L’Arbre, le maire et la médiathèque de Rohmer Eric

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Extrait

L'arbre, le maire et la médiathèque
de Eric RohmerF
FICHE FILM
fiche technique
France - 1993 - 1h50
Réalisateur :
Eric Rohmer
Scénario :
Eric Rohmer
Musique :
Sébastien Erms
Interprètes :
Pascal Gréggory
(Julien Dechaumes)
Arielle Dombasle
(Bérénice Beaurivage)
Pascal Gréggory et Arielle Dombasle
Fabrice Luchini
(Marc Rossignol)
Résumé Critique
Clémentine Amouroux
(Blandine Lenoir) Le maire de Saint-Juire-en-Vendée, Julien Sorti subrepticement la semaine dernière,
Dechaumes, élu sous étiquette socialiste, le nouveau film d’Eric Rohmer - n’appar-François-Marie Banier
a eu un projet grandiose : doter son village tient pas à la série encore inachevée des
(Régis Lebrun-Blondet)
d'un centre culturel et sportif, comprenant, Contes des quatre saisons. C’est un
Michel Jaouen outre une piscine et un théâtre de verdure, film-surprise, de par sa venue impromptue
une bibliothèque, une vidéothèque, une et son contenu inattendu.(Antoine Pergola)
discothèque, une salle d ‘expositions, ras- A moins de deux mois des élections, Eric
Jean Parvulesco
semblées en une "Médiathèque". Ses rela- Rohmer nous offre - ni plus, ni moins - une
(Jean Walter) tions parisiennes lui ont permis de trouver comédie politique... Julien, le maire socia-
les crédits nécessaires. Tout va très bien, liste de Saint-Juire, village vendéen, va-t-ilFrançoise Etchegaray
et continuerait d'aller le mieux du monde, oui ou non, réussir à faire construire, dans
(Madame Rossignol)
si... un pré de sa commune, un énorme com-
Galaxie Barbouth plexe comprenant une vidéothèque, une
discothèque, un théâtre de verdure et une(Zoé Rossignol)
piscine ?
Jessica Schwing
Bien entendu, le cinéma politique selon
(Véga Dechaumes) Rohmer est un peu spécial. Ne comptez
pas sur lui pour vous dicter votre vote. Ni
même pour laisser deviner ses sympathies.
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Simplement, il applique au politique sa formidable de naturel), mais... Ou plutôt, La morale de cette comédie politique -
méthode de dissection des sentiments il l’aurait eu, si... qui s’achève, mais oui, en comédie
amoureux. Et, bien qu’il ne s’agisse plus musicale - ce doit être ça : "Votons Zoé".
d’un projet sentimental mais Si, toujours si. Une fois de plus, chez Claude-Marie Trémois
politico-culturel, il continue d’étudier le Rohmer, c’est la forme qui nous comble.
rôle du hasard dans sa réussite ou son C’est la forme qui remet les pendules à
échec. Le titre exact est, d’ailleurs : l’heure et sert de pierre de touche : Entretien avec Eric Rohmer
L’Arbre,le maire et la médiathèque qu’est-ce qui est important ? Qu’est-ce
ou les sept hasards. qui est vraiment vrai ? L’image est si On savait qu’Eric Rohmer aimait Pascal
belle, les cadrages sont si parfaits et les (Ma nuit chez Maud) et Kant (Conte
Ou la situation se complique, c’est qu’il couleurs si fraîches qu’il en sourd de printemps). Qu'il se passionnait
n’est pas sûr que ces sept hasards comme une sérénité. Nous voilà dans pour les débats moraux et les contro-
déterminent vraiment le dénouement. les conditions idéales pour jauger le verses amoureuses. Qu’il inventait de
Mais certains personnages le croient, nécessaire et le superflu, les appa- faux proverbes et de vraies comédies.
qui s’en désolent ou s’en réjouissent. rences et la réalité. La beauté est néces- Mais jamais, au grand jamais, on n’eût
Quant à nous, nous pouvons, à la sortie, saire. Les apparences peuvent être imaginé qu’il se souciait de politique.
en discuter à perdre haleine, si nous trompeuses.
avons l’esprit aussi vif et la langue aussi On peut rire à gorge déployée de Télérama : D’ailleurs, vous en souciez-
bien pendue qu’un héros rohmérien. Bérenice, caricature de Marie-Chantal, vous vraiment ?
Si nous avons...: proposition subordon- s’extasiant sur les salades, les vaches et Eric Rohmer : Ça dépend. Je reconnais
née circonstancielle de condition. C’est les moutons, comme Mirabelle dans que dans les années 80, je lisais peu
précisément ce type de proposition Quatre aventures de Reinette et les journaux. Mais, depuis les événe-
qu’explique à ses élèves, en prologue du Mirabelle. On peut rire, mais, derrière ments de l’Est, je les lis. Et je regarde
film, I’ineffable, I’inénarrable, I’inimi- le ridicule, la vérité point. aussi la télévision.
table Fabrice Luchini, promu instituteur C’est vrai que les réflexions de Bérénice
du village. Après cette leçon de gram- sont souvent étrangement pertinentes. Pourquoi avez-vous choisi d’opposer un
maire, apparaît dans un carton le titre Elle a même le génie de mettre le doigt écolo et un socialiste ?
du premier chapitre. sur la faille. Le malheureux architecte, C’était plus intéressant que d’opposer la
Il y en aura sept, du genre : "Si Julien, auteur du projet, va s’en apercevoir très droite et la gauche. D’ailleurs, j'ai l'habi-
après sa défaite, ne s’était pas brusque- vite. tude de parler de ce que je connais et je
ment épris de la romancière Bérénice Dans la bouche du héros rohmerien, la connais peu les gens de droite : mes
Beaurivage...", "Si Blandine Lenoir, parole agit comme un scalpel entre les amis, mes acteurs font partie de l’intelli-
rédactrice au mensuel Après, demain, doigts d’un chirurgien. Mais la vérité gentsia et les intellectuels sont plutôt
n’avait pas, par inadvertance, en voulant est-elle unique ? Chacun avance des de gauche.
enregistrer l'émission de France Culture, arguments justes et d’autres qui le sont
débranché son répondeur...", "Si Véga, moins. Pour ma part, si je devais choisir, Et vous ?
la fille du maire, n ‘avait pas malencon- plutôt que de voter socialiste avec Dans ma jeunesse, quand j’écrivais aux
treusement envoyé son ballon sur le Julien ou écolo avec l’instit’, sans hési- Cahiers, on nous accusait, mes amis et
chemin où passait par hasard Zoé, la ter, je voterais Zoé. moi, d’être de droite parce que nous
fille de l’instituteur..." aimions le cinéma américain ! Quant à
Elle est géniale, Zoé. Dix ans et plus de mon film, il est de droite puisqu’il
Le projet de Julien (Pascal Greggory, qui jugeote que tout le monde. Ce qu’elle n’obéit pas aux règles des syndicats qui
compose avec un talent qu’on ne lui réclame, elle, ce sont des espaces verts interdisent de faire travailler des techni-
soupçonnait pas un personnage nuancé, à la campagne. Un pléonasme ? Bien sûr ciens sans carte professionnelle...
qui évolue tout au long du film) n’a pas que non. Où peuvent-ils jouer, les
l’heur de plaire à l’instituteur écolo, gosses, entre les prés de plus en plus Ecolos, socialistes : qui choisissez-vous ?
amoureux d’un saule centenaire. Ni rares, entourés de barbelés, les champs Si je choisis, c’est dans le privé. Mon
même à Bérenice (I’incroyable, I’irrésis- qui retrécissent et les jardinets minus- film n’est pas un film à thèse. Il n’y a
tible Arielle Dombasle), qui hait les par- cules des résidences secondaires ? Sur pas les bons et les méchants. Et on ne
kings. Julien a bien le soutien d’une les routes ? dénonce aucune magouille. C’est un
journaliste (Clementine Amouroux, affrontement d’idées. Il y a du vrai dans
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ce que dit chacun de mes personnages. Bourges où elle jouait Shakespeare. Elle Rohmer a atteint l’âge de la vraie jeu-
Mais aucun ne détient la vérité. Ce qui est ici d’une invention confondante. nesse, celle qui vient de la réflexion et
m’intéresse, c’est de savoir comment les de l’expérience du monde et permet
gens vont recevoir mon film. Une interview qui se termine dans les d’accéder à une liberté totale.
sables sans que vous ayez avoué vos Voilà donc un film absolument neuf,
Comme dit Bérénice de son ami Julien. préférences politiques, c’est un peu tris- c’est-à-dire que l’on n‘a jamais vu, qu‘on
Avez vous travaillé sur l'improvisation ? te aussi pour le lecteur. n’imaginait même pas voir un jour. Et
Non, tout a été écrit, mais très inspiré Si je m’aventurais à livrer un message dont l’originalité vient d’une idée
de ce que j’ai lu ou entendu depuis deux politique, même avec des réserves, simple, pourquoi ne pas donner en spec-
ans. Seule la scène