COMITÉ DE DIRECTION Maude Beausoleil Yves Bégin : secrétaire de rédaction Damien-Claude Bélanger Dominique Foisy-Geoffroy : secrétaire-trésorier Xavier Gélinas
ABONNEMENTS Étudiant 15$ Régulier 18$ Institution 22$ Abonnement de soutien 50$ Extérieur du Canada (USD) 20$
Mens. Revue dhistoire intellectuelle de lAmérique française est une revue semestrielle dont les numéros paraissent les prin-temps et automne de chaque année. Pour tout renseignement concernant les modalités dabonnement, le contenu de la revue, etc., ou pour soumettre un texte, joignez-nous à ladresse suivante : RevueMENS Département dhistoire Université Laval Québec (Qc) G4A 7P4 Téléphone : (418) 527-7317 Télécopieur : (418) 656-3603 revuemens@hst.ulaval.ca www.hst.ulaval.ca/revuemens ISSN : 1492-8647
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TABLE DES MATIÈRES
Présentation Articles SurNationalisme et religion(1936) de Louis Lachance, o.p. Yves Bégin La question linguistique dans la pensée de Claude Ryan auDevoir(1962-1978) : la difficile conciliation de principes nationalistes et libéraux Olivier Marcil Les Éditions Mille-Roches (1976-1989) : une mission régionale Caroline Béland Comptes rendus Auguste Viatte,Dun monde à lautre... Journal dun intellectuel jurassien au Québec (1939-1949) (Pierre Trépanier) Stéphane Kelly,Les fins du Canada selon MacDonald, Laurier, Mackenzie-King et Trudeau (Michel Ducharme) Congrès 2001 de lInstitut dhistoire de lAmérique française (Harold Bérubé) Bibliographie Lhistoire intellectuelle des États-Unis Jean-Francis Clermont-Legros
Le Département d histoire de l Université Laval...
Un département, 6 disciplines
Archéologie Archivistique Ethnologie Histoire Histoire de lart Muséologie
Département dhistoire Pavillon Charles-De Koninck, local 5309 Université Laval Québec (Québec) G1K 7P4 Téléphone (418) 656-5130 Télécopieur (418) 656-3603 www.hst.ulaval.ca
PRÉSENTATION Depuis maintenant près de deux ans, la revueMens semploie à faire connaître différents aspects de la vie intel-lectuelle du Québec et de lAmérique française en général. Ce travail procède de la conviction, partagée par tous les membres du comité de direction, que les idées jouissent dune relative autonomie par rapport à la «pratique sociale», aux réalités sociales et économiques. Autrement dit, nous croyons que les idées ont le potentiel dinfluencer, dans une certaine mesure, lévolution historique. Quant à nous, cela équivaut à affirmer la liberté de lhomme, limitée peut-être, mais néanmoins bien réelle. Le temps où on considé-rait lévolution des sociétés humaines comme le fruit du volontarisme de quelque âme énergique est bel et bien ré-volu. Pourtant nous ne croyons pas que tomber dans lex-cès inverse - succomber à la tentation matérialiste de voir les idées comme de purs produits de la pratique sociale -soit beaucoup plus satisfaisant intellectuellement. Les rela-tions entre les idées dune part, les institutions et la prati-que sociale dautre part, nous semblent former un éche-veau très complexe dinfluences mutuelles et de rapports dinterdépendance, écheveau quil appartient précisément au spécialiste de lhistoire intellectuelle de démêler. Bref, le «milieu» se trouve en constante interaction avec l«Idée», avec lexpression de la volonté humaine. Cette interaction est lobjet de lhistoire intellectuelle dite «externe», qui com-plète lhistoire intellectuelle «interne», cette dernière ana-lysant lorganisation et la hiérarchisation des idées, des va-leurs, dans un système de pensée donné. Lactivité deMens se déploie dabord et avant tout dans le champ de lhistoire érudite, et les textes quelle of-fre au public sont les produits de recherches rigoureuses et
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exhaustives réalisées le plus souvent dans un cadre univer-sitaire. Cependant, la revue a également lambition, au-delà de son travail scientifique, de faire uvre civique en met-tant en valeur notre patrimoine intellectuel, souvent mé-connu, auprès du large public cultivé. En ce sens, les ani-mateurs de la revue ne ménagent pas les efforts afin de ren-dre son contenu accessible aux lecteurs non-spécialistes, soucieux denrichir leur compréhension du monde qui les entoure en interrogeant leurs devanciers, et ce sans com-promettre la rigueur de lanalyse qui sied à une revue sa-vante. Dailleurs,Mens depuis quelques mois davantage de a moyens pour accomplir cette double mission : nouvel im-primeur (les Presses de lUniversité Laval), arrimage au département dhistoire de lUniversité Laval et à la Chaire de recherche du Canada en histoire et économie politique du Québec contemporain, dont le titulaire est le professeur Jocelyn Létourneau. Plus important encore, léquipe de direction sest quelque peu renouvelée et accueille avec grand plaisir un nouveau membre en la personne de Xavier Gélinas, détenteur dun doctorat en histoire de lUniver-sité York et récemment nommé conservateur au Musée canadien des Civilisations. En outre nous accueillerons encore dautres membres en prévision du numéro dautomne 2002... Bref, les choses vont bon train pour la Revue dhistoire intellectuelle de lAmérique française. Ce quatrième numéro comprend, outre une biblio-graphie dhistoire intellectuelle américaine préparée par Jean-Francis Clermont-Legros avec la collaboration de Damien-Claude Bélanger, trois articles de fond, dont deux se caractérisent par létude des conditions dintégration des valeurs nationalistes aux idéologies. Tout dabord, Yves Bégin, actuellement étudiant au doctorat à lUniversité
Présentation
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Laval, se penche sur la pensée du philosophe dominicain Louis Lachance (1899-1963). Passant en revue louvrage de Lachance intituléNationalisme et religion (1936), il expose largumentation du philosophe en faveur dun nationalisme encadré par les principes supérieurs du christianisme, argu-mentation dont la finesse et la profondeur ont su rallier tant le nationaliste Lionel Groulx que lantinationaliste Jean-Charles Harvey. Cet article incarne à merveille les efforts deMens révéler au public des auteurs solides et inté- pour ressants qui ont marqué notre tradition intellectuelle, mais quon a malheureusement oubliés depuis. Olivier Marcil, titulaire dune maîtrise en histoire de lUniversité de Montréal, se penche ensuite sur lévolution de la pensée de Claude Ryan (1925 - ) à propos de la ques-tion linguistique au Québec et au Canada à lépoque où il était journaliste au quotidienLe Devoir, de 1962 à 1978. Cette question, qui de tout temps constitua lun des princi-paux champs de laffirmation nationale canadienne-fran-çaise /québécoise, prit une dimension nouvelle à partir des années 1960 en ce que la promotion de la langue française allait devenir sujet de volontarisme politique, en dautres termes quelle allait devenir une fonction de lÉtat (son-geons à la Loi sur les langues officielles, à la Loi 22 ou à la Loi 101). Cet intense débat devait forcer Ryan à accorder son nationalisme - la légitime aspiration des Canadiens fran-çais à vivre en français - à ses positions libérales - lessentiel respect des droits individuels fondamentaux. Pour Ryan en fin de compte, conclut Marcil, le nationalisme est légi-time dans la mesure où il est encadré par les droits fonda-mentaux de lhomme, un peu comme le nationalisme nétait légitime aux yeux de Louis Lachance quencadré par les principes de la religion. Mentionnons par ailleurs que cet article reprend un thème important qui sera traité dans un
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ouvrage consacré à la pensée de Claude Ryan, quOlivier Marcil fera paraître sous peu aux Éditions Varia. Enfin, sur une note un peu différente, Caroline Béland, détentrice dune maîtrise en études françaises de lUniversité de Sherbrooke, sapplique à mettre en valeur les différents modes dexpression de la vocation régiona-liste des Éditions Mille Roches, un éditeur basé à Saint-Jean-sur-Richelieu, actif de 1976 à 1989. Il savère que cette vocation sexprimait, certes par le contenu des ouvrages publiés, toujours relié dune façon ou dune autre à la ré-gion du Haut-Richelieu, mais aussi dans lensemble des éta-pes du processus de publication. En effet, tant les auteurs que les artistes-peintres, photographes et imprimeurs de la région ont été sollicités par Mille Roches. Si on ajoute à cela lappui dun certain nombre dinstitutions clefs de la vie culturelle de lendroit, comme le Cégep Saint-Jean et le journalLe Canada français, on constate que léditeur a su mobiliser toutes les ressources quoffrait le Haut-Richelieu pour valoriser le patrimoine culturel de la région et contri-buer, à sa façon, au développement dun milieu de vie cul-turel susceptible dassurer lépanouissement des hommes et des femmes qui lhabitent, et ce à la périphérie des grands centres. Soulignons que cet article ouvre de nouveaux hori-zons pourMens, en concrétisant un projet déjà annoncé dans la «Présentation» du tout premier numéro, qui est ce-lui détendre son champ de recherche à la vie culturelle. Nous espérons que cette première percée aura des suites. En terminant, nous aimerions remercier tout parti-culièrement certaines personnes et institutions qui nous ont généreusement appuyé dune façon ou dune autre au cours des derniers mois. Remerciements donc aux Presses de lUniversité Laval, et notamment à son directeur du déve-loppement M. Léo Jacques, au Département dhistoire de
Présentation
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lUniversité Laval et à sa directrice Mme Claire Dolan, ainsi quà M. Jocelyn Létourneau. Cette aide précieuse nous aidera certainement à atteindre nos objectifs et à continuer doffrir à nos lecteurs une revue qui se distingue par la qua-lité de son contenu comme de sa présentation. Dominique Foisy-Geoffroy pour léquipe deMens
SURNATIONALISMEETRELIGION (1936) DE LOUIS LACHANCE, O.P.
Yves Bégin Département dhistoire Université Laval
RÉSUMÉ Au Québec comme ailleurs, et pour diverses raisons, les rap-ports entre le nationalisme et la religion ne sont pas toujours allés de soi. Ici, les liens étroits entretenus pendants longtemps entre lÉglise catholique et les nationalistes canadiens-français (on parle souvent de clérico-nationalisme) nont pas empêché que soit posée la question suivante : peut-on être à la fois natio-naliste et catholique? Certains événements comme la mise à lIn-dex deLAction françaisede Charles Maurras en France en 1926 ainsi que la crise sentinelliste, qui a déchiré les Franco-Améri-cains en 1928, ont eu des répercussions ici et posé ce problème avec plus dacuité. En 1936, un jeune prêtre et philosophe domi-nicain canadien-français, Louis Lachance, a tenté dy apporter une réponse dans un essai intituléNationalisme et religion. Pour Lachance, il ny a de nationalisme légitime que lorsque subor-donné et encadré par la religion. Cet article expose les thèses contenues dans ce livre et rappelle entre autres quelles ont été reçues favorablement par lun des critiques les plus véhéments du nationalisme canadien-français de lépoque, Jean-Charles Harvey.
ABSTRACT For a variety of reasons, and despite the close ties which have historically linked the Roman Catholic Church to Quebecs nationalist movement (many authors even speak of clerical
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nationalism to describe traditional French Canadian nationalism), the relationship between the two groups has at times been strained. These tensions were not unique to French Canada. Indeed, in the wake of certain events, most notably New Englands notorious Sen-tinelle Affair and Pope Pius XIs 1926 condemnation of French monarchist Charles MaurrasAction française both of which shook French Canadian nationalism to the core , Catholic thinkers the world over pondered the following question: Could one be at once a nationalist and a Roman Catholic? In 1936 a young French Canadian priest and Dominican philosopher, Louis Lachance, sought to answer this fundamental question in an essay titledNationa-lisme et religion. He believed that nationalism could only be legitimate when it was framed by and subordinated to religion. This article explores the ideas contained in this key text. It also examines the favourable reception that Jean-Charles Harvey, one of French Canadian nationalisms most vehement and persistent critics, gave toNationalisme et religion.
Sil est vrai que notre histoire intellectuelle suscite de plus en plus lintérêt des chercheurs et du public lecteur, il y a malheureusement tout un pan de cette histoire qui a été trop peu étudié : la philosophie. Quelques pionniers sy sont bien intéressés, mais on ne peut certes pas parler de la philosophie comme dun champ de recherche historique véritablement constitué au Québec. Une recherche non exhaustive nous révèle que pour une période denviron trente ans, à peine une dizaine douvrages sont parus à sont sujet1. Historiquement, le Canada français na peut-être pas produit de figures majeures à ce chapitre, mais il reste que nous avons eu nos philosophes et que la philosophie a tou-jours été une composante majeure de lenseignement au Québec. Le manque dintérêt pour la philosophie dici peut-il sexpliquer par le fait que plusieurs de nos philosophes furent surtout des théologiens, et que la pensée thomiste,
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qui a servi dobjet et dinspiration à ceux-ci plus que toute autre, a été disqualifiée et nintéresse aujourdhui plus per-sonne ou presque? Cest notre avis. Ainsi tombées en dé-suétude, la théologie et la philosophie religieuse auront entraîné avec elles la mémoire de leurs artisans. Parmi ces artisans oubliés se trouve le philosophe et théologien dominicain Louis Lachance. Né le 18 février 1899 à Saint-Joachim-de-Montmorency (village qui aura aussi donné au Québec le sociologue Fernand Dumont), Joseph-Henri Lachance a consacré sa vie à la philosophie et à son enseignement. Après avoir complété ses études au Petit Séminaire de Québec, il revêt à vingt et un ans lhabit dominicain au noviciat de Saint-Hyacinthe et prend le nom de Frère Louis. Après de brillantes études au Couvent dOt-tawa durant lesquelles il est ordonné prêtre et décroche le titre de Lecteur en théologie, Lachance est appelé à ensei-gner la philosophie par ses supérieurs, qui lenvoient bien-tôt à Rome pour quil y complète son agrégation (maîtrise). De retour au Canada en 1931, il enseigne durant cinq ans la philosophie à Ottawa et collabore à la fondation de lInsti-tut détudes médiévales. Au cours de cette décennie fort active, Lachance publie pas moins de cinq ouvrages2 dont le troisième,Où vont nos vies?, lui mérite en 1934 le prix dAction intellectuelle de lAction catholique de la jeunesse canadienne-française. Le jeune philosophe attire alors de plus en plus lattention, notamment celle de Lionel Groulx3, mais aussi celle du chanoine Philippe-Servule Desranleau, futur évêque de Sherbrooke (1941-1952). En 1938, alors quil revient dun second séjour à Rome où il avait enseigné la philosophie sociale et défendu sa thèse de maîtrise en théo-logie, Lachance reçoit linvitation de Desranleau à faire partie des fondateurs du Grand Séminaire des Saints-Apô-tres dont on vient dentreprendre la construction à Sher-