De caracas à Madrid
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Article extrait du blog de Mélenchon

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Publié le 04 juillet 2012
Nombre de lectures 135
Langue Français

Extrait

De Madrid à Caracas
La confiance ça ne se décrète pas, ça se constate.
Il est neuf heures, heure locale, à Caracas quand je reçois le sms de Martine Billard
m’annonçant que notre groupe à l’Assemblée nationale votera l'abstention sur la motion de
confiance présentée par Jean-Marc Ayrault au nom du nouveau gouvernement. C’est un
événement de très grande signification politique. C’est l’acte de naissance de l’autre gauche
parlementaire. Une alternative à gauche existe et s’assume. Elle agit en responsabilité.
Autonome, pour faire des conquêtes politiques et sociales, notre gauche parlementaire aide ou
s’oppose d’après ses propres objectifs, en toute indépendance.
J’ai fait cette interminable note dans l’avion qui m’a emmené à Caracas au Venezuela, en
compagnie de quatre autres députés européens, pour assister comme invités au « Forum de
São Paulo », organisation sommet réunissant les partis de l’autre gauche d’Amérique du Sud.
Il y est question aussi d’ambiance, de la vie du Front de Gauche. Et bien sûr de l’épisode
crucial du vote à l’Assemblée où il ne faut pas voter la confiance à ceux qui ne la méritent
pas. Puis il est évidemment question d’Amérique du Sud, du moment politique qui s’y vit. Et
même des élections au Mexique. J’ai mis mes idées au clair. Je vous en souhaite autant si vous
avez la patience de me lire.
Quel régal que ce temps libre, cette solitude imposée par le voyage et ce silence bruyant qu’on
ne connaît qu’en avion. L’isolement est une circonstance. La solitude un vécu. En ce sens, la
solitude est le stade suprême de l’isolement. Quand ai-je déjà eu autant besoin de solitude
qu’en ce moment ? Bien sûr la solitude peut-être dissolvante, je le sais bien. J’en connais trop
qui la souffrent pour l’oublier. Mais, au moment approprié, et à juste dose, le poison est une
médecine. Et la solitude un moyen de reconstruction. J’y suis ! La sollicitation permanente et
le harcèlement dont je fais l’objet ne permettent plus l’échange vraiment humain. Ce n’est
plus un échange d’ailleurs. Il faut donner constamment. Ou bien se laisser prendre,
notamment en photo, sans cesse, au prix d’un prélèvement amenuisant du terreau fertile mais
délicat qui forme la pâte de base de tout un chacun. L’ère de l’image fait parfois et même
souvent oublier des codes élémentaires de bonne conduite à mon égard, comme si je n’étais
plus vraiment une personne mais seulement un personnage. Donc une abstraction qui ne
ressentirait rien. Je ne m’étonne que plus de ceux qui me supposent une appétence addictive
pour les caméras et la notoriété. Ceux qui l’écrivent en sont eux-mêmes assez privés, je le
vois bien, pour croire qu’il s’agit d’un délice. Il leur reste à apprendre combien ce n’est qu’un
revers pénible de la médaille.
Mais pour ce jour de départ, ce fut calme. Et respectueux. Par-ci par-là des gens sont venus, à
l’aéroport ou à l’embarquement me dire des mots d’amitié. J’ai été frappé du nombre des
jeunes et même très jeunes parmi eux. Comme ce groupe de jeunes filles en partance pour
Ajaccio. Elles n’ont pas l’âge de voter mais elles vinrent se présenter pour prendre mon avis
sur ce qu’elles pouvaient faire d’utile pour nos idées. Ces brefs instants me signalent combien
l’impact de ce que nous avons accompli avec notre campagne présidentielle a été profond. Et
combien il a diffusé dans tous les catégories d’âge et tous les compartiments de la société.
Cette bigarrure n’est pas un problème. C’est la solution. Si notre programme est bien un
programme d’intérêt général alors il s’adresse à tout le monde. Le ciblage dans mes discours
sur la classe ouvrière et les employés n’a pas de sens restrictif dans ma vision de la
transformation sociale. D’un côté il vise à mobiliser le secteur le plus nombreux de la société
mais qui s’est placé le plus en retrait politique. D’un autre il indique à tous qu’il n’y a aucun
avenir possible sans que les besoins de dignité et de progrès humain de ces millions de
personnes soient satisfaits. Cela s’entend, dans tous les milieux, quoiqu’on en pense. J’ai déjà
raconté ici comment des gens qui déclaraient eux-mêmes n’avoir aucun intérêt personnel à
notre succès, et même le contraire, venaient me dire qu’ils voteraient pour nous. Leur
motivation est qu’ils savent, comme nous, que « leur truc ne marche pas », que les normes de
fonctionnement de l’ordre établi conduisent tout le monde au désastre social et écologique.
Cette conscience humaine peut être profondément enterrée sous mille sédiments de bonnes
raisons, de circonstances ou d’histoires personnelles. Pourtant elle est toujours là, répartie de
tous côtés, chez tout le monde. Elle affleure d’autant plus vigoureusement que les classes
moyennes et qualifiées prennent la mesure de leurs illusions perdues.
Donc, non, assurément : tout le monde n’est pas seulement disponible pour l’odieuse maxime
« profite et tais-toi ». Si je reviens sur ce point c’est après avoir entendu Michel Sapin me
répliquer à la radio à propos du « carambar » quotidien que représente l’augmentation du
Smic accordée par le nouveau gouvernement. Je comprends parfaitement qu’il ne soit pas
d’accord. Je ne suis ni surpris ni choqué qu’il y ait une réplique. Ce qui me frappe ce sont les
« arguments » utilisés. Voici ce qu’a dit Michel Sapin : «
Je doute que monsieur Mélenchon
mange beaucoup de carambar, et je ne crois pas qu’il soit payé au Smic
». Très drôle non ?
Quel humour ! Mais regardons cela de plus près. Ne pourrait parler de carambar que celui qui
en mange. Ne pourrait parler de Smic que celui qui le touche ? Je m’amuse de la réplique qui
saute aux lèvres : mais alors pourquoi Sapin lui-même parle-t-il de l’un et de l’autre ? Seul le
facteur a le droit de commenter le courrier ? Je galèje, bien sûr. Il faut creuser cependant la
pensée de Sapin. Généralisons sa formule et, en effet, il n’y a tout simplement plus aucun
intérêt général discernable par le débat. Seules resteraient des raisons techniques plus fortes
que toutes les volontés. Je crois que c’est bien cela que veut nous signifier Michel Sapin. Pour
lui ce qui a été décidé est la seule décision possible. Ne pas en convenir c’est soit être fou soit
un imposteur. Classique. Parlant d’instinct, sans vraiment réfléchir, il ne sait pas qu’il a
recours ici à la vieille formule rhétorique de la droite contre les gens de gauche : « Pas ça !
Pas vous ! »
Au hublot j’ai d’abord vu l’Espagne. Madrid pour être précis. J’ai une nouvelle espagnole
pour les curieux des sondages. Ici, en Espagne, dans le marasme actuel, la mécanique de
l’alternance se grippe. Les socialistes ne profitent plus des déboires de la droite au pouvoir
comme celle-ci avait profité de ceux du PSOE et lui-même de ceux de la droite à l’épisode
précédent. Leur commune responsabilité et leur conjointe impuissance successive semble
enfin être assez bien perçue pour déplacer les lignes. Le PSOE était à 29,2 % des suffrages
aux dernières élections générales, son plus bas résultat depuis le retour de la démocratie. Il est
donné à 23%, au même niveau que le parti de droite. Mais voici la nouvelle. Nos camarades
d’Izquierda Unida sont donnés à 14%. Ils doublent par rapport aux résultats acquis dans la
dernière élection générale où ils avaient déjà doublé. Ainsi se confirme le frémissement de la
vague montante que nous observons vers notre côté.
On comprend bien j’espère que s’il en est ainsi en Espagne c’est évidemment en relation avec
l’approfondissement de la crise économique et sociale et non par la magie de je ne sais quelle
alchimie électorale déterministe. En Espagne le chômage emporte tout. En Espagne on
libéralise à tour de bras et tout va de plus en plus mal. Bien sûr, même la droite finit par avoir
peur. C’est ce qui explique comment Mariano Rajoy a fini par devoir s’opposer à madame
Merkel. Peu de journaux et encore moins de télés auront permis de comprendre sur quel point
portait la confrontation entre les droites européennes. Mais cette confrontation est
commencée. Je vois un lien entre la déclaration de l’anglais Cameron à propos d’un
référendum avant 2015 et la même, du brutal ministre allemand des finances. L’un et l’autre
n’évoquent pas un référendum sur l’Europe avec le même objectif, cela va de soi. L’anglais
sait qu’en 2015 le marché transatlantique sera installé. Il revient dès lors à la politique
traditionnelle des anglais : pas de puissance unifiée sur le continent. Et le conservateur
allemand sait que le projet de purification budgétaire qui est le volant de la nouvelle politique
de puissance allemande doit avoir les mains libres en Allemagne même sans courir le risque
de bocage du type de celui que Die Linke met en place avec son nouveau recours contre le
traité devant la cour constitutionnelle. J’y reviendrai. A cet instant je ne retiens que cela. La
peur qui gagne les milieux dirigeants se combine aux aberrations du système en place pour
accélérer la marche à la catastrophe.
Naturellement tout ce que fera Rajoy ne servira à rien d’autres qu’à garantir le système
financier au détriment de plus en plus cruel de tout le reste. Cette pente est inéluctable. Il en
va de même en Italie. Et bien sûr en France. Tout cela ne sert à rien. A rien. Juste à de
nouvelles souffrances. Combien de temps faut-il pour que la conscience du fait qu’il faut
tourner la page soit majoritaire dans la société. Car naturellement ce point est lui aussi
inéluctable. Comme en Grèce, comme en Argentine avant cela, le scénario de l’auto-
aveuglement des élites et de leurs griots médiatiques est le même. En ce sens le concert de
louanges des médiacrâtes après le dernier sommet de la « dernière chance » pour « sauver
l’euro » est un signe très encourageant de l’état de décrépitude du système. Car ces gens
savent le plus souvent à quoi s’en tenir à propos de ce qui s’est réellement passé. C’est donc
faute de mieux qu’ils se décident à dire que tout va bien et même de mieux en mieux. En
réalité tout se résume au fait que le traité austéritaire va être adopté et que sa mise en œuvre
va reposer sur un dispositif plus large et plus violent que celui initialement imaginé.
L’Espagnol et l’Italien ont seulement obtenu que lorsque leurs banques s’endettent auprès de
la Banque centrale, cette dette ne leur soit plus imputée. Comme le dit la presse espagnole, qui
ne partage pas les hallucinations médiatiques françaises semble-t-il, rapportant les propos des
dirigeants espagnols : «
Nous avons gagné l’essentiel, c’est-à-dire un peu de temps !
». C’est
tout, en effet.
Si l’on juge des événements sur un plan rationnel, c’est à se taper la tête contre les murs de
voir des dirigeants s’enfoncer avec enthousiasme apparent dans une impasse pareille. C’est à
pleurer de savoir qu’ils savent aussi bien que nous que toutes ces souffrances sociales, comme
celles provoquées en Grèce, ne servent absolument à rien. C’est exaspérant aussi de constater
le niveau de prostitution des mots. Ainsi quand est présentée comme du « fédéralisme » la
mécanique d’intégration autoritaire sous commandement financier de tout le fonctionnement
de l’Union. En France on voit avec stupeur l’Etat mettre en œuvre le meilleur de son savoir-
faire d’organisation et de planification à s’autodétruire. La nouvelle RGPP Hollande est plus
violente que la précédente, comme on le sait, puisque les postes rétablis dans l’Education
Nationale conduisent à une pulvérisation accélérée de tous les autres compartiments de l’Etat.
Dans plus d’un secteur, la ligne de flottaison est emportée, et le naufrage est commencé. Ici,
là, plus rien ne marche. Et la disparition du service public ne reçoit aucun relais. Le secteur
privé, souvent gavé mais n’obéissant à aucune règle d’intérêt général, est incapable de prendre
le relais de la couverture disparue. C’est au point que l’alarme se répand aussi chez les nantis
qui prennent la mesure du séisme dévastateur qui fracasse déjà de si larges pans de la société.
C’est clair dans le secteur de la santé. Et combien d’autres. Si insupportable que soit un tel
spectacle et si violente l’envie de tâcher d’y remédier, la pire erreur serait pour nous d’y
prendre notre part si peu que ce soit.
Car il est vain de croire que les socialistes veuillent autre chose que des complices et des
commensaux. De l’un à l’autre la distance est vite franchie. Voyez ce communiqué incroyable
des Verts-Europe-Ecologie se réjouissant du « pacte de croissance » ! L’écologie et la
croissance ont un rapport plus critique, me semble-t-il, en général. Et ici en particulier. Puis
lire que les mêmes regrettent que les mesures de contrôle budgétaire , présentées comme de
"l'intégration européenne" n’aille pas plus loin comme si ce qui a été décidé en la matière était
neutre politiquement ! Cette décadence intellectuelle et la brutalité du comportement des
socialistes, y compris à l’égard des mieux disposés au compromis avec eux, devrait désormais
servir de leçon. Nul n’aurait dû en douter en constatant comment il a été donné suite à notre
appel au vote pour le deuxième tour de la présidentielle. Pourquoi cette violence constante, ce
refus de toute forme de code de bonne conduite, sinon parce qu’ils savent qu’elle besogne ils
doivent accomplir. Il est vrai qu’ils ont eu chaud. C’est le moment de dire en quoi consiste ma
déception. Non pas le ridicule registre que proposent à mon sujet les petites cervelles. Plein de
rancœurs, je macèrerais dans la déception et le goût de la revanche dans mes compétitions
personnelles. Je m’amuse de cette façon de projeter sur les autres, les pauvres réflexes de la
cour des miracles qu’est ce petit milieu. Ma déception est que les circonstances n’aient pas été
mûres pour mettre en place la tenaille qui aurait changé le cours de l’histoire : nous en groupe
charnière à l’Assemblée Nationale comme nous le sommes déjà au Sénat, et Syriza au pouvoir
en Grèce. Voilà ce que j’avais dans la tête pour nous rendre maîtres de la situation. Ce qui
rendait cette configuration possible se voyait assez pour qu’une mobilisation formidable se
soit déployée dans le camp d’en face. C’est une même technique d’endiguement qui unit la
brutalité électorale des socialistes en France pour faire battre tous les dirigeants du Front de
Gauche et le numéro d’intimidation de François Hollande contre les électeurs grecs tentés de
voter pour Syriza. Le reste de mes humeurs visibles est fait d’instantanés, d’apparences, et de
comédies pédagogiques, comme c’est ma façon de combattre sur la scène publique. Passé ce
round, voici le suivant. Il faut reprendre l’ouvrage. Notre niveau de départ est bon cette fois-
ci. Et la fin piteuse du dernier sommet européen nous montre que notre mise au pied du mur
se rapproche à mesure que l’impasse du système se renforce.
La vérité est que nous avons avancé comme jamais. Bien sûr d’abord en quantité de suffrages.
A la présidentielle et aux législatives. Mais surtout politiquement. Toutes les tentatives pour
diviser le Front de Gauche entre communistes et PG puis entre les deux premiers et les autres,
tout a échoué ! Et cela en dépit d’efforts remarqués venant de tous ceux qui ont partie liée
avec la nouvelle nomenclature. Les héliotropes ont eu le tournis. Mais notre homogénéité
politique s’est affirmée dans le refus commun et unanime des sept partis de notre Front de
participer au gouvernement. Il s’est approfondi d’une façon spectaculaire avec le choix du
vote sur la motion de confiance du gouvernement. On ne peut voter la confiance à
l’Assemblée compte tenu des décisions déjà prises. Un nombre considérable de militants
syndicaux, de militants politiques et de citoyens informés en ont dorénavant déjà conscience.
Le refus de voter la confiance a donc un sens clair. Il est exprimé avec responsabilité et
nuance puisque nous ne votons pas « contre » ce qui signifierait que nous voulons faire
tomber le gouvernement. Que nous ayons choisi tous ce même vote est un événement qui fera
date dans notre histoire commune. Encore une fois les petits jeux pour nous diviser n’auront
mené nulle part. Maintenant la voie est politiquement dégagée. Nous allons nous identifier et
nous fortifier dans les luttes et dans les institutions démocratiques, si peu nombreux que nous
y soyons. Le but sera de fortifier politiquement la société et sa capacité de résistance globale
en se projetant sur un autre futur. Pour cela il s’agit de donner sans cesse aux mouvements les
moyens de s’exprimer politiquement en formulant des alternatives. L’aller-retour entre ces
luttes et leur traduction législative avec la méthode des ateliers législatifs va être notre fil
conducteur. Bref c’est ainsi faire vivre la méthode de la radicalité concrète décrite dans la
campagne présidentielle. Car les urnes seront de retour assez vite pour être des points de
passages politiques où régler les comptes. Les élections Municipales et les Européennes se
présentent dans un délai rapproché. Il est suffisant pour permettre une bonne montée en
puissance d’un niveau de conscience politique et d’une volonté d’action plus élevé qu’elle ne
l’est à présent et qu’elle risque de l’être avec la déception que les socialistes vont déclencher.
Si nous y avons assez de forces ce peut être l’occasion d’un changement de cap global de la
situation toute entière.
Sur le plan de vol qu’affiche l’écran de l’avion le trait rouge qui décrit notre parcours montre
bien qu’il faudrait nager presque aussi longtemps pour revenir à notre point de départ que
pour atteindre la rive sud-américaine. Je me rapproche donc du continent. Je crois que ce sera
la vingt-quatrième fois pour moi. Le paysage politique, je vais l’explorer à travers les dizaines
de rencontres plus ou moins formelles que je vais avoir avec les dirigeants de l’autre gauche
sud-américaine présent sur place pour ce « Forum de São Paulo » qui se réunit cette année à
Caracas au Venezuela. J’y vais comme invité européen, au titre de mon groupe au parlement
européen, la GUE. Ni la GUE ni le Parti de la gauche européenne, que viendra représenter
Pierre Laurent, ne sont membres du Forum. Nous ne siégeons pas dans ses instances. Nous ne
pesons donc ni sur l’ordre du jour ni sur aucun des aspects du déroulement. C’est donc pour
nous un exercice totalement détendu : pas de bataille sur les textes, pas de tractations, pas de
responsabilité engagée. Mais en regardant faire et en disposant d’une occasion aussi
formidable de rencontres bilatérales, on y fait des apprentissages accélérés. Surtout il me
semble que pour un dirigeant c’est un devoir d’être « à niveau » pour comprendre ce qui se
passe sur un continent clef de la réorganisation du monde et un avant-poste des luttes pour la
souveraineté populaire. Apprendre à intégrer les angles de regard des autres est toujours du
temps de gagné pour la suite, même si sur le moment on ne sait pas où vont les palabres. Dans
le cas du Front de Gauche français et notamment en ce qui a concerné ma campagne, nous
avons un rapport très complice avec nombre des protagonistes de l’autre gauche mondiale.
Peut-être vous souvenez vous de la liste de plus de deux cent personnalités de cette autre
gauche mondiale qui avaient soutenu ma candidature ? Pour autant nos rapports sont libres.
Nous ne formons pas une internationale. Nous ne répondons pas de ce que chacun d’entre
nous fait et dit dans son pays. Il arrive aussi qu’il y ait de sévères divergences sur telle ou telle
question. De notre côté, nous les Européens, nous avons toujours choisi de ne pas les nier.
Mais nous avons aussi toujours refusé de laisser dégénérer le débat comme c’est souvent le
risque inutile. L’idée est que se parler est bon. Et parfois, essayer de se convaincre, même
quand on n’y parvient pas, peut quand même donner des fruits dans la durée c’est-à-dire dans
la manière de réfléchir ensuite.
Le moment de ces 18ème rencontres est particulier. Il réunit 85 partis venus de 21 pays latinos
et va se tenir dans un contexte singulier pour le continent. La vague des révolutions
démocratiques atteint un palier. La dynamique populaire a changé de mode d’expression. Des
divisions existent dorénavant dans le mouvement populaire et notamment avec les
mouvements indigènes. C’est le moment de se souvenir qu’il ne faut pas croire au récit de la
propagande de la CIA. Cela veut dire que le contenu socialiste des politiques menées par nos
gouvernements est relatif, inégal selon les pays et les moments. Et de même pour ce qui est de
la compétition entre le modèle extractiviste et la politique écologique. De leur côté, les
initiatives de nos gouvernements se projettent dans des formes plus institutionnelles.
L’initiative géopolitique en particulier prend une grande place dans les stratégies de chacun et
dans les discussions sur le futur. Le lancement d’une nouvelle union des pays de l’Amérique
du Sud et des Caraïbes sans les Etats-Unis ni le Canada est un pas de géant fait dans la lutte
pour l‘indépendance du continent. Mais il est peu probable qu’il soit possible d’en faire un
argument de masse.
De son côté la contre-révolution aidée par les nord-américains ne relâche pas la pression. Les
maillons faibles du dispositif sont frappés l’un après l’autre. Après le coup du Honduras, il y a
eu la tentative de destitution de Rafael Correa en Equateur par une révolte de policiers. Une
tentative identique a eu lieu en Bolivie. Et le président paraguayen Fernando Lugo vient d’être
destitué par complot. Ces coups de boutoir, au succès relatif et incertain jusqu’à présent, n’ont
pas pu renverser le rapport de force. La ligne de pente des événements et des mobilisations
populaires reste de notre côté. Mais c’est le signe que vraiment rien n’est acquis. La clef du
futur reste le niveau d’implication populaire. Ici le bât blesse dans de nombreux pays. Et la
« contra » nord-américaine est solidement en action.
Une bonne façon de le constater est d’étudier la presse européenne dans chaque mauvais
coup. Contre le coup d’Etat au Honduras ce fut le silence. En relais avec celui du Parlement
européen qui ne condamna jamais le coup ! Pour l'Equateur, la rumeur médiatique répandit le
bruit que ce n’était pas vraiment un coup d’Etat. Puis il fut amplement répété que de toute
façon le président l’avait bien cherché en allant lui-même au-devant des policiers en révolte !
Pour le Paraguay à présent, on souligne que le coup est… légal, puisque approuvé par le
parlement. Cette omerta a bien sûr l’objectif de masquer les échecs et de placer les initiateurs
hors d’atteinte. Il faut n’en conserver qu’une impression d’ensemble : le bras de fer ne s’est
jamais interrompu. La dimension géopolitique réelle oblige à revoir les clichés abondamment
mis en circulation en Europe. Il n’y a pas « deux lignes », l’une celle du gentil Lula et l’autre
celle du méchant Chavez. Et il n’y a pas ostracisation de Cuba. Tous se considèrent de fait
comme partie prenante, chacun à sa façon, d’un seul et unique processus. Par exemple c’est
un vénézuélien, Ali Rodriguez, ardent chaviste, ancien ambassadeur du Venezuela à Cuba,
ministre des affaires étrangères, personnalité historique de la guérilla vénézuélienne qui est le
secrétaire général de l’Unasur, coalition des nations d’Amérique du Sud. L’Unasur c'est le
gros morceau. Ça regroupe les 12 pays d'Amérique du Sud, hors Amérique centrale et
Caraïbe. C’est une population de 361 millions d'habitants, qui dispose de 30% des ressources
mondiales en eau. C’est la première région du monde en termes de biodiversité et
d'exportation agricole. Elle a été créée en 2008 à Brasilia et son siège est à Quito, en Equateur.
Unasur est un projet géopolitique et économique majeur pour le Brésil et le Venezuela. Les
deux pays et leurs dirigeants savent parfaitement à quoi s’en tenir. Le Brésil est l’économie
géante de la zone. C’est là qu’est le principal foyer de tension avec les visées des Etats-Unis
d’Amérique qui cherchent par tous les moyens à reprendre le contrôle du processus
d’intégration régionale à coup de grands projets géopolitiques. Après l’échec de l’Alena, vaste
zone de libre échange qui devait couvrir tout le continent du Canada a la Terre de Feu, c’est à
présent avec le projet d’Union du pacifique que les Etats-Unis travaillent à diviser et à
soumettre les pays de l’Amérique du sud. Entre Brésil et Venezuela, la résistance est
commune et conjointe par nécessité autant que par accointance idéologique. C’est dans ce
contexte global que chaque événement prend sa place. Nous, les Européens, nous sommes les
tireurs dans le dos. L’Union exerce une pression constante pour conclure des accords
purement bilatéraux qui désorganisent, en les contournant, toutes les structures régionales.
Car, comme l’oublient toujours les naïfs, c’est exactement ce que préconise le Traité de
Lisbonne.
Cette semaine la partie continentale a rebondi en se portant sur la scène mexicaine. Grand
enjeu. Cent douze millions d’habitants sur un territoire grand comme quatre fois la France !
Notre gauche a raté l’élection la dernière fois avec une avance de la droite fixée à 0,58%. Une
tricherie grossière ! Elle provoqua une quasi insurrection avant que le feu ne soit éteint, de
guerre lasse, sous le poids du harcèlement médiatique en faveur de la droite et des mises en
garde de la « communauté internationale » voisine. Cette fois-ci de nouveau, à la moitié du
dépouillement, le grand concert a démarré pour annoncer la victoire du candidat du PRI. Il
s’agit d’Enrique Peña Nieto, nouvelle éminence du Parti Révolutionnaire Institutionnel, un
parti membre de l’internationale socialiste. Au pouvoir d’abord pendant soixante-dix ans, il
vient de faire douze ans d’opposition. Il réapparaît sous la bienveillante protection du système
oligarchique et de ses médias qui sait à quel point la droite a fait faillite et combien elle est
haïe. Une campagne énergique a été faite pour fabriquer ce candidat, selon des critères
élaborés par des armées d’experts. Et voilà le tableau : un homme jeune, style acteur de série
B des années soixante, gominé, mariage médiatisé avec une actrice de Telenovela, béni par le
Pape à Rome, issu d’une des familles politiques les plus puissantes du Mexique, le groupe
Atlacomulco. Gouverneur de l’Etat de Mexico jusqu’en 2011, EPN a littéralement été porté
par le groupe Televisa qui l’a peu à peu imposé dans l’opinion et au sein du PRI comme le
candidat incontournable, image d’un « nouveau PRI » débarrassé des vieilles pratiques de 70
ans de pouvoir. La campagne médiatique a fonctionné à tel point que la plupart des instituts de
sondage le donnent bien sûr gagnant avec une forte avance de 10 à 15 % des voix sur le
second. Mais s’ils sont tout aussi manipulatoires que les nôtres, ces sondages sont encore
moins fiables que les nôtres. Cela en raison de la difficulté d’avoir des échantillons
représentatifs sur un territoire aussi vaste, avec une population répartie en ilots de prospérité
au milieu d’un océan de classes moyennes paupérisées ou d’extrêmes pauvres urbains ou
ruraux. 70% des sondés ont refusé de répondre. Avis à la population : toute ressemblance avec
une situation déjà vécue ne saurait être fortuite. Attention, ce n’est pas fini.
De son côté, le candidat de la gauche unie, la nôtre, Andrés Manuel López Obrador, a été
l’objet d’une campagne systématique de dénigrement et de calomnies par les chaînes de
télévision et la grande presse. Son extrémisme populiste, son caractère agressif, ses goûts
politiques dangereux, son amitié pour Chavez et Cuba ont été abondamment et
méthodiquement dénoncés. Comme c’est original ! Il a construit malgré ce pilonnage une
forte popularité dans les classes les moins favorisées, les employés, les zones rurales ou
urbaines marginalisées grâce à un travail systématique mené durant les six dernières années.
Localement mes amis me disent qu’il a su aussi se rapprocher des milieux d’affaires modérés,
petites et moyennes entreprises et commerçants. Ceux-là souffrent terriblement des
monopoles privés qui dominent le pays depuis la vague de privatisations. Mais aussi des effets
d’une crise économique qui a laminé les classes moyennes. Plus de 60 millions de mexicains,
sur 112, vivent en dessous du seuil de pauvreté. Notre candidat a aussi le soutien des
intellectuels et d’une grande partie de la jeunesse qui ne supporte pas l’idée d’un retour des
dinosaures de l’Internationale socialiste à peine cachés derrière leur pantin gominé. Lequel
par-dessus le marché n’est pas l’ange promu par la publicité. Bien qu’il ait été strictement
encadré par ses conseillers en communication et par Televisa durant toute la campagne, il n’a
pas pu dissimuler très longtemps que sous son look de présentateur de TV au sourire factice,
se tenait un personnage inculte, sinistre, violent, responsable de la mort de
nombreux activistes sociaux durant son mandat de Gouverneur de l’Etat de Mexico. Les
méthodes de voyous de son parti sont de notoriété publique. Des milliers de « porte-monnaie
électroniques » ont été distribués dans certaines circonscriptions et ne seront activés qu’après
les élections en cas de victoire. Par exemple des cartes de crédit pour achats dans la chaîne de
supermarchés Soriana. De même la distribution de denrées alimentaires ou de matériaux de
construction en échange du vote est une pratique courante, désormais parfaitement
documentée sur Facebook et Youtube.
Je fais cette description à partir des récits que m’en ont donné nos camarades qui sont sur
place. Car il y a dorénavant des groupes Front de Gauche et des comités du Parti de Gauche
dans toute l’Amérique du sud depuis la campagne de Raquel Garrido pour la législative. J’ai
recoupé mes informations dans l’avion même car j’ai voyagé en compagnie d’un député
européen socialiste espagnol qui aura été un puits d’informations bien fraîches pour moi. Elle
est destinée à permettre un décryptage des informations qui vont parvenir par les gros tuyaux
de la propagande médiatique de notre pays. Elle permet de comprendre comment l’ordre
établi se maintient, de connaître ses méthodes, pour en repérer les constantes et savoir donc
s’immuniser. Ici et maintenant s’y ajoute que je compte bien avoir l’avis des mexicains du
Forum de Sã Paulo dont est membre notre ami le candidat Lopez Obrador. Suivant la forme et
l’ampleur du résultat, nous aurons une indication pour la suite. Car cette fois-ci les gorilles qui
font les résultats électoraux doivent compter avec un fait nouveau : l’irruption de la jeunesse
étudiante sur la scène politique. Voici comment.
Le 11 mai dernier, le gominé officiel s’est présenté devant les étudiants de l’Université privée
Ibéroaméricaine. Un bide ! Il fut hué par les étudiants qui s’en sont pris au monopole
informatif de Televisa et à la fabrication d’un président sans consistance ! Nooon ! Le
mouvement étudiant dirigé contre la marionnette et les chaînes de télévision a pris rapidement
de l’ampleur. Il a rapidement regroupé la plupart des universités publiques et privées sous le
nom de « #Yo soy 132 ». Les étudiants ont tenté, avec un certain succès de répéter selon leur
mot le « printemps arabe » avec occupation de places et ainsi de suite. Ils occupent désormais
un espace dans la vie publique qui déborde largement les partis politiques et déconcerte les
médias. Le mouvement a donné une bouffée d’oxygène inattendue dans un débat politique
d’une médiocrité affligeante. Notre candidat lui-même a fait preuve d’une extrême prudence
pour ne pas être accusé comme en 2006 d’être « un danger pour le Mexique ». Le mouvement
étudiant, sans prendre position ouvertement pour lui, l’a soutenu néanmoins clairement en
appelant à battre le candidat du PRI. L’irruption du mouvement étudiant dans la vie publique
semble devoir aller bien au-delà des élections du 1er juillet grâce à la propagation massive des
« réseaux sociaux ». Il ébranle sérieusement le monopole de l’information par les deux
chaînes privées Televisa et Azteca. Il n’hésite pas à poser ouvertement les problèmes :
décomposition sociale du pays, corruption et impunité, capitalisme mafieux, violence
effrénée, récession économique, état de « non-droit », contrôle de l’information et ainsi de
suite. C’est un glissement de terrain car ce sont là les jeunes de la classe moyenne. Un tiers de
l’électorat a moins de 29 ans. Il s’agit donc de 23 millions de personnes. Cette masse, si elle
se mobilise au-delà des réseaux sociaux peut modifier complètement tous les pronostics sur
lesquels repose la tricherie habituelle. Notamment le fait que les gens se résignent ! On a vu
au Québec de quelle opiniâtreté sont capables les jeunes de cette génération. Et il faut se
souvenir que les mouvements de 1968 se sont très largement réimpulsés depuis le Mexique.
De tout ceci, tirons au moins pour enseignement que la partie sud-américaine comporte un
paramètre caché et imprévisible : l’action des masses qui n’attendent pas les consignes pour
agir.
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