Rapport de l avis sur la net neutralité du CNNum
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Rapport de l'avis sur la net neutralité du CNNum

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Publié le 12 mars 2013
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Langue Français

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RAPPORT RELATIF A L'AVIS NET
NEUTRALITE N°2013-1 du 1
er
mars 2013
1 La métamorphose de la société et de l’économie numériques impose le principe de neutralité.
1.1 Une société en mutation.
1.1.1 La nouvelle révolution industrielle. Il y a vingt ans, avec l’accès public au réseau internet par le world wide web, une nouvelle révolution industrielle s’est engagée, fondée sur le développement des technologies numériques. C’est ce que l'opinion publique vit comme une série de changements majeurs dans la vie quotidienne et en premier lieu, dans les échanges et relations de personnes à groupes et de groupes à personnes. Tout un chacun est non seulement en mesure d'accéder à une immense variété de ressources, services et propositions en tous genres, mais peut aussi contribuer à la production de semblables ressources, services et propositions individuellement et en participant à des activités de groupes. C’est en ce sens que l’on parle de « médias sociaux ».
1.1.2 La participation de chacun. Cette possibilité pour chacun de participer à l'enrichissement du nouvel espace de publication planétaire ouvert à tous que forment les réseaux numériques interconnectés remet radicalement en question l'organisation des sociétés industrielles qui étaient jusqu'alors fondées sur une opposition fonctionnelle entre production et consommation : l'économie numérique, dont le dynamisme et les capacités d'innovation sont sans précédent historique, est fondée sur le dépassement de cette opposition.
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1.1.3 La nécessité de légiférer. C’est pourquoi le droit universel d'accéder aux réseaux numériques comme destinataire aussi bien que comme destinateur est un enjeu primordial des sociétés contemporaines d’un point de vue à la fois politique, culturel, social et industriel. Ces quatre dimensions sont indissociables, et c’est en vue de les articuler harmonieusement qu'il est nécessaire de légiférer en matière de droit de la communication et de l'expression sur les réseaux numériques dont la bidirectionnalité intrinsèque diffère radicalement des réseaux de communication analogiques que régule, entre autres, la loi de 1986 sur la liberté de communication.  Garantir à tous le droit de participer à la vie de l'espace de publication numérique aussi bien comme destinateur que comme destinataire, c’est garantir la pérennité et l'élargissement du dynamisme économique aussi bien que scientifique, culturel, social et politique qui s’est installé au cours des deux dernières décennies. L'enjeu d’une loi sur la communication et l'expression numériques relève d’une question industrielle tout autant que juridique et constitutionnelle. La fécondité de l'innovation qui s’est déployée avec le numérique est inimaginable dans le modèle industriel issu du XXè siècle. Elle procède du caractère intrinsèquement contributif de ces réseaux et de l'économie qu'ils rendent possible.  C’est à l’aune de cet enjeu qu'il faut appréhender la question de la neutralité des infrastructures garantissant l’accès de tous à tout ce qui est légal, et poser comme un principe fondamental que les distorsions que les opérateurs de réseaux pourraient être tentés de créer dans l’accès à l'espace numérique de publication doivent être découragées. Ce principe étant affirmé, la question qui se pose est celle de son application. Or celle-ci ne saurait découler du principe lui-même qui doit prendre en compte une réalité industrielle en constante transformation.
1.1.4 Prendre en compte la phase actuelle de transition. L'économie numérique et le monde qu'elle façonne sont encore émergents : ils se présentent sous des aspects inchoatifs et mouvants. La vie économique et industrielle contemporaine constitue en cela une période de transition. Une loi de régulation des réseaux numériques ne peut ignorer ni ce caractère transitoire ni la
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dimension dynamique du processus qui en résulte. Elle doit à la fois affirmer des principes tournés vers l’avenir et, constituant une vision nationale, se projeter dans le présent en fonction des contraintes des acteurs nationaux confrontés aux contradictions qui caractérisent toutes les périodes de transition.
1.2 L’évolution de l’économie et des technologies des infrastructures.
1.2.1 Les bases techniques de l’Internet. Les réseaux de communication par voie électronique ouverts au public permettent et encouragent les communications entre individus et les échanges d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature. L’exemple paradigmatique est Internet, un réseau de réseaux de machines mondial basé sur des protocoles de transfert de données standardisés, interconnectant à ce jour des milliards de machines. A coté d'applications et de services variés comme le courrier électronique ou la messagerie instantanée, Internet a d’abord permis le développement du World Wide Web, un réseau de contenus facilitant la diffusion d’information et de connaissance. Il a ensuite conduit avec les systèmes de réseaux sociaux à des réseaux de personnes. Au cœur à la fois de l’économie et de la société, l’accès à l’Internet et à ses services est devenu un besoin indispensable pour l’individu du 21e siècle.
Concrètement, Internet fonctionne grâce à des opérateurs qui incluent des fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et des intermédiaires techniques qui connectent les réseaux des FAI entre eux. Le transport d’information se fait soit en filaire comme avec l’ADSL, soit sans fil comme avec le 4G. Des services sont proposés par des fournisseurs de contenus et d’applications, par exemple Google, Facebook, Amazon. Les utilisateurs finaux sont des internautes individus ou professionnels qui se connectent d’abord avec des ordinateurs, mais de plus en plus avec des téléphones ou des terminaux dont les fabricants sont aussi des acteurs. Ces rôles ne sont évidemment pas exclusifs de sorte qu’un opérateur ou un fabricant de terminaux peuvent être aussi distributeurs de contenus, avec évidemment la tentation de privilégier leurs propres données. En France, c’est l’Autorité de régulation des 3
communications électroniques et des postes (ARCEP), une autorité administrative indépendante, qui contrôle ces réseaux.
1.2.2 Le principe de neutralité, base fondatrice de l’Internet. Cet ensemble s’est construit autour des principes fondateurs d’Internet dont l’un des plus importants est celui de la « neutralité du réseau » qui s’est développé pour exclure toute discrimination à l'égard de la source, de la destination, de la nature ou du contenu de l'information transmise. Son but est de garantir la capacité des utilisateurs à accéder à des contenus, à les diffuser, ainsi qu'à utiliser des services de leur choix en évitant que l’on puisse les bloquer ou ralentir, voire installer des priorités pour favoriser certains fournisseurs de services. En limitant ces pratiques de nature anticoncurrentielle, le principe de neutralité est à l’origine du succès de l’internet et du développement d’un écosystème très riche tiré par la créativité de nombreuses startups inventant sans cesse de nouveaux services.
Sur cette base, Internet ne garantit pas la qualité du transport mais seulement une obligation de moyens basée sur le principe du « meilleur effort » (« best effort »). Or, la croissance du trafic, en particulier sur le mobile, peut être la cause de congestions du trafic. Cela a conduit par le passé les opérateurs à des pratiques non neutres pour garantir un minimum de qualité de service sur certains contenus. Au-delà de telles pratiques qui peuvent être régulées, les opérateurs ont aussi été tentés de sacrifier la neutralité du réseau pour obtenir une position privilégiée qui leur permettraient de générer des revenus et d’investir dans des réseaux de plus haut débit.
D’un point de vue technique, la situation est complexe du fait de la convergence entre des réseaux initialement non-ouverts comme la téléphonie ou la télévision par abonnement et à la demande avec des réseaux ouverts au public comme Internet. Cette convergence passe par des abonnements groupés comme le « triple play » et par le partage de réseau. A coté d’un l’accès à Internet sans promesse de qualité de service, le même opérateur est amené à offrir des services spécialisés à qualité contrôlée, typiquement de la vidéo à la demande ou par abonnement. Il est important de bien distinguer ces deux types de services car seul le premier est un service de
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communications ouvert au public dans l’esprit d’Internet. Il est essentiel de s’assurer que le second ne le dégrade pas dans des proportions inacceptables, voire ne le bloque de manière ciblée. On voit des opérateurs de téléphonie mobile empêcher des services comme la voix sur IP en concurrence avec leurs offres de téléphonie, ou les échanges de données en pair-à-pair gourmands en bande passante. Ce problème est encore exacerbé dans le cas des mobiles où les services sont en compétition pour de petites bandes passantes.
Le développement de domaines comme la téléphonie mobile ou l’internet des objets risquent de multiplier l’existence de réseau à cheval sur des réseaux ouverts au public comme Internet et des réseaux propriétaires.
1.3 La participation comme source d’innovation.
1.3.1 Préserver l’égalité des adresses IPs. Internet a comme caractéristique que chaque ordinateur connecté au réseau peut aussi bien être serveur que client. Pour paraphraser la déclaration des droits de l'homme, « toutes les adresse IP naissent libres et égales en droit ». Cela permet une participation de chacun à l'Internet aussi bien comme consommateur que comme producteur, en créant ou en co-créant des outils et des services utilisables par tous.
Au niveau marchand, la participation du plus grand nombre permet de détecter les futurs talents, de monter une maquette de service et, éventuellement de monter une jeune pousse. Mais la participation de tous peut aussi très bien contribuer à la sphère non-marchande tout en produisant beaucoup de valeur, comme par exemple Wikipedia et ses 35 millions de contributeurs, Linux qui équipe 70% des smartphones ou plus généralement les logiciels libres. Au-delà, cette participation quasi-universelle génère un lien social de grande ampleur.
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1.3.2 De la communication au partage. Ces comportements de contribution des internautes entre eux sont en régulière croissance et s’expliquent aussi par des évolutions technologiques. Ils sont passés d’un mode consommation d’information lors de l’arrivée d’Internet en France dans les années 90, à un mode de consommation et de partage aujourd’hui. Que ce soient les interfaces tactiles, les supports mobiles (téléphones et tablettes), les nouveaux services comme Instagram, ou les réseaux sociaux, ils permettent aux utilisateurs de partager facilement, à tout moment et quasiment à tout endroit, une information ou une opinion sous forme de texte, de photo, d’audio ou de vidéo. Ces échanges, suscités ou non, en quantité massive, sont non seulement sources de liens sociaux mais aussi d’innovation de nouveaux produits et de nouveaux services. Ils s’insèrent dans des modèles d’innovation ouverte des entreprises et des organisations au sens large, incluant même aujourd’hui les pouvoirs publics.
Cette innovation par la participation n’est possible que lorsqu’ il n'y a pas de barrière à l'entrée, permettant ce qu'on pourrait appeler « l'innovation sans permis ».
Cette liberté nouvelle va bien au-delà de la seule liberté de communiquer. Elle doit être protégée.
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2 Le cadre juridique actuel ne protège pas suffisamment la liberté d’expression et de communication des internautes
La liberté d’expression fait partie des libertés individuelles et bénéficie de la garantie de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, du Conseil de l’Europe, des Traités de l’Union et de la Constitution française.
Dans le même temps, avec la transposition du nouveau cadre communautaire, la loi assigne des objectifs au Ministre chargé des communications électroniques et au régulateur. Il oblige à protéger la capacité des utilisateurs d’accéder à l’information et à en diffuser et il requiert l’absence de discriminations entre fournisseurs d’accès et de contenus sur internet en ce qui concerne l’acheminement du trafic.
2.1 La liberté d'expression et la net neutralité dans le cadre juridique actuel
2.1.1 La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et le Code des postes et des communications électroniques Au niveau national, c’est d’abord l’article premier de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui énonce un principe fondamental à valeur constitutionnel transposé dans le numérique par l’article premier de la loi du 30 septembre 1986 : « la communication au public par voie électronique est libre ».
La portée de ce texte est très large, autant dans son principe que dans son champ d’application puisqu’il vise toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée.
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Le lien entre principe de neutralité et liberté n’est jamais défini dans la législation française, mais il ressort à plusieurs reprises de l’esprit de la loi.
Il apparaît d’abord à un niveau de réglementation sectorielle, au sein du Code des Postes et le Communications électroniques (CPCE). Toute action d'un Fournisseur d’accès à Internet consistant à filtrer ou bloquer une communication sur la base de son sens (ex: expression politique, tribune, opinion, article de presse, etc.) est proscrite par le CPCE. Son article L33-1 prévoit ainsi que « L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public et la fourniture au public de services de communications électroniques sont soumis au respect de règles portant sur : [...] b) Les conditions de confidentialité et de neutralité au regard des messages transmis et des informations liées aux communications ». L'article D98-11 en précise la portée et indique que « l'opérateur assure ses services sans discrimination quelle que soit la nature des messages transmis ».
2.1.2 La Loi relative aux droits d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’Information du 30 juin 2006 Le lien entre principe de neutralité et liberté d’expression a également été posé par la loi DADVSI qui prévoit un ensemble de règles destinées à faire bénéficier les usagers de certaines garanties et d’un accès à l’interopérabilité des systèmes et services. Elle tente notamment d’aménager un équilibre entre respect le des droits de propriété intellectuelle sur les logiciels, et les droits de la consommation et de la concurrence. Malgré des débats intéressants sur la neutralité des opérateurs, des services et des contenus, le dispositif final est resté très technique et les revendications sur l’interopérabilité n’ont abouti qu’à peu de résultats à ce jour.
2.1.3 La Loi pour la confiance numérique du 21 Juin 2004 Le principe de neutralité s’exprime également a contrario dans le cadre de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique à travers laquelle les opérateurs sont considérés comme des intermédiaires techniques qui bénéficient d’un régime de responsabilité aménagé sur les contenus dont ils ne sont pas les
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éditeurs - une situation qui ne peut se comprendre que comme la contrepartie d’une obligation non-écrite de neutralité.
Cette prévalence du principe de neutralité en sous-texte de nombreux dispositifs législatifs a créé une attente de définition compréhensible auprès du grand public et des acteurs du secteur.
Du coté des pouvoirs publics, l’ARCEP s’est saisi du sujet dans sa dimension technico-économique, allant jusqu’à élaborer dix recommandations en septembre 2010. D’après le régulateur, le principe de neutralité s’appuie sur la nécessité d’une transparence accrue au sein d’un marché concurrentiel et sur une vigilance active à l’égard des acteurs. Il devrait déboucher sur la possibilité de régler des différends spécifiques, éclairés par des orientations énoncées en amont, et pourrait enfin se traduire par des mesures prescriptives si des défaillances générales devaient être observées.
Mais si le régulateur reconnaît ainsi l’importance du principe de neutralité entre les acteurs du secteur, il ne se prononce pas en pour ce qui concerne la protection de la liberté d’expression. Son action relève seulement de la régulation économique tandis que l’accès du public à l’information n’est pas garanti.
In fine, le cadre législatif actuel ne définit pas pleinement le principe de neutralité, n’impose pas aux acteurs économiques de le respecter et n’assure pas une protection suffisante de la liberté d’expression en ligne. Chaque acteur est aujourd’hui libre d’appliquer des interprétations personnelles, contradictoires et intéressées. Cela aboutit à des situations où des contenus, des services ou, plus généralement, des communications peuvent être filtrés ou ralentis, censurés, bloqués. A l’inverse, ils peuvent aussi être favorisés, mis en avant, imposés.
2.1.4 La législation internationale Comme le montre la cartographie des controverses en annexe, un constat similaire a été fait dans de nombreux autres pays qui ont souhaité définir plus précisément le principe de neutralité afin de mieux protéger la liberté d’expression de leurs citoyens.
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Un projet de loi italien a été proposé en 2009 pour garantir une bande passante minimale et éviter les ralentissements discriminatoires.
En 2011, une résolution au parlement européen a été adoptée en faveur du principe de neutralité. Mais en se refusent à demander une action législative immédiate ou des sanctions à l'encontre des opérateurs qui restreignent l'accès à Internet de leurs abonnés, elle a pour principal effet de souligner la volonté du parlement et de proposer une définition utile de la neutralité.
La première loi européenne sur la question a finalement été passée en 2011 aux Pays-Bas dans le cadre de la transposition du paquet télécom. Sans définir le principe, elle impose des obligations aux opérateurs mais prévoit de nombreuses exceptions et insiste sur le besoin de suivre le sujet dans le futur.
2.2 La France ne peut pas rester sans agir au plus haut niveau.
Il semble important que la France pose un principe clair et général, s’exprimant du haut de la hiérarchie des normes, pouvant être décliné à travers ses applications pratiques aujourd’hui et dans le futur.
Sur le fond, le principe de neutralité doit être inscrit dans la loi de la façon la plus large, afin de s’appliquer au plus de dispositions sectorielles et de cas pratiques qu’il est possible.
S’agissant de la traduction dans le numérique du grand principe de la liberté d’expression, il est nécessaire de le placer au plus haut de la hiérarchie des normes, rejoignant et dépassant ainsi les réflexions initiées aux Etats-Unis.
Pour ce faire, il convient de définir la neutralité de la façon la plus positive possible. Ses applications concrètes doivent être claires et pouvoir s’adapter à l’évolution technologique permanente, et à la transformation des usages, notamment en ce qui concerne le déploiement de plus en plus massif de la mobilité, de l’internet des
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