Le prix du sang dans le droit coutumier jordanien - article ; n°1 ; vol.5, pg 41-67
28 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Le prix du sang dans le droit coutumier jordanien - article ; n°1 ; vol.5, pg 41-67

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
28 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée - Année 1968 - Volume 5 - Numéro 1 - Pages 41-67
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1968
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Joseph Chelhod
Le prix du sang dans le droit coutumier jordanien
In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°5, 1968. pp. 41-67.
Citer ce document / Cite this document :
Chelhod Joseph. Le prix du sang dans le droit coutumier jordanien. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée,
N°5, 1968. pp. 41-67.
doi : 10.3406/remmm.1968.981
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1968_num_5_1_981LE PRIX DU SANG
DANS LE DROIT COUTUMIER JORDANIEN*1*
Parmi les institutions2 empruntées à l'Arabie préislamique, acceptées
par le Coran3, développées par la Sonna4 et couramment pratiquées encore
par les Bédouins, il faudrait citer en premier lieu, le tha'r ou vengeance du
sang*. Ce n'est là en réalité que l'application partielle d'une loi plus géné
rale, connue quasiment de toute l'humanité primitive et qui cherche, à sa
manière, à rétablir l'équilibre rompu par l'acte criminel : celle du talion. époques'
Les anciens Arabes, durant les héroi'ques de la Jâhiliya, vidaient
souvent leurs querelles en s'inspirant de ses principes. Prescrite également
par la réforme religieuse coranique8 qui recommande, en môme temps ,
la modération et le pardon7, elle est tombée aujourd'hui en désuétude
presque partout dans les cités, sauf peut être dans quelques lieux reculés
administrés par un pouvoir théocratique fort. Sa situation, dans le désert,
est très particulière. En principe, elle régit encore le comportement des
Bédouins qui s'en inspirent d'ailleurs largement. Il serait pourtant bien er-
1. La fixation au sol des Bédouins de Jordanie s'effectue méthodiquement et à un rythme
accéléré. D'après le rapport n* 10 publié par les soins du Département des statistiques (Amman,
1966) ce pays comptait, en 1961, 52 929 nomades et 42 505 semi-sédentaires, au total 95434,
soit une diminution de 47 % par rapport à 1956. C'est là un résultat d'autant plus remarquab
le qu'il fut obtenu sans contrainte. C'est par une assimilation progressive, qui n'annihile pas
sa personnalité, que l'on cherche à intégrer le Bédouin dans la vie nationale. Nous avons déjà
eu l'occasion d'étudier cette question ailleurs (Problèmes d'ethnologie jordanienne, Objets et
Mondes, t. VH, fasc. 2, 1967, p. 85-102).
2. Au nombre de ces institutions, on peut compter l'esclavage, la polygamie, le sacri
fice sanglant et le pèlerinage aux lieux saints. Il est indéniable néanmoins que l'Islam leur a
insufflé une spiritualité inconnue des anciens Arabes. On sait que l'esclavage tend à disparaître
et que la polygamie est en nette régression.
3. Coran, XVII, 33.
4. Bokhâri, Cah'lh' t. VH, Kitâb al-dlyftt, Le Caire, 13 7&H; Ibn Roshd, Bidâyat-al-
mojtahid, t. n, p. 250 sq. , Le Caire, 1335 h.
5. On trouve, chez les Bédouins, d'autres pratiques d'origine anté -islamique mais que
l'Islam réprouve, comme le mariage par échange appelé badal, connu jadis sous le nom de
8hl£h6r, la sacrification de certaines botes destinées au sacrifice et le culte de l'ancêtre.
6. Coran, H, 178 et 194 ; V, 45 ; XVI, 126 ; XXII, 60.
7.XLH, 40 ; H, 178 ; XVn, 33. J. CHELHOD 42
roné de se représenter l'Arabe du désert comme un sanguinaire, un coutelas
à la main, cherchant à infliger à son adversaire le même mauvais traitement
qu'il a reçu de lui. Dans la pratique, en effet, le recours à la vengeance
n'a lieu que lorsqu'il s'agit d'une atteinte grave et volontaire à l'intégrité
physique de la personne. Dans tous les autres cas, hormis celui d'un viol
qui est assimilé à un meurtre, c'est la composition qui est de règle. Non
seulement les efforts des gouvernements tendent à tenir en échec cette loi
dure, bien que salutaire, mais encore le droit coutumier lui-même, dont
elle est pourtant le pilier central, ne l'invoque que théoriquement. Il cher
che, dans les limites de son pouvoir, à imposer la dtya ou prix du sang.
A la faveur d'un séjour de trois mois en Jordanie, nous avons pu étu
dier de près le fonctionnement du système juridique coutumier dans les so
ciétés bédouines et semi-sédentaires. Nous ne prétendons pas que les inforr
mations ainsi recueillies, notamment celles concernant l'institution de la dl-
ya, soient absolument neuves. Si les matériaux collectés sur le terrain, par
l'ethnologue contemporain, ne devaient comporter que de l'inédit, après
plus de deux siècles d'exploration, sa contribution au développement des
sciences de l'homme serait plutôt pauvre. D'autres chercheurs, bien avant
nous, se sont penchés sur ces problèmes et ont consigné leurs observations ,
parfois sommaires certes, dans des ouvrages devenus classiques. S'ils ont
pour eux l'insigne avantage qu'offrent les premiers contacts, nous avons pour
nous la chance de profiter de leurs travaux et d'approcher un système en
pleine mutation. Précisément l'intérêt d'une nouvelle enquête réside dans la
comparaison qu'elle permet de faire avec le passé et dans l'étude des ten
dances qui se dessinent. D'autre part, dans le souci où se trouvaient nos
aînés de tout ramasser en vrac, il ne leur était pas toujours possible d'ap
profondir certains problèmes. Et c'est justement à compléter leurs informat
ions, à les rectifier au besoin et à situer le tout par rapport à l'évolution
sociale des bédouins, que se limitent les efforts de ce modeste travail.
Avec le développement moderne des moyens de communication, le no
made jordanien, évoluant au milieu des espaces arides, ne se croit plus à
l'abri des incursions du pouvoir central. Ce n'est pas lui qui réciterait à
l'adresse de son monarque, ce vers d'un poète omeyyade narguant le puis
sant Calife : "Tu me menaces alors que j'appartiens aux Béni Tamim et que
le désert est derrière moi I" Un peu partout dans la steppe les forces pu
bliques veillent au maintien de l'ordre. Dès qu'un meurtre est signalé, elles
interviennent rapidement, s'efforcent d'arrêter le coupable et mettent sous
bonne garde quelques membres de sa proche parenté agnatique. Cette sur
veillance exercée sur des gens apparemment étrangers à l'action criminelle
est motivée par le souci d'assurer leur sécurité. Il s'agit en effet de les
protéger du glaive du vengeur. Celui-ci, de par les règles de la responsab
ilité collective, peut frapper non seulement l'assassin lui-même, mais aussi
certains de ses ascendants et descendants jusqu'au cinquième degré. C'est
le fameux groupe des cinq, les khamsa, sur lequel nous reviendrons.
C'est que dans la société bédouine, l'application de la loi du talion est
du strict ressort de la justice privée. Le 'orf, c'est-à-dire "la chose con- LE PRIX DU SANG DANS LE DROIT COUTUMIER JORDANIEN 43
nue" de tous, plus exactement l'ensemble des règles coutumières qui régis
sent les rapports des individus entre eux, est un système juridique essen
tiellement restitutif. Il n'ignore pas les peines afflictives, mais il laisse à
la victime et aux mâles de son groupe agnatique le soin de les appliquer
sous forme de représailles. Le droit de frapper le coupable ou quelqu'un
des siens dans son corps, appartient à la justice familiale. La société re
fuse cette prérogative au représentant officiel du 'orf, le qôdl, juge, désigné
communément, chez les bédouins, par le terme 'tri fa, "celui qui sait".
A vrai dire il ne s'agit pas de magistrat au sens propre du mot, mais d'un
"connaisseur" en matière coutumière auquel on soumet les différends. C'est
un arbitre librement choisi par les deux parties adverses, qui ne dispose
d'aucune force publique8. Son rôle consiste essentiellement à faire dédom
mager la victime au détriment du coupable, sans infliger à celui-ci des
châtiments corporels. Certes, les sentences prises par lui, en matière cri
minelle, comportent souvent des peines afflictives. Mais il offre toujours
à celui qui est ainsi condamné la possibilité de se racheter en indemnisant
la personne lésée. Un tribunal bédouin, agissant en conformité avec le 'orf,
est toujours hostile à la torture et à l'effusion de sang. Seul le

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents