Fiche technique du film Oedipe roi de Pier Paolo Pasolini. Produite par Le Centre de Documentation du Cinéma[s] Le France Site : abc-lefrance.com " Résumé : Meurtrier du roi Laïos qu’il ignore être son père et époux de la reine Jocaste qu’il ignore être sa mère, OEdipe réalise ainsi l’oracle qui faisait de lui un parricide incestueux malgré lui ".
Œdipe roi
Edipo ReF de Pier Paolo Pasolini
FICHE FILM
Fiche technique
Italie - 1967 - 1h50
Réalisateur :
Pier Paolo Pasolini
Scénario :
Pier Paolo Pasolini
d’après Sophocle
Musique :
Mozart
(quatuor en ut majeur)
Interprètes :
Franco Citti
(Œdipe)
Franco Citti (Œdipe)Silvana Mangano
(Jocaste)
Alida Valli Résumé Critique
(Mérope)
Meurtrier du roi Laïos qu’il ignore être son L’histoire d’Œdipe.
père et époux de la reine Jocaste qu’il On chercherait en vain au long de ce film
ignore être sa mère, Œdipe réalise ainsi une représentation du mythe accordée à la
l’oracle qui faisait de lui un parricide inces- mythologie traditionnelle. Non que Pasolini
tueux malgré lui. ait renoncé à évoquer la Grèce archaïque.
Au contraire. Il y parvient en utilisant
comme dans d’autres films des «matériaux
empruntés à divers secteurs de la culture »
(Pasolini, Les dernières paroles d’un impie),
plantant sa caméra devant les remparts
ocres des cités du Sud marocain, se souve-
nant des masques d`Afrique et d’Océanie,
des vestiges de I’art perse ou aztèque. Le
résultat est d’une saisissante étrangeté. Ce
film est autobiographique (...). Plus de
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soixante ans après la publication des vient, dans L’évangile selon saint- et de gros plans dont la nécessité
Trois Essais sur la sexualité de Freud, Matthieu, Pasolini avait tenu à faire n’apparaît pas toujours; des travellings
comment Pasolini s’y prend-il pour pré- figurer sa mère, dans le rôle de Marie, avant sur le dos des personnages par
server son originalité de créateur ? Le vieille et souffrante, au pied de la Croix . trop insistants ; une musique d’accom-
prologue et l’épilogue de son Œdipe roi Quant à la détresse et à la maladie, il y pagnement légèrement ronronnante
se situent dans notre temps. Les pre- a gros à parier qu’il a connu cela aussi. (Pasolini l’a conçue à mi-chemin du réa-
mières images sont celles d’une ville, D’un point de vue moins subjectif, il est lisme et de l’opéra: je sais bien que cela
d’une rue, d’une maison qui ressemblent trop clair qu’Œdipe, bouc émissaire recoupe ses plus chères préoccupations,
à celles qu’a connues Pasolini durant chargé par les dieux de crimes qu’il ne cependant...), enfin, les cartons interca-
son enfance. Le conflit qui l’a dressé commet finalement que contraint et laires calligraphiés, qui prétendent faire
contre son père éclate au cours de la forcé, ployant sous le joug d’un impla- grand cinéma muet et auraient plutôt un
séquence finale, à la fois réaliste et cable fatum, accomplissant tragique- air fâcheusement «Godard gothique».
elliptique. L’épisode marocain qui, sans ment sa condition de poète errant, Par ailleurs, Pasolini doit se débarrasser
transition, lui fait suite et soudain nous s’identifie assez exactement à l’idée que au plus vite d’une influence envahissan-
tire dans un autre temps n’est donc que se fait Pasolini de l’artiste contemporain te : celle d’Eisenstein.
«I’énorme songe du mythe » (Les der- (lequel n’a, dit-il, d’autre ressource que Quoi qu’il en soit, de la tradition au
nières paroles d’un impie), songe qui celle «de vivre dans un mensonge conti- modernisme, il n’y avait qu’un pas, à
s’achève par un retour à la réalité, c’est- nuel»). Et l’Histoire de ces dernières demi franchi dans Œdipe roi. Mais la
à-dire à la vie de Pasolini, résumée en années n’a-t-elle pas repris à son comp- vraie dimension contemporaine du
trois scènes consécutives : la poésie et te - même si elle les a désacralisées, ou mythe d’Œdipe, c’est dans Théorème
les illusions de la jeunesse, I’aridité de recouvertes du manteau de la psychana- qu’on va la trouver : ce deuxième film
l’engagement politique, le retour enfin lyse - les notions de déterminisme n’est en effet qu’une exacerbation sub-
au pays natal. «La vie finit comme elle aveugle, d’hérédité morbide, de trans- consciente, une excroissance ou mieux
commence.» Tel est l’ultime constat cendance de l’individu ? Dès lors, ne un abcès de fixation, douloureusement
d’Œdipe. Film ambitieux et complexe, convient-il pas que le poète de mots «personnalisé» , du précédent.
d’une grande richesse d’inspiration libre tout autant que d’images incarne à sa Claude Beylie
et toutefois maîtrisée. manière de telles notions ? Frère en cela Cinéma n°13, mai 1969
Emmanuelle Neto du proxénète d’Accatone, Œdipe sera
Guide des Films donc montré comme révélateur de
Ed. Laffont, 1990 l’imposture ambiante, comme une victi- «Maintenant tout est voulu, non imposé
me - par-delà ses crimes, plus symbo- par le destin.» Telles sont les paroles
liques que réels - de la société qui l’a que profère l’Œdipe de Pasolini en se
Mais enfin en quoi, se demandera-t-on, forcé à être ce qu’il est. Assassiner le crevant les yeux lorsqu’il assume la res-
I’auteur d’Accatone et d’Uccelacci e père équivaut pour lui à détruire la ponsabilité de son double crime. Nous
uccelini pouvait-il être séduit par la marionnette, à jeter le masque hideux reconnaissons l’Œdipe grec, qui garde
destinée, cent fois contée (de Sophocle qu’on voudrait l’obliger à porter. Il se dans la catastrophe la seule fierté
à Gide, de Corneille à Cocteau), du fils libère, fût-ce au prix de son confort, de d’avoir devancé Apollon : « Aucune main
de Laïos et de Jocaste, parricide, inces- sa jeunesse, de sa vie. Il devient, vérita- n’a frappé que la mienne».
tueux, vainqueur du Sphinx et condamné blement, un héros de notre temps, et du Du mythe grec Pasolini a bien gardé
à errer sans fin, aveugle et misérable, même coup un martyr. Pasolini martyr ? l’essentiel : la double quête «extrava-
dans le désert de la Grèce antique ? Je sais bien que certains vont rire. Ils gante et fiévreuse d’une conscience » :
Tout d’abord, et c’est déjà une excellen- auront tort. Tout créateur est un martyr, celle du jeune homme, impatient de
te raison, parce que cette destinée, il l’a dans la mesure où il va jusqu’au bout de savoir «seul et tout de suite» le secret
vécue profondément dans sa propre son projet initial, où il I’assume totale- de ses origines ; celle du Roi, soucieux
chair : comme chez beaucoup d’homo- ment. Ce qu’a fait Pasolini, mythe et de sa cité et qui jure de découvrir le cri-
sexuels (qui ne craignent pas de mystifications inclus. minel dont la faute cachée a plongé
s’avouer tels et jouent sincèrement le Déplorons tout de même, çà et là, Thèbes dans la peste et la terreur.
jeu), la passion de la mère est si forte- quelques maladresses, ou fioritures A travers l’itinéraire de l’Œdipe, pro-
ment ancrée en lui que le seul espoir de superflues : la rencontre avec le Sphinx, gressant de l’inconscience du mal à la
l’exorciser, en la sublimant, était peut- traitée avec une déconcertante brutali- connaissance du mal, Pasolini nous
être de faire ce film. Déjà, on s’en sou- té ; une alternance de plans d’ensemble donne à déchiffrer une autre aventure,
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spirituelle elle aussi mais plus obscure, grec semble s’y référer : c’est celle où le Commentaire de Pasolini
où l’homme-Œdipe recule devant la peuple étranger, celui de Corinthe, offre
connaissance ; et c’est l’Œdipe freudien à Œdipe une fille à épouser : ce mariage
Pier Paolo Pasolini : Œdipe Roi n’est
qui tue le sphinx pour ne pas entendre le apparaît licite, béni par le clan, encoura-
pas un film entièrement antique. Il y a
secret terrible et qui, ce faisant, précipi- gé par la tribu. Les mêmes fêtes, la
un prologue et un épilogue modernes. Le
te en lui-même, dans ses abîmes inté- même musique baignent les noces de
prologue, c’est l’enfance d’un petit gar-
rieurs, ce crime à deux visages qui n’en Jocaste et de l’étranger sauveur de la
çon, qui pourrait être l’un de nous, et qui
finit plus de ressurgir ; le père assassi- cité. Mais le mariage exogamique se
rêve tout le mythe d’Œdipe, tel que l’a
né, la mère aimée d’amour. révèle être l’inceste et le fléau manifes-
raconté Sophocle, avec des éléments
Le père, Pasolini lui a donné l’aspect un te la colère des Dieux.
freudiens, bien entendu. A la fin, ce
peu ridicule d’un très jeune homme, Si chargé qu’il soit de résonances freu-
petit garçon est vieux et aveugle et il est
gringalet, moins mûr et moins robuste, diennes, I’Œdipe de Pasolini n’est
un peu ce qu’en son temps Tirésias a
sous sa tiare et sa barbe postiche, que cependant pas seulement l’œuvre d’un
été, c’est-à-dire une sorte de prophète,
son fils Œdipe couronné de feuillage. Le penseur ayant assimilé les théories d’un
d’«homo-sapiens», de sage, qui joue des
père c’est le roi Laïos qui barre le che- philosophe, c’est un film-confession où
airs sur sa flûte et parcourt le monde
min au carrefour fatidique, c’est aussi ce l’auteur exorcise ses propres peurs, ses
contemporain. La première scène se
petit officier de 1926 qui regarde d’un propres fantasmes. Œdipe au désert
passe à Bologne en 1967 et là ce vieil
œil hostile l’enfant au berceau : «N’es- c’est bien le héros du poème qui est au
aveugle joue un air qui rappelle l’époque
tu pas venu pour prendre ma place en ce centre du roman Théorème : le fils deux
bourgeoise, le monde «libéral», le
monde, me ravir l’affection de celle que fois exclu du paradis vert aux peupliers
monde capitaliste en somme. La deuxiè-
j’aime ? ». Car la fable grecque est insé- transparents. C’est aussi «I’intellectuel
me scène se passe à Milan près d’une
rée dans un récit moderne ; elle surgit sans mandat» dont le corbeau figurait la
usine où se trouvent des ouvriers et là,
comme le cauchemar d’un enfant qui a version ironique et dérisoire et tout
Œdipe joue sur sa flûte des airs de la
vu s’aimer son père et sa mère et qui a aussi désespérée que la version tra-
Révolution Russe. A la fin, toujours à la
lu sur le visage du père une vague hosti- gique. Car Œdipe, c’est aussi celui qui a
recherche d’un lieu nouveau où s’établir,
lité. L’Œdipe aux pieds gonflés, I’enf