Afghanistan : Modèles anthropologiques et pacification - article ; n°2 ; vol.31, pg 405-411
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Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1990 - Volume 31 - Numéro 2 - Pages 405-411
Olivier Roy, Afghanistan : modèles anthropologiques et pacification.
La politique de pacification menée en Afghanistan, de 1980 à 1988, par le gouvernement de Kaboul et par le KGB reposait sur un modèle anthropologique pertinent de la société afghane, modèle en contradiction avec les analyses de la société afghane faites par les experts universitaires soviétiques, qui utilisaient les concepts traditionnels de l'anthropologie d'avant la perestrojka. Le modèle officiel était fondé en particulier sur une définition substantiate de la notion d'ethnie cl de tribu, alors que la pratique réelle s'adaptait à la souplesse des références identitaires et du jeu de pouvoir des notables locaux.
Olivier Roy, Afghanistan: anthropological models and pacification. The policy of pacification, waged in Afghanistan from 1980 to 1988, by the Kabul government and by the KGB, relied on an accurate, but not publicized, anthropological model, which contradicted the published analyses made by Soviet scholars, who were making use of the official ртe-peresiroika anthropological concepts. The official model relied on a substantial ist concept of ethnic group and tribe, whereas the real practice of pacification was adapted to the flexibility of the identities and of the power game among the local notables.
7 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 21
Langue Français

Extrait

Olivier Roy
Afghanistan : Modèles anthropologiques et pacification
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 31 N°2-3. Avril-Septembre 1990. pp. 405-411.
Résumé
Olivier Roy, Afghanistan : modèles anthropologiques et pacification.
La politique de pacification menée en Afghanistan, de 1980 à 1988, par le gouvernement de Kaboul et par le KGB reposait sur un
modèle anthropologique pertinent de la société afghane, modèle en contradiction avec les analyses de la société afghane faites
par les experts universitaires soviétiques, qui utilisaient les concepts traditionnels de l'anthropologie d'avant la perestrojka. Le
modèle officiel était fondé en particulier sur une définition substantiate de la notion d'ethnie cl de tribu, alors que la pratique réelle
s'adaptait à la souplesse des références identitaires et du jeu de pouvoir des notables locaux.
Abstract
Olivier Roy, Afghanistan: anthropological models and pacification. The policy of pacification, waged in Afghanistan from 1980 to
1988, by the Kabul government and by the KGB, relied on an accurate, but not publicized, anthropological model, which
contradicted the published analyses made by Soviet scholars, who were making use of the official ртe-peresiroika
anthropological concepts. The official model relied on a substantial ist concept of ethnic group and tribe, whereas the real
practice of pacification was adapted to the flexibility of the identities and of the power game among the local notables.
Citer ce document / Cite this document :
Roy Olivier. Afghanistan : Modèles anthropologiques et pacification. In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 31 N°2-3.
Avril-Septembre 1990. pp. 405-411.
doi : 10.3406/cmr.1990.2241
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1990_num_31_2_2241OLIVIER ROY
AFGHANISTAN :
MODÈLES ANTHROPOLOGIQUES ET PACIFICATION
Toute guerre de contre-guérilla suppose une approche anthropologique de la
société qu'il s'agit de pacifier. Si la conduite des opérations militaires a été un
échec pour l'URSS, la politique de pacification a connu un certain succès comme
le montre la survie du régime de Kaboul, un an après le retrait des troupes soviéti
ques d'Afghanistan. L'objet de notre article est de montrer que la politique de paci
fication, menée dès 1980, donc antérieurement à la perestrojka, s'est fondée sur
une analyse pertinente mais implicite de la société afghane. D y a un décalage entre
une pratique très adaptée et une théorie inadaptée. La théorie est celle de la vulgate
de l'anthropologie soviétique de l'époque, qu'on retrouve jusqu'en 1987 dans les
textes officiels du régime de Kaboul, dans les descriptions journalistiques soviéti
ques et, antérieurement, dans les écrits des ethnologues soviétiques. La politique
concrète de pacification a manifestement été menée par des spécialistes qui n'ont
pas été recrutés parmi les universitaires spécialistes de l'Afghanistan, dont les des
criptions dogmatiques n'ont jamais été pertinentes. La question reste posée, en
dehors de tout document écrit disponible, officiel ou non, de savoir comment les
conseillers soviétiques ont pu appréhender la réalité afghane, et s'il existe en URSS
une « anthropologie politique », avec des spécialistes à la disposition du KGB et
des autres organes de l'État, formés à une pratique non-idéologique, ou bien si le
KGB s'est formé sur le terrain, en Afghanistan, à une connaissance empirique de la
société afghane, grâce à une écoute des spécialistes afghans du régime de Kaboul,
ce qui serait alors un schéma assez inhabituel. Tous nos informateurs venus de
l'appareil d'État afghan confirment que ce sont les conseillers soviétiques qui ont
toujours eu la préséance. Nous ne pouvons donc analyser de l'intérieur la manière
dont les Soviétiques ont mis en œuvre un modèle anthropologique pertinent de la
société afghane, mais par contre nous pouvons, à travers l'étude de la politique de
pacification que nous avons suivie sur le terrain de 1980 à 1988, tenter de cerner
ce modèle.
Le modèle orthodoxe
Entre le coup d'État communiste d'avril 1978 et l'intervention soviétique de
décembre 1979, la société paysanne existante était pensée par le nouveau régime
selon une typologie de classes sociales ; la population paysanne était définie en
Cahiers du Monde russe et soviétique, XXXI (2-3), avril-septembre 1990, pp. 405-412. 406 OLIVIER ROY
termes de strates horizontales selon son degré d'appropriation de la terre. Cette
conception de la réalité sociale comme modèle « féodal » rendait impossible toute
prise sur la réalité sociale, même si dans la pratique les administrateurs du nouveau
régime savaient localement manipuler le modèle tribal.
Après l'intervention soviétique et l'arrivée au pouvoir de Babrak Karmal, on
assiste à la mise en place d'une politique plus subtile, directement supervisée, selon
toute vraisemblance, par les conseillers soviétiques1. Sur le plan théorique, le
régime définit la révolution comme « nationale et démocratique », c'est-à-dire pou
vant unifier sous la direction d'un parti d'avant-garde des « couches » sociales (et
non plus des classes) aux intérêts économiques différents. La société afghane est
décrite comme une société multinationale : c'est l'ethnie, sous la forme soit de tribu
(plemja, traduit en persan par qabila ou qawm, ambiguïté dont la dimension appar
aîtra plus loin2), soit de « nationalité » (národnost', traduit par melliat), et non
plus la catégorie sociale qui devient l'élément explicatif dominant de la réalité des
campagnes. Le régime reprend ici les termes de l'anthropologie soviétique ortho
doxe, où l'on passe de la tribu à la nationalité, puis à la nation3.
Le régime de Kaboul utilise le modèle anthropologique soviétique classique
pour opérer une classification des « ethnies », dont huit accéderont au statut de
« nationalités » (melliat) : Pachtounes, Tadjiks, Ouzbeks, Turkmènes, Baloutches,
Hazaras, Pasha'y et Nouristanis.
Deux problèmes se posent ici : qui a élaboré ce modèle et quelle a été sa fonc
tion dans la politique de pacification ? Le rôle des conseillers soviétiques semble
avoir été primordial. En effet, il n'y a guère de tradition anthropologique autoch
tone en Afghanistan et les élites dominantes, qui étaient persanophones ou pach
tounes, étaient peu enclines à mettre leur groupe sur le même plan que les autres.
Seuls des intellectuels hazaras (ethnie chiite persanophone du centre du pays)
avaient développé une théorie du melliat en s'inspirant principalement de l'anthr
opologie soviétique4. L'ethnologie occidentale, quant à elle, privilégiait soit les
« mini-groupes », au détriment des grandes ethnies, soit s'efforçait de montrer la
non-pertinence de la notion d'ethnie pour l'analyse de la société afghane5. Pourtant,
on trouve une étonnante convergence d'opinions entre les ethnologues occidentaux
« substantiates », pour qui l'ethnie est une donnée fixe, dont on peut reconstituer
l'ethnogénèse, et l'anthropologie soviétique, qui s'efforce aussi parfois de trouver
un fondement anthropométrique et racial à cette stabilité6. On assiste à un étonnant
va-et-vient de la carte ethnique entre auteurs occidentaux et soviétiques : c'est le
même fonds qui circule des publications soviétiques aux articles occidentaux, plus
ou moins référencé7. La typologie ethnique des anthropologues est la
même que celle des ethnologues « substantialistes » occidentaux8. Or deux remar
ques sont à faire : d'une part, parmi la liste complexe des groupes ethniques définis
à la fois par les anthropologues soviétiques et occidentaux, huit seulement accéde
ront au statut de nationalités, sans que les critères de sélection soient évidents.
D'autre part, l'impact de cette politique des nationalités sur la conduite de la guerre
sera extrêmement faible, précisément parce que les huit « nationalités » ne sont pas
des entités symétriques : seuls les Hazaras chiites ont une véritable unité territo
riale, mais ils se d

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