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[Hérodote, Revue de géographie et de géopolitique] Langue et nation en France
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Hérodote, Revue de géographie et de géopolitique n°126 - Géopolitique de la langue française (troisième trimestre 2007) «Langue et nation en France par BARBARA LOYER http://www.herodote.org/article.php3?id_article=293
Hérodote, Revue de géographie et de géopolitique 126 - Géopolitique de la langue française (troisième trimestre 2007)
«Langue et nation en France par BARBARA LOYER
Les passages de cet article portant sur le rap ont été écrits avec l’aide de Jérémy Robine, doctorant à l’Institut Français de Géopolitique (thèse : "La question postcoloniale : Enfants de l’immigration et nation en France").
Résumé : Langue et nation en France
La relation entre langue et nation en France peut s’étudier sous deux aspects. Celui des langues régionales par rapport à la langue française, qui fait apparaître une grande diversité de situations concrètes. Celui des usages différenciés de la langue française elle-même, qui fait émerger d’autres espaces, comme par exemple, dans le cas d’une étude des chansons de rap, certains territoires urbains. Dans les deux approches, on analyse une figure du langage qui est commune aux discours développés autour des langues régionales et au rap : la figure de la victime. Les deux exemples sont développés afin d’ouvrir d’autres perspectives pour l’analyse géopolitique de la nation.
Abstract : Language and nation in France
The link between language and nation in France may be analyzed under two different aspects. On one hand the regional languages in relation with the French language, which shows a great diversity of real situations. On the other hand the different uses of the French language itself, which brings out other spaces and dimen-sions, as for example, in the case of a study of rap songs, certain urban territories. In the two approaches, there is a common figure of speech developped around regional languages and rap : the image of the victim. Both examples are developped in order to open other perspectives for the geopolitical analysis of the nation.
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La francophonie, comme mode de relation diplomatique de la France, est une réalité qui évolue rapidement face à la croissance de l’influence anglophone. Disons en simplifiant qu’on a longtemps envisagé la langue française à l’aune de statistiques sur le nombre de ses usagers, l’évolution de cette quantité étant interprétée comme autant de victoires ou de défaites dans une bataille mondiale contre l’anglais. Aujourd’hui, au contraire, dans les milieux des experts de la francophonie, on parle de « langues partenaires . C’est une façon de mettre l’accent non plus seulement sur des quantités de locuteurs ou de pages lues en langue française, mais sur la manière dont les populations peuvent devenir ou rester polyglottes en gardant la langue française dans leur bagage linguistique. Le concept de francophonie s’est donc transformé avec la conscience que dans les pays dits « francophones  d’autres langues s’imposaient aux côtés du français, langues nationales de substrat local et anglais. Le changement de paradigme, de la « grande  langue aux côtés des petites langues locales, à la langue dite « partenaire , envisagée sur un pied d’égalité avec celles qui sont parlées dans tel ou tel pays, traduit en fait la conviction nouvelle qu’il faut relativiser la place du français dans les différentes nations indépendantes qui l’ont en usage afin d’en préserver la pérennité à long terme. Le français est présenté comme un atout pour le développement d’une mondialisation pluriculturelle dans laquelle les échanges se font dans plusieurs grands idiomes internationaux (anglais, espagnol, arabe, français). Le programme de l’Agence universitaire de la francophonie est, par exemple, présenté dans les termes suivants : « La langue française cultivera sa relation aux langues du monde, l’anglais, l’espagnol, le portugais, mais aussi l’arabe et les langues nationales en contact avec elle.  De même, l’Organisation internationale de la francophonie « favorise le plurilinguisme au sein de l’espace francophone par le développement équilibré du français et des langues partenaires, particulièrement les langues africaines transfrontalières, vecteurs d’expression, de développement, d’éducation, de formation et d’information.  l’échelle mondiale, elle noue des alliances et établit des synergies entre le français et les grandes langues internationales .
Cette évolution soulève donc la question de la relation de la langue française aux autres langues. Dans les pays anciennement colonisés, pour contourner l’obstacle associant la langue française à une forme de néocolonialisme, il faut envisager sa place relative dans un ensemble complexe d’idiomes divers. Le concept de « langue partenaire  est ainsi le résultat d’une réflexion sur les relations entre les langues. En France, la relation entre langue française et langues régionales est en général perçue comme un combat historique, à l’issue duquel la première a vaincu les secondes. Les partisans ou les défenseurs de ces dernières réclament en quelque sorte réparation de ce qu’ils voient comme un dommage historique. Au lieu de langues partenaires, on est plutôt donc face à des langues adversaires, et c’est cette rivalité que l’on veut étudier.
Par ailleurs, le rapport entre langue et nation est aussi une question de contact entre classes sociales. Les linguistes ou sociolinguistes ont mis en valeur l’importance des déviances dans l’évolution de la langue française et des relations sociales induites par la domination des normes : le bien parler ou la maîtrise de l’orthographe classent une personne. C’est particulièrement vrai pour notre langue dont l’orthodoxie est réglée par l’Académie et le système scolaire qui donne tant d’importance à la dictée. Pour explorer les pistes de ce rapport entre langue et nation en France (pistes qui pourraient être aussi empruntées dans d’autres pays francophones), on ébauchera aussi une analyse des représentations géopolitiques qui concernent la nation dans un genre musical : le rap. Le rap souvent décrit comme l’expression d’une communauté française de la banlieue. On verra à travers cet exemple comment la langue française et les différentes façons de la parler relèvent de l’analyse géopolitique.
Français et langues régionales : des langues adversaires
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Une représentation communément admise est que le rapport entre la langue française et les autres langues de France a toujours été fondé sur la force, alors que cela se discute, comme nous le verrons par la suite. Selon les défenseurs des langues régionales, le temps devrait venir où cette relation, qu’ils estiment inégalitaire et injuste, devrait être réparée. De leur point de vue, les langues régionales devraient se voir reconnaître un statut égal à celui du français. Par exemple, la coofficialité du français et du basque est demandée par les nationalistes basques et un ensemble d’associations pour la défense de l’euskara, appelé plate-forme batera. La singularité du cas de la langue basque est qu’elle est adossée à une communauté autonome du Pays basque espagnol appelée Euskadi, dans laquelle l’euskara est langue co-officielle, et qui est gouvernée depuis 1980 par le même parti nationaliste basque. La politique linguistique de ce gouvernement autonome a donc été très volontariste, au point qu’aujourd’hui environ la moitié des élèves de l’enseignement primaire et secondaire d’Euskadi étudient en langue basque, dans un système bilingue mis en place, pour la première fois dans l’histoire de cette région, à partir des années 1980. Les statistiques du gouvernement basque évaluent en 2001 que 43 % des moins de 30 ans connaissent le basque [ 1 ] contre 26% en 1991 (population Euskadi 2,1 millions d’habitants). Cela ouvre, bien sûr, des perspectives au mouvement basque favorable à l’usage de l’euskara en France et d’ailleurs, depuis 2007, le gouvernement d’Euskadi finance une partie des actions linguistiques en France [ 2 ]. Rappelons que l’idéologie nationaliste basque comprend explicitement la volonté de réunir en une seule nation souveraine les territoires bascophones d’Espagne et ceux de France.
En Bretagne, pour une population de 3 millions d’habitants, on compte 263 850 locuteurs de breton, les deux tiers ayant plus de 65 ans, et moins de 2% des élèves étudient en filière bilingue français-breton [ 3 ]. La deuxième langue régionale de Bretagne est le gallo. Elle suscite beaucoup moins de mobilisation que le breton. Diverses associations, et le parti Union démocratique bretonne, travaillent pour que la langue bretonne soit co-officielle avec le français. Si ce parti n’a obtenu que 4,8 % des voix aux élections régionales de 2004 (4 élus sur 83), il participe néanmoins activement au conseil régional [ 4 ]. La langue bretonne présente les mêmes caractéristiques que la langue basque du point de vue de son faible rayonnement géographique : elle n’est parlée nulle part ailleurs, et la difficulté de son apprentissage est grande pour un adulte. En revanche elle s’en différencie complètement par l’isolement et la petitesse dans lesquels se trouve le territoire où l’on parle breton. Ce n’est pas du tout la même situation géopolitique que celle du basque.
Dans toute la zone langue d’oc, du sud de la France au nord du Limousin, les tenants d’une seule grande langue d’oc s’opposent à ceux qui veulent une politique favorisant l’épanouissement de diverses langues ou dialectes parlés dans l’aire d’oc, notamment le provençal. Il n’y a pas de réelle intégration en un seul mouvement des multiples associations de défense des langues d’oc, sans doute parce qu’il n’y a jamais eu de territoire du Languedoc qui corresponde à l’extension de ces langues ou dialectes.
Le catalan est un cas qui pourrait se rapprocher de la situation basque puisque la Catalogne espagnole mitoyenne du Roussillon est complètement catalanophone et a été dirigée par des nationalistes catalans de 1980 à 2003. Mais ce qui la différencie beaucoup du pays basque c’est que, d’une part, le parti au pouvoir n’a jamais mis l’accent sur l’expansion de la nation catalane vers le Roussillon et, d’autre part, cette langue est très proche de l’espagnol et du français, il n’y a donc pas besoin de l’apprendre pour pouvoir la lire (mais il faut l’étudier pour la parler).
En Corse, les régionalistes et nationalistes ont choisi de tourner le dos à l’italien pour faire du dialecte insulaire une langue régionale singulière avec ses formes écrites. En Alsace, les milieux investis dans la diffusion du bilinguisme ont fait le choix de promouvoir l’enseignement de l’allemand plutôt que la langue parlée par les Alsaciens bilingues. « Il n’existe qu’une seule définition scientifiquement correcte de la langue régionale en Alsace, ce sont les dialectes alsaciens dont l’expression écrite est l’allemand  (site de l’Office pour la langue et la culture en Alsace). Ce choix a provoqué quelques polémiques car des défenseurs de la langue alsacienne se sont émus du risque, bien réel, de voir ces formes parlées
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disparaître si elles ne sont pas enseignées à l’école.
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Enfin le créole est entré en 2000 dans les programmes de CAPES pour les Créoles des Antilles, de Guyane et de l’océan Indien. Là aussi il existe une polémique sur le concept même de langue créole au singulier, car il crée une unité factice entre des langues différentes [Chaudenson, 2002]. Même en se limitant au cas des Antilles, la réalité du rapport au créole fait apparaître la différence entre Guadeloupe, Martinique et Guyane puisque la majorité des étudiants de créole sont guadeloupéens (en 2005 : 60 % d’étudiants guadeloupéens, 30 % de Martiniquais et 10 % de Guyanais). La Guadeloupe est plus créolophone que la Martinique [Desroses, 2005]. En Guadeloupe, la population est majoritairement noire car la révolte des esclaves en 1793 contre les planteurs blancs a provoqué le départ de ces derniers. En Martinique, les békés, planteurs blancs, sont restés (en 1794, l’île est sous contrôle anglais), la population est très métissée, les relations à la France et aux Français sont différentes [Lacoste, 1996].
On a donc une panoplie de situations différentes : deux langues isolats, le breton et le corse, deux langues transfrontalières de faible rayonnement international et culturel, le basque et le catalan, une langue transfrontalière de grande projection internationale et culturelle, l’allemand, un ensemble de dialectes de langues d’oc, une langue partagée entre des territoires discontinus très lointains de la métropole, le créole antillais. Malgré cette diversité, il existe une communauté d’esprit dans les textes et demandes des militants engagés pour la reconnaissance et la diffusion des autres langues de France, constituée autour de l’idée que l’État français a opprimé leur expression au nom d’une idée de la nation unitaire qu’ils jugent factice et opprimante. Ainsi, la disparition progressive des langues régionales sert de support à un discours et à une représentation négative de l’État, considéré comme l’artisan de leur quasi-disparition avec l’enseignement obligatoire du français dans les écoles.
De la langue au territoire historique
Dans le cas de l’Alsace, le rapport au territoire est peu affirmé, ce qui peut s’expliquer par l’histoire de la région. Les Allemands et les Français se sont fait trois fois la guerre pour le contrôler et ses habitants ont été contraints de choisir l’une ou l’autre nation sans que la perspective d’une quelconque souveraineté alsacienne fût envisageable. Le choix de la langue allemande comme langue régionale écrite va dans ce sens. « Le dialecte alsacien a besoin de l’allemand pour se ressourcer, pour acquérir des mots nouveaux ou pour dire les réalités nouvelles. Les dialectes alsaciens se sont limités progressivement à la famille, aux relations de voisinage, à la vie associative. Ainsi le dialecte alsacien échappe à la modernité et régresse. Il régresse d’autant plus que les seuls emprunts sont faits au français  [Morgen, 2003]. En outre, l’ensemble linguistique germanophone dépasse la ligne bleue des Vosges et englobe la Moselle, elle-même partie prenante d’espaces internationaux plus complexes avec, notamment, le Luxembourg.
En Bretagne ou au Pays basque, la relation entre langue et territoire est beaucoup plus forte. Dans les deux cas, en effet, la revendication linguistique est très souvent liée à la question territoriale, comme si le mouvement pour la défense de la langue était plus efficacement médiatisé par ceux qui veulent aussi la reconstitution d’un territoire historique, aux limites de l’ancien Duché de Bretagne et à la réunion des sept provinces basques. Au Pays basque français, cette vision unitaire se décline soit sur un plan politique, c’est l’idée nationaliste, soit sur un plan culturel, sans recherche de la souveraineté politique de l’ensemble linguistique. Les militants politiques sont cependant plus en mesure d’imposer un calendrier et des ordres du jour aux seconds, car un tel projet est une motivation beaucoup plus claire et efficace sur le plan de l’action qu’un simple désir de culture. L’Occitanie quant à elle n’existe pas en tant que territoire politique. C’est un vaste ensemble culturel assez diversifié dans le détail, une
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évocation plus qu’un projet, une représentation de la France du Sud.
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Enfin, la Corse et les Antilles sont des îles. Les limites de leur territoire sont de ce fait une évidence, mais en vérité les Antilles sont composées de diverses îles aux caractéristiques politiques, sociales et économiques assez différentes et dans lesquelles les populations défendent des intérêts parfois contradictoires. On sait que la Guadeloupe est plus indépendantiste que la Martinique, les syndicats, la lutte des classes et l’évocation des méfaits de l’esclavagisme y sont plus prégnants qu’en Martinique.
La demande de reconnaissance de statut officiel pour une langue régionale fait partie des débats sur la décentralisation en France ; ainsi, par exemple, pour les législatives de 2007, le conseil culturel de Bretagne a envoyé un questionnaire aux candidats bretons en leur demandant s’ils favoriseraient : « la création d’un service public breton de radio et de télévision propre à l’ensemble de la Bretagne, à l’instar de ceux qui existent dans des régions comparables dans tous les pays démocratiques d’Europe, pour permettre une réelle expression des langues, de la culture et de la vie économique et sociale de la Bretagne ; la pérennité et le développement de l’enseignement en breton par les filières bilingues, en particulier par immersion, permettant d’accéder au multilinguisme ; le développement de l’enseignement du breton et du gallo, la généralisation de l’enseignement de la connaissance de la Bretagne, de son histoire, de sa culture dans ses différentes expressions ; le transfert des compétences et des moyens à la Région pour l’enseignement des langues et de la culture de la Bretagne, pour la politique culturelle et pour la promotion de la création culturelle bretonne dans tous les domaines (édition, audiovisuel, danse, musique, création artistique, diffusion) ; la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la modification de la Constitution pour garantir l’existence, la protection et la promotion de la diversité des langues des différents territoires de la République .
L’évolution de la force mobilisatrice des représentations
Nous avions présenté la Charte européenne des langues régionales dans le numéro d’Hérodote « Langues et territoires  pour montrer que le refus du Conseil constitutionnel de ratifier la Charte était motivé par le fait qu’elle obligerait à reconnaître des groupes (brittophones, bascophones, germanophones...) à qui il aurait fallu concéder des droits particuliers en vertu de cette appartenance [Loyer, 2002]. La loi étant la même pour tous sur l’ensemble du territoire, la Charte a été déclarée anticonstitutionnelle [ 5 ]. L’élection de Nicolas Sarkozy met un terme au débat pour les cinq ans à venir : « Si je suis élu, écrit-il dans son programme de candidat, je ne serai pas favorable à la Charte européenne des langues régionales. Je ne veux pas que demain un juge européen ayant une expérience historique du problème des minorités différentes de la nôtre, décide qu’une langue régionale doit être considérée comme langue de la République au même titre que le français. Car au-delà de la lettre des textes il y a la dynamique des interprétations et des jurisprudences qui peut aller très loin. J’ai la conviction qu’en France, terre de liberté, aucune minorité n’est opprimée et qu’il n’est donc pas nécessaire de donner à des juges européens le droit de se prononcer sur un sujet qui est consubstantiel à notre identité nationale et n’a absolument rien à voir avec la construction de l’Europe. 
Le contexte dans lequel se développent ces revendications sur la diversité linguistique en France a beaucoup changé depuis 2004. D’une part, l’élargissement de l’Europe à 27 a porté un coup d’arrêt aux utopies d’une Europe dans laquelle les régions pèseraient un poids déterminant, même si elles continuent d’apparaître comme des relais de la « gouvernance  et de la subsidiarité européennes. D’autre part, la majorité des votes « non  lors du référendum français sur le traité constitutionnel s’est également accompagnée d’un renouveau des discours sur la nation française et ses valeurs universalistes.  droite, les arguments du « non  tournaient autour du refus de voir se diluer la nation
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dans l’Europe, à gauche, on craignait de voir disparaître dans le « libéralisme  européen un avatar chéri du jacobinisme, les services publics uniformes. Enfin, le phénomène de l’inscription des électeurs sur les listes électorales pour l’élection présidentielle de 2007, y compris dans les quartiers présentés volontiers comme « exclus  de la nation, a mis sur le devant de la scène l’enjeu d’une dynamique d’intégration de tous les Français à la politique nationale. La question des communautarismes religieux [ 6 ] est passée devant celle des langues régionales. Même les déclarations d’intention sur la décentralisation se sont accompagnées, chez les deux candidats à l’élection présidentielle, de protestations d’attachement aux pouvoirs de l’État et à sa capacité d’arbitrage dans le sens de l’égalité des Français sur l’ensemble du territoire.
En Bretagne, l’attachement de la population aux langues régionales est plus symbolique que concret. Élu à la présidence de la région en 2004, le socialiste Jean-Yves Le Drian a reconnu officiellement le breton et le gallo comme langues de Bretagne et fixé pour 2010 l’objectif de scolariser 20 000 élèves dans les écoles bilingues. Le site de la région annonce en 2006 un budget de 5 566 000 euros consacré à la politique linguistique, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2005 [ 7 ]. Pourtant le nombre des inscrits dans l’enseignement bilingue françaisbreton est faible : 11 092 [ 8 ] à la rentrée 2006, soit 1,24 % des élèves (2005-2006) bien que le taux de croissance des filières bilingues entre 2001 et 2006, soit 50,2% ; mais cette évolution est apparemment fragile puisque l’augmentation de 6,4% enregistrée en septembre 2006 est la plus faible depuis 1981.
Au Pays basque en 2005-2006, dans les 1er et 2e degrés, environ 20 % (47 579) des élèves étudient le basque, dont 11,7 % dans l’enseignement public bilingue, 5,7% dans le privé bilingue et 4,3 % dans l’école associative d’immersion en euskara, Seaska. Le nombre d’enfants scolarisés en deux langues baisse à mesure que les enfants grandissent (35 % en maternelle, 18 % en collège) [ 9 ], ce qui laisse supposer que les familles voient dans l’acquisition de la langue basque en petites classes un facteur favorable pour le développement intellectuel de l’enfant, et son insertion dans un contexte culturel régional. Mais l’euskara est relégué à une place secondaire ou abandonné dès que l’élève passe dans les niveaux supérieurs.
En Corse, depuis 2002, la langue corse doit être une matière « enseignée  dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles, élémentaires et collèges à raison de 3 heures par semaine. En lycée, le même enseignement est offert selon des modalités adaptées à la diversité des options choisies par les élèves. En 2004, en maternelle l’inspection académique estime que 92,64 % des élèves reçoivent cet enseignement. Globalement, le rectorat a chiffré le plafond maximal à 130 postes du second degré si tous les élèves faisaient du corse : plus de 100 postes sont dès à présent en place [ 10 ].
Environ 80 000 élèves sur 8 académies étudient l’occitan, surtout dans l’académie de Toulouse, avec près de 10 % de la population scolaire dans le primaire et secondaire [ 11 ]. Partout, le nombre exact de familles demandeuses d’enseignement bilingue fait l’objet de polémiques car le nombre de postes ouverts aux concours en 2006 est faible : trois pour le corse, un en euskara, deux en breton, un en catalan, quatre en créole, quatre en occitan.
Au-delà de l’enseignement des langues régionales, il n’est pas sûr que les promesses pour leur assurer une plus grande diffusion apportent beaucoup de voix aux candidats à l’élection. Ainsi, à l’occasion des législatives de 2007, un « pacte des langues  demandait la modification de la Constitution française pour donner, aux côtés du français, un statut officiel aux langues régionales de France, exiger la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires et la reconnaissance officielle des langues régionales par la création d’un ministère des Langues de France. Le site pour ledit « pacte  annonçait, à la veille du premier tour, la signature de 129 candidats, ce qui est peu (il y eut plus de 7 555 candidats). Au lendemain des élections législatives de 2007, sur les 577 députés de la nouvelle législature, deux signataires du Pacte des langues étaient élus et les auteurs du
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pacte dénombraient 56 autres députés s’étant « déjà exprimés de façon favorable aux langues régionales, soit lors d’un précédent mandat, soit au cours de la campagne pour ces législatives [ 12 ] .
Cet apparent affaiblissement sur la politique locale de l’influence des réalités linguistiques régionales et des activistes qui tentent de les faire connaître, ouvre la question du décalage entre l’énergie de certains élus et militants et l’opinion publique majoritaire. Les premiers diffusent l’idée que l’approfondissement de la démocratie passe par la diversité visible ; on peut se demander, au contraire, si la relation entre unité, uniformité et démocratie n’est pas une composante encore importante de la conception française de la démocratie.
Des langues de France aux langues françaises
La relation entre langue régionale et identité régionale semble aller tellement de soi, qu’elle évacue quelque peu d’autres façons d’aborder la relation entre pluralités des langues et nation française, comme celle de l’écrivain occitan Félix Cassant (1920-2001) qui avait par exemple développé l’idée d’une mission des cultures régionales dans la définition de la nation française. « Je suis convaincu que la littérature occitane a une mission en France, ce que beaucoup de militants occitans ont du mal à admettre. Ils ne veulent pas que leur langue, que leur littérature, que leur culture, ait une mission pour la France. Ils veulent qu’elle ait une mission pour eux. Cette sorte de pensée nationalitaire occitane est une impasse totale. Je pense plutôt que la littérature et la culture occitanes sont des leviers pour transformer la nation française [ 13 ].  « En développant l’idée du pluralisme culturel, il est évident qu’au départ la littérature occitane plaidait pour sa propre existence, pour la reconnaissance de son existence au sein de la France, c’est-à-dire, d’une dualité littéraire, d’une dualité culturelle. Mais, en défendant sa propre identité, il se trouve que la philosophie qu’elle élabore, a une portée universelle, c’est une philosophie qui peut être reprise par toutes les cultures du monde : la philosophie même de l’avenir culturel de la planète [ 14 ]. 
Cette conception de la relation entre langue régionale et nation française est aujourd’hui développée et défendue par un groupe qui chante en occitan et en français, les Fabulous Trobadors : « Pas de rose sans épines/Pas de France sans français/ Pas de français sans racines/Pas de race sang-mêlé/Pas de mêlée consanguine ? Pas de France sans étrangers/Pas d’Europe sans Euskara  (Pas de ci). Dans les années 1990, un des deux piliers de Fabulous Trobadors, Claude Sicre (né en 1947), développa le mouvement ou l’idée « Lina Maginot [ 15 ]  avec le groupe Massalia Round System (MSS), qui chante aussi dans les deux langues en mariant culture urbaine, racines musicales jamaïcaines, reggae, langue occitane et football marseillais. Pour MSS, l’occitanisme est une forme d’affirmation individuelle : « On parle patois par choix, parce que ça n’appartient à personne [...]. C’est notre espace, à moi, aux Arabes de Marseille, à tous. Il n’y a pas d’État ou de pouvoir, c’est une langue vraiment à tout le monde  [cité  dans Boucher, 1995, p. 81]. C’est aussi ce que l’on dit du rap.
Dans une approche géopolitique de la langue française, il nous importe ici de montrer que l’étude d’un style musical en vogue permet d’aborder la question de ce qu’on dit en français sur la France. Parlant du rap, le propos est délicat car ce genre est difficile à cerner correctement. C’est à la fois un style de musique, une communauté artistique et une communauté sociale, un mouvement collectif et une forme de devenir pour des individus talentueux.
Le rap personnification de la cité de banlieue : rap langue d’un
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territoire
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Le rap français est connu pour être une copie du rap américain mais avec un caractère français tiré du substrat culturel national. Il est notamment plus métissé que celui des États-Unis (presque seulement composé par des chanteurs noirs). En France, les groupes rassemblent des Noirs et des Blancs, arabes ou non. La réputation du mouvement français d’être l’héritier le plus abouti du rap américain, met également l’accent sur l’originalité en Europe des banlieues françaises. Elles sont singulières par l’urbanisme mais aussi pour les représentations qu’elles véhiculent.
Le rap est un puissant vecteur de représentations au sujet de la France, comme le fait apparaître, par exemple, cet entretien avec les Fabulous Trobadors. « C’est le rap qui a créé la banlieue, ce n’est pas la banlieue qui a créé le rap. Le surgissement des banlieues n’est pas dû aux MJC, aux ZEP, aux ZUP, au théâtre populaire, aux plans économiques ou aux politiques de la ville. Le concept moderne de banlieue, c’est le rap qui l’a fait naître. Avant, le concept de banlieue, c’est un concept de sociologues, d’une niaiserie infernale. Les banlieues qui prennent la parole et s’insurgent contre la société française, c’est le rap [ 16 ]. 
On peut discuter sur la niaiserie des sociologues, des architectes et des multiples acteurs politiques ou associatifs qui ont travaillé pour éviter des explosions autres qu’artistiques dans cette banlieue. Le rap a été très tôt repéré par les intervenants en territoires urbains, élus, animateurs de MJC, écoles de musique, fonctionnaires territoriaux, comme un élément de politique sociale à développer dans le cadre, par exemple, des projets de développement social des quartiers. Ce que signifie sans doute la phrase des Fabulous Trobadors, c’est que le rap a fait émerger la représentation d’une communauté humaine nommée banlieue  qui aurait « pris la parole  comme si elle était un personnage agissant. On dit « souvent qu’en France la « banlieue  est devenue un véritable personnage historique et le rap n’est sans doute pas étranger à ce phénomène géopolitique. De territoire complexe, elle est devenue une représentation simple, ou simpliste. Rappelons que cette musique se développe à la fin des années 1980, grâce à l’éclosion des radios libres, et dans le contexte de l’émergence sociale et politique des enfants de l’immigration. C’est la période où la croissance du Front national est concomitante de celle de SOS Racisme, association qui élabore progressivement une représentation du « ghetto  français [Robine, 2004].
Mais, autant que la « banlieue , les rappeurs évoquent leurs quartiers. La cité est centrale dans le rap et c’est même une de ses raisons d’être. Bien des chansons reprochent aux rappeurs qui ont réussi d’avoir quitté leur quartier. L’argent obtenu grâce à la dénonciation de la misère remet en cause la crédibilité du chanteur comme rappeur. Si la cité disparaît, le rap disparaît-il avec elle ? Sûrement un certain rap, le premier, largement majoritaire et le plus dynamique, celui qui est homologué par le public enfermé dans les cités comme l’expression de son existence, sa représentation culturelle. Ce rythme, dans lequel il y a peu de mélodies, est une forme de ring duquel le chanteur ne doit pas descendre, car toute sa bataille, aux yeux de son public, tient dans ces cordes. « Qui sait où je serai dans dix ans... à traîner dans ces mêmes rues, devant ces mêmes immeubles  (Fonky Family, Dans la légende). Les territoires évoqués sont définis par un critère principal : tout y est problème, que ce soit pour lutter contre l’adversité ou baisser les bras face à elle, la cité est d’abord le lieu de la difficulté et de la lutte. La crudité des mots (« j’vais t’lyncher j’vais te lyncher t’auras beau crier à l’aide, j’vais t’brûler , Neg’Marrons) porte en elle la violence de l’existence d’une partie de ces jeunes, y compris entre eux, qui se jugent rapidement et se punissent encore plus vite (violence physique, réputation), entre filles et garçons... Ceux qui n’écoutent que du rap s’immergent dans un monde terrible. Ils se voient comme différents des autres Français, qui écoutent, outre le rap, des musiques diverses. Le rap énonce qu’il existe en France un territoire où la violence règne. Si le rappeur en sort, par le succès, il n’est plus vraiment un rappeur pour
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son public d’origine, celui de la cité, ou en tout cas il devient suspect, et doit d’autant plus prouver que, maintenant qu’il a de l’argent et des relations, il ne trahit pas. C’est aussi le public qui définit le rappeur, ce qui provoque des incertitudes sur l’objet dont on parle. Kamini est-il un rappeur quand il chante son spleen dans un village rural ?
J’m’appelle Kamini, J’viens pas de la téci, J’viens d’un p’tit village qui s’appelle Marly Gomont [...].  Marly Gomont, y’a pas d’béton, 65 ans la moyenne d’âge dans les environs, un terrain d’tennis, un terrain de basket, trois jeunes dans l’village donc pour jouer c’est pas chouette, J’viens d’un village paumé dans l’Aisne, en Picardie, Facilement, 95 % de vaches, 7% d’habitants, et parmi eux, Une seule famille de Noirs, fallait qu’ce soit la mienne, putain un vrai cauchemar [...] moi j’voulais m’révolter, mais là bas, y’a rien à cramer Y’a qu’un bus pour le lycée, c’est l’même pour le centre aéré, Pas la peine d’aller brûler, l’voiture du voisin, Les gens y z’en ont pas, y z’ont tous des mobylettes.
La fidélité à la cité est un défi permanent des groupes qui réussissent. Fonky Family introduit une très longue chanson par la phrase : « Faut représenter là/Ou on va passer pour des putes  (Fonky Family, Maintenant ou jamais), et « J’prends parti pour les miens , « Moi seul j’te représente plus que ton député  (Fonky Family, Dans la légende). Le rap comme une tribune, une chaire d’où l’on prêche pour sa communauté ?
Le confinement du rappeur entre quatre rues toujours identiques est également une représentation, nécessaire à l’existence même du style musical, mais pas toujours réelle. Les rappeurs sont aussi des voyageurs, notamment vers les États-Unis (New York, San Francisco, Brooklyn, Philadelphie). Dee Nasty, qui a lancé le style musical rap en France, l’a découvert lors d’un voyage aux États-Unis en 1979, Philippe Fragione (Akhenaton) a découvert le rap pendant un séjour dans la famille de son père, installée à New York. En outre, le rapport à l’Afrique des Noirs de France est beaucoup plus concret que chez les rappeurs d’Amérique du Nord : ils ont encore souvent de la famille en Afrique, dans des pays où l’on parle le français. MC Solaar est né à Dakar de parents tchadiens ; Serigne M’Baye Gueye (Disiz la Peste), de mère française et de père sénégalais, séjourne en 2004 au Sénégal ; Stomy Bugsy est né à Sarcelles, de parents cap-verdiens ; Abdoulaye Diarra (Oxmo Puccino) est né au Mali. Enfin les Noirs de Guadeloupe et de Martinique (Doc Gynéco est antillais) ont un attachement particulier à la nation française et se distinguent souvent volontiers des Africains autant que des métropolitains. Les Maghrébins ont aussi une double culture, même si la relation au pays d’origine des parents n’est pas simple : « J’sais plus qui j’suis,/j’ai jamais su où j’vais,/jamais su où j’allais,/dans mon bled je suis étranger,/obliger de venir ici dérange  (Rival, Je sais d’où vient ma peine).
L’identité collective par un type de langue française
En France, il n’y a quasiment pas de rap en langue arabe, même pas de citations ou de rengaine pour le plaisir de la sonorité [ 17 ]. C’est la langue française que l’on s’approprie et sur laquelle on exerce un pouvoir, une influence : « Évolution de la langue française, ça vient de la rue  (IAM, Ça vient de la rue). Par mimétisme avec les rappeurs américains, le rap français crée une image du « jeune  abandonné par la société, sans travail, sans moyen de dominer son destin, et révolté. Mais, de la même manière que les « quartiers  français se différencient des ghettos américains par des interventions de l’État, insuffisantes peut-être, mais réelles, pour y améliorer les conditions de vie, les artistes français du rap ne sont pas tous issus du « Lumpenproletariat . Certains ont fait des études avant de revêtir leur nom de chanteur : MC Solaar passe le bac en 1988 ; Mohamed Bourokba (Hamé), du groupe Rumeur, est allé jusqu’à la faculté de sociologie ; Philippe Fragione (Akhenaton, groupe IAM) a commencé un DEUG de biologie ; Bruno Beausire (Doc Gynéco) avait débuté des études de comptabilité. D’autres
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sont en effet fâchés avec l’école, comme Stormy Bugsy et Passy, du groupe Ministère AMER (Action, musique et rap). De même, les rappeurs représentent la jeunesse, mais une bonne partie de ces artistes ont aujourd’hui la quarantaine ou s’en approchent.
Les mots que l’on ne comprend pas toujours, le verlan, les paroles crues construisent une sorte de ghetto linguistique où semble s’enfermer le chanteur, comme dans un milieu social et artistique clos. « Le rap est comme la banlieue : c’est devenu un endroit où il ne faut pas aller. C’est synonyme de mauvaise musique, violente et contestataire [ 18 ].  De ce point de vue, il est difficile d’écrire seulement sur les paroles du rap, car le rythme syncopé et la prononciation font arriver à l’entendement un choix de mots accolés, sans raisonnement, pour dire la violence :
Nos ruelles, nos quartiers, nos zones c’est synonyme d’échec, chacal ; vandale, morfale, chacal, ambiance scandale, danse de vandale, voilà la rue « dramatique, triste, larme, quartiers pleurent du sang, frère derrière les barreaux , c’est ça la vie dans le quartier, agression de passant, misère transpirer sur les murs, cage d’escalier, arrestation palier, combat palier, parent désespéré, balance, parano, menace, enfoiré, personne se fera de quartier c’est ça la vie de quartier (Fonky Family).
Pourtant, au-delà de cette image, une fois encore, on note que les textes ne sont pas non plus tous confinés dans les quartiers. Dans la chanson Matière grasse contre matière grise de MC Solaar, on voit apparaître le Shah d’Iran, le Bangladesh, Beyrouth, l’Amérique latine, les Roumains, dans La Concubine de l’hémoglobine, on passe du Vietnam (référence au Vietminh), à la Chine, Guernica, la Corée du Nord. Dans la chanson d’Assassin, Écrire contre l’oubli, on dénonce le manque de liberté au Vietnam, en Chine, en Syrie, au Maroc, au Malawi, au Nigeria.
La France
Si l’on s’éloigne des textes les plus connus et que l’on visite le site , sur lequel sont insérés régulièrement des nouveaux titres et textes de rap non commercialisés, on trouve un classement (juin 2007) qui fait apparaître, pour l’ensemble des 8 618 titres recensés par le site, 2 792 titres sur les joutes entre groupes (clashes), 821 sur l’amour, 468 sur la vie et la mort, 416 sur le chanteur lui-même, 356 dits « hip-hop , 321 sur la vie dans les cités, 243 sur la famille, 202 sur la « politique . Ces derniers parlent explicitement de la politique française, la France y est un personnage à part entière. Par exemple, dans ce florilège de textes écrits après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République :
La France et une pute et ont s’ait fait trahir elle n’avait quel seul but c’est de nous voir mourir alors le peuple a parler, le peuple a pleurer mais la France n’écoute plus elle rêve de l’avenir (Syron, Les Maux de la France). La France est masochiste, raciste et machiste/Se joint à une copie de l’extrême, et qui même dessus insiste/Ce vote m’insupporte et je le crie à voix haute/Le p’tit nous a carrot, et ses chiens bleus viendront défoncer nos portes/Pour nous faire ravaler cet espoir qu’on avait/Ils sont enragés et pourtant c’est nous qui allons en baver/Interpellations sans cesse et sans un soupçon d’décence/Voilà donc comment éteindre un feu avec un bidon d’essence [...] (Snàke, D’où vient l’erreur). Je suis le nouveau souffle de résistance/mon texte n’est pas une menace mais un avertissement pour la France (Sir-ya, Ennemi2l’éta). La France n’est pas une garce, ne nous a pas trahi, c’est bien elle la victime du système qui se barre en couille... quand y a embrouille on lui crache dessus prise en sandwich par les deux cotés (Mcyaya, Manipulation).
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Un beau jour après/ses cinq ans on va lui mettre une chaîne/Alors ce jour ça sera plus qu’une vermine/Et on l’enverra en chine Ptét qu’il n’accepte pas s’que j’dis et qu’il va censurer ma chanson/Mais moi j’en écrirais d’autre et j’ai de quoi en dire long/Et seul’ment après il va nous comprendre/Enfin là on aura gagné et la France sera tendre (T-rex, Nouveau président). Tous vos idéaux se crachent par terre, on s’doute que ces cinq années seront cauchemardeskes [...]/j’dois l’avouer ça fout la rage quand ils t’disent : « Si t’aime pas la France t’a cas bouler /[...] si comme moi certain d’entre vous sont pas français, on s’retrouvera pt’être sur l’chemin d’l’aéro port (Ka$h, Pfffff...). Il est vainqueur et sans contestation/Pire qu’un direct du droit dans les dents, honte à la nation !/Comparé à d’autre, la France j’y es jamais craché dessus/ Et là j’me rends compte qu’elle est en train d’me chier dessus (Art-2-Corp, 6 mai 2007). Situation écologique, économique, au bord du cataclysme/T’as bien voté utile si tu désirais l’apocalypse/France jamais plus je n’croirais un mot qui sort de ta boca lisse./France sache qu’en toi on avait confiance/Mais malheureusement, ton vote inspire la méfiance/Une nation de plus qui ferme ses frontières/France, je suis peut-être vulgaire mais va niquer ta mère (Snàke, Un doigt en l’air).
Le classement des textes dans le site n’est pas forcément pertinent puisque les catégories alcool (62), drogues (132), guerre (126), pauvreté (72), police (91), racailles (97), racisme (127), richesse (33), télé et médias (34), vie dans les cités (321), violence (194) sont distinguées de la catégorie « vie politique  alors qu’on y parle aussi beaucoup de la France et du racisme, des problèmes sociaux. Toutes ces catégories définissent me semble-t-il une figure géopolitique fondamentale : celle de la victime.
En effet, la figure de la victime est étroitement liée à la définition de celle de l’oppresseur, et cette figure est importante car elle est à la base de la légitimation d’un combat. Il est beaucoup plus difficile de s’opposer à la raison d’une victime, et donc à ses revendications. Dans le rapport entre langues et nation, qu’il s’agisse des langues régionales ou des langues exprimant la marginalité, l’oppresseur est souvent l’État, la nation française jacobine ou raciste. Il ne s’agit pas pour nous d’argumenter dans le sens d’une plus ou moins grande vérité de cette représentation mais d’exposer de quelle manière elle peut être utilisée et pourquoi elle est dans certains cas, à certaines époques, un levier efficace pour l’action politique ou au contraire un concept peu mobilisateur. La réflexion vaut à mon sens dans les deux cas étudiés, langues régionales ou français des banlieues.
Langues régionales et figure de la victime
La préséance du français risque d’entraîner la disparition des langues régionales. Le breton est parlé par un nombre de locuteurs en baisse et vieillissants, le basque est délaissé par les jeunes générations, le corse n’est pas parlé en ville dans la vie courante. Mais ce qui nous intéresse d’analyser ici ce n’est pas la réalité de la domination du français, c’est le sens que l’on peut donner aux mots désignant les oppresseurs et les opprimés dans le cas des évolutions linguistiques. Dans l’histoire de la langue française, vainqueur et vaincus ne sont pourtant pas si simples à définir.
Le français est la langue d’un État ancien et fort. On connaît le rôle par exemple de l’édit de Villers-Cotterêts en 1539 stipulant dans ses articles 110 et 111 que tous les actes et opérations de justice se feraient désormais en français. Il met donc les patois hors des pièces officielles, puis hors des papiers privés, on perd l’habitude de les lire en moins d’un siècle. Il est fort possible, explique Ferdinand Brunot, que le patois joue un grand rôle dans les assemblées villageoises, mais, quand on en venait à la pièce écrite, impossible de rédiger en patois un acte, une requête, une écriture quelconque, l’interdiction
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