Si vous voulez vraiment percer à jour une personne qui vous invite à dîner, ne vous arrêtez plus sur les tableaux suspendus dans son salon et encore moins sur les livres d art déposés sur sa table basse : ce sont souvent les mêmes. Fiez -vous plutôt à ses guides de voyage. Le plus souvent, ils sont dissimulés dans un couloir – bien quutile cette lecture demeure encore un peu honteuse. Choisir un guide de voyage aujourdhui, cest un engagement politique, un c hoix philosophique, certains diraient même un acte social.
Comme les panneaux électoraux lors des scrutins locaux, les rayonnages des librairies spécialisées proposent un choix pléthorique, de nature à satisfaire toutes les sensibilités voyageuses : écolo -citoyenne (Routard), décroissante (Petit Futé) ou intellectuelle (Guide bleu). La tendance du moment préfère le singulier au multiple, la rareté à la profusion et limprobable au prévisible. Pointu et capricieux, le voyageur de 2009 exige des guides qui n e ressemblent pas à des guides. Court, hypersélectif et subjectif, le Baedecker du XXIe cultive le sur -mesure. En le lisant, le glob e-trotteur doit pouvoir se dire : Ce guide a été conçu pour moi seul.
Car la préoccupation première de ce voyageur est d e ne surtout pas apparaître comme un touriste. Même sil est en train de se faire photographier, à linstar de centaines de non -touristes comme lui, devant les pyramides égyptiennes ou la Tour de Pise. Sa stratégie pour se distinguer se résume en un mo t : le décalage. Il nest plus question daccumuler les choses vues mais de vivre des expériences iconoclastes : se faire tailler la barbe à Kaboul, manger un crabe poilu à Shanghaï en novembre
Claude Baechtold, Paolo Woods et Serge Michel lont bien compris. Respectivement graphiste, photographe et journaliste, ils ont lancé une collection, Baechtolds Best (broo.mocww.wirevm), de guides de voyage thématiques – sur lAfghanistan, Pékin, le pôle Nord mais aussi le Louvre –, aussi iconoclastes que drolatiques. Chaque destination est présentée en photos à travers une vingtaine dentrées assez déroutantes (la kalachnikov en Afghanistan, ligloo au pôle Nord, le sourire des hôtesses à Pékin). Cest une manière cocass e de tourner en dérision les clichés associés à certains peuples. Le décalage est ici poussé très loin : ces petits livres comportent très peu de mots et encore moins dadresses de restaurants et dhôtels. Cest tout juste si on trouve un plan des villes.
Un luxe bien inutile car le voyageur décalé se voit comme un aventurier affranchi des contingences matérielles. Il proclame son goût pour les destinations risquées ou loufoques (lIrak, la Libye, la Corée du Nord). Mais il est le premier à pester quand i l ne trouve pas de Coca Light dans une échoppe au bout du monde ou de Wi-Fi dans sa pension de famille si authentique.