SHANGHAI ET L'HÉRITAGE DOULOUREUX DU MAOÏSME : LE DESTIN DE LA ...
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SHANGHAI ET L'HÉRITAGE DOULOUREUX DU MAOÏSME : LE DESTIN DE LA ...

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Extrait

1. 3i,ed20s ar m39 egaP rcreM  1015:01  
Shanghai se présente aujourd’hui comme une cité à la fois prospère et harmonieuse, comme la ville de Chine continentale la plus ouverte à l’Occident. Et l’on peut facilement avoir l’impres-sion que c’est l’ensemble de la population, en accord avec ses responsables politiques, qui s’ est rué frénétiquement dans la modernité consumériste et tech nologique, communiant dans un même culte de la richesse, symbo lisé par les audacieux gratte-ciel, le train magnétique et les quartiers chic où l’on trouve tous les produits occidentaux.
DEUX SHANGHAI EN UN JOUR Pourtant, derrière cette apparente unité, derrière ce visage lisse et raffiné qu’offrent les artères de Huaihai lu ou de Nanjing lu, se cachent de profondes disparités so ciales et de sérieux ressenti-ments, en grande partie légués par une histoire que le régime tend à occulter : celle de la période maoïste. Le visiteur occidental peut facilement estimer qu’il s’agit là d’un passé antédiluvien, dont les traces sont peu visibles. Elles sont pourtant bien présentes, si l’on prend la peine d’aller regarder l’envers du décor. Une partie importante des Shanghaiens d’aujourd’hui ont été profondément marqués par cette période qui a non seulement bouleversé leur vie, mais aussi, par ricochet, celle de leurs enfants. Shanghai ayant été sous Mao la ville la plus radi cale du point de vue politique, le
SHANGHAI ET L’HÉRITAGE DOULOUREUX DU MAOÏSME : LE DESTIN DE LA « GÉNÉRATION PERDUE » par Michel Bonnin
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1. Zhiqing(abréviation dezhishi qingnian), ou « jeunes instruits », est le nom donné aux jeunes urbains diplômés du collège ou du lycée qui ont été envoyés travailler à la campagne, potentiellement pou r toujours, depuis les années 1950 jusqu’en 1980, date à laquelle le « mouvement d’envoi des jeune s instruits dans les montagnes et à la campagne » a été abandonné. C’est surtout à partir de 1962 que le mouvement se déve-loppa de façon stable (1 290 000 départs ju squ’en 1966), mais c’est en 1968 qu’il fut relancé par Mao avec des objectifs en partie différents et sur une échelle beaucoup plus large (près de 17 millions jusqu’en 1980). 2. Voir Jean-Jacques Michel et Huang He (pseudonymes collectifs),Avoir 20 ans en Chine… à la campagne, Paris, Le Seuil, coll. « L’ Histoire immédiate », 1978, et Michel Bonnin,Génération perdue – Le mouvement d’envoi des jeunes instruits à la campagne en Chine, 1968-1980Éditions de l’EHESS, 2004. Même si, dans ce, Paris, dernier ouvrage, l’accent est mis sur la péri ode postérieure à 1968, la période antérieure est abordée, ainsi que le destin spécifiqu e des Shanghaiens envoyés au Xinjiang. Voir également, sur Shanghai et les « jeun es instruits », Lynn T. White III,Careers in Shang-hai, Berkeley, University of California Pr ess, Back Thomas Gold, « ; 1978 to the city : the return of Shanghai’s educated youth »,China Quarterly, n° 84, déc. 1980, p. 755-770 ; Anne MacLaren, « The educat ed youth return : the poster campaign in Shanghai from november 1978 to march 1979 »,The Australian Journal of Chinese Affairs,n° 2, 1979, p. 1-20.
932PROMENADES bastion de la Bande des Quatre et le point de départ de la Révolu-tion culturelle, ses habitants ont été particulièrement touchés par les soubresauts politiques de l’ époque, que ce soit comme vic-times, bourreaux ou comparses plus ou moins obligés, chaque individu pouvant passer d’un rôle à l’autre de façon imprévue. Parmi les groupes dont la vie a été bouleversée sur une grande échelle et pour une longue durée, il faut citer particulièrement les zhiqing jeunes, ou « instruits1», sur le destin desquels je souhaite ici attirer l’attention. Mes recherches sur la politique maoïste d’envoi de jeunes urbains dans les campagnes et sur la formation consécutive d’une génération perdue » très spécif ique remontent à bien longtemps « déjà2fait seulement quelques années que j’ai remarqué. Mais cela à quel point ce mouvement était encore présent à Shanghai, non seulement par les traces qu’il a laissées dans la mémoire des habi-tants mais aussi à travers les inégalités sociales qu’il a entraînées. M’étant pendant longtemps beaucoup plus intéressé à Pékin qu’à Shanghai, je n’étais pas particuliè rement au fait de la situation sociale de la ville la plus rich e du continent. J’étais, certes, conscient des inégalités sociales, ancrées dans des différences de statut, qui fracturent les villes chinoises, même les plus privilé-giées. Elles ne m’avaient cependant jamais autant frappé qu’en ce
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SHANGHAI ET L’HÉRITAGE DOULOUREUX DU MAOÏSME933 jour de juillet 2004, où je rencontrai successivement, les uns au déjeuner, l’autre au dîner, des Shanghaiens que je ne connaissais pas encore. Mon interlocuteur du soir était un professeur de l’université Fudan, polyglotte ayant étudié et enseigné dans plusieurs pays, spé-cialiste de Dunhuang et auteur de plusieurs ouvrages témoignant de l’érudition et de la finesse d’espr it de leur auteur. Ce professeur m’avait été recommandé par un cé lèbre intellectuel dissident qui l’avait connu à l’université de Péki n avant et pendant le mouvement de Tian’anmen. Même si, depuis, leurs routes s’étaient séparées et si le professeur avait, dans son mode de vie au moins, rejoint le camp des privilégiés du régime , son analyse des développements politiques depuis le massacre de 19 89 était bien informée, sans illu-sions, et rejoignait la mienne sur bien des points. Je n’ai cependant jamais repris contact depuis avec ce profes-seur et ne l’ai même pas remercié de son invitation dans un très bon restaurant, alors qu’il avait poussé l’amabilité jusqu’à venir me chercher à l’hôtel dans sa co nfortable voiture avec chauffeur. En chemin, il m’avait fait admirer, au-dessus du tableau de bord, un petit sujet doré représentant un sac rempli de clubs de golf (le symbole du club qu’il fréquentait). Eu égard à ma nationalité, il avait même demandé à son chauffeur de passer spécialement devant la boutique Louis Vuitto n qui venait d’ouvrir et dont la devanture représentait un sac (de la fameuse marque) haut de deux étages. Si le goût des produits de luxe est assez largement partagé par les Shanghaiens, tous les professeurs n’ont pas un chauffeur ni un club de golf attitr é. Il m’expliqua lui-même que son père était depuis longtemps un haut dirigeant de la municipa-lité et qu’il vivait avec lui dans un quartier réservé, dont il ne pouvait me donner l’adresse, secr ète comme tout ce qui touche à la nomenklatura chinoise. En relisant aujourd’hui les notes prises après mon dîner avec ce professeur, je m’aperçois à quel point notre conversation avait été intéressante et aurait mérité d’être poursuivie. Mais je sais parfai-tement pourquoi je n’ai pas donné de suite à cette soirée. C’est que le monde dans lequel évolue cet universitaire de bonne famille formait un contraste un peu trop choquant pour moi avec celui que j’avais découvert, quel ques heures plus tôt seulement, grâce à mes interlocuteurs du déjeuner.
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1. Selon Howard French, qui a visité r écemment de nombreux logements anciens de Shanghai destinés aux classes populaires, ces échelles-escaliers sont un élément assez répandu. Mais il ne signale pas de cas de pièces très basses de plafond ; voir H. W. French, « Tucked away in Shanghai – Hidden lives »,New York Times,29 août 2009.
934PROMENADES Celui qui m’avait convié chez lu i, Ouyang Lian, était un ancien zhiqing, ou « jeune instruit qui n’était plus jeune, puisqu’il avait » soixante-trois ans. Il était acco mpagné d’un autre Shanghaien, de cinquante-sept ans, Zhao Lingru, qui se présenta, lui aussi, comme un « jeune instruit ». Ils étaient venus m’attendre au terminus du bus 46, tout près du lieu où ha bitait Ouyang, à qui j’avais télé-phoné de la part et avec la recommandation de mon ami Liu Xiaomeng, l’auteur de l’ouvrage le plus complet sur l’histoire des zhiqing. venait également de publier un recueil d’histoire Liu orale contenant le témoignage passionnant d’Ouyang Lian sur sa vie, et notamment sur son action co ntestatrice à la fin de son long séjour dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang, en 1979-1980. Zhao Lingru avait également rencontré Liu et souhaitait me faire mieux connaître le sort des ancienszhiqingdu Xinjiang et le combat que certains continuaient de mener. Dans une petite ruelle donnant directement dans la riche rue Huaihai, je découvris brusquemen t l’envers du décor. Une fois la porte poussée, donnant sur un rez-de-chaussée où une famille se préparait visiblement à dé jeuner, Ouyang m’indiqua une échelle qu’il fallait grimper pour accéder à son logement : une pièce construite entre deux étages dans laquelle il n’était pas possible, même pour lui qui était plus petit que moi, de se tenir debout1pouvait y vivre qu’assis, couché ou courbé pour. On ne les déplacements. Dans cette pièce très propre nous attendait sa femme, dont Liu m’avait prévenu qu’elle était aveugle. Après le thé et les politesses d’usage, une conversation très chaleureuse s’engagea, Zhao et moi étant assi s sur des chaises face au couple assis sur son lit. Il fallait parfois hausser la voix, quand les voi-sins du dessus, les habitants du premier étage, se déplaçaient sur leur parquet. Rapidement, la femme dit qu’elle allait chercher de quoi déjeuner et je la vis, non sa ns appréhension, disparaître par léchelle-escalier. En réponse à mes questions, les deuxzhiqing continuaient de me brosser le tableau des duretés de leur vie au Xinjiang et des
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