La Féline de Tourneur Jacques

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Extrait

La FÈline Cat people FICHE FILM

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D O C U M E N T

Critique

Au cours d'une ÒpartyÓ hollywoodienn Charles Koerner, le nouveau directeur de production de la RKO, entend un invitÈ suggÈrer un titre inÈdit de film :Cat People. Il est sÈduit. A tel point que le lendemain, il dÈclare ‡ ses collabora- teurs : ´Et maintenantboys, Ècrivez-moi un scÈnario qui puisse s'appelerCat People!Ó Ainsi est nÈLa FÈline, le premier et le plus cÈlËbre des films fantastiques ‡ petit budget de la RKO produits par Val Lewton, maÓtre incontestÈ du genre. Au dÈbut pourtant, Lewton est sceptique. NÈanmoins il estime - d'accord en cela avec Koerner - que le public est plus que saturÈ de vampires, de loups-garous ou autres monstres style Frankenstein. Il a Ègalement une raison toute personnelle de s'intÈresser ‡ ce sujet inÈdit : I'aversion innÈe qu'il Èprouve pour les chatsÉ Le premier soin de Lewton sera de s'entourer de collaborateurs de talent. Avant mÍme d'avoir choisi un scÈnario, il a dÈcidÈ d'en confier la mise en scËne ‡ son ami Jacques Tourneur (le fils du rÈalisateur franÁais Maurice Tourneur), qui est installÈ ‡ Hollywood depuis 1934. Les deux hommes se sont connus et apprÈciÈs - pendant le tourna- ge duMarquis de Saint-Evremond(A Tale of Two Cities, 1935) : Tourneur Ètait metteur en scËne de seconde Èqui- pe, tandis que Lewton, grand lecteur de Dickens, Ètait conseiller littÈraire et his- torique. Le producteur fait Ègalement appel au scÈnariste DeWitt Bodeen, avec lequel il a travaillÈ pour David 0. Seiznick ‡ la MGM. Enfin, on lui recom- mande comme chef monteur Mark Robson : I'ancien assistant monteur de Citizen Kane(1940) et deLa Splendeur des Amberson(The Magnificent Ambersons, 1942), relÈ- guÈ dans les productions de sÈrie ÓB depuis qu'Orson Welles est en disgr‚ce ‡ la RKO, se rÈvÈlera toujours un excel- lent conseiller technique pour Lewton, qui lui confiera par la suite plusie

rÈalisations. Lewton et DeWitt Bodeen se plongen dans la littÈrature consacrÈe aux fÈlins Le producteur songe un instant ‡ adap ter une nouvelle d'Algernon Blackwood ÒAncient SorceriesÓ, mais il renonc assez vite ‡ ce projet en raison d contexte trop historique du rÈcit, qui empÍcherait, selon lui, le public d s'identifier totalement aux personnages Entre-temps d'ailleurs, des dessins d mode que lui a montrÈs sa sÏur lui ins- pirent un nouveau canevas : u AmÈricain moyen s'Èprend d'une jeun ÈtrangËre nÈvrosÈe ; celle-ci croit des cendre d'une secte moyen‚geuse d sorciËres des Balkans, qui avaient l facultÈ de se transformer en panthËre pour assouvir leurs passions sangui naires ; cette obsession dÈtruit leu amour et le jeune homme cherche un consolation auprËs d'une camarade d travail, Èveillant ainsi les instincts meur triers de son Èpouse. Pour incarner son hÈroÔne, Lewton pens ‡ Simone Simon, dont il a admirÈ l charme idÈalement ´fÈlinª dans le fil de William DieterleTous les biens d la terre(All That Money Can Buy 1941). La carriËre amÈricaine de l vedette franÁaise n'a pas eu le retentis sement escomptÈ, aussi son engage ment ne se rÈvÈlera-t-il pas trop onÈreu pour le modeste budget allouÈ pa Charles Koerner. Avant que DeWitt Bodeen ne commenc ‡ rÈdiger le scÈnario, Lewton lui avai fait projeter un choix de classiques d film d'Èpouvante, comme exemples d ce qu'il ne fallait pas faire. Il entend e effet faire surgir l'inquiÈtude par l seule suggestion plutÙt que par de effets spectaculaires. Gr‚ce a l'accumu lation savamment orchestrÈe de dÈtail insolites, une sourde menace sembl planer sur les dÈcors les plus familiers comme l'appartement d'lrena (les patte de lion de la baignoire) ou le petit res taurant du repas de noces (avec l'appari tion de l'Ètrange ´femme-chatª). Pui '

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pensionnaires du marchand d'oiseaux dËs qu'lrena pÈnËtre dans la boutiqueÉ DËs lors, la tension croÓt inexorable- ment, ‡ mesure que des dangers indÈfi- nissables cernent Alice, la rivale d'Irena. Lewton et Tourneur nous offrent une des scËnes les plus inquiÈtantes jamais vues ‡ l'Ècran : Alice traverse de nuit Central Park, et tandis qu'elle se h‚te vers le halo rassurant des rÈverbËres, un Ècho feutrÈ et assourdi rÈpond ‡ ses pas ; une prÈsence invisible semble agiter les feuillages et un bruit aussi anodin que le chuintement des portes automatiques d'un autobus fait sursauter comme s'il s'agissait du feulement d'un animal fÈroce. Le parc trËs civilisÈ est devenu une jungle o˘ rËgnent les vieilles ter- reurs ancestrales. L'ambiguÔtÈ subtile voulue par Lewton et Tourneur est malheureusement g‚chÈe par des effets trËs appuyÈs, exigÈs par les dirigeants de la RKO (comme l'appa- rition d'une panthËre en chair et en os dans le bureau d'Oliver et d'Alice). Les obsessions d'lrena (remarquablement servie par Simone Simon), qui peuvent s'expliquer par sa frigiditÈ nÈvrotique et ses tendances homosexuelles latentes, perdent ainsi malheureusement beau- coup de leur intensitÈ dramatique. Le CinÈma grande histoire illustrÈe du 7Ëme art n∞43

(É) Avant tout, ne pas oublier qu'il s'agit l‡ d'un film essentiel, non seule- ment dans la carriËre de ses deux princi- paux artisans (le producteur Val Lewton et le rÈalisateur Jacques Tourneur), dans l'histoire du genre fantastique, mais aussi et surtout dans l'Èvolution du cinÈma tout entier. Borges a consacrÈ une de ses enquÍtes, ÒLa pudeur de l'histoireÓ, ‡ montrer que les dates les plus importantes de l'histoire ne sont pas forcÈment les plus spectaculaires. ´Le soupÁon m'est venu, Ècrit-il, que l'histoire, la vÈritable histoire, est plus pudique, et que ses dates essentielles

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secrËtesÓ. Cela, qui est vrai de l'histoir politique et sociale, I'est plus encore d l'histoire esthÈtique.Cat PeoplereprÈ sente dans le cinÈma une de ces date essentielles et secrËtes. La genËse d film est assez bien connue puisqu Jacques Tourneur et le scÈnarist DeWitt Bodeen l'ont racontÈe (respecti vement in ÒPrÈsence du cinÈmaÓ n∞2 23, 1963 et ÒFilms in ReviewÓ, avr 1963) et que Joel E. Siegel, dans so remarquable ÒVal Lewton. The Reality o TerrorÓ, Secker and Warburg, Londres 1972, a recueilli les tÈmoignages de proches du producteur. (É) Chacun des trois auteurs apportera s pierre ‡ l'Èdifice [deCat People] et, pa exemple, la scËne de la piscine ser suscitÈe par un souvenir de Tourneur qui avait manquÈ se noyer, seul dans u bassin. Lewton affectionne particuliËre ment ces moments d'angoisse, comm la scËne o˘ Alice se sent poursuivie pa une prÈsence invisible. Tout va passer au stade de l'Ècriture comme au stad de la rÈalisation, par la suggestion, pa une progression savante de scËne exprimant la terreur et la violence san qu'elles soient jamais reprÈsentÈes tou ‡ fait sur l'Ècran. Les paroxysmes seron obtenus par une certaine douceur insi dieuse et paradoxale du style, qui s'at tache ‡ suivre de trËs prËs les person nages et les plonge dans une atmosphË re de plus en plus irrespirable que l spectateur est amenÈ ‡ partager ave eux, quoiqu'elle ne provienne d'aucu ÈlÈment horrifique concret. TournÈ en 2 jours et pour un budget assez modest de 130 000 dollars,Cat Peoplesera l premier d'une sÈrie de quatorze film produits par Val Lewton (dont 11 pour l RKO) et, dans la carriËre de Tourneur, l premier o˘ il est devenu vÈritablemen lui-mÍme gr‚ce ‡ l'influence ultra-crÈa trice de son producteur. Celui-ci l'initia dit-il, ‡ Òune poÈsie dont il avait bie besoinÓ (cf. son interview tÈlÈvisÈe pou FR3 par Jean Ricaud et Jacques Manley mai 1977). Une fois terminÈ, le film es fort peu apprÈciÈ des patrons de la R

et sortira en bouche-trou au Hawai Cinema de Los Angeles qui venait d terminer l'exploitation deCitizen Kane. Cat Peoplefit mieux que son illustr devancier, et son triomphe remit su pied la RKO en 1941, annÈe trËs difficil pour la firme.Cat Peoplepermit ‡ Val Lewton de produire entre 1942 et 1946 toujours avec des budgets trËs rÈduits qui lui assuraient une totale libertÈ d conception et d'exÈcution, I'un des plus extraordinaires ensembles de films fan tastiques du cinÈma hollywoodien (d'o˘ se dÈtachent particuliËrement le subli- meSeventh VictimetBedlamqui clÙ la sÈrie).Cat PeoplelanÁa aussi l vraie carriËre de Jacques Tourneur qui donna ensuite dans la mÍme lignÈ deux Ïuvres encore plus parfaites (I Walked With a ZombieetLeopar Man) avant de jeter un regard profondÈ ment neuf sur les autres genres holly- woodiens o˘ il s'illustra. Plus les annÈes passent, plus l'apport du film parai incalculable. Avec lui, le fantastique - qui ne sera jamais plus pareil - dÈcouvr qu'il peut tirer son efficacitÈ maximu de la litote, qu'il peut inventer de nou veaux moyens d'empoigner le specta teur en s'adressant ‡ son imagination. La richesse du travail sur la lumiËre notamment contribuera ‡ intÈrioriser l contenu du film dans les personnages e ‡ provoquer une identification plus sub tile et plus poussÈe du spectateur ave ces personnages. C'est l‡ que se situe, avec pudeur, la rÈvolution radicale de c film. On peut la rÈsumer d'un mot : c'est la rÈvolution de l'intimisme. Elle dessine pour ainsi dire une ligne de fractur entre le cinÈma d'avant-guerre et l cinÈma moderne. Ce que le cinÈma va gagner, c'est une plus grande proximitÈ, une plus grande intimitÈ - qu'on pourrai presque qualifier de psychique - du spectateur avec les personnages, explo rÈs dans le trÈfonds de leurs peurs, de leurs angoisses, de leur inconscient. Cet apport n'est pas contradictoire, loin de l‡, avec celui du nÈo-rÈalisme qui abou

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augmenter l'intimitÈ du spectateur sur un plan social et bientÙt spirituel avec les personnages. Le recul est mainte- nant suffisant pour queCat Peopleet les premiers films de Rossellini aprËs guerre apparaissent, I'un secrËtement et souterrainement, les autres d'une maniËre spectaculaire et peut-Ítre trop tonitruante, comme les films les plus fÈconds de ces cinquante derniËres annÈes. Le cas deCat Peopleest parti- culiËrement Ètrange puisqu'il nous amËne ‡ avoir plus d'intimitÈ avec un personnage (celui de Simone Simon) qui ne peut en avoir avec personne. Sa malÈdiction est enfouie ‡ l'intÈrieur de lui-mÍme et si profondÈment que seule une investigation de type plongÈe dans les grands fonds peut permettre de la faire entrevoir. Avant ce film, le cinÈma Ètait ce miroir plus ou moins fidËle pro- menÈ le long du chemin. A partir deCat People, il tendra ‡ devenir cet instru- ment de plongÈe qui descend au plus profond des personnages comme dans un puits. Pendant les annÈes qui sui- vront, le courant du film noir renforcera cette Èvolution en mettant ‡ son service, sous une forme actuelle et contemporai- ne, les acquis lointains de l'expression- nisme mariÈs ‡ une dÈcouverte rÈcente et souvent rudimentaire de la psychana- lyse. Point de dÈpart de l'oeuvre rÈelle de Tourneur,Cat Peoplecerne bien ce qui va Ítre le credo de cette Ïuvre et son mode d'approche de la rÈalitÈ. Toute rÈalitÈ est de l'ordre du mystËre, de l'Ètrange, de l'ineffable. Il faut l'apprÈ- hender de l'intÈrieur, par la suggestion et l'imagination. Le regard qui ira le plus profond en elle a toutes chances d'Ítre celui d'un Ètranger, et Tourneur restera en AmÈrique l'un des cinÈastes les plus Ètrangers ‡ ce pays, en proie ‡ une sur- prise continuelle, ‡ une totale et ingÈ- nue disponibilitÈ. Elles feront de lui un pionnier secret, un Èclaireur explorant de nombreux territoires quelques ins- tants avant tout le monde. (É) Jacques Lourcelles

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celui de l'incons Le rÈalisateur Perilous(Angoi conspirations NÈ ‡ Paris, fils de l'actrice Van Doren et Express, 1948, du cinÈaste Maurice Tourneur, il 1958). La rÈsolut acquiert une formation de monteur et moins que la pro d'assistant-rÈalisateur sur les films tour- ‡ travers un univ nÈs par son pËre en France et aux …tats- ment obscurci, Unis. ll devient citoyen amÈricain en dÈchiffrÈ comme 1919, mais c'est en France qu'il dÈbute …preuve quasi in comme rÈalisateur en 1931, avant d'Ítre table par les pÈ pris sous contrat ‡ Hollywood en 1934. Il que par le verti trouve sa voie lorsque le producteur Val suscite. Lewton le fait entrer dans la maison de Le sentiment d'i production R.K.O. en 1942 et lui confie instille dans ses trois films fantastiques dont la subtilitÈ nels tient ‡ l'inc raffinÈe renouvelle le genre :Cat crÈatures aprËs People(La FÈline, 1942),I Walked Que la situation with a Zombie(Vaudou, 1943) etThe surnaturel, qu'el Leopard Man(L'Homme-lÈopard, tion logique ou 1943). Convaincu que ÒI'Èpouvante, pou son inquiÈtante Ítre sensible, doit Ítre familiËreÓ est qu'elle Èbr Tourneur situe ses fictions dans un convictions du cadre contemporain, se garde de visuali- contraigne ‡ a ser l'objet de la terreur et distille l'an- dÈpasse touj goisse par sa seule mise en scËne. Loin L'Ïuvre de Tour d'imposer une interprÈtation rÈductrice, trer les alÈas et donc rassurante, il prÈfËre ouvrir, par connaissance dis des points de suspension, le champ illi- donne ‡ voir, sur mitÈ du surnaturel. hÈros, c'est l'effr Il aborde ensuite, avec une Ègale dispo- firmitÈ de la rais nibilitÈ, les genres les plus codifiÈs de vers parallËles. ( Hollywood : le film ÒnoirÓ tel queOut of E the Past(La Griffe du passÈ/Pendez- moi haut et court, 1947), le western (Wichita, 1955), IÕÓamericanaÓS (tars in my Crown, 1950) et le film d'aven- Filmograp tures avecThe Flame and the Arrow (La FlËche et le flambeau, 1950), ouTout Áa ne vaut Anne of the Indies(La FlibustiËrePour Ítre aimÈ des Antilles, 1951). FidËle ‡ une esthÈ-Toto tique de la suggestion, voire de l'auto-Les filles de la suggestion, il s'applique ‡ dÈmantelerThey all come les certitudes ou les prÈjugÈs de sesNick Carter, M personnages, qui sont, presque invaria-Phantom raider blement, des AmÈricains taciturnes,Doctors donÕt pragmatiques, enclins ‡ l'observationCat People scientifique. Il aime ‡ confronter cesLa FÈline esprits positivistes ‡ un arriËre-mondeI Walked with tÈnÈbreux, que ce soit celui de la magieVaudou noire avecNight of the Dem (Rendez-vous avec la peur, 195

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