Losurdo et Nietzsche. Ou Zarathoustra chez les Soviets.
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Losurdo & Nietzsche. Ou Zarathoustra chez les Soviets. Je préfère être en désaccord avec quelqu’un de son calibre que d’accord avec beaucoup d’autres, qui sont plus orthodoxes mais ont moins à dire. (…) Il faut séparer la paille du bon grain en le lisant, et avoir bien de la patience, mais ce qui reste en vaut la peine, et il y a certaines choses que personne sinon cet homme étrange n’est capable de dire, me semble-t-il. (…) En vérité, la vanité de cet homme le conduira dans un asile d’aliénés. (Lettre d’Elisabeth von 1 Herzogenberg àJohannes Brahms de la fin 1888.) L’imbécile "Humanité"! Par opposition aux animaux, il se peut que l’homme en tant qu’homme se sente "parmi ses semblables". Mais en tant qu’homme devant les hommes – (Nietzsche, FP X 25[343]) Lors de son quatrième séjour à Sils-Maria, l’été 1885, Nietzsche rédigea sur le thème de l’avenir des socialistesaccompagnée d’un vœunote assez longue comportant une prédiction une sinistre :il reste possible qu’en divers lieux de l’Europe ils déclenchent de temps à autre des coups de main et des surprises; le siècle prochain connaîtra de temps à autre de violentes crises intestines, et la Commune de Paris, qui a même en Allemagne ses défenseurs et ses apologistes (…) n’a peut-être été qu’une légère indigestion en comparaison de ce qui viendra.

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Publié le 20 septembre 2017
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Langue Français

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Losurdo &Nietzsche. Ou Zarathoustra chez les Soviets.
Je préfère être en désaccord avec quelqu’un de son calibre que d’accord avec beaucoup d’autres, qui sont plus orthodoxes mais ont moins à dire. (…) Il faut séparer la paille du bon grain en le lisant, et avoir bien de la patience, mais ce qui reste en vaut la peine, et il y a certaines choses que personne sinon cet homme étrange n’est capable de dire, me semble-t-il. (…) En vérité, la vanité de cet homme le conduira dans un asile d’aliénés. (Lettre d’Elisabeth von 1 Herzogenberg à Johannes Brahms de la fin 1888.)
L’imbécile "Humanité" ! Par opposition aux animaux, il se peut que l’homme en tant qu’homme se sente "parmi ses semblables". Mais en tant qu’homme devant les hommes – (Nietzsche, FP X 25[343])
Lors de son quatrième séjour à Sils-Maria, l’été 1885, Nietzsche rédigea sur le thème de l’avenir des socialistesaccompagnée d’un vœunote assez longue comportant une prédiction  une sinistre :il reste possible qu’en divers lieux de l’Europe ils déclenchent de temps à autre des coups de main et des surprises ; le siècle prochain connaîtra de temps à autre de violentes crises intestines, et la Commune de Paris, qui a même en Allemagne ses défenseurs et ses apologistes (…) n’apeut-être été qu’une légère indigestion en comparaison de ce qui viendra. (…)En fait, je souhaiteraisqu’il fût démontré par quelques grandes expériences que dans une société socialiste la vie se nie elle-même, tranche ses propres racines. La terre est encore assez vaste et l’homme a encore assez de ressources pour que je ne me prive pas de souhaiter cette leçon de choses, cette démonstration par l’absurde dût-elle être conquise et payée au prix d’une énorme dépense de vies 2 humaines. Un siècle après cette vue de l’esprit, laleçon de chosesest encore loin de faire l’unanimité, et les querelles d’historiens, en cette période du centième anniversaire de la Révolution d’Octobre 1917, ne manqueront pas d’ajouter aux commémorations les lueurs de leur sensibilité politique… La bataille deslivres noirsdu communisme et du capitalisme reprendra quelques temps pour le plus grand plaisir ou la plus grande lassitude des participants et spectateurs de cet inévitable débat. En tant que témoin à charge d’une utopie politique dont il n’a pas vu la tentative de réalisation, Nietzsche ne sera évidemment pas appelé à la barre du tribunal de l’Histoire. Quoique sa comparution devant un comité d’éthique néo-bolchévique ait eu lieu à la Sorbonne, le 9 avril 2016, le coût du nietzschéisme en vies humainesétant le motif de la mise en examen du philosophe… Un dossier accablant de mille pages, publié il y a quatorze ans déjà en Italie et enfin porté à la 3 connaissance du public français :Le livre noir du nietzschéismeA première en somme. vue, l’Armée Rouge a gagné… Là où sont passés Losurdo et ses chars, Nietzsche repoussera-t-il ?
1Citée par Didier Rance dansNietzsche et le Crucifié,Éditions Ad Solem, 2015, p. 61-62. 2FP XI 37[11] Cette importante note posthumepolitiquefut reprise dès la seconde édition deLa volonté de puissance, celle de 1906 (& 1911), au § 125. Jamais traduite en français, cette édition canonique deDer Wille zur Macht, toujours rééditée en Allemagne et comportant 1067 fragments ou aphorismes, figure dans la Table de concordance des Fragments posthumesl’édition Colli-Montinari (abrégés en FP ici) sous le sigle VP 2 pour la distinguer de la de première édition de 1901 comportant seulement 483 fragments et répertoriée sous le sigle VP 1. 3Domenico Losurdo,Nietzsche le rebelle aristocratique,Éditions Delga, 2016 (abrégé ici en NRA)
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Mais on nous assure qu’il ne s’estrien passé, quele vrai Nietzscheserait sorti indemne de cette charge grotesque contre sa caricature et qu’il serait toujours possible de se déclarer 4 nietzschéen et de gauche sans être arrêté pour outrage à la logique ou faux monnayage philosophique. Bref, l’offensive marxiste aurait été menée contre un fantôme.Pas de quoi pavoiser Messieurs les Communistes !Tel est le sens du message écrit à l’encre subliminale dans le manuel 5 de résistancePourquoi nous sommes nietzschéens, visiblement destiné à ceux qui pourraient être tentés par la désertion...Nous ne sommes pas nietzschéens, nous ne faisons que veniraprès 6 Nietzsche, voilà avec quel laissez-passer les derniers partisans du philosophe comptent se faufiler entre les lignes des Gardes Rouges ! Quant à nous qui demeurons également attachés à Nietzsche sans nous considérer pour autant comme ses disciples, qui ne croyons pas plus que lui à l’existence dedroits de l’homme, qui partageons son mépris du suffrage universel et sa conviction voltairienne quelorsque la populace 7 se mêle de raisonner tout est perdu, nous qui nous reconnaissons dans sonpathos de la distance-en dépit de notre situation de classe très éloignée de l’aristocratie ! -,n’avons-nous rien à objecter à la théorie selon laquelletoute élévation du type humain requiert l’esclavage sous une forme ou sous 8 9 10 une autre ? Ni à la proposition d’anéantissement des races décadentes etdes ratés, voirede 11 millions de ratés? Sommes-nous aveugles, ou insensibles, ou alors... réceptifs à ce programme ? Savons-nouslireLa violence du questionnement nous surprend. Oui, nous avions bienenfin ! remarqué quelques phrases inquiétantes, mais sans y prêter vraiment attention. Là où Losurdo voit unrefoulementdes textes dérangeants, nous n’admettons qu’une certaine distraction, une incapacité à les prendre vraiment au sérieux, au tragique. Mais c’est justement ce qu’on ne nous pardonne pas. Reconnaître simplement, comme Jean Granier aux prises avecle problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche, que certaines formules ne peuvent plus être lues sans malaise, mais 12 qu’elles ne représentent qu’une des directions – et encore très secondaire – de sa penséene suffit pas à apaiser le courroux marxiste. Losurdo conteste aussi bien l’aspectsecondaire que l’idée implicite selon laquelle il serait permis de passer de cette "marginalité" à l’absence de gravité. Au reproche explicite fait auxde l’innocence herméneutes de recourir à l’argument éculé de la métaphore chaque fois qu’ils se heurtent à un texte insoutenable, s’ajoute donc l’accusation de scandaleuse désinvolture lorsqu’on ne s’indigne pas de propos qualifiés derépugnants, ou d’abjects. Une question nous vient alors à l’esprit : comment un commentateur comme Andler, jugéde 13 grande valeurpu être assez étourdi pour ne pas remarquer ces terriblesLosurdo a-t-il  par suggestions préfigurant lasolution finaledu IIIème Reich ? Leur découverte serait-elle toute récente et liée à la publication de l’intégralité des fragments posthumes du philosophe qui remplacent désormais cettede Puissance Volonté  dont le germaniste français de l’entre deux-guerres avait été 14 obligé de faire usage… faute de mieux ? Mais non, les mêmes propos "exterminateurs" figurent
4Selon Dorian Astor invité par Alain Finkielkraut à son émissionRépliquesdu 4 mars 2017. 5Pourquoi nous sommes nietzschéens, Les Impressions Nouvelles, 2016. (Ouvrage coordonné par Dorian Astor et Alain Jugnon, explicitement dirigé contre lePourquoi nous ne sommes pas nietzschéenschez Grasset en 1991.) paru Ceux qui n’étaientpas encore nietzschéensne risquent pas de le devenir ! 6Pourquoi nous sommes nietzschéens(Dorian Astor, p. 271) 7Humain, trop humain,§ 438 8Par-delà le bien et le mal § 257 9FP X 25[211] 10FP X 25[243] 11FP X 25[335] 12Jean Granier,Le problème de la Vérité dans la philosophie de Nietzsche, Éditions du Seuil, 1966, p. 397. 13NRA p. 806 14A-t-on eu raison, à Weimar, de donner la préférence au plan de 1887 ? (…) Nous ne saurions en être juges, tant que les manuscrits sont couverts d’un impénétrable secret ou tant qu’ils ne sont pas publiés dans leur désordre premier, qui
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égalementdans l’exemplaire de 1906 (VP 2) qui servit de base à ses commentaires : à l’actuel FP X 25[211] surla destruction des races décadentescorrespond le § 862 deLa volonté de puissance . Quant au FP X 25[243] sur l’anéantissement des ratés, s’il n’a pas été repris dans la VP 2, celui sur l’anéantissement de millions de ratésest bien présent au § 964. Or, Andler n’en souffle mot dans les 15 chapitres de son ultime volume, aux pages où il est question desélection de l’élite future. la  De 16 même qu’au sous-chapitre intituléLa sélection ethnique,il n’aborde pas ce thème del’éradication des races décadentes dans lequel il conviendrait donc de savoir discerner non seulement une anticipation des pratiques nazies, mais également la simple illustration de méthodesdéjàmises en œuvre par le IIème Reich dans ses colonies africaines, à l’époque où Nietzsche rédigeait une note elliptique surles moyens avec lesquels il convient de traiter des peuples brutaux, au Congo ou 17 ailleurs,un texte repris également au § 922 de la VP2. Par un de ces raccourcis saisissants, fulgurants, dont le Général Losurdo a le secret et qui laissent désarmé, on se retrouve ainsi face à des têtes de Noirs empaléesau cœur des ténèbres congolaises par un exploitant forestier d’un genre très particulier : leKurtzroman de Joseph du 18 Conrad… Si le rapport avec Nietzsche nous échappe c’est que nous sommes assez stupides pour ne pas voir le lien qui unit leexterminez-moi toutes ces brutes !du "héros" de Conrad au fragment posthume du philosophe allemand favorable à la colonisation ! Nous demeurons sceptiques ? Losurdo fait alors claquer à nos oreilles le fouet de l’esclavage réel qu’il soupçonne Nietzsche 19 d’avoir eu envie de réintroduire, à l’instar de Gustave Le Bon qui y songeait encore en 1898 et se 20 glorifiait d’être le seul à avoir osé l’écrire. L’affaire est sérieuse… Oserions-nous soutenir, en pastichant le style d’Andler, queMonsieur Losurdo n’a pas su lire ce style délicat et s’est froissé de 21 quelques aphorismes cinglants?... Le marxiste italien met au service de sa rhétorique anti-nietzschéenne ce postulat qu’en ce qui concerne le texte de La Volonté de puissance, il n’y a pas de différences particulièrement significatives par rapport aux fragments posthumeset quece serait une perte de temps que d’aller à la chasse aux manipulations et aux distorsions qui seraient réellement à même de compromettre 22 le travail de l’interprète.La masse des matériaux inédits rajoutés par l’édition Colli-Montinari aux
serait si instructif à étudier.(Charles Andler,Nietzsche. Sa vie et sa pensée, Gallimard, 1958, volume II, p. 597.) 15 Charles Andler,Nietzsche. Sa vie et sa pensée, Gallimard, 1958, volume III, p. 467-471. 16 Charles Andler,Nietzsche. Sa vie et sa pensée, Gallimard, 1958, volume III, p. 458-462. 17FP XIII 10[29] 18NRA p. 590. 19:Avec cette question subséquente Nietzsche pense-t-il réellement à réintroduire en Europe l’esclavage Mais véritable ?(NRA p. 379) 20Dans saPsychologie du socialisme, le penseur réactionnaire français, parfois rapproché de Nietzsche par Losurdo, écrit en effet :J’ai l’intime persuasion que quand la conquête de l’Afrique sera terminée, les Européens seront obligés, pour la civiliser, d’y établir l’esclavage, en ayant soin bien entendu, de le désigner par un mot nouveau pour ne pas chagriner les philanthropes. Je n’ai pas encore rencontré d’ailleurs un seul voyageur ayant vécu en Afrique, qui ne soit convaincu que le nègre soit "civilisable" autrement. Tous le disent, mais je crois bien être le premier écrivain qui ait osé l’écrire.(Psychologie du socialisme, Alcan, 1898, Livre V, Chapitre IV, § 1) 21C’est en ces termes qu’Andler tenta de riposter aux premières réserves quant à la possibilité d’une récupération par la gauche desidées sociales de Nietzsche, réserves exprimées par Alfred Fouillée en 1902 dans un article de laRevue des Deux Mondeset développées la même année dans sonNietzsche et l’immoralisme. Du bref compte-rendu méprisant qu’Andler fit de l’ouvrage pour la revueNotes critiquesenmars 1903, on retiendra ceci :M. Fouillée n’a pas su lire ce style délicat. Il l’a du reste peu lu. Sept ans après cette brève contre-attaque dont il dut ressentir l’insuffisance, l’interprète socialiste du philosophe fit paraître dansLa Revue du Mois(de juillet-décembre 1910) un article de vingt-huit pages au titre étrangement proche de celui choisi par Fouillée :Les opinions sociales de Nietzsche. Repris ensuite en 1922 au chapitre intituléL’évolution de la vie sociale dansNietzsche et le transformisme intellectualiste(Bossard, 1922 ; réédition chez Gallimard, 1958,Nietzsche. Sa vie et sa pensée, vol III p.192-210).Cette fois-ci, ce fut Georg Brandes (l’inventeur de l’expressionradicalisme aristocratiquedésigner la politique de Nietzsche) qui se vit pour reprocher de s’êtrede quelques aphorismes cinglants froissé . Nous assistons aujourd’hui à la réédition de cette polémique, avec de nouveaux auteurs. Ou de nouveaux acteurs... 22NRA p. 701-702.
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précédentes compilations intituléesLa volonté de puissance(jugées définitivement obsolètes) ainsi que leur restitution dans l’ordre chronologique de leur rédaction ne corroborent guère a priori cette affirmation péremptoire qui agace certainement les chasseurs decontresens,montages et falsifications! Il serait vain de s’attarder sur ce point d’édition ayant déjà suscité une tempête dans 23 le verre d’eau universitaire... On concédera volontiers à la critique marxiste qu’en ce qui concerne 24 "la volonté de puissance", il y a un vrai problème du, s’il y a un faux problème du "livre" 25 concept ! Pour autant, la manière parfois expéditive utilisée par Losurdo dansle choixtextes des destinés à prouver la "monstruosité" du penseur à ses yeuxtotus politicusaussi perplexe… laisse Notamment en ce qui concerne les déroutants fragments de 1884-1885 sur lesquels a été braqué avec insistance le microscope du matérialiste dialectique. Si l’on se penche avec la même vigilance et le même grossissement sur cesqui ne sont pas seulement inquiétantes, mais déclarations 26 résolument abjectes, on découvre qu’elles s’insèrent dans un contexte bien particulier : celui dela 27 grande pensée sélective, disciplinaire, éducatrice, del’éternel retour. Et si Nietzsche écrit queles 28 races qui ne la supportent pas sont condamnées,ce n’est pas en songeant aux Hottentots ou aux 29 Patagons ! Un fragment que Losurdo aurait pu (aurait dû…) citer prouve que cesratés, ces dégénérés ne sont pas prioritairement concentrés en Afrique ou en Amérique du Sud : il s’agit de l’important FP XI 34[204] dans lequel le philosophe "exterministe" explique qu’après s’êtreefforcé de penser à fond le pessimismeauquel il avait d’abord succombé, il a recherchéun idéal inverseet qu’il l’a finalement trouvé dans l’éternel da capo dit à l’existence, une doctrine qui, selon lui, mieux encore que le christianisme ou le bouddhisme,donne le coup de grâce à des races dégénérées et en voie de dépérissement, comme les Indiens et les Européens d’aujourd’hui (souligné par nous). Losurdo n’a pas tort de noter quela catégorie de la maladie connaît chez 30 Nietzsche une extension effrayante,mais à force de s’égosiller avec le rappel del’anéantissement de millions de ratés, il en "oublie" que la race blanche est aussi incluse dans cette hécatombe… On voit que l’extrapolation coloniale, ici, ne fonctionne pas ! Bien entendu, il est permis de s’inquiéter des manifestations délirantes de cettevolonté de grandeur dont le FP X 25[335] notamment est l’illustration… L’éternel retour, cettepensée qui donne à beaucoup le droit de faire une croix sur eux-31 32 mêmes,lui aussi l’avait reconnue comme Andler la pensée meurtrière entre toutes,sans lui donner cependant la colorationethnique,racisteetgénocidaireLosurdo et l’autorise à laqui effare 23« La Volonté de puissance » n’existe pas, Éditions de l’Éclat, 1996 (mise au point due à Paolo D’Iorio et incluant quatre contributions de Mazzino Montinari rédigées entre 1972 et 1981.) 24A l’encontre de la nouvelle vulgate qui insiste lourdement sur la responsabilité de la sœur du philosophe (admiratrice du Führer et de Mussolini) dans la nazification dece faux livre qui n’existe pas, Losurdo rappelle qu’à l’époque de sa première édition (celle de 1901), Hitler étaitencore un enfant(NRA p. 698). 25Nous souscrivons entièrement à la remarque de Laurent-Michel Vacher (dans sonCrépuscule d’une idole. Nietzsche et la pensée fasciste,Éditions Liber, Montréal, 2004, p. 40 & 28) à propos du concept clé devolonté de puissance:S’il est vrai que dans certains textes Nietzsche met en avant un certain degré de "spiritualisation" de cette notion de puissance, opposée à la simple force physique, il ne faut pas oublier qu’en un grand nombre d’autres occasions il donne la preuve qu’ilenglobele phénomène fondamental de la puissance des facteurs biologiques et dans physiologiques, ainsi que de nombreuses manifestations de brutalité ou de violence, y compris le fait de conquérir par les armes ou d’exploiter matériellement autrui.(…) Bref,Nietzsche lui-même aurait plusieurs fois commis ce grossier "contresens" sur sa propre pensée consistant à confondrevolonté de puissancedésir de dominer, contresens contre et lequel les interprètes "autorisés" du philosophe ne cessent de mettre en garde le lecteur ! 26NRA p.591 27qui supporte la pensée de l’éternel retour ?(FP X 25[290]) 28FP X 26[376]/VP 2 § 1053 29Puisqu’il cite (p.469) le § 56 dePar-delà le bien et le malqui en est la version devenue publique. 30NRA p. 590 31FP X 25[227]/VP2 § 1056 32Charles Andler,Nietzsche. Sa vie et sa pensée, Gallimard, 1958, volume III, p. 483.
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jeter dans les poubelles de l’histoire bourgeoise, impérialiste. Mais le plus étonnant, dans cette querelle des interprètes relative à la signification de la théorie sibylline de l’éternel retour, c’est 33 qu’elle comporte pour Andler une dimension politiquement révolutionnaire pour les exploités , 34 tandis que pour Losurdo qui la politise également , c’est sa dimension contre-révolutionnaire et 35 favorable aux exploiteurs qui est aveuglante ! A mi-chemin entre deux thèses "de gauche" aux conclusions opposées, cet âne de Buridan qu’est le lecteur scrupuleux hésite : croira-t-il avec Andler que Nietzsche, en médecin du nihilisme,appelle de ses vœux la catastrophe sociale où, de nos 36 jours, s’est écroulé l’empire des tsars, ou bien se rangera-t-il à l’avis de Losurdo qui, à défaut 37 d’une citation de Lénine sur Nietzsche, souligne la position hostile de Trotsky, rendue publique au 38 lendemain de la mort du philosophe aux prétentions surhumaines ? Notre situation d’extériorité à cette question pour ergoteurs patentés n’est pas moins inconfortable : coincés entre les chiens de garde du nietzschéisme universitaire auxquels nous 39 paraissons suspects et l’avancée soviétique de Losurdo, quelle issue nous reste-t-il ? Existe-t-il une voie où les concessions à la critique n’entraînent pas le ralliement à l’hallali ? Nous songeons à celle empruntée par Jean Guéhenno au moment où un différend l’avait opposé à Romain Rolland qui traitait Nietzsche d’intellectuel de cabinet, démodé, timoré, désemparé devant les 40 grondements de la Commune. Elle est étroite, mais semble encore praticable : nous gardonsle 4142 tourmentet nous laissonsla doctrine. Le grand avantage d’une telle posture , qui semblera sans doute une dérobade à la nouvelle Tchéka, c’est qu’elle dispense d’avoir à défendre l’indéfendable. Allons, reconnaissons-le : les dégâts causés par les "grandes orgues de Staline" au temple de Zarathoustra entravent moins sa visite que les cahutes du deleuzo-derridisme qu’il aura fallu
33Quand, pour les opprimés, il sera évident qu’une existence éternellement récurrente ramènera dans sa monstrueuse monotonie leur misère identique, quelle ne sera pas leur irritation ! L’absurdité comprise comme irrémédiable jusqu’à la fin des temps, voilà ce qu’ils n’accepteront pas.( Charles Andler,Nietzsche. Sa vie et sa pensée, Gallimard, 1958, volume III, p. 425) 34NRA p. 464-470. 35Ici, la négation de la vision unilinéaire du temps atteint sa forme accomplie, en visant, au-delà du socialisme, l’idée même de mobilité sociale.(NRA p. 467) 36 Charles Andler,Nietzsche. Sa vie et sa pensée, Gallimard, 1958, volume III, p. 426. 37 Arracher à Lénine un mot sur Nietzsche semble difficile… Ce serait pourtant le plus sûr moyen d’en finir avec le "nietzschéisme" qui lui fut parfois prêté et qui constitue le pendant de cette bolchévisation audacieuse desopinions sociales de Nietzschedont Andler fut l’un des représentants… 38A propos de la philosophie du surhomme(article de Trotsky du 23 décembre 1900, cité par Losurdo, NRA, p. 704-705) Tout en reconnaissant en Nietzsche unphilosophe en poésieet unpoète en philosophie, le jeune Trostsky (il avait vingt et un ans à l’époque), considérantla base pourrie, pernicieuse et empoisonnéeayant fait sienne la philosophie du "surhomme", se refuse àà pleins poumons le grand air du fier individualisme respirer comme on l’y nietzschéen, invite. 39Je considère comme suspect tout adversaire de la démocratie que la lecture de Nietzsche conforte ou réconforte. C’est, face à Nietzsche, l’inquiétude du démocrate qui m’importe.(Dorian Astor,Nietzsche.La détresse du présent, Gallimard-Folio Essais, 2014, p. 255.) 40Jean Guéhenno,A propos de Nietzsche, Notes de lectures de la revueEurope, N° 102 du 15 juin 1931. 41 Il n’y a rien à retenir de ces chimères (…). Oui, ce sont là les rêveries "démodées" du dernier siècle finissant, rêveries de philosophes dans des chambres closes sur des livres vieillis. On peut un instant trouver du plaisir à les suivre, comme on suivrait le plus noble des jeux. Et le plaisir peut se mêler d’une véritable émotion. C’est une des joies que nous procure le grand ouvrage historique de M. Charles Andler de nous permettre d’assister à ce drame magnifique : toutes les idées des hommes, toute la culture humaine aboutissant au tourment d’un être, à l’inquiétude d’un homme nouveau. Mais le plus grand Nietzsche n’est pas celui qui bâtit un système, rêva de renouveler toutes les valeurs et arrangea à sa façon le monde de l’avenir. Il est alors la proie de sa culture et de ses livres. (…) Son tourment vaut mieux que son système. (…) Il se peut que son système passe de mode. Je doute que son tourment soit jamais démodé.(Jean Guéhenno,A propos de Nietzsche,Notes de lectures de la revueEurope,N° 102 du 15 juin 1931.) 42Nous sommes par ailleurs bien conscients que notre manque de vénération pourCaliban fidèle au peuple comme à une dernière idolenous éloigne de Guéhenno...
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contourner pendant des décennies avant de pouvoir accéder au site.Ma pauvre philosophie en 43 44 morceaux !Après tout, il ne s’agissait que de sonvestibule …
Jan Komdinitch (Été 2017)
e-mail : jan.komdi@gmail.com
43Nietzsche, lettre à Paul Rée de la fin août 1881. 44Nietzsche, lettres à Malwida von Meysenbug de la fin mars et du début mai 1884.
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