L idée de guerre juste à l épreuve des faits
7 pages
Français

L'idée de guerre juste à l'épreuve des faits

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
7 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

L'idée de guerre juste à l'épreuve des faits

Informations

Publié par
Nombre de lectures 52
Langue Français

Extrait

L'idée de guerre juste à l'épreuve
des faits
Cyrille Bégorre-Bret
1
À propos de Michael Walzer,
De la guerre et du terrorisme
(
Arguing about War
), trad. Camille Fort, Paris, Bayard,
2004, 253 pages.
Les démocraties et la guerre
Devant la guerre, la seule parole démocratique possible n'est-elle pas la
condamnation pure et simple ? Génocides et déportations, bombardements de
civils et tortures de prisonniers, tout cela n'est-il pas aux antipodes de la valeur
sur laquelle reposent les démocraties : la justice ? Nous autres citoyens des
démocraties, ne sommes-nous pas obligés de récuser toute tentative de
justification de la violence qu'elle soit internationale ou individuelle ? Dès qu'il
est question de guerre, la distance critique, le désir d'explication et la recherche
d'arguments
pro
et
contra
ne sont-elles pas nécessairement coupables ?
Pourtant, les démocraties peuvent-elles se passer d'une analyse détaillée et
d'une évaluation approfondie de la guerre ? Les plus anciennes et les plus
puissantes d'entre elles ne participent-elles pas à des conflits armés en Irak ?
Comment les dirigeants et les citoyens d'un État démocratique pourraient-ils
faire l'économie d'une réflexion sur les conditions auxquelles une guerre doit
être déclarée, sur les moyens à employer pour la mener et sur les buts qu'elle
doit poursuivre ? Car c'est la seule façon de tenter de rester démocrate jusque
dans la mêlée furieuse des champs de bataille.
Mais peut-être cela est-il impossible. Les démocraties, pour être réalistes,
devraient sans doute se résoudre à vivre dans la schizophrénie. Elles devraient,
d'un
côté,
récuser
toute
justification
à
la
guerre
et
se
cantonner
aux
imprécations contre elle, de l'autre, se préoccuper de la guerre et veiller à sa
réussite afin de garantir leurs propres intérêts ou leur simple survie.
Toutefois, dans ces deux cas, la raison démocratique est amputée : angélique,
elle refuse toute analyse du réel au profit d'un rejet inconditionnel de la
violence. Réaliste, elle renonce aux pouvoirs normatifs de la délibération
démocratique et se contente d'appliquer une rationalité instrumentale. C'est ce
que souligne avec justesse Michael Walzer depuis bien des années dans une
doctrine au nom programmatique :
la théorie de la guerre juste
. Concernant la
guerre,
les
démocraties
ne
peuvent
faire
l'économie
d'une
réflexion
pragmatique mais éthique, distanciée mais non cynique. Voici le principe sur
lequel s'appuient toute ses réflexions : la guerre peut faire l'objet d'une
évaluation éthique à l'aune de la notion de justice. C'est même bien davantage
1
qu'une latitude qui leur est laissée. C'est une obligation qui leur est faite. Les
démocraties sont en effet engagées dans les relations internationales. Elles ne
sont pas isolées comme la cité de la
République
de Platon. Elles ont
nécessairement des relations avec d'autres États comme la cité, bien réelle
celle-là, de la
Politique
d'Aristote. Et dans ces relations internationales, la
guerre est un phénomène qu'il est impossible d'occulter ou de nier.
Car, contrairement à ce que Kant affirme dans son
Projet de paix perpétuelle
,
les démocraties font bel et bien la guerre. Seulement, les démocraties doivent
décider, mener et conclure leurs guerres conformément à la justice et non pas à
la manière de la première tyrannie venue. Pour les démocraties, la justice n'est
pas seulement une obligation interne, c'est un devoir externe. Contre le
pacifisme de la dénégation et contre le réalisme de l'amoralité, elles peuvent –
elles doivent – chercher la justice jusque dans le sang et les larmes de la
guerre.
Une suite, pour quoi faire ?
Pour massives qu'elles soient, ces thèses sont déjà familières aux lecteurs de
Michael Walzer : voilà bientôt trente ans que
Guerres justes et injustes
les a
portées au coeur du débat public. Pourquoi donc donner une suite à cet
ouvrage abondamment discuté mais incontestablement magistral ?
C'est que
De la guerre et du terrorisme
n'est pas seulement une suite : c'est
aussi un commencement. C'est une méditation nourrie par les bouleversements
subis par le monde après la fin de la Guerre froide. C'est une réflexion
indispensable sur les conditions morales, juridiques et techniques de l'emploi de
la force dans le monde – à bien des égards radicalement neuf – qui est né, au
début des années 1990 dans les clameurs entourant la chute du Mur de Berlin
et le fracas de la première guerre du Golfe.
Même s'il est elliptique, le constat d'où part Michael Walzer est très net. Et il est
largement partagé par tous ceux qui, citoyens, philosophes, politistes, juristes
observent,
de
près
ou
de
loin,
les
cadres
et
la
marche
des
relations
internationales contemporaines : le monde de l'après Guerre froide n'est ni un
monde sans guerre ni un chaos westphalien où la guerre est un attribut normal
de souverainetés monadiques. C'est un univers géopolitique où les conflits
armés et le droit international sont à la fois étroitement liés et violemment en
tension. Les nouvelles formes de conflictualité ainsi que la transformation des
relations entre violence internationale et droit mondial exigent un effort de
rénovation conceptuelle de la part de la théorie de la guerre juste. Car un
soupçon pèse sur elle : n'est-elle pas désormais caduque ?
Les vertus d'une piqûre de rappel
Michael Walzer ne cherche pas à recycler une théorie déjà ancienne dans un
livre faussement nouveau. Mais il n'entreprend pas non plus de proposer une
conception intégralement nouvelle de la guerre juste. Son but est d'abord d'offrir
un rappel de son vaccin contre l'angélisme et contre le cynisme. C'est pour
cette raison que
De la guerre et du terrorisme
est un livre salutaire. Sa thèse
centrale est double : d'une part, la guerre est parfois justifiable et, d'autre part,
la conduite de la guerre est toujours susceptible d'une évaluation morale. Les
pacifistes critiquent le premier point et les réalistes, le second. L'objectif
principal de cette théorie est prévenir toute schizophrénie démocratique. Elle
2
affirme que les démocraties peuvent porter un regard à la fois éthique et
réaliste sur la guerre.
Mais ce n'est pas la seule de ses ambitions : la théorie de la guerre juste se
veut aussi exhaustive. Elle réclame en effet qu'on envisage tous les aspects de
la guerre. Il ne s'agit pas, comme Alain dans
Mars ou la guerre jugée
et comme
Freud dans
Malaise dans la civilisation
, d'évaluer la guerre en général. Il s'agit
d'analyser des guerres déterminées pour discuter de leur légitimité. Il s'agit une
modification méthodologique importante pour la polémologie : il faut étudier le
problème de la justification de la guerre en le particularisant. Mais il incite un
deuxième effort d'analyse : on ne peut décider de la justice d'une guerre si on
n'examine pas trois éléments distincts mais inhérents à toute guerre. Il faut
examiner la question de la justice de la guerre en la décomposant. Pour
déterminer si une guerre est juste, il faut examiner
premièrement
si ses motifs
son justes,
deuxièmement
si la façon dont elle est conduite est juste et
troisièmement
si ses résultats sont justes. Il est donc nécessaire d'élaborer un
droit de la guerre, un
jus belli
, pour chacun de ces aspects de la guerre : un
jus
ad bellum
pour évaluer les motifs de la guerre, un
jus in bello
pour juger de la
conduite de la guerre et un
jus post bellum
pour apprécier ses résultats.
Un aggiornamento pour la théorie de la guerre juste
Les guerres contemporaines constituent un défi pour l'idée de guerre juste.
Pour le relever, Michael Walzer précise, rectifie et développe certains des
aspects de sa théorie.
Il incite d'abord ses partisans et ses adversaires à un effort mnésique et
théorique : la théorie de la guerre juste n'est pas une divinité sortie achevée et
tout armée de la tête de son père. Elle a une histoire longue et singulièrement
mouvementée. L'idée de guerre juste est forgée par Augustin pour lutter contre
le pacifisme chrétien originaire et contre les politiques de puissance de l'Empire.
Elle permet aux chrétiens de prendre part à des combats à deux conditions,
d'une part, que le conflit ait pour but la paix et, d'autre part, qu'il soit mené sans
colère ni concupiscence. Malgré cette ascendance illustre, la théorie de la
guerre
juste
a
bien
peiné
à
s'imposer.
Submergée
par
le
paradigme
machiavélien, l'idée d'une guerre juste était moquée par les « réalistes » et
récusée comme dangereuse par les « pacifistes ». C'est seulement devant les
horreurs de la guerre du Vietnam que l'idée d'une guerre juste a repris sa
légitimité.
L'idée de guerre juste a une histoire mais elle possède également une
actualité : elle intéresse désormais aussi les militaires. Les stratèges des pays
démocratiques sont devenus soucieux de montrer la justice des opérations
qu'ils préparent, mènent et réalisent. Pour eux, convaincre la population de
leurs propres pays – population qui fournit finances et hommes – que le conflit
est conforme à la justice est un objectif de guerre à part entière. Une victoire ne
peut être complète si elle n'est pas considérée comme juste par les opinions
publiques.
L'idée de guerre juste ne s'impose pourtant pas à tous car elle rencontre deux
problèmes nouveaux. Première question, les guerres justes sont-elles des
guerres à « zéro mort » ? Les démocraties ont aujourd'hui les moyens matériels
et
technologiques
de
n'essuyer
aucune
perte
(bombardements
sans
engagement
au
sol).
Ces
modes
opératoires
ne
sont
pourtant
pas
les
3
conditions de la justice de la guerre : ils présupposent en effet que la vie des
civils des pays attaqués est moins importante que celle des soldats. Michael
Walzer réalise ici un véritable
aggiornamento
de sa théorie de la guerre juste au
vu des guerres en Yougoslavie et en Irak : l'intervention au sol et l'acceptation
de pertes militaires font partie intégrante de la justice d'une guerre. La justice
d'une guerre ne se mesure pas au nombre de morts. Elle s'évalue au nombre
de morts civils. Le deuxième problème concerne les buts de la guerre et
découle de la multiplication des interventions militaires humanitaires : les
militaires doivent-ils seulement s'efforcer de rétablir le
statu quo
dans un pays
? Doivent-ils réaliser sa reconstruction ? Et ont-ils le devoir de changer le
régime d'un pays ? La réponse de Michael Walzer à ces questions est nuancée
mais ferme. La seule justification d'une intervention humanitaire est négative : il
s'agit de faire cesser des actions qui heurtent la conscience humaine. Mais
engager une guerre pour changer le régime d'un pays est à ses yeux
injustifiable : c'est aux citoyens de ce pays de le faire. En revanche, la
responsabilité de ceux qui mènent ce genre d'opération s'étend jusqu'à la
reconstruction du pays. C'est pour cette raison qu'il faut remettre à l'honneur en
droit international la « tutelle » et le « protectorat » délestés de leur teneur
impérialiste grâce à un système de contrôle par l'ONU. Seuls ces instruments
permettront aux démocraties de faire face à leurs responsabilités
post bellum
.
L'idée de guerre juste est féconde pour affronter des problèmes nouveaux et
précis. L'intervention au sol au Kosovo est une obligation morale : les vies des
soldats de l'OTAN n'a pas plus de valeur que celle des civils kosovars. Et la
reconstruction
de
l'Irak
fait
partie
intégrante
des
devoirs
de
l'occupant
américain. Cette théorie résout également des problèmes de droit militaire, au
premier rang desquels la responsabilité des combattants. L'officier de rang
intermédiaire a une triple responsabilité. La première le lie à ses supérieurs et,
plus largement, à sa nation : il doit remporter la victoire pour défendre sa patrie.
La deuxième le lie à ses subordonnés : il doit préserver leur vie. Mais il a une
troisième responsabilité, extérieure au cadre hiérarchique celle-là, envers les
civils de l'État qu'il attaque. La protection des civils, quelle que soit leur
nationalité, est un « dépôt sacré » selon le mot de McArthur. Or, cet aspect-là
de la justice de la guerre est constamment négligé par les dirigeants politiques,
par les militaires et par les tribunaux internationaux. La protection des civils doit
être un pilier à part entière du
jus in bello
. Une guerre est juste si et seulement
si
elle
est
menée
par
des
militaires
qui
endossent
chacune
de
ces
responsabilités.
L'idée de guerre juste est pourtant loin de l'angélisme : en effet, les civils ne
sont
pas
toujours
intangibles.
Dans
les
situations
d'urgence
vitale,
l'existence même de la communauté démocratique est en péril (comme en
1940 au Royaume-Uni), le bombardement de civils du pays ennemi n'est pas
juste mais est justifiable. La théorie de la guerre juste n'est donc pas une
théorie des mains propres. Elle a une conscience très profonde du mal. Elle
comporte une hiérarchie du mal et « une morale de l'urgence extrême ».
Le théoricien de la guerre juste devant le terrorisme
L'effort
d'
aggiornamento
porte
aussi
sur
la
question
du
terrorisme.
L'organisation d'attentats peut-elle constituer une guerre juste ? Et, à l'inverse,
la lutte contre le terrorisme est-elle nécessairement une guerre juste ? Michael
4
Walzer pose ces questions avant même les attentats du 11 septembre 2001. Et
son premier geste est de déconstruire les quatre excuses principales qu'on
trouve habituellement au terrorisme. Il lève ainsi un des soupçons qui pèsent
sur sa théorie de la guerre juste : n'est-elle pas une manière de légitimer la
violence ?
Or, le terrorisme n'est jamais une guerre juste. Le terrorisme n'est pas le dernier
recours des faibles car d'autres modes d'action sont toujours possibles (guérilla,
désobéissance civile, grève générale). En fait, le terrorisme est l'aveu d'une
impuissance à mobiliser un peuple. Les terroristes ne sont jamais représentatifs
d'un peuple. Le terrorisme n'est pas non plus une façon efficace d'agir pour les
opprimés sans obliger ceux-ci à supporter les coûts de l'engagement politique
car jamais il n'a été couronné de succès.
Mais la lutte contre le terrorisme elle-même n'est pas inconditionnellement juste
car elle peut faire le lit de l'oppression. Dans les opérations anti-terroristes
elles-mêmes, les normes de la guerre juste doivent être respectées. C'est une
nécessité morale et stratégique car on ne peut vaincre le terrorisme en se
discréditant soi-même. C'est en renonçant soi-même à l'oppression qu'on ôte
au terrorisme sa principale justification. Le combat contre le terrorisme des
autres est une lutte contre ses propres tendances à la tyrannie. La théorie de la
guerre juste est également une théorie de la législation juste et une théorie de
la lutte anti-terroriste juste.
La guerre juste en pratique ? Études de cas
La fécondité d'une théorie tient aussi aux éclairages qu'elle donne sur des cas
particuliers. C'est ce que montre, de façon magistrale, Michael Walzer dans la
deuxième partie de son ouvrage : il n'hésite pas à s'y engager dans de
nombreuses études de cas sur les conflits récents et contemporains. La théorie
de la guerre juste n'y est pas purement est simplement appliquée : elle s'y fait
entendre plutôt comme une basse continue que les faits renforcent mais
modulent. Michael Walzer n'hésite pas non plus à trancher des questions très
controversées. Mais ces textes écrits sur le vif n'ont pas un intérêt anecdotique :
ils montrent une pensée en train de s'élaborer en prise avec une actualité
tourmentée. La force du philosophe qui a renoncé à être roi mais ne répugne
pas à se faire chroniqueur est qu'il constitue la conscience d'une nation. Il est
alors proche du spectateur engagé aronien.
Pour la première guerre du Golfe et contre la seconde guerre
d'Irak
La théorie de la guerre juste est mise à l'épreuve par la première guerre du
Golfe. Pour certains, au premier rang desquels les catholiques, cette guerre
n'est pas juste car elle n'est pas le dernier recours et les dommages qu'elle
cause
sont
disproportionnés
par
rapport
aux
bienfaits
qu'elle
apporte.
Seulement, pour Michael Walzer, ce jugement est erroné car il s'appuie sur
deux critères qui ne peuvent jamais être vérifiés. On ne peut jamais affirmer
avec certitude qu'une opération militaire est le dernier recours car il est toujours
possible d'user d'autres moyens. Et on ne peut jamais déterminer à l'avance les
coûts et les bénéfices d'un conflit. Walzer dénonce donc ici un faux double de
sa théorie de la guerre juste : elle est très différente de celle de l'Église
catholique contemporaine. La justice d'une guerre ne peut être évaluée que si
5
l'on se pose à son propos des questions qui se prêtent à la vérification. Est-elle
essentiellement défensive ? Évite-t-elle les violences envers les civils ? A-t-elle
pour but de faire cesser une situation inacceptable ? Et selon Michael Walzer,
la première guerre du Golfe remplit toutes ces conditions.
Mais il n'en va pas de même pour la seconde guerre d'Irak. Dans une suite de
textes courts qui vont des débats sur les inspections à la question des mauvais
traitements des prisonniers irakiens, Michael Walzer n'a de cesse de dénoncer
l'injustice de cette guerre.
Selon lui, la marche à la guerre repose sur plusieurs arguments de mauvaise
foi. Et cette mauvaise foi n'est pas seulement le fait de l'administration Bush.
Les Américains n'ont jamais donné leur chance aux plans alternatifs à la guerre,
comme les inspections, car ils ont seulement brandi la menace de leurs
troupes.
Mais
les
Européens
non
plus,
paradoxalement,
n'ont
jamais
véritablement ouvert la voie aux inspections car ils n'ont pas appuyé celles-ci
sur une menace militaire crédible. Or, il est du devoir des uns et des autres
(Jacques Chirac et George Bush sont ici renvoyés dos à dos, le premier pour
son irresponsabilité et le second pour son cynisme) de proposer des plans
alternatifs crédibles à la guerre. Michael Walzer fait même l'effort d'en énoncer
un. S'il faut bien avouer que le « plan Walzer » peine parfois à convaincre, il a
le mérite de dénoncer les fausses excuses produites par les uns et par les
autres pour laisser la guerre arriver comme un
fatum
antique. Tous ces
faux-semblants rendent cette guerre injuste : son but déclaré (le désarmement
de l'Irak) aurait pu être atteint autrement que par la guerre.
Cette seconde guerre d'Irak est injuste également pour d'autres motifs :
pendant et après les hostilités les civils n'ont pas été traités de façon juste. Ils
ont été visés durant les combats et l'occupation du pays ne leur bénéficie pas
car elle profite aux compagnies inféodées à l'administration Bush. De plus, les
mauvais traitements infligés aux prisonniers irakiens et la violence dont est
victime la population civile sont les signes que la justice n'est pas plus établie
post bellum
qu'elle n'a été respectée
ad bellum
. Pour Michael Walzer, cette
injustice ne tient pas à l'horreur de toute guerre ou à la cruauté inhérente à la
nature humaine : elle tient au comportement de l'administration Bush qui se
rend coupable de népotisme, d'autoritarisme et d'affairisme en privatisant la
guerre.
La guerre juste contre le terrorisme
Les convictions du théoricien de la guerre juste n'ont pas vacillé avec les tours
jumelles. Au contraire, ces attentats l'ont incité à porter un regard très aigu sur
le terrorisme. Loin d'entreprendre une théorie générale du 11 septembre,
Michael Walzer adopte une approche résolument minimaliste sur lui : il se
propose seulement de répondre à cinq questions (apparemment) ponctuelles.
Qu'est-ce que le terrorisme ? C'est un phénomène simple car c'est l'ensemble
des actions qui consiste à tuer délibérément des innocents pris au hasard afin
de semer la crainte dans une population et de forcer la main à ses dirigeants
politiques. Comment expliquer les formes actuelles du terrorisme ? Il n'est pas
le signe du désespoir politique ou de la misère économique des citoyens
arabes
mais
résulte
d'un
sentiment
revanchard
anti-colonialiste
(et
anti-israélien) ainsi que d'une lutte contre les régimes laïcs et autoritaires du
monde arabe. Comment réagir au terrorisme ? Le moyen est la guerre : guerre
6
militaire aux États qui le soutiennent comme en Afghanistan ; guerre policière et
des services spéciaux : il est légitime de tuer les chefs terroristes car ils ne
constituent
pas
de
futurs
interlocuteurs
dans
des
négociations
;
guerre
idéologique enfin : l'Occident doit affirmer bien haut la supériorité de ses valeurs
sur celles des terroristes.
Quelques attentes déçues et quelques critiques attendues
L'ouvrage – composite – de Michael Walzer est incontestablement un recueil à
lire et à parcourir pour celui qui essaye de réfléchir sur les relations du droit et
de
la
force
dans
les
relations
internationales.
Si
certains
textes
sont
manifestement trop circonstanciels ou sont d'une moindre profondeur que les
autres (les textes sur les relations entre Israéliens et Palestiniens sont par
exemple moins originaux que ceux qui sont consacrés au Kosovo ou à l'Irak),
on éprouve toujours à leur lecture le charme d'une pensée claire stimulante et
qui regorge d'idées.
Ce recueil a également une forte charge politique. Il éreinte sans nuances la
politique
extérieure
française
de
la
présidence
Chirac
et
critique
sans
concessions celle de l'administration Bush. Mais ce livre n'est pas polémique
pour autant : il donne la parole à ses adversaires et cherche à trouver des
contradicteurs. Surtout, cette portée engagée est tempérée par le souci
constant de justifier minutieusement les thèses avancées. De recours à
l'autorité, d'appel à l'évidence il n'est jamais question ici. La raison modeste et
opiniâtre y déploie de constants efforts pour introduire un peu de clarté et de
justice dans l'obscurité et la violence des conflits. Le texte conclusif de ce
recueil est à cet égard exemplaire : il reprend la plus vieille question de la
philosophie politique (quel est le meilleur régime politique ?), la pose en des
termes actuels (quel serait le meilleur régime à l'heure de la mondialisation ?) et
lui apporte une réponse nuancée mais claire (c'est un régime mixte qui concilie
unité et diversité).
Décidément, la seule insatisfaction qu'on peut éprouver à la lecture de ce livre
vient de ses analyses sur le terrorisme. En ces matières, la condamnation est
on ne peut plus légitime, mais l'analyse est un peu schématique si on la
compare aux réflexions d'un Olivier Roy ou d'un Gilles Kepel. Le terrorisme
est-il, comme l'affirme Michael Walzer, un phénomène monolithique identique
dans le temps et l'espace ? Ou bien n'est-il pas lui-même en transformation
constante ? De plus, Michael Walzer n'offre-t-il pas lui-même une justification à
certains actes de type terroriste avec sa notion de « morale de l'extrême
urgence » ? On espère, on attend un nouvel
opus
de l'auteur de
De la guerre et
du terrorisme
pour apporter des réponses à ces questions.
Le Banquet, n°22, 2005/1.
1. Ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de philosophie, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris,
ATER à l'Université Paris X Nanterre, chargé de recherches à l'Institut des Hautes Études sur la Justice de l'École
nationale de la Magistrature où il anime un groupe de réflexion sur le terrorisme et la justice internationale avec Antoine
Garapon, Alexis Keller et Michel Rosenfeld. On peut lire, du même auteur, dans 'Le Banquet' « Pour une approche
rationaliste des débats bioéthiques » ('Le Banquet', n° 21, octobre 2004), ainsi que « Le réquisitoire post-métaphysique
de Jürgen Habermas contre l'eugénisme libéral », « Le réveil de l'histoire : Fukuyama et la post-humanité » et, avec
Sébastien Miller et Raphaël Giraud, « Le fait divers et la nouvelle rhétorique démocratique » ('Le Banquet', n° 19-20,
janvier 2004).
7
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents