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Les Arabes Américains, avant et après le 11 Septembre
2001
Très présents dans l’imaginaire collectif américain depuis le 11 Septembre, les Arabes Américains sont paradoxalement invisibles dans les statistiques. Bien que désignés explicitement dans leUSA patriot actcomme potentiellement dangereux, ils ne correspondent en effet à aucune catégorie “ethnoraciale” officielle. Eux-mêmes semblent avoir du mal à se définir autrement que dans des positions ou des oppositions politiques.
Il y a un peu plus de deux ans, les États-Unis étaient attaqués chez eux et les deux tours du World Trade Center devenaient le symbole de cette attaque ; symbole utilisé parfois pour chercher à justifier des actions qui n’auront pas nécessairement un rapport direct avec l’attentat ; symbole pour beaucoup d’Américains traumatisés qui réclameront vengeance ou prêcheront la tolé-rance. Pour beaucoup, il y a aura l’avant et l’après 11 Septembre. Cette date est également un symbole pour les Arabes Américains, puisque les attaques furent immédiatement liées à “un groupe de terroristes arabes” et, dans une dérive essentialiste, à toute la communauté arabe. Symbole aussi pour les Arabes Américains qui ont immédiatement réagi en apportant leur soutien aux victimes, en condamnant fermement les attentats et en affirmant plus que jamais leur attachement à la nation américaine. D’emblée, il faut remarquer qu’il nous faut affronter une difficulté fonda-mentale qui, paradoxalement, tout en rendant plus complexe l’analyse des répercussions du 11 Septembre sur les Arabes Américains, en dit beaucoup sur leur situation : il n’existe pas de catégorisation ethnoraciale arabe américaine. Les Arabes Américains n’existent pas en tant que groupe eth-nique officiel et sont traditionnellement assimilés à des Blancs, même si au cours de l’histoire de leur migration, les catégories de classification fluctuèrent ; ils furent tantôt considérés comme Turcs d’Asie, Orientaux ou Asiatiques, puis Syriens et Blancs. Comme il n’y a pas de catégorisation ethnoraciale arabe américaine, cela rend fort difficile de déterminer le nombre d’Arabes Américains. Le Bureau du recensement l’estime à 1,2 millions de personnes ; il est en effet possible de se qualifier comme “autre” puis d’indiquer son ethnicité ; c’est sur ce type de déclaration que les organismes officiels se basent pour comptabiliser les Arabes Américains. Mais encore faut-il, pour que ces résultats aient une quelconque authenticité, que les personnes se définissent comme “autre”, puis explicitent leur “race” ou “ethnicité” comme “Arabe Américain” ou “Liba-nais” ou “Syrien”. Or il apparaît que, très souvent, les Arabes Américains se catégorisent comme Blancs, voire Africains Américains, notamment les per-sonnes originaires de pays d’Afrique du Nord ; certains se définissant même
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parAlexandra Parrs, doctorante en sociologie à l’université Paris-VII Jussieu
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1)- Les catégories ethno-raciales actuelles sont les suivantes : Blanc, Noir, Indien d’Amérique/Natif d’Alaska, Asiatique/Habitant d’une île du Pacifique, Hispanique, Autres.
2)- James Zogby est le président de l’Arab American Institute. Zogby International fournit des statistiques sur les Arabes Américains.
Libération, 17 septembre 2001.
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comme Hispaniques, car ils se sentent “entre Noirs et Blancs”. Les organisa-tions communautaires et en particulier l’Arab American Institute ont, quant à elles, estimé à 3 millions de personnes la population arabe américaine. Une conséquence directe de l’absence de cette catégorisation est qu’il est difficile d’obtenir des statistiques précises sur les Arabes Américains, pour savoir par exemple si l’augmentation des crimes raciaux est significative depuis le 11 Septembre, si les Arabes Américains ont souffert de discrimi-nations sur leur lieu de travail ou si leur situation économique a été affec-tée par le contrecoup des attentats. Les statistiques du FBI recensant les actes de violence perpétrés contre des personnes en raison de leur “race et ethnicité” utilisent les catégories définies officiellement par le Bureau (1) du recensement . On ne parle alors que d’une demi-vérité : les Arabes Américains ou les Arabes (la confusion est souvent faite) sont perçus comme instigateurs de violences, mais rarement comme victimes, puisque aucune statistique officielle ne recense les crimes commis contre eux. Ce sont les associations, notamment l’Antidiscrimination Committee et l’Arab American Institute, qui publient des rapports sur les“hate crimes” et les actions entreprises contre des Arabes Américains. Dans une étude (2) conduite par Zogby International en mai 2002 sur les répercussions du 11 Septembre, les Arabes Américains interrogés ont affirmé avoir souffert de discriminations avant le 11 Septembre, principalement dans le cadre de l’école (30 %), du travail (29 %), et de la part de voisins et connaissances (25 %). Après le 11 Septembre, les discriminations dans le cadre du travail et de la part des voisins n’ont pas changé, alors que celles endurées à l’école ont baissé (21 %) et celles dans “des cas autres” (ni travail, ni école, ni voi-sins) ont augmenté. Un rapport sur les conséquences du 11 Septembre sur la communauté arabe américaine publié par l’Antidiscrimination Committee, montre que les violences à l’encontre des Arabes Américains se sont principalement concentrées dans les neuf semaines suivant le
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11 Septembre. Ces chiffres sont divulgués par des associations arabes amé-ricaines, et n’ont donc pas le même impact que s’ils avaient été fournis par un organisme officiel.
Quel type d’identité construire ?
On peut se demander pourquoi il n’existe pas de catégorisation ethnora-ciale arabe américaine et ce que cela signifie pour la communauté. Dans la première partie des années quatre-vingt-dix, les organisations arabes américaines essayèrent d’obtenir la création d’une catégorie ethnoraciale spécifique aux Arabes Américains, sans toutefois parvenir à un consen-Difficile de définir objectivement un Arabe sus sur la catégorie appropriée : alors Américain, puisque l’on ne peut mettre que l’Arab American Institute était en en avant ni la religion, ni la nationalité, faveur de la création d’une catégorie, ni la langue, ni l’histoire, ni même un “patronyme” “Moyen-oriental”, qui inclurait égale-ment les personnes d’origine turque,à consonance arabe… iranienne et afghane, l’Antidiscrimi-nation Committee préconisait la création d’une catégorie “Arabe Améri-(3) cain” . Ces dissensions traduisent les profondes indécisions stratégiques3)- En 1997, l’administration Clinton rejeta les deux au sein du groupe arabe américain : quel type d’identité faut-il construire ? catégories proposées. Quel type de coalition est adaptée ? Faut-il faire des alliances avec les autres pays du Moyen-Orient (Iran, Turquie, Afghanistan), ou faut-il main-tenir des frontières précises autour du concept de l’“arabité”, dans une attitude panarabe ? Soulignons un autre facteur qui freine les velléités de catégorisation des Arabes Américains : il s’agit de la symbolique associée à la catégorisation et surtout à la création d’une minorité officielle. En effet, même si les Arabes Américains perçoivent la création d’une catégorisation ethnora-ciale comme un facteur pouvant donner de la réalité au groupe, en concré-tiser l’existence, ils sont toutefois réticents concernant la création d’une minorité ethnique arabe américaine, car les minorités sont généralement perçues comme dépendantes d’aides gouvernementales afin de pallier des désavantages sociaux et elles sont facilement stigmatisées comme groupes assistés. Or les Arabes Américains ne se considèrent pas comme un groupe socialement défavorisé ; bien au contraire ! En effet, si l’on se base sur les statistiques fournies (par les associations) sur leur niveau social, on s’aperçoit que le groupe est économiquement performant. Soulignons que l’hétérogénéité et la complexité de ce groupe ont pour conséquence qu’il est difficile de définir objectivement un Arabe Améri-cain, puisque l’on ne peut mettre en avant ni la religion, ni la nationalité, ni la langue (beaucoup d’Arabes Américains nés aux États-Unis ne parlent pas l’arabe), ni l’histoire, ni même un “patronyme” à consonance arabe… Cette difficulté se retrouve au niveau du choix des stratégies fédératrices adoptées par le groupe, mais également dans le regard externe, dans la dif-
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4)- La répartition religieuse est la suivante : Catholiques (catholique romain, maronite et melkite) : 42 % Orthodoxes (antiochien, syrien, grec et copte) : 23 % Musulmans (sunnite, shiite et druze) : 23 % Protestants : 12 %
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ficulté à identifier les Arabes Américains. Un des exemples frappants de cette ethnicité ignorée est celui de la jeune institutrice astronaute Christa McAuliff qui périt dans l’accident de Challenger, considérée comme le symbole de la femme américaine idéale, aux multiples vertus, sans que son ethnicité arabe américaine ne soit jamais soupçonnée… C’est-à-dire que même si les Arabes/Arabes Américains appartiennent au “groupe ethnique le plus haï des États-Unis”, ils sont en même temps pratiquement invi-sibles. Les craintes qu’inspirent les Arabes Américains sont basées sur une représentation collective qui dépeint tous les Arabes, américains ou non, sous des traits négatifs (terroristes, fanatiques, ennemis de l’Occident, “eux” opposés à “nous”). Et les personnes qui “craignent les Arabes” ont très souvent peu de contacts avec des Arabes Américains, ou alors en ont sans le savoir et fondent leurs craintes sur des stéréotypes, plus que sur une connaissance concrète ; comme le remarque Ahmad, un étudiant d’ori-gine libanaise :“Quand les gens savent que je suis arabe, ils sont parfois surpris, ils me trouvent finalement très gentil et très bien élevé… pour un Arabe.”
Hétérogénéité et confusions
En outre, alors que certains Arabes Américains ne sont pas identifiés comme tels, d’autres personnes sont, de façon erronée, assimilées à des Arabes car elles possèdent un phénotype qui correspond aux représenta-tions stéréotypées des Arabes : c’est le cas par exemple des Sikhs (portant barbe et turban, attributs fortement liés dans l’imaginaire collectif à l’“arabité”, à l’islam…) qui, après le 11 Septembre, ont été victimes de vio-lences physiques ou verbales. Les Pakistanais, Afghans et Indiens ont éga-lement été assimilés à des Arabes. L’homogénéisation artificielle du groupe se retrouve dans leUSA patriot act qui, dans le cadre de la guerre contre le terrorisme et de la protection natio-nale, s’en prend à tous les Arabes Américains et Arabes, considérés comme potentiellement dangereux. Comme l’a d’ailleurs souligné James Zogby, les personnes impliquées dans les attaques du 11 Septembre n’étaient pas des Arabes Américains, mais des personnes investies d’une mission spécifique. Ils ne prêchaient pas dans des mosquées, ils n’étaient pas des activistes poli-tiques, ils ne cherchaient pas à travailler ou à s’installer en Amérique, ils n’avaient pas de racines aux États-Unis et cherchaient précisément à ne pas en créer. La plupart des personnes interpellées étaient quant à elles instal-lées, avaient un emploi, des enfants, une vie de famille, une hypothèque… Nous voyons bien que dans la recherche de terroristes potentiels, l’unique caractéristique qui a été retenue a été celle de “l’arabité”. Arabité qui est racialisée et généralement associée à l’islam, alors que les deux tiers des (4) Arabes Américains ne sont pas des musulmans . L’absence de catégorisation ethnoraciale correspond à la situation des Arabes Américains : à la fois très présents et totalement invisibles. On ne
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cesse de parler d’eux, mais il est très difficile de les identifier. Le balance-ment entre invisibilité et trop grande visibilité est aussi perceptible dans les hésitations au niveau des stratégies identitaires employées par les Arabes Américains : vaut-il mieux se mettre en avant, revendiquer ses dif-férences, ou se fondre dans la masse, en se distanciant le plus possible d’une ethnicité “suspecte” ? Les actions entreprises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme illustrent également cette situation : il y a confu-sion entre “arabité” et islam, islam et terrorisme, et les personnes les plus visibles, ou les plus conformes aux représentations symboliques des Arabes, sont les plus susceptibles d’être attaquées ou interpellées.
Une “arabité” politique
Pour expliquer un besoin certain d’invisibilité et pour comprendre plus précisément l’impact du 11 Septembre sur le groupe arabe américain, il faut se pencher sur son histoire : comment s’est-il constitué, dans quel contexte et sur quelles bases ? En effet, l’identité arabe américaine n’est pas la transposition d’une identité arabe aux États-Unis, il s’agit d’une nou-velle identité construite, produit de la relation entre différents groupes. La migration arabe aux États-Unis est généralement découpée en deux vagues : la première, majoritairement chrétienne et levantine, située entre 1880 et la Seconde Guerre mondiale, et la deuxième, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à l’époque actuelle. Les immigrants des deux vagues se distinguaient en raison du contexte historique qui motiva leur migration ; ils eurent également à affronter différentes situations poli-tiques et sociales en terre d’immigration. Le groupe arabe américain inclut des personnes qui, avant la migration aux États-Unis, cherchèrent à se dis-tancier au niveau culturel et identitaire de l’arabité, notamment les Arabes chrétiens (coptes, maronites ou melkites). Cependant, après la migration, Arabes chrétiens et musulmans donnèrent une nouvelle signification à leur “arabité” commune en terre américaine, et c’est sur cette “communalité”
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Le Monde, 18 janvier 2002.
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Courrier international, du 6 au 12 mars 2003.
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que se fondèrent leurs stratégies de construction identitaire, outrepassant les divergences religieuses et nationales. Les personnes originaires de différents pays arabes se sentent plus proches entre elles que du reste des Américains, malgré des divergences religieuses ou nationales. D’autre part, l’unité du groupe dépend égale-ment du regard externe homogénéisant qui renforce un sens communau-taire parfois inexistant. Cependant, dans le cas des Arabes Américains, le rapprochement interne et la cohésion du groupe ont été solidifiés par une succession de discriminations et de stigmatisations. Une date précise est généralement mise en avant, figurant la naissance de l’identité arabe américaine : 1967, année de la guerre des Six-jours, qui s’avéra particulièrement déstabilisatrice pour les Arabes Américains nour-rissant de profonds espoirs dans le nassérisme et le panarabisme. Devant le soutien américain à Israël et la propagande anti-arabe, des associations et groupes de défense des intérêts arabes commencèrent à se créer, ayant pour mission d’éduquer les Américains sur le monde arabe, à une époque où les médias se mirent à diffuser des messages anti-arabes et où l’“arabité” rencontrait une forte hostilité. Il apparaît donc, au lendemain de la guerre de 1967, que se revendiquer Arabe Américain était avant tout une affirmation politique. D’autre part, les Arabes chrétiens s’investirent
pour la première fois dans la défense de “causes arabes”, dont ils avaient essayé de se tenir éloignés. On assiste au passage d’une identité basée sur le pays, la région d’origine ou la religion à une identité plus vaste ; et les générations suivantes prennent aussi conscience de leur “arabité”. La situation politique a été le catalyseur de l’identité arabe américaine.
Une identité “défensive”
Par la suite, l’importance de la dimension défensive dans la construction identitaire ne cessera d’être renforcée par des événements externes. On a souvent fait la comparaison, et particulièrement dans la période qui a suivi
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le 11 Septembre, entre les Arabes Américains et les Japonais Américains ou les Allemands Américains, qui au moment de la Seconde Guerre mondiale endurèrent des discriminations et furent internés dans des camps – et sou-lignons que par une triste ironie, une grande partie des Allemands Américains internés étaient en réalité des juifs qui avaient fui l’Allemagne nazie. Cependant, alors que Japonais et Allemands Américains eurent à souffrirLa migration arabe aux États-Unis de discriminations et de violences dans est découpée en deux vagues : ce contexte très précis, les Arabes la première, chrétienne et levantine, Américains endurent cette situation située entre 1880 et la Seconde Guerre mondiale, de façon récurrente : conflits israélo-palestiniens, première guerre du Golfe,et la deuxième, allant jusqu’à l’époque actuelle. attentats d’Oklahoma City… 11 Sep-tembre. C’est le seul groupe ethnique que l’on peut encore impunément cou-vrir d’injures racistes, le seul utilisé de façon constante pour fournir tous les “bad ones”dans un Hollywood qui se veut pourtant politiquement correct, un groupe que les médias ne se sont pas privés de stigmatiser de façon éhon-tée lors des différentes situations de crise. Le 11 Septembre a donc eu comme impact, pour les membres du groupe arabe américain, de les maintenir dans une situation défensive. Les évé-nements extérieurs dictent les stratégies communautaires, et dans le cas des Arabes Américains, les manœuvres d’activisme politique et le besoin de réponse aux stigmatisations absorbent une grande partie de l’énergie du groupe. Au lendemain du 11 Septembre, les associations ont fait parve-nir des communiqués attestant de leur loyauté à la nation américaine et de leur fierté d’être américains. Par la suite, elles se sont mobilisées dans une lutte contre les discriminations, mais aussi, comme au lendemain de la guerre de 1967, pour éduquer les Américains sur les Arabes Américains et démontrer leurs apports bénéfiques à la société américaine. Certains problèmes ont tendance à être “gommés” ou atténués pour que le groupe puisse donner de lui-même une image positive correspondant à un idéal américain. Par exemple, des données concernant la bonne réussite sociale des Arabes Américains sont diffusées par les sites des organisations qui font la promotion de l’identité arabe américaine et veulent donc mettre en valeur la réussite à l’américaine du groupe, mais aussi prouver qu’il n’est pas un poids social pour la société américaine. D’après les informations pré-sentées sur le site de l’Arabe American Institute, 82 % des Arabes Américains ont, au moins, un diplôme d’études secondaires (“high school”), 36 % un diplôme de niveau“bachelor”(équivalant au deuxième cycle uni-versitaire en France) et 15 % un diplôme de troisième cycle, contre 7,2 % de la population totale des États-Unis. Le revenu annuel moyen des familles arabes américaines est de 22 % supérieur à celui des Américains en géné-(5) ral . Enfin, 77 % des Arabes Américains sont employés dans le secteur privé.5)- Source : Arab American Institute. Le fait que tous les membres de la communauté ne correspondent pas à cette image (et des universitaires arabes américains ont mis en évidence la
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dégradation de la situation économique arabe américaine depuis quelques années) est secondaire par rapport aux besoins les plus pressants : se défendre sur les plans public et politique, donner une bonne image de soi. En ce qui concerne les femmes arabes américaines, par exemple, leurs aspi-rations ou leurs problèmes ne sont pas non plus une priorité, même si après le 11 Septembre la violence domestique a aug-La société arabe est perçue commementé de façon significative dans les foyers arabes américains. Certaines femmes avec les-incapable de produire des personnes quelles nous nous sommes entretenus ont mis individualisées et responsables. en avant le fait que les Arabes Américains“ne Les Arabes ne correspondant pas à la vision parlent que de politique” et “ne se soucient dominante de l’homme blanc, libre.pas trop des problèmes sociaux et notamment des problèmes des femmes”. Le fait de se foca-liser sur la politique tend à masquer d’autres réalités sociales :“L’identité arabe, ce n’est pas que les relations avec George Bush, ce n’est pas que le 11 Septembre, mais c’est aussi la vie de tous les jours !”Dans ce contexte défensif récurrent où l’identité politique prend le pas sur toutes les autres, les problèmes sociaux, culturels ou les aspirations des femmes sont, dans une certaine mesure, mis de côté, au profit de la construction d’une image influencée par le regard du groupe majoritaire.
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Une image “d’ennemis de l’intérieur”
Le 11 Septembre, pour les membres de la communauté arabe américaine est donc un élément supplémentaire, contribuant à renforcer le racisme à leur encontre. Comme la guerre de 1967, comme tous les autres conflits, cet évé-nement a également contribué à souder la communauté : un sentiment de responsabilité collective est imposé de l’extérieur aux Arabes Américains, par la manière dont ils sont traités par la presse et l’opinion publique ; ce senti-ment entraîne un rapprochement identitaire. Comme l’a souligné Wirth dans son étude du ghetto juif américain, sous l’effet de la pression extérieure, le groupe se retrouve soudé en un bloc solide. Une jeune femme d’origine liba-naise explique :“Mon oncle Joseph travaille depuis presque vingt ans dans une entreprise de produits pharmaceutiques dans le New Jersey, tout s’est toujours bien passé, enfin, il était vraiment du genre bien intégré, et bien après les attentats du 11 Septembre, il a ressenti une ‘certaine froideur’ de la part de ses collègues. Ça paraît incroyable, mais il y en a vraiment qui se sont mis à le regarder bizarrement, comme s’il avait fait quelque chose de mal… on chuchotait dans son dos et tout… d’un seul coup, il est devenu suspect alors qu’avant tout le monde l’aimait bien !”À chaque nouvelle crise, l’ethnicité arabe resurgit, comme une solidarité partagée à l’intérieur du groupe ou comme une injonction identitaire, qui enferme tous ceux qui appartiennent au groupe ou sont perçus comme lui appartenant. Les Arabes Américains perçoivent leur situation comme étant proche de e e celle des Américains juifs du XIX et début du XX siècle. Comme eux, ils
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traînent une image d’ennemis de l’intérieur. D’ailleurs, les activistes poli-tiques cherchent à s’inspirer des actions menées par leslobbies juifs. En effet, c’est dans leur rapport à la nation que les choses sont compliquées et les Arabes Américains cherchent avant tout à prouver leur attachement à la nation américaine. La difficulté qui se pose aux Arabes Américains, et notamment aux activistes politiques, est la suivante : ils doivent réussir à s’imposer comme citoyens américains, alors que les Arabes sont perçus comme étant des ennemis de la nation américaine. Car dans un pays qui se veut, par certains aspects, “multiculturaliste”, une identité nationale amé-ricaine est présentée comme l’idéal à atteindre, même si les “teintes” eth-niques sont acceptées à certains niveaux et dans certaines conditions. Ils doivent donc défendre une ethnicité qui est d’emblée considérée comme suspecte, et réussir à concilier les deux attitudes qui consistent à brandir fièrement leur “arabité” et à prouver qu’ils partagent des valeurs améri-caines, qu’ils sont des citoyens américains à part entière. Le 11 Septembre n’a pas créé une nouvelle image négative des Arabes, mais n’a fait que conforter la représentation des Arabes dans l’imaginaire col-lectif, image dont la genèse a été remarquablement décrite dans l’ouvrage d’Edward Saïd,Orientalism. La société arabe est perçue comme incapable de produire des personnes individualisées et responsables. Les Arabes ne correspondant pas à la vision dominante de l’homme blanc, libre, peuvent-ils alors accéder à la totale citoyenneté aux États-Unis ? Les attentats et les violences, en exacerbant l’image stéréotypée des Arabes Américains dans l’imaginaire collectif, l’ont éloignée encore plus de la réalité. Certains n’ont pas hésité à affirmer que les terroristes avaient dû s’inspirer des caracté-ristiques des terroristes arabes des films américains, tant ils correspon-daient parfaitement à l’image la plus vile que les anti-arabes ont des Arabes. L’étude de Zogby International met en évidence le sentiment de colère des membres de la communauté à l’encontre les terroristes :“Ils ont tout fichu par terre… tout est encore à recommencer, combattre les sté-réotypes, montrer qu’on est pas tous dangereux… Tout est toujours à recommencer”, se lamente un membre de l’ADC.
James Cohen,“Aux USA, les Arabes et les musulmans à l’épreuve du terrorisme” Hors-dossier, n° 1234, novembre-décembre 2001
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