La poésie ou la loi des signifiants - article ; n°82 ; vol.21, pg 111-128
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Description

Langages - Année 1986 - Volume 21 - Numéro 82 - Pages 111-128
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 49
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

S. Salaün
La poésie ou la loi des signifiants
In: Langages, 21e année, n°82, 1986. pp. 111-128.
Citer ce document / Cite this document :
Salaün S. La poésie ou la loi des signifiants. In: Langages, 21e année, n°82, 1986. pp. 111-128.
doi : 10.3406/lgge.1986.2491
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1986_num_21_82_2491Serge SALAUN
Paris III
LA POÉSIE OU LA LOI DES SIGNIFIANTS
II n'est pas question ici de faire œuvre originale, d'apporter sur le fonctionnement
du discours poétique des lumières nouvelles. D'ailleurs, alors que d'autres genres li
ttéraires ont connu au cours des siècles des transformations profondes, la poésie fait
preuve d'une étonnante stabilité. La codification des pratiques poétiques se caractér
ise par une stricte continuité quelle qu'ait pu être l'évolution de la langue nationale
et de l'histoire littéraire. Les règles de base demeurent pratiquement inchangées :
l'inventaire des formes, procédés, mécanismes spécifiques du discours poétique n'a
guère bougé. Tout au plus s'est-il enrichi ici et là, mais il ne s'agit en fait que
d'ajouts récurrents, d'innovations de détail, de combinaisons dérivées de procédés
déjà existants. Rien en tout cas qui modifie la nature du faire poétique, au contraire,
car ces innovations, à bien les examiner, ne font que prolonger le système, exploiter
sa logique propre, rentrer dans la ronde des lois du genre, immuables, ouvertes seul
ement à ce qui les perpétue. L'entreprise de toutes les rhétoriques, prosodies et autres
Preceptivas * n'est jamais qu'un effort d'accumulation, de taxinomie et de modernis
ation de la formulation. Et jamais la plus petite querelle ou polémique sur la méca
nique poétique elle-même : débats et conflits se limitent aux « thèmes », au rapport
entre le monde et la poésie, à l'opportunité de tel ou tel arsenal technique. On se chi
cane sur l'application des règles, pas sur l'existence même de ces règles constitutives.
Le statut des signifiants
J. Roubaud dit fort bien que les deux piliers du discours poétique sont le nombre
et la rime 2. Je proposerais plutôt nombre et son. En effet, les termes « nombre » et
« rime » constituent des catégories fonctionnelles un peu trop disparates. D'autre
part la rime n'est qu'un procédé parmi tous ceux qui régissent le fonctionnement
sonore du poème (un cas, catalogué et codifié, d'une mécanique plus générale). Enfin,
cette substitution permet d'intégrer toute la poésie contemporaine qui a pu « s'affran
chir » de la rime classique : les frontières de vers ne disparaissent évidemment pas et
restent opératoires. Nombre et son, voilà bien le support de la continuité formelle qui
conditionne toute poésie depuis ses origines, le point de départ de tous les procédés et
de toutes les combinatoires, non seulement pour tout ce qui relève du rythme et de
l'acoustique mais également pour tout ce qui relève de la syntaxe et des tropes. Toute
poésie repose sur une structure (du quantitatif ordonné) matérialisée et portée par
des sons.
1. Il ne sera question, dans tout cet article, que de la poésie espagnole. Preceptiva :
« Traité normatif de rhétorique et de poétique » dit le dictionnaire. C'est également une
« matière » qui resta au programme de l'enseignement espagnol jusqu'à ces dernières années,
une discipline pédagogique inscrite dans toute formation scolaire. Pour les poètes espagnols,
c'est un patrimoine formel de référence, l'outillage professionnel, très précis, dont on doit tenu-
compte.
2. Jacques Roubaud, La vieillesse d'Alexandre, Paris, Maspéro, 1978.
111 Car la poésie se définit — sa définition la plus adéquate sans doute — comme un
type de discours où le sens est produit par des matériaux non conceptuels. Un poème
se construit à partir d'une mise en formes d'éléments qui relèvent du geste et du
corps en général, des éléments émis et décodés par l'organisme ; dans les muscles, la
motricité, l'appareil respiratoire et laryngo-buccal, etc. C'est une véritable mécanique
du sensible qui s'édifie, de l'intérieur même des mots, et qui, à son tour, suscite des
perceptions qui se traduiront ensuite en significations. Car, bien entendu, cette parti
cipation du corps se retrouve « réinjectée », immédiatement, dans le message que
chaque poème instaure (il n'y a pas deux moments, celui du corps et celui du con
cept, mais un seul où ces deux composantes s'alimentent mutuellement : il ne s'agit
pas de nier le fonctionnement des signifiés mais de reconstituer une mécanique et une
dialectique 3)
La poésie a ceci de commun avec toute pratique culturelle qu'elle requiert
— pour la créer ou pour la pratiquer, ce qui revient souvent au même — une énerg
ie, au sens le plus physique du terme, qui met en jeu des forces et des mouvements.
Comme dans tout acte culturel, le poème libère une dynamique qui s'inscrit dans le
temps et l'espace 4. Mais ce qui caractérise la poésie, ce n'est pas tant qu'elle convo
que, pour fabriquer du sens, des signifiants d'origines diverses (perceptions sensoriell
es, gestualité, temps et espace), c'est que cette intervention des signifiants prenne
un caractère statutaire dans un discours verbal. La poésie est le seul genre où la
dimension physique du langage participe légalement, institutionnellement, à la pro
duction du message plein 5. La poésie, enfin, possède en commun avec toute prati
que culturelle de reposer sur un ensemble de lois physiques, codifiées, donc de repo
ser sur un pacte social 6. La poésie sanctionne dans le langage la légitimité des signi
fiants.
Le rythme : « l'explosion de l'énergie 7
Chaque poème construit sa propre mécanique rythmique, c'est-à-dire qu'il réalise
ses nombres, tant horizontalement que verticalement. Au plan horizontal le vers pose
3. Cf. tout ce qui provient de la recherche anthropologique, en particulier André Leroi-
Gourhan, Le geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1964. Pour Leroi-Gourhan, l'homme occi
dental a « une conception de la vie qui emprunte ses bases au pacte entre et son
corps » (p. 102). Cette définition anthropologique générale s'applique à toutes les activités
humaines et aussi (surtout ?) aux activités culturelles et langagières.
4. L'espace doit être considéré, comme le rythme, le son, le geste, parmi les signifiants pro
ducteurs de sens. Ceci sera développé plus loin.
5. La « fonction poétique » peut intervenir dans certains messages publicitaires, slogans...
A ce sujet, voir Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris, Editions de Minuit,
1963, p. 219. Ce qui peut être accessoirement présent dans certains discours devient, dans la
poésie, la finalité même.
6. Si toute communication repose sur un pacte où se retrouvent émetteurs et récepteurs, le
poème dit aussi que ce pacte sur une complicité au niveau des signifiants ; le message
passe si les signifiants sont bien perçus, reconnus, opératoires pour tous. Les règles, lois ou
normes de toute sorte impliquent le caractère social de la participation physique.
7. Marcel Jousse, Le parlant, la parole et le souffle : l'anthropologie du geste, Paris, Gall
imard, 1978, p. 29, note 12 : « Dans le cosmos, le rythme est uniquement énergétique. Dans
l'homme, il est nécessairement biologique : pulsations profondes de la vie auxquelles nous ne
pouvons échapper. »
112 un nombre (un mètre, le mot dit déjà le quantitatif) qui définit un entier composé
d'unités syllabiques, une somme d'unités d'émissions de voix. Le choix d'un mètre,
par opposition à tous les autres, possibles mais non retenus, conditionne déjà, en soi,
une tension motrice. Un poème en trisyllabes ne mettra pas en branle la même énerg
ie, le même effort, qu'un en alexandrins. La voix, le souffle, la participation
corporelle ne se distribueront pas de la même manière pour répondre à la sollicitation
des mètres, et ceci quels que soient les signifiés engagés. Chacun sent bien que
l'alternance vers long/vers court correspond à des différences pertinentes de l'inve

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