Célestin Bouglé et Georg Simmel. Une correspondance franco-allemande en sociologie - article ; n°1 ; vol.8, pg 59-72
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Description

Mil neuf cent - Année 1990 - Volume 8 - Numéro 1 - Pages 59-72
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 24
Langue Français

Extrait

Christian Gülich
Célestin Bouglé et Georg Simmel. Une correspondance franco-
allemande en sociologie
In: Mil neuf cent, N°8, 1990. pp. 59-72.
Citer ce document / Cite this document :
Gülich Christian. Célestin Bouglé et Georg Simmel. Une correspondance franco-allemande en sociologie. In: Mil neuf cent, N°8,
1990. pp. 59-72.
doi : 10.3406/mcm.1990.1013
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1990_num_8_1_1013Célestin Bougie et Georg Simmel
Une correspondance
franco-allemande en sociologie
CHRISTIAN GULICH
L'analyse de la correspondance entre Célestin Bougie (1870-
1940) et Georg Simmel (1858-1918) s'inscrit dans le courant des
efforts pour donner une nouvelle orientation aux recherches dans
le domaine de l'histoire de la sociologie. Celle-ci aspire à ne plus
être une simple histoire successive d'approches sociologiques, mais
elle veut lier la formation des théories sociologiques à la recons
truction historique des réseaux personnels de la scientific com
munity et des processus d'institutionnalisation universitaire ou
autre de cette science humaine. La sociologie des sciences appli
quée à l'histoire de la sociologie doit bien sûr aussi englober le
rapport entre les scientifiques et l'ensemble de la société. Les
changements globaux de celle-ci, surtout la naissance plus ou
moins simultanée de la « modernité » dans les sociétés nationales
en Europe, sont un des sujets préférés des pères fondateurs de la
sociologie. Sous cet aspect, l'analyse historique de la coopérat
ion scientifique internationale prend une importance particulière,
puisque spécialement la sociologie française et la sociologie all
emande se sont plutôt ignorées depuis 1945.
La correspondance entre Bougie et Simmel est malheureuse
ment incomplète, car il n'y a que vingt lettres et cartes postales
de Simmel à Bougie, en plus cinq essais du premier envoyés à
part, déposés au fonds Bougie à la Bibliothèque nationale. Le
fonds Simmel a été réquisitionné en 1939 lors de l'émigration de
59 son fils aux Etats-Unis et est perdu depuis1; il n'existe donc
plus de lettres de Bougie à Simmel. De plus, on peut trouver des
indices pour émettre l'hypothèse que même les lettres de Simmel
à Bougie sont incomplètes, comme nous allons essayer de le
montrer. C'est la raison pour laquelle il faut donner quelques
indications biographiques sur les deux auteurs, car sans leur
contexte personnel et scientifique beaucoup de faits et de sujets
abordés dans cette correspondance ne sont que difficilement comp
réhensibles.
Célestin Bougie, après l'agrégation de philosophie, obtient une
bourse pour l'année universitaire 1893-1894 en Allemagne. Il va
à Heidelberg, Berlin, Leipzig et Munich, et c'est pendant son
séjour à Berlin en mars 1894 qu'il fait la connaissance de Simmel,
déjà enseignant à la faculté de philosophie berlinoise 2. Après son
retour en France, il enseigne d'abord au lycée de sa ville natale,
Saint-Brieuc, puis il va à Montpellier (en 1899) et à Toulouse
(en 1901) pour sa carrière universitaire. En 1908, il est nommé
à la chaire d'histoire de l'économie sociale de la Sorbonně, grâce
aussi, bien sûr, au soutien de Durkheim. Il y enseigne jusqu'en
1935, quand il devient directeur de l'Ecole normale supérieure.
Il meurt au début de l'année 1940.
Dès le début, Bougie est l'un des principaux collaborateurs de
Durkheim dans l'équipe de l'Année sociologique à partir de 1896
avec Marcel Mauss, François Simiand, Maurice Halbwachs, etc. 3
Pour caractériser la position de Bougie dans cette équipe, il faut
surtout mettre l'accent sur le fait qu'il est l'un de ceux qui gardent
une assez grande indépendance par rapport à Durkheim.
1. « Buch des Dankes an Georg Simmel », in : Brief e, Erinne-
rungen, Bibliographie. Herausgegeben von Kurt Gassen und Mi
chael Landmann, Berlin, 1958, p. 14. Cette perte du fonds Simmel
est aussi la raison pour laquelle il est pratiquement impossible
aujourd'hui de reconstruire entièrement le réseau de ses corres
pondants, parmi lesquels se trouvaient Auguste Rodin, Henri
Bergson, Gabriel Tarde, Elie Halévy, Emile Durkheim et René
Worms, pour ne mentionner que les autres correspondants français
les plus connus.
2. Sous un pseudonyme, Bougie publie ses impressions de ce
séjour : Jean Breton, Notes d'un étudiant français en Allemagne,
Paris, Calmann-Lévy, 1895 ; sur Simmel, voir surtout pp. 126-130.
Pour toutes les autres indications biographiques, cf. Paul Vogt,
« Un durkheimien ambivalent : Célestin Bougie (1870-1940) »,
Revue française de sociologie, vol. XX, 1, 1979, surtout pp. 124-125.
3. Philippe Besnard, « La formation de l'équipe de l'Année socio
logique », Revue française de sociologie, vol. XX, 1, 1979, pp. 7-31.
60 Dès son premier livre, il critique la position méthodologique
de celui-ci, selon laquelle il faut «considérer les faits sociaux
comme des choses4». Bougie concède qu'une sociologie ainsi
comprise peut élucider pourquoi certaines valeurs sociales se
répandent parmi les groupes sociaux à un moment donné du
développement de la société, mais en aucun cas elle peut expli
quer comment ces systèmes de valeur se forment. Pour cela il
faut se reporter à la méthode de Г «introspection», c'est-à-dire
à la philosophie morale et à la psychologie. Par cette posi
tion méthodologique il est bien plus proche de Simmel que de
Durkheim, car celui-là, à l'inverse de celui-ci, ne veut pas établir
de séparation stricte entre la sociologie d'un côté et la philosophie
ou la psychologie de l'autre. A cause de ce point de vue différent,
l'indépendance de Bougie par rapport à Durkheim et aux autres
durkheimiens se lit non seulement dans l'appréciation positive
de Simmel, mais aussi d'un autre personnage très important pour
la sociologie française de l'époque : Gabriel Tarde. Après la
mort de celui-ci, Bougie est le seul durkheimien qui lui réserve
un article commémoratif : « Un sociologue individualiste : Gabriel
Tarde», paru dans la Revue de Paris en 1905 5.
Le dernier exemple qui peut éclairer la position particulière
de Célestin Bougie au sein du groupe durkheimien se trouve
dans ses prises de position non pas scientifiques mais politiques.
Il est un des rares durkheimiens qui à la suite de l'affaire Dreyfus
ne s'engage pas dans le courant du socialisme réformiste autour de
Jean Jaurès (comme Mauss, Simiand, Halbwachs, Hertz, Hubert,
etc.), mais dans le parti radical en soutenant l'aile radicale-social
iste autour de Léon Bourgeois. De plus, surtout avant 1914, il
publie une série de livres et d'articles dans lesquels il essaie de
contribuer à la diffusion des conceptions solidaristes concernant
la transformation sociale de l'ordre économique6. Alors qu'il
4. C. Bougie, Les sciences sociales en Allemagne. Le conflit des
méthodes, Paris, Alcan, 1912 (3e édition), pp. 142-172; E. Durk
heim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1987,
p. 15.
5. En même temps Durkheim publie un compte rendu, mais tou
jours assez critique, d'un des livres de Tarde, dans l'Année socio
logique, vol. IX, 1906, pp. 133-135 (cf. Durkheim, Journal
logique. Paris, PUF, 1969, pp. 527-528, 531-532).
6. Christian Gulich « "Organisation" der Wirtschaft. Von Durk-
heims Berufsgruppen zu Bougies Solidarismus », Zeitschrift fur
Soziologie, XVIII, 3, 1989, pp. 220-229.
61 a une dimension politique évidente dans l'œuvre sociologique y
de Bougie, ce n'est pas du tout le cas pour Simmel.
Georg Simmel est né à Berlin en 1858, la même année que
Durkheim7. Sa famille est d'origine juive, mais ses parents
s'étaient déjà convertis au protestantisme. Il reste pratiquement
toute sa vie à Berlin, sauf ses quatre dernières années, car juste
avant le début de la Première Guerre mondiale il est nommé pro
fesseur à Strasbourg. Après des études de philosophie, il donne
son premier cours à la faculté de philosophie de Berlin en 1885
en tant que Privat-Dozent. Mais sa carrière universitaire ne se
déroule pas d'une façon satisfaisante. En 1901 il devient pro
fesseur «extra-ordinaire», statut qui ne permet toujours pas de
faire passer

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