
Proposition n° 30 Plafonner à la moitié de lindemnité parlementaire, le montant des rémunérations perçues par les parlementaires au titre dune activité professionnelle accessoire.
E. Mieux encadrer les relations entre les parlementaires et les entités extérieures aux Assemblées
Proposition n° 31 Mettre en place une déclaration de dons et davantages en nature, souscrite par les sénateurs pour tous les concours dont le montant dépasse 150 euros.
Proposition n° 32 cadeaux dusage et les cadeaux offerts par desExempter les « proches » de lobligation de déclaration.
Proposition n° 33 Appliquer les règles de publicité, de contrôle et de conservation prévues pour les déclarations dintérêts aux déclarations de dons et davantages en nature.
Proposition n° 34 dans des groupes de travail ouEncadrer la présence des sénateurs des colloques à financement privé.
Proposition n° 35 Renforcer les incompatibilités professionnelles pour les assistants parlementaires. Proposition n° 36 Dégager une définition des organismes extra-parlementaires afin détablir les critères constitutifs pour en diminuer le nombre. Proposition n° 37 Limiter les indemnités que peuvent percevoir les parlementaires au titre de leur activité au sein dun organisme extra-parlementaire au seul défraiement des dépenses engagées pour participer aux travaux de lorgane. Proposition n° 38 Inclure dans le plafond prévu pour les rémunérations accessoires les indemnités perçues par les parlementaires au titre de leur activité dans un organisme extra-parlementaire.
F. Garantir leffectivité des sanctions Proposition n° 39 Sanctionner les parlementaires qui :
- nauraient pas déposé une déclaration dintérêts ; - auraient déposé une déclaration dintérêts mensongère ; - nauraient pas répondu aux demandes déclaircissements formulées par lautorité en charge des conflits dintérêts ; - nauraient pas respecté une observation ou une recommandation de cette autorité ; - se seraient placés en situation de conflit dintérêts « réel » grave.
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Proposition n° 40 le Bureau à prononcer tous les types de sanctionsAutoriser disciplinaires prévues par le Règlement du Sénat pour sanctionner les sénateurs ayant contrevenu à leurs obligations déontologiques.
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AVANT-PROPOS Mesdames, Messieurs, Créé le 9 novembre 2010 en réponse à une demande du Bureau du Sénat, le groupe de travail sur les conflits dintérêts a été chargé de dégager des modalités de prévention et de gestion des conflits dintérêts pour les membres du Parlement. En effet, après le lancement des travaux de la Commission pour la prévention des conflits dintérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé et qui avait pour but de formuler des propositions afin de renforcer la déontologie des membres du gouvernement et des personnes rattachées au pouvoir exécutif (notamment les hauts fonctionnaires), les deux Assemblées ont estimé nécessaire de mettre en place, chacune en son sein, des groupes de travail en vue de conduire une réflexion autonome et adaptée aux spécificités du Parlement sur la problématique des conflits dintérêts. Si lAssemblée nationale a souhaité que ce groupe de travail soit rattaché au Bureau, la Haute Assemblée a quant à elle voulu que ces travaux soient menés par votre commission des lois -ce qui lui a semblé susceptible de garantir que les recommandations retenues par le Sénat aient une traduction législative rapide. La réflexion de votre commission sinscrit donc dans un contexte où les conflits dintérêts ont fait lobjet, depuis quelques mois, de toute lattention du public et de la presse, et où ils ont conduit à des prises de position aussi nombreuses que variées. En plus des ouvrages rédigés par des journalistes, des intellectuels ou des responsables publics, dimportants travaux ont été menés par les pouvoirs publics : pour le pouvoir exécutif, le rapport de la Commission « Sauvé » a été remis au Président de la République le 26 janvier dernier ; au sein de lAssemblée nationale, une décision du Bureau du 6 avril 2011, adossée à un code de déontologie, mènera dès juin 2012 à la nomination dun « déontologue » ; enfin, à lintérieur du Sénat, le Comité de déontologie présidé par notre excellent collègue Robert Badinter avait, bien avant que la presse ne sintéresse à la question des conflits dintérêts, débattu de la mise en place de « bonnes pratiques » en matière de déontologie et sétait interrogé sur les carences des incompatibilités parlementaires. Bien que le groupe de travail ait élaboré ses propositions de manière indépendante et quil nait souhaité sinscrire ni en continuité, ni en opposition
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vis-à-vis des travaux menés par dautres, force est de constater que ces travaux ont souvent été une source de débats pour vos co-rapporteurs et quils lui ont, ce faisant, permis denrichir et daffiner ses recommandations. Le premier constat auquel sont parvenus les membres du groupe de travail est que les conflits dintérêts, loin dêtre un problème spécifique au monde politique ou même à la sphère publique, sont potentiellement présents dans nimporte quel secteur où il existe un intérêt collectif. Lémergence dun conflit dintérêts est possible dès lors que plusieurs intérêts distincts coexistent. Or, cette multiplicité dintérêts est inhérente à la vie de chaque individu puisque toute personne, bien que détentrice dintérêts privés (familiaux, financiers, patrimoniaux, etc.), doit également, dans le cadre des fonctions quelle exerce -et quelle que soit la nature de ces fonctions- être porteuse dintérêts collectifs (à savoir ceux de lentreprise qui lemploie ou de linstitution à laquelle elle appartient). Toute contradiction entre ces intérêts, même si elle ne conduit pas lindividu à adopter une conduite frauduleuse, est constitutive dun conflit dintérêts : on conçoit donc à quel point cette notion est vaste, et combien les situations de conflit dintérêts peuvent être diverses et fréquentes. Ainsi, force est de constater que la notion de « conflit dintérêts » inclut des situations très hétérogènes, allant des plus bénignes aux plus lourdes, et quelle ne fait pas lobjet dune définition précise dans la doctrine (et encore moins en droit). Il existe ainsi plusieurs types de conflits dintérêts, dont la gravité est extrêmement inégale : on distingue, à cet égard, le conflit dintérêts « réel »(cest-à-dire le cas où une personne a effectivement fait primer son intérêt privé sur un intérêt collectif, au détriment de ce dernier -ce qui peut dores et déjà, sous certaines conditions, être réprimé en France au titre de la législation pénale) du conflit dintérêts « apparent » (où une personne paraît avoir fait primé son intérêt personnel, mais où cette apparence ne se traduit pas par des faits tangibles) et du conflit dintérêts « potentiel » (où lintérêt privé dune personne soppose à lintérêt collectif quelle doit défendre par ailleurs, sans que cette opposition ait poussé la personne en cause à privilégier son intérêt individuel). Originaire des pays anglo-saxons et profondément liée à la « théorie des apparences », la notion de conflit dintérêts sacclimate en fait difficilement au contexte juridique et philosophique français. Dune part, pour le juriste, elle met à mal la conception française de la norme, incarnée par larticle 5 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen et selon laquelle «tout ce qui nest pas défendu par la Loi ne peut être empêché» : cette conception légaliste implique lexistence dune ligne de partage stricte et imperméable entre le domaine pénal, dans lequel la norme a vocation à prohiber les actions qui sont effectivement et directement nuisibles à la société -et qui peuvent seules faire lobjet de sanctions-, et le domaine déontologique, qui relève du non-pénal et qui peut au mieux donner lieu à des sanctions symboliques. Les conflits dintérêts, qui se placent dans une « zone