La réforme militaire en Russie - article ; n°2 ; vol.59, pg 407-418

Alexandre Melnik, Andreï Tcherviakov

Description

Politique étrangère - Année 1994 - Volume 59 - Numéro 2 - Pages 407-418
The Military Reform in Russia, by Andreï Tcherviakov
The huge military build-up of the Soviet regime was hiding a true strategie vacuum. The present Russian defence officiais have to rebuild completely a doctrine and a military System. This review has to involve many fields : the status of the Russian nuclear arsenal, the strategie relations with the West, the present disastrous state of the Russian army, the relationship between conscripts and professionals and more generally the new relationship between the army and the Russian society. The debate is y et to corne — the last military doctrine only being a first step — and it depends mainly on the redefinition of Russian foreign policy.
La gigantesque accumulation militaire du régime soviétique cachait en réalité un profond vide stratégique. Les responsables de la défense russe doivent aujourd'hui reconstruire intégralement une doctrine et un appareil militaires. La réflexion se doit d'englober tous les domaines : le statut de la puissance nucléaire, les relations stratégiques avec l'Occident, le délabrement réel de l'armée russe, les rapports entre professionnels et appelés, plus généralement les relations nouvelles entre l'armée et la société russe. Le débat sera long — la dernière doctrine de défense ne constituant qu'une étape — et il dépend au premier chef d'une redéfinition plus précise des objectifs de politique étrangère.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: POLITIQUE_ETRANGERE
• Publié le: 01 janvier 1994
• Nombre de lectures: 39
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Tcherviakov
Alexandre Melnik
La réforme militaire en Russie
In: Politique étrangère N°2 - 1994 - 59e année pp. 407-418.
Abstract
The Military Reform in Russia, by Andreï Tcherviakov
The huge military build-up of the Soviet regime was hiding a true strategie vacuum. The present Russian defence officiais have to
rebuild completely a doctrine and a military System. This review has to involve many fields : the status of the Russian nuclear
arsenal, the strategie relations with the West, the present disastrous state of the Russian army, the relationship between
conscripts and professionals and more generally the new relationship between the army and the Russian society. The debate is y
et to corne — the last military doctrine only being a first step — and it depends mainly on the redefinition of Russian foreign
policy.
Résumé
La gigantesque accumulation militaire du régime soviétique cachait en réalité un profond vide stratégique. Les responsables de
la défense russe doivent aujourd'hui reconstruire intégralement une doctrine et un appareil militaires. La réflexion se doit
d'englober tous les domaines : le statut de la puissance nucléaire, les relations stratégiques avec l'Occident, le délabrement réel
de l'armée russe, les rapports entre professionnels et appelés, plus généralement les relations nouvelles entre l'armée et la
société russe. Le débat sera long — la dernière doctrine de défense ne constituant qu'une étape — et il dépend au premier chef
d'une redéfinition plus précise des objectifs de politique étrangère.
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Tcherviakov, Melnik Alexandre. La réforme militaire en Russie. In: Politique étrangère N°2 - 1994 - 59e année pp. 407-418.
doi : 10.3406/polit.1994.4280
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342X_1994_num_59_2_4280POLITIQUE ÉTRANGÈRE / 407
La réforme militaire Andrei TCHERVIAKOV *
Alexandre MELNIK en Russie
II est sans doute prématuré de parler des priorités d'une nouvelle politique
militaire en Russie ou des résultats qu'aurait déjà obtenus la réforme
militaire. Cette politique, tout comme la réforme, essentielles pour le
futur du pays, font aujourd'hui l'objet de vives discussions. La situation est
d'autant plus complexe qu'il n'existe pas pour le moment de concept net et
permanent de sécurité nationale. Tout est à repenser et à refaire. Dans ces
conditions, il est surtout nécessaire de clarifier différents aspects du débat en
cours sur le devenir de la politique militaire, et les premiers pas franchis.
De l'effondrement de l'URSS, la Russie a hérité un énorme appareil militaire.
Elle a conservé plus de 80 % du potentiel nucléaire, la majorité des arme
ments conventionnels et de 75 à 80 % du complexe militaro-industriel [1],
Pourtant, il est manifeste que la Russie n'a pas aujourd'hui les moyens de
prétendre à un rôle de grande puissance comparable à celui de l'URSS, tant
en raison de la perte d'une partie de l'arsenal militaire que, surtout,
d'énormes difficultés économiques, à court et moyen terme, et de son
instabilité sociale et politique.
Dans ce contexte, la réforme militaire ne peut en aucun cas être réduite à la
décroissance arithmétique, fût-elle considérable, des forces armées. L'uniforme
soviétique dont a hérité la Russie a été taillé pour un personnage plus large.
De plus, créé pour une autre saison, déjà lointaine, il s'est passablement usé
au fil du temps.
En dépit du fait que certains types d'armements restent fiables, un certain
nombre de changements de fond s'imposent — tout d'abord au niveau du
concept, puis en matière de prise de décision, dans le mode d'organisation et
de fonctionnement des forces armées. Un des rares accords du débat national
sur les forces armées porte donc sur l'urgente nécessité des réformes.
Voici quelques années, la plupart des Soviétiques ignoraient tout de la
doctrine militaire de leur pays, sauf qu'elle avait « un caractère défensif ». Le
reste demeurait secret : pas de livre blanc, pas de programmation militaire. Le
rideau du secret se déchirant, il devient à peu près clair qu'il ne cachait rien
ou qu'il camouflait un remarquable vide de pensée militaire. A la lumière de
ce que nous savons actuellement, cette paranoïa du secret cachait le fait
* Chercheur, Institut d'économie mondiale et de relations internationales, Académie des sciences
de Russie, Moscou.
** Journaliste et diplomate, ambassade de la Fédération de Russie, Paris. 408 I POLITIQUE ÉTRANGÈRE
qu'aucune stratégie cohérente et durable ne pouvait voir le jour sous le
système soviétique.
La dernière doctrine militaire du pays, au plein sens du terme, ainsi que la
dernière discussion large sur la problématique militaire remontent au début
des années 30. A l'époque, la stratégie soviétique se montrait à la hauteur des
normes internationales. Frounze, avant de Gaulle * et Guderian, avait anticipé
le rôle des unités blindées et des chars dans la guerre. Certaines idées
avancées dans les ouvrages du maréchal Toukhatchevski ou du théoricien
militaire Svetchine [2] pouvaient paraître en avance sur la pensée militaire de
l'époque.
Cet essor intellectuel prit malheureusement fin dans la seconde moitié des
années 30, quand Staline s'attaqua à la fine fleur de l'Armée rouge. Un
tourbillon de haine et d'absurdité a alors emporté non seulement les militaires
de haut rang, mais aussi nombre d'experts et de théoriciens parmi lesquels
beaucoup avaient été formés par les différentes académies militaires de la
Russie tsariste. La chaîne continue de la formation militaire fut alors rompue
et le développement de la pensée militaire russe stoppé pour longtemps.
Par la suite, les principales difficultés de mise au point d'une doctrine
militaire furent donc liées d'une part à l'absence d'experts et de spécialistes
compétents, de l'autre au fait que toute stratégie cohérente fût entrée en
contradiction avec le système d'arbitraire mis en place par Staline pour
museler l'armée. La situation n'a pas sensiblement évolué dans l'après-guerre.
La politique militaire se résuma progressivement à une course à la parité
d'armement avec les Etats-Unis. Dans ce contexte, le complexe militaro-
industriel, au lieu d'opter pour les solutions les plus raisonnables et les moins
onéreuses (options peu concevables sans un débat national qui aurait pu à
terme déboucher sur un concept de dissuasion nucléaire), se contenta de
copier le modèle américain.
Le résultat le plus concret fut un énorme excédent de production militaire, ne
correspondant à aucune considération politique, loin du bon sens le plus
élémentaire. L'exemple des SS-20 en est un parmi tant d'autres. Ce système
d'arme, extrêmement dispendieux, fut d'abord élaboré avec pompe et enthou
siasme pour être détruit par la suite avec le même enthousiasme. Le Comité
soviétique de sauvegarde de la paix prit alors plaisir à envoyer de par le
monde des morceaux de missiles, témoins d'une « nouvelle initiative de paix »
soviétique. Robinson Crusoe avait, lui, bâti une barque trop grande et trop
lourde pour que l'on pût la mettre à l'eau ; il la baptisa « monument à sa
propre bêtise ». Les morceaux de missiles voyageant dans le monde en qualité
de colombes de la paix étaient perçus de même par nombre de spécialistes.
Le seul coût de ce genre de « succès » devrait suffire à inciter nos décideurs à
régler leur politique militaire sur une approche plus rationnelle. Il faut
cependant préciser que le problème n'était pas ignoré de tous les dirigeants
militaires. Ancien chef d'état-major, le général Lobov a caractérisé la situa
tion, au moment de l'effondrement de l'URSS, de la manière suivante :
« L'alliance de la direction du Parti et du gouvernement avec la direction
1. Il est significatif que le livre du général de Gaulle, Vers l'armée de métier, qui fut peu
apprécié des généraux français à sa sortie, fut publié en URSS au début des ann&