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F - Titre : Le sampleur : de la machine à l'instrument

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    Titre : Le sampleur : de la machine à l’instrument
 
      Auteurs :  Vinc e nt Rou z é est maître de conférences à l’université Paris 8 St Denis et chercheur au Centre d’étude sur les médias, les technologies et l’internationalisation (CEM TI). vincent.rouze@univ-paris8.fr  Maxe nc e Déo n est actuellement en M2 de Musique et Musicologie à l’université de Paris Sorbonne - Paris IV, sous la direction de Catherine Rudent. maxence.deon@wanadoo.fr  
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  Introduction  L’omniprésence de l’électronique, de l’informatique, d’Internet dans le monde musical questionne les rapports entre l’homme et la machine. Dans quelle mesure ces technologies de la communication participent à la création et dans quelles mesures elles peuvent être considérées comme des instruments ? Sont-elles de simples outils de conception et de composition ou de véritables objets esthétiques comme le sont les instruments traditionnels ? Quels rapports entretiennent-elles avec les instruments classiques ? Quelles transformations cela induit-il dans les modalités de création, de composition et d’écoute ?  Si les machines et autres artefacts sont au cœur des problématiques des sciences de l’information et de la communication, leur rapport à la musique et au son demeure un sujet peu étudié. D’une part parce que l’image prend inévitablement le pas sur le sonore. D’autre part, parce que la problématique technique est trop souvent envisagée indépendamment de ses contenus. Initiée en France par Pierre Schaeffer et certains membres du GRM au travers de la musique concrète, cette approche croisée s’est peu à peu diluée dans des perspectives disciplinaires rigidifiées. En sciences de l’information et de la communication, outre dans les ouvrages peu nombreux comme ceux de Marie Noëlle Heinrich (2003) portant sur la création musicale et les nouvelles technologies, la musique est analysée comme un bien culturel intégré dans des analyses socio-économiques liées aux industries culturelles (Bouquillion, 2007; Vandiedonck, 2007), envisagée comme une pratique sociale et communicationnelle (Debruynne, 2005 ; Rouzé, 2004). A cet égard, les « medias studies  anglo-saxonnes proposent une littérature plus abondante (de Simon Frith à Philipp Tagg en passant par Michael Bull ou encore Richard Middleton), traitant des articulations entre medium, processus de création et d’appropriation, tout en faisant de la musique un véritable objet d’analyse.  En musicologie, le rapport homme/machine est envisagé au travers de la problématique instrumentale. Sous la plume des musicologues et des ethnomusicologues, celle-ci donne lieu à une abondante littérature notamment organologiques et ethnomusicologiques (d’André Schaeffner à Claude Cadoz). Hormis quelques travaux tels que ceux de Claude Cadoz (1999) ou encore ceux de Marc Battier (1995, 1999), la question du rapport instrument/machine demeure cependant minoritaire. Très codifiée dans la musique savante ou la musique ethnique, cette place de l’instrument et de la machine devient problématique et encore moins évidente lorsqu’il s’agit de musiques populaires. Comme l’a montré Philippe Rousselot (1995), de façon très pertinente, les recherches sur l’instrument, menées conjointement par l’artiste et par le « luthier , interviennent en amont de la création et sont trop souvent occultées des analyses. Or à mesure que la machine s’immisce et est intégrée dans le processus de création, qu’elle s’invite sur scène, la question de l’instrument, du statut du musicien et des médiations entre les deux resurgit.  Dans cette communication nous proposons d’interroger ce rapport homme/machine au travers du sampleur ou échantillonneur. L’enjeu est ici de l’aborder non pas seulement comme un simple objet, une innovation technologique parmi d’autres mais comme un véritable instrument de création. S’il trouve sa place dans de nombreux courants musicaux, il est devenu
 
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l’instrument central du rap et plus globalement des musiques électroniques. Notre ambition est de questionner ici le rôle qu’il joue et les effets qu’il produit dans les dispositifs de composition et les dispositifs d’écoute qui leurs sont concomitants. Notre propos sera étayé par l’analyse de morceaux de différents groupes de rap afin de mettre en évidence les rapports existants entre l’instrument (sampleur) et le son produit ‘le sample’.   Les machines contre les instruments  Les origines du sampleur sont certes liées aux innovations électroniques et numériques mais sont en germe depuis le développement au XIXème siècle des machines à communiquer susceptibles de capter, fixer et diffuser le son sans le recours à des musiciens. Depuis la radio jusqu’à l’informatique, ces techniques de communication jouent un rôle fondamental en musique car elles vont permettre au son de quitter les rives spatiales et temporelles de l’instant joué pour s’avancer vers celles de l’immortalité et de l’ubiquité. Par la fixation, la reproduction à grande échelle et la diffusion individualisée et collective qu’elles permettent (Chion, 1994 ; Sterne, 2003), ces machines marquent un pas de plus dans l’autonomisation musicale. Tout en s’inscrivant dans un régime d’industrialisation permettant à la fois l’écoute à un nombre croissant de personnes et la réification des contenus selon des normes commerciales 1  , elles ouvrent aussi sur un champ de possibles que Luigi Russolo, le père du bruitisme appelait de ses vœux : la nouvelle ère musicale des « sons-bruits  (manifeste de 1913 2 ).Reste à savoir si ces machines peuvent être considérées comme des instruments.  Comme le rappelle le canadien Jonathan Sterne (2007), cette question relève d’une dichotomie proposée en sociologie par Pierre Bourdieu, entre la logique praticienne et la logique théoricienne. Car avant même la théorie, un simple regard sur le monde musical actuel force à reconnaître la place fondamentale qu’occupent les machines, tant dans les dispositifs de création, d’enregistrement, que de reproduction ou encore de diffusion. Ainsi pour ce chercheur , postuler d’une rupture entre l’instrument et la machine, repose sur une distinction faite entre l’instrument relevant d’une forme de communication directe entre celui qui en joue et son auditeur, et la machine ou du medium qui relèverait d’une forme de communication indirecte. Cette dualité évacue ainsi progressivement les représentations et les pratiques effectives qui innervent les pratiques musicales. Les instruments traditionnels, suivant cette logique naturalisante et hiérarchisante, seraient ainsi supérieurs aux machines tant par leur capacité sonore que par leur lien direct à l’homme, à son corps et in fine à la nature. Si le sampleur comme l’ordinateur efface les liens directs de l’instrument traditionnel au corps, il n’en demeure pas moins producteur de nouvelles contraintes relatives aux capacités de la machine et aux connaissances musicales de son utilisateur 3 . Le passage de la machine à l’instrument repose sur un savoir-faire technique et une connaissance musicale nécessaire à la composition. Sans eux, la machine demeure un objet aux fonctionnalités en attente.                                                 1  Idée que développent les théoriciens de l’école de francfort et plus particulièrement Théodor W. Adorno et Max Horkheimer qui la dénoncent au travers de l’expression singulière « d’industrie culturelle  (1947). 2  Manifeste réédité récemment en français : R USSOLO Luigi, L’Art des bruits, Manifeste futuriste , Paris, Allia, 2003. 3  Toutefois, ces contraintes semblent moins importantes qu’avec la programmation informatique qui, elle, demande une explicitation et une formalisation de toutes ces formes implicites et empiriques qui constituent une bonne part du savoir musical. (Barrière, 1990)
 
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 Au regard des pratiques musicales actuelles et suivant la proposition de Jonathan Sterne, il nous semble donc important non pas de placer les sampleurs dans une analyse comparative avec les instruments traditionnels mais plutôt de comprendre comment ils deviennent des instruments, quels sont leurs rapports aux instruments traditionnels et ce qu’ils modifient dans notre rapport à la musique.   Le sampleur, un instrument hybride  Le sampleur ou échantillonneur est d’abord une machine. Sa particularité est de se servir d’un extrait musical existant possédant déjà ses propres caractéristiques pour le détourner en en faisant la base d’un autre univers musical. Comme le rappelle le compositeur Bertrand Merlier, le sampleur trouve ses origines dans les machines spécifiques développées à partir de la fin des années 60. A la suite du Chamberlain inventé dans les années 40, le Mellotron (Mark I) audible dans les compositions des Moody Blues, de King Krimson, ou encore dans l’introduction du « Strawberry Field Forever  des Beatles, permet de jouer des séquences musicales préenregistrées à l’aide d’un clavier dont chaque touche active la lecture d’une bande magnétique 4 . Importance de ces bandes magnétiques aussi dans la musique électroacoustique. Dans le chapitre « L’équipement  de son livre sur la musique électroacoustique (Chion, 1982, p. 18-28), Michel Chion nous indique bien que l’un des procédés de composition électroacoustique est l’utilisation de sons enregistrés. Les objets utilisés sont alors des magnétophones et des microphones, que Chion n’appellera toutefois jamais « instrument . Ce sont là des machines , au service de la pensée du compositeur, qui ne manipule pas encore des samples mais des bandes sonores 5 . Les premiers échantillonneurs numériques font leur apparition dans les années 80 avec le Fairlight et l’Emulator. Une décennie plus tard, les modèles tels que le Mirage, l’Akai S900, puis l’Akai S1000, ou encore ceux des firmes E-mu ou Yamaha marquent l’ère du sample numérique  Ces innovations techniques autant que les besoins ressentis par les musiciens d’expérimenter et de rechercher de nouvelles modalités de création contribuent à l’introduction de nouvelles machines dans leur composition opérant ainsi le glissement progressif de la machine expérimentale à l’instrument aux techniques et aux usages codifiés. Pour les musiciens électroacoustiques, une volonté de retour à un jeu instrumental (par opposition à l’élaboration d’une bande sonore fixe) se fait sentir. Ils renouent ainsi avec l’introduction de machines hybrides utilisées par Pierre Schaeffer telles que les phonogènes (à coulisse ou à clavier) qu’il utilise notamment dans son Étude aux allures de 1958.  partir des années 1980, des compositeurs comme Paul Méfano et François-Bernard Mâche écriront pour échantillonneur, signe de la volonté de vouloir faire une musique plus vivante que la simple lecture d’une bande magnétique. Ce dernier va d’ailleurs jusqu’à préciser quel modèle de
                                                4  D AVIES  Hugh, « Sampler , in S ADIE  Stanley (ed.), The New Grove Dictionnary of Music and Musicians , Second Edition, Grove, 2001, Volume 22, p. 219. 5 Du moins à l’époque où Chion publie ce livre (1982), qui est une période de développement intense du rap et des techniques d’échantillonnage.
 
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sampleur (Akai S1000) il souhaite pour son Khnoum  écrit pour cinq percussions et échantillonneur.  Passage de la machine à l’instrument aussi pour les producteurs de hip-hop et plus globalement des musiciens du répertoire libre 6  qui vont eux aussi souhaiter une musique « expérientielle  mais faisant, quant à elle, de la recherche empirique un moteur de création. C’est le cas du rap. A première vue, le rap peut être considéré comme une musique dite « sans instrument , à l’instar de certaines musiques techno ou électroacoustiques. Oliver Lake, saxophoniste membre du World Saxophone Quartet, estime par exemple que les rappeurs ne font qu’« appuyer sur un simple bouton  7 . Si ce cliché peut très facilement être contredit – il suffit de citer les styles de rap parmi lesquels que le G-funk  (Krims, 2000, p. 74-75) ou le crunk  (Blondeau et Hanak, 2007, p. 41), qui sont en grande partie composés et joués sur instruments –, l’outil de composition qu’est le sampleur possède alors un statut ambigu. L’usage de samples, contrainte d’abord sociale 8 , devient enjeu et stratégie esthétiques sous la patte de nombreux producteurs hip-hop, notamment de rap east coast  (entendre « de New-York). Même lorsqu’ils utilisent des instruments classiques, ce qui est fréquent, il n’est pas rare de les voir sampler quelques secondes de jeu sur cet instrument seulement, afin qu’ils puissent ensuite les insérer à leur guise dans leur composition ; ce qui est entendu est ce qui est joué en dernier lieu au sampleur . C’est exactement ce que fait le producteur français 20Syl dans une vidéo disponible sur Internet 9 , où il sample quelques secondes de guitare électrique, de triangle, etc. Il crée lui-même ses samples, qu’il va « jouer  ensuite avec les touches de son sampleur : il joue au sampleur ses propres notes et accords de guitare, et le touché de ces notes est bel et bien celui dû au sampleur. Même procédé de composition chez un groupe comme Massive Attack. Les membres du groupe jouent de multiples instruments, enregistrent des heures de « live  afin d’y trouver la source des samples qui constitueront leurs prochains morceaux. (Sterne, 2007).  Enfin, ajoutons deux éléments qui soulignent l’assimilation du sampleur en tant qu’instrument. Le premier, visuel, se donne à voir sur certaines pochettes de disques ou certaines photographies de promotion commerciale. Les musiciens posent avec leur sampleur (Q-Tip et son Akaï MPC, Madlib et sa SP-1200 10 ), de la même façon que Miles Davis pose avec sa trompette. D’autres décorent et personnalisent leur sampleur 11 , de la même manière que les rockeurs « customisent  leurs guitares, leurs basses électriques ou leurs fûts de batterie. Le second élément est d’ordre musical. Tout comme les chanteurs de jazz cherchent à imiter le phrasé de certains instruments lors de leurs improvisations en scat , les rappeurs vont tenter de reproduire vocalement le phrasé du sampleur. Par exemple, sur « Live & Direct , d’Homeliss                                                 6 Pour reprendre l’expression de Philippe Rousselot (Rousselot, 1995, p. 105-130). Il nomme « répertoire libre  le « vaste ensemble où s’empilent et se mélange le jazz, le rock, le blues et toutes leurs variantes. La rap en fait évidemment partie, et y sont donc exclus les musiques ethniques et la musique savante. 7 D ESSE , SBG, Free style , Paris, Florence Massot et François Millet éditeurs, 1993, p. 101. 8 Notamment due aux impossibilités financières d’acquérir des instruments de musique dans les ghettos pauvres. (Béthune, 2003, p. 69-70). 9  On peut voir cette vidéo sur le site Youtube: taper « 20SYL - Beat Making Video , ou directement http://www.youtube.com/watch?v=8OhDC5GUJYw (consultée le 21 Mai 2009). 10 Notamment sur les pochettes des albums The Renaissance (Motown/Universal, 2008) pour Q-Tip et Madvillainy de Madvillain (Stones Throw, 2004) pour Madlib. 11 On peut en voir quelques exemples dans le documentaire West Coast Theory , disponible en DVD (Avalanche Productions, Potemkine/Agnes B. DVD, 2009).
 
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Derilex, le rappeur répète plusieurs fois d’affilée la première syllabe du mot qu’il prononce (à 1’19 : « A – A – Architect ).   mesure que la maîtrise de la machine est « naturalisée , corporellement et mentalement intégrée, de nouvelles techniques apparaissent et sont formalisées : déconstruction, enchaînements inattendus, superpositions. Si le langage musical, au sens musicologique, est d’une manière générale relativement peu innovant, la texture sonore devient quant à elle très spécifique et très originale. Le procédé d’échantillonnage est ainsi extrêmement important pour l’identité sonore de certains artistes. Comme d’autres machines dans le rock (Julien, 1999), c’est lui qui donne « le son  si spécifique de certains groupes ou de certains producteurs, en particulier pour le rap east coast de 1985 à 2000.   Reste la question du timbre. On sait en effet que la spécificité d’un instrument résulte de son timbre. Or, le sampleur est a priori vidé de tout timbre, puisque les sons qui en sortent sont de source extérieure. Cependant, des producteurs et même certains auditeurs très avertis sont capables de reconnaître le son de tel ou tel modèle, notamment des quelques modèles emblématiques de sampleurs apparus dans les années 85-90, commercialisés par les firmes Akaï et E-MU Systems  (Blondeau et Hanak, 2007, p. 23-24). Il peut paraître surprenant d’entendre dire « le son de ce morceau me rappelle celui du sampleur SP-1200 12 , pourtant certains producteurs et artistes n’hésitent pas à l’affirmer. Car le sample n’est pas à lui tout seul le son que l’on entend : la perte de qualité sonore, qui dépend de la fréquence d’échantillonnage lors de la numérisation du son, donne un grain spécifique propre à tel ou tel sampleur, tout comme un pianiste à l’oreille avertie saura différencier le timbre spécifique d’un piano à queue Pleyel de celui d’un piano à queue Erard ou Steinway. Ainsi, le modèle susmentionné, le SP-1200, possède notamment des caractéristiques essentielles qui altèrent le son samplé :  Les caractéristiques de cet outil sont d’une part une faible fréquence d’échantillonnage ainsi qu’une faible capacité de stockage. Le premier de ces paramètres a pour conséquence de donner au rap un son poussiéreux, altéré […]. La seconde particularité de cette machine en modifie le groove . (Blondeau et Hanak, 2007, p. 24)  Le son samplé peut donc être « marqué  par les paramètres du sampleur utilisé. A cela s’ajoute les modifications que le musicien peut choisir de faire lorsqu’il sélectionne puis sculpte et travaille son sample : effets de tout type (réverbération, transposition, qui va de paire généralement avec une accélération ou un ralentissement, distorsion, etc.) qui seront là encore les signes distinctifs de tel ou tel modèle d’échantillonneur La « seconde particularité  mentionnée ici fait directement référence à ce que nous verrons plus bas, sur la déconstruction des samples (notamment motivée par la « faible capacité de stockage ). Et nous pourrions ainsi multiplier les exemples qui prouvent l’existence et la spécificités du timbre en fonction des sampleurs .  C’est précisément cette existence du timbre qui pousse les fabricants de « plug-in  (programmes intégrables aux logiciels de M.A.O (Musique Assistée par Ordinateur) tels que Cubase, Garage Band, Nuendo, Protools à recréer virtuellement des amplificateurs, des                                                 12  Le producteur et rappeur Kev Brown écrit cela dans le livret de son album I Do What I Do , Up Above Records, 2005.
 
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instruments, des sampleurs. L’enjeu est de retrouver « la couleur  musicale propre à chacun mais aussi de permettre des combinatoires sonores et d’instruments « complexes , libérées des contraintes matérielles.   Les machines dans la composition : le basculement d’un paradigme  Au delà des visions prométhéennes ou Frankensteiniennes de la machine inhérente à toute innovation technique (Flichy, 1991 ; Perriault, 1989), ce qui se joue avec le sampleur tant sur le plan des représentations que dans les processus créatifs, c’est moins la question de la dualité machine/instrument que celle de la composition originale appelant à de nouveaux paradigmes de création, l’inscrivant de facto dans la continuité de l’histoire musicale. Comme toujours dans l’histoire des machines « à communiquer , leur existence est liée aux processus d’appropriation et de réappropriation à la fois physique et symbolique débouchant sur des modalités d’usages soit définies par le constructeur et/ou l’inventeur, soit détournées et redéfinies par l’usager lui même. Dans la continuité de l’anthropologue Jack Goody (1979) qui montre combien l’écriture transforme nos manières de voir et de penser le monde sans éradiquer celles qui lui préexistent, le musicien-concepteur Roland Cahen 13  constate que les machines contribuent à la multiplication des paradigmes de composition.  Dans le premier cas, ce rapport à la machine est pensé comme un nouvel instrument. Toute réflexion musicale réitère de façon « moderne  les problématiques anciennes basées sur l’œuvre et sur la partition. C’est le cas, par exemple, des recherches et des œuvres « stochastiques  de Iannis Xenakis qui débutent par le fameux "ST48" écrit en 1962. D’inspiration pythagoricienne, ces compositions reposent, en effet, sur les mathématiques, l’ordinateur et les algorithmes permettant à la fois un travail sur le son et sur l’organisation structurelle des œuvres. L’ordinateur, pour Iannis Xénakis, s’il devient un élément central de la composition n’en demeure pas moins un outil ouvrant sur d’autres possibles ancrés dans les probabilités et les théorèmes mathématiques.  A l’inverse, dans le second cas dans lequel s’intègre le sample, les musiciens ne cherchent plus, dans ces machines, un nouvel instrument se substituant à d’autres mais une voie possible pour créer une « nouvelle  musique, détachée de ses contingences compositionnelles traditionnelles et historiques. Progressivement, le paradigme de composition se déplace ainsi vers celui du sonore (Delalande, 2001). Par cette mutation progressive allant de la composition centrée sur l’écriture vers l’accent mis sur l’écoute et le son, les musiciens cherchent de nouvelles matières sonores au travers la création de sonorités, d’autres manières de faire de la musique, de faire de la machine un véritable instrument. Aux Etats-Unis, la cybernétique et les travaux de Norbert Wiener sur les rapports entre homme/machine seront à l’origine des bricolages sonores expérimentaux comme ceux du couple Baron qui aidèrent John Cage à montrer l’un de ses premiers collages « William Mix . De même, ses Radio Music (1956) invitent à cette possibilité d’utiliser, de détourner de nouveaux médiums à des fins musicales et compositionnelles. Avec Imaginary Landscape n°4  pour douze postes de radio et deux exécutants, il rompt avec les codes de composition en vigueur en mélangeant et en détournant                                                 13 Voir Roland CAHEN, Générativité et interactivité en musique et en art électroacoustique, 03/05/2000, http://perso.orange.fr/roland.cahen/Textes/CoursSON.html/MusiqueInteractive.htm
 
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appareils quotidiens et variations aléatoires. S’appuyant sur les principes du I Ching 14 et sur des supports techniques expérimentaux (piano préparé, objets trouvés devenus percussion, poste de radios détournés), il s’éloigne des modèles classiques de composition (partition/exécution) pour laisser place à des morceaux joués en fonction à la fois des intuitions improvisées de l’artiste et du milieu d’interprétation. La musique est donc celle des sons produits in situ  intégrant les éléments sonores inhérents à la temporalité et à l’espace dinterprétation.    En France, les expériences acousmatiques menées par Pierre Schaeffer au sein du GRM débouchant sur une musique concrète marquent à la même époque l’importance à la fois des machines et du studio comme lieu d’expérimentation mais aussi les liens retrouvés entre information, communication et musique. De sa volonté de créer une musique concrète, il travaille exclusivement à partir de sons captés et enregistrés. Bref, il utilise des sons déjà existants qu’il va ensuite retravailler. Pour Pierre Schaeffer, cette problématique repose sur ce qu’il appelle un programme de musique concrète :  J’invitais les compositeurs et les auditeurs à remettre en cause l'opposition primaire entre son et bruit en découvrant la musicalité potentielle de sons habituellement considérés comme bruits aussi bien qu'en repérant, dans le son prétendu pur, le bruitage implicite : grain du violon ou de la voix, présence dans une note de piano du choc répercuté sur la table d'harmonie, foisonnement complexe des cymbales, etc. On fera bien de se souvenir qu'il ne s'agit pas d'imperfections regrettables : ces prétendues impuretés font partie même du donné musical. 15   Comme chez John Cage, la musique est abordée à partir des sons produits par des sources quotidiennes et non plus, exclusivement, à partir de schèmes compositionnels organisés. Les bases du sample se posent ainsi progressivement à mesure que les sonorités quotidiennes et les sources sonores se détachent de leurs matérialités originelles et qu’elles sont intégrées, par collage de bandes, dans des compositions originales. Des collages sonores aux samples, ces expériences sonores et/ou musicales marquent une réelle évolution dans le processus créatif. A la manière des plasticiens ou des peintres, le son devient matière. Ce centrement sur la plasticité sonore va conduire à transformer nos manières de penser et de percevoir la musique. Car il est désormais possible de travailler la compression du spectre sonore, la variation du timbre en passant par la modulation des fréquences, le filtrage du bruit, la compression des hauteurs. Elle s’illustre par exemple dans les compositions du suisse Giussepe Elgbert, en 1975, celles du français Hugues Dufour ou encore celles des recherches « spectrales  et « des sons paradoxaux  menées par le compositeur Jean-Claude Risset.  Parallèlement, la volonté « d’omniscience sonore  pousse des ingénieurs et des musiciens à développer des machines électroniques. Les premiers morceaux « électroniques apparaissent dans les années 50 et 60 sous les doigts d’ingénieurs et de musiciens tels Max Mathews, James Tenney, Jean-Claude Risset et John Chowning. Les premières œuvres électroniques 16 ,                                                 14  Aussi appelé « Livre des mutations , il est l’un des cinq livres essentiels du Confucianisme. Basé sur le recueil d’oracles chinois ancestraux, il vise à prédire l’avenir. 15  Citation extraite du livret accompagnant la compilation « Pierre Schaeffer - L'oeuvre musicale , INA/GRM/EMF, 1998. 16  Notons, ici, que les premières expériences lui sont antérieures. C’est, en effet, Werner Meyer-Eppler qui travaille à la création de sonorités synthétiques et qui est l’auteur du terme « musique électronique . Ce sont, d’ailleurs, Meyer-Eppler, Beyer et Eimert qui fondent le studio de la radio de Cologne. Mais ce n’est qu’avec Stockhausen que la musique électronique prend sa dimension esthétique et théorique.
 
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dont Studie I ,  naissent sous les doigts de Karlheinz Stockhausen à la WDR 17  de Cologne et viendront enrichir les problématiques esthétiques et expérimentales de nombreux compositeurs et de centres de recherche comme celui de l’Ircam. Le développement de l’électronique et des recherches informatiques autant que leur appropriation par les artistes a progressivement contribué à la transformation des conceptions artistiques contemporaines tant sur le plan plastique que musical. (Synthétiseurs, MIDI 18 ). Le basculement du paradigme est lié au développement de machines capables de produire et reproduire des sons synthétiques. Il poursuit en cela un processus commencé dès le 15 ème  siècle avec l’orgue qui offre des possibilités d’imitation d’autres instruments, de flûtes, de voix humaines et de chants d’oiseaux. Mais ce qui diffère avec l’électronique, c’est précisément la possibilité de produire et reproduire à l’infini des instruments existants mais aussi des instruments « virtuels  et synthétiques illustrés par l’arrivée des synthétiseurs Korg, Moog ou encore Yamaha et surtout de les traiter en temps réel.  Mais si les machines intègrent et modifient les modalités de compositions de musiques contemporaines « savantes , elles jouent parallèlement un rôle fondamental dans les compositions dites « populaires  montrant ici encore le caractère superficiel des frontières trop souvent tracées entre l’une et l’autre. L’article du compositeur et musicologue britannique, Leigh Landy, intitulé « La synthèse sonore : enfin l’émancipation ? , dresse un état des lieux à la fois historique et prospectif du numérique dans la composition musicale, 9 montrant bien les hybridations qui se jouent dans les productions musicales actuelles. 1  Par ailleurs, la polysémie des termes renvoyant à l’« electro  20  témoigne aussi de cette richesse. De la techno à la musique électro-acoustique en passant par le hip-hop et le DJing, les catégories musicales deviennent plus opaques, des collaborations se développent et rendent plus complexes la définition des styles. Du rock à la techno 21 , elles travaillent dans un même esprit d’une recherche sonore originale. Le cas du son des Beatles analysé par Olivier Julien montre ici encore combien la machine est essentielle et comment elle participe à la création même du groupe de Liverpool (Julien, 2000). L’appropriation de ces machines par des musiciens soucieux d’expériences musicales et sonores aboutit à la création de morceaux et de genres originaux hybrides tels que la « new wave  et l’« electro , immortalisés par des groupes tels que Kraftwerk, Tangerine Dreams, Joy Division, les Cocteur Twins... (Toop, 1996). Le rap va également intégrer ces machines grâce notamment à Afrika Bambaataa, l’un des protagonistes les plus influents des débuts de la culture hip-hop, qui n’hésitera pas à mélanger synthétiseurs, boîtes à rythme et échantillons. C’est le cas par exemple de son titre « Planet Rock  (1982), où sont samplés les Allemands de Kraftwerk (Béthune, 2004, p. 70).                                                   17 WDR sont les initiales du studio radiophonique « Westdeutscher Rundfunk  18  Le MIDI (Musical Instrument Digital Interface) apparu en 1983 permet, notamment, de coder la musique et d’utiliser simultanément plusieurs instruments gérés par ordinateur. 19 Voir le texte publié sur le site de l’auteur : http://perso.orange.fr/gmem/evenements/jim2002/articles/L02_Landy.pdf 20  Nous mettons ce terme entre guillemets car, comme le montre François Delalande (2003), il renvoie à un paradigme incluant différentes catégories musicales telles que musiques électroniques, musiques électro-acoustiques, musiques acousmatiques qui ont bon nombre de points communs mais aussi quelques divergences quant aux principes de composition qui les régissent. 21  Voir Revue Mouvements, Techno des corps et des machines, n°42, La découverte, 2005.
 
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Un art de la manipulation  Utilisons justement le répertoire du rap pour analyser l’utilisation de sampleurs comme moyen de composition. Il existe évidemment des cas de sampling très peu créatifs par rapport au sample d’origine 22 , où la notion de composition devient relative, mais nous tenterons ici de considérer plutôt les cas où une nette différence musicale s’entend entre le morceau rap et le titre samplé. Afin de poser les questions de la composition, mais aussi du geste et de l’esthétique. Commençons par exemple avec celle du geste. Bien que la technologie du sampleur réduise l’objet sonore entendu au geste « appuyer sur un simple bouton , il y a tout de même geste. L’exemple le plus évident est celui des cas où le producteur va échantillonner séparément les différents sons d’une batterie (grosse caisse, caisse claire, cymbales, charleston, etc.) à partir d’un disque préexistant, afin de les jouer ensuite à sa guise pour créer tous les rythmes qu’il souhaite.   La particularité de cette machine [le sampleur SP-1200 de E-MU Systems] est qu’elle ne pouvait sampler que quatre samples d’environ deux secondes et demie, ce qui est assez faible pour capter une mesure de batterie par exemple. Il a donc fallut ruser. On samplait une grosse caisse, une caisse claire et on frappait un beat sur la boîte à rythmes. Et c’est ça, le son du rap. Le rythme du rap vient de cette machine.(Blondeau et Hanak, 2007, p. 62)  Ce commentaire du producteur RZA nous donne plusieurs indications sur la façon de produire du hip-hop à base de samples. Tout d’abord, il confirme le constat établit à l’instant. Il va plus loin en ajoutant que le rythme ainsi créé va être différent, nouveau, le groove  ne sera pas le même que dans le funk, d’où les sons sont pourtant majoritairement tirés. Cette différence rythmique est bien sûr liée au mode de jeu, à ce geste instrumental dont nous parlons ici, qui n’est plus celui de taper sur des fûts avec des baguettes mais d’appuyer sur les touches d’un sampleur ; à cela s’ajoute le fait que la mise en boucle est calculée par la machine, la répétition est donc stricte, il n’y a plus les même possibilités de variation que le batteur en chair et en os pouvait apporter ; les variations vont désormais être créées bien souvent par la suppression et la réapparition de la partie de batterie répétitive : les caractéristiques de l’instrument qu’est le sampleur ont une influence directe sur la façon de composer. De plus, RZA explique que les samples ne peuvent, avec cette machine (qui est l’une des plus usitées dans la première moitié des années 1990), durer plus de deux secondes et demie. Cela va donc être à l’origine de la déconstruction de plus en plus poussées des samples. Pour ce qui est de la décomposition des différents sons de batterie, on assiste donc à un nouveau geste instrumental en même temps proche et éloigné de celui d’un batteur concret : proche, car le musicien devra jouer (au sampleur) tous les sons ; éloigné, car ce n’est pas avec ses baguettes et ses pieds (mais les touches du sampleur), ni même en temps réel (grâce à l’utilisation de la boucle, le producteur peut enregistrer d’abord la ligne de cymbale charleston, puis celles de grosse caisse et caisse claire, etc.). Mais cette nécessité de déconstruire les samples ne concerne pas que les sons de batterie. Un bon exemple sonore illustrant cela est le morceau « Spark  du groupe Homeliss Derilex. Ce morceau est issu de l’album {HD’S –VS- The SP-1200} , au titre on ne peut plus significatif : « HD  représente les initiales du groupe, qui est alors confronté (« VS  signifie versus ) au                                                 22  Dai Griffith en cite quelques uns dans son article sur les reprises dans les musiques populaires. (« Cover versions and the sound of identity in motion , in H ESMONDHALGH  David & N EGUS  Keith, Popular Music Studies , New York, Oxford University Press Inc., 2002, p. 51-64)
 
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sampleur SP-1200. Une façon plus classique de dire cela serait « Concerto pour SP-1200 interprété par Homeliss Derilex . Mais revenons au morceau qui nous intéresse : la boucle principale est formée par la mélodie de vibraphone suivante (le tempo est de 93, et le rythme de la mélodie ossède le swin caractéristi ue du azz, où :
Exemple musical 1 : Homeliss Derilex, « Spark , boucle principale  Cette boucle dure exactement 5 secondes. Nommons « S1  la première mesure et « S2  la seconde. Le premier temps de S1 comporte, en plus de ses triples croches, un coup de grosse caisse. Le modèle SP-1200 ne pouvant pas accepter de sample plus long que 2,5 secondes, le producteur a donc dû ici déconstruire le sample au milieu (2x1 mesures au lieu de 1x2 mesures), c'est-à-dire séparer S1 et S2, pour le reconstruire ensuite en jouant au sampleur (S1 est de couleur bleue et S2 de couleur rou e 23 :  Exemple musical 2 : Homeliss Derilex, « Spark , jeu au sampleur, couplet  L’introduction et les refrains du morceau sont des variations de cette boucle. Dans l’introduction, on entend de nombreuses fois d’affilée le début de S1, et un peu celui de S2, ces deux débuts étant joués à différentes hauteurs (et donc à différentes vitesses) ; on l’entend notamment très bien grâce à l’harmonie accompagnant le coup de grosse caisse de S1, transposée plus haut ou plus bas. Voilà donc un exemple d’utilisation du sampleur en tant qu’instrument mélodique. Le refrain quant à lui ne possède pas de changement de hauteur, mais une construction différente composée à partir des deux mêmes samples S1 et S2. Le jeu au sampleur est le suivant :
 Exemple musical 3 : Homeliss Derilex, « Spark , jeu au sampleur, refrain  Nous entendons donc la musi ue suivante :
 Exemple musical 4 : Homeliss Derilex, « Spark , refrain  On voit ainsi apparaître à nouveau un geste instrumental, inédit. Le producteur « joue les samples  24 , à défaut de jouer des notes, car « la note n'est plus l'élément composant. Le phonème de base du sampling  est le fragment  (Tordjman, 1998). L’interface clavier des sampleurs (qu’il s’agisse de touches toutes identiques, les pads , ou d’un clavier classique avec touches blanches et touches noires) permet donc une notation. En effet,                                                 23 Chaque couleur correspond en fait à une touche du sampleur, ces machines possédant généralement un clavier de plusieurs touches dont l’appui « joue  l’échantillon suivant la longueur avec laquelle la touche est maintenue. 24 Expression notamment utilisée par RZA (Blondeau et Hanak, 2007, p. 61).
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