Le roi au cœur éveillé. Images du désir et de la mort dans la littérature persane classique - article ; n°1 ; vol.112, pg 85-95
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Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age - Année 2000 - Volume 112 - Numéro 1 - Pages 85-95
Claude-Claire Kappler, Le roi 'au cœur éveille'. Images du désir et de la mort dans la littérature persane classique, p. 85-95. Alexandre tel qu'il apparaît dans le Livre des Rois, Shâh-nâmeh, de Ferdowsi (XIe siècle) est, par excellence, figure de l'inachèvement. Il l'est d'abord par l'origine secrète, semi-iranienne, de sa naissance. Ni connu, ni reconnu par son véritable père, Darius, il est en quête d'identité. C'est voilé qu'il se présente dans les trois royaumes les plus puissants: l'Iran, centre du monde connu, l'Andalousie, extrême Ouest, et la Chine, extrême Est. Reconnu sous ses déguisements, il sera de la sorte établi dans sa véritable identité, dans la qualité de son être profond, et cela dans un parcours qui balaie la totalité de l'espace terrestre connu. Toutefois, aux deux extrêmes, Andalousie et Chine, il est mis en échec dans sa volonté de conquête du pouvoir et renvoyé à ce qu'il est lui-même. Il est aussi figure de l'inachèvement et tant que figure de l'excellence qui veut aller toujours plus loin dans la conquête et la connaissance et qui ne trouve à se satisfaire de rien. Il est, enfin, figure de l'inachèvement comme l'est tout être humain car, comme chacun, il est borné dans ses désirs et ses réalisations par la mort.
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 20
Langue Français

Extrait

Claude-Claire Kappler
Le roi "au cœur éveillé". Images du désir et de la mort dans la
littérature persane classique
In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 112, N°1. 2000. pp. 85-95.
Résumé
Claude-Claire Kappler, Le roi "au cœur éveillé". Images du désir et de la mort dans la littérature persane classique, p. 85-95.
Alexandre tel qu'il apparaît dans le Livre des Rois, Shâh-nâmeh, de Ferdowsi (XIe siècle) est, par excellence, figure de
l'inachèvement. Il l'est d'abord par l'origine secrète, semi-iranienne, de sa naissance. Ni connu, ni reconnu par son véritable père,
Darius, il est en quête d'identité. C'est voilé qu'il se présente dans les trois royaumes les plus puissants: l'Iran, centre du monde
connu, l'Andalousie, extrême Ouest, et la Chine, extrême Est. Reconnu sous ses déguisements, il sera de la sorte établi dans sa
véritable identité, dans la qualité de son être profond, et cela dans un parcours qui balaie la totalité de l'espace terrestre connu.
Toutefois, aux deux extrêmes, Andalousie et Chine, il est mis en échec dans sa volonté de conquête du pouvoir et renvoyé à ce
qu'il est lui-même.
Il est aussi figure de l'inachèvement et tant que figure de l'excellence qui veut aller toujours plus loin dans la conquête et la
connaissance et qui ne trouve à se satisfaire de rien. Il est, enfin, figure de l'inachèvement comme l'est tout être humain car,
comme chacun, il est borné dans ses désirs et ses réalisations par la mort.
Citer ce document / Cite this document :
Kappler Claude-Claire. Le roi "au cœur éveillé". Images du désir et de la mort dans la littérature persane classique. In:
Mélanges de l'Ecole française de Rome. Moyen-Age, Temps modernes T. 112, N°1. 2000. pp. 85-95.
doi : 10.3406/mefr.2000.3751
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9883_2000_num_112_1_3751CLAUDE-CLAIRE KAPPLER
LE ROI «AU CŒUR EVEILLE»
IMAGES DU DÉSIR ET DE LA MORT DANS
LA LITTÉRATURE PERSANE CLASSIQUE
Alexandre est, par excellence, une figure de l'inachèvement dans le
Livre des Rois (Shâh-nâmeh) de Firdousi (terminé vers 1010, dans la Perse
du nord-est). Il l'est par son origine même : une royauté légitime mais voi
lée; qui est son père? Selon Firdousi, ce serait Darius (Dârâb) et sa mère se
rait Nâhid, la fille de Philippe de Macédoine. Mais ce père n'a jamais connu
son fils car il a répudié la mère avant même de savoir qu'elle portait un en
fant de lui. Nâhid, fille de Philippe, est revenue auprès de son père, et le
Macédonien adopte ce petit qui est à moitié macédonien, à moitié ira
nien. Mais la part iranienne de son origine restera secrète.
Origine voilée, demi-légitimité, demi-iranité... et, peut-être, selon le
Pseudo-Callisthène, demi-dieu (ce dont Firdousi ne donne aucun écho, s
inon en ceci qu'Alexandre tend à conquérir l'immortalité) : Alexandre est
marqué par l'excellence, mais il erre aux frontières de territoires qui s'ex
cluent mutuellement :
- Grèce et Perse sont ennemies. Ainsi, il est l'adversaire de son demi-
frère, né après lui de Darius, Dârâ.
- Humanité et divinité sont incompatibles. Or il tend sans cesse au-
delà de l'humain et, dès son vivant, cultive cette ambiguïté.
- Espaces terrestres et espaces «spéciaux» sont eux aussi incompati
bles. Là où le monde s'arrête, Alexandre doit s'arrêter aussi. Que ce soit
en hauteur, en profondeur, ou dans la dimension horizontale.
- Il est hanté par la possession de la totalité, et il s'en approche aussi
près que possible, pourtant cette totalité lui est refusée à jamais.
Il y a ainsi deux types d'inachèvement dans le personnage d'Alexan
dre : l'inachèvement de son identité dû aux circonstances voilées de sa
naissance, qui entraîne un inachèvement psychologique, et l'inachèvement
MEFRM - 112 - 2000 - 1, p. 85-95. CLAUDE-CLAIRE KAPPLER 86
inhérent à la condition humaine, dû au fait que toute existence est bornée
par la mort. «Alexandre est parti», dit Firdousi à la fin, «il ne vit plus que
dans la parole des hommes». Mais il se hâte d'ajouter : «la parole est ce
qu'il y a de mieux». Elle vaut mieux que ce monde qui n'est qu'un «vieux
palais tout détruit par le vent et la neige. » L'inachèvement d'Alexandre est
donc doublé d'un achèvement profond, impénétrable au premier regard,
mais bel et bien présent. Et c'est bien cette réversibilité, cette double pré
sence d'achèvement et d'inachèvement, indissociables, qui nous fascine au
jourd'hui encore, comme nous fascine la caractéristique la plus profonde
de la vie : la complexité.
Un Alexandre humain, en quête d'une reconnaissance
Firdousi, dans le Livre des Rois, fait bien plus qu'un «portrait» d'A
lexandre. Il campe avec d'infinies nuances une personne humaine, très hu
maine. Dans les pages qu'il consacre spécifiquement à Alexandre, à l'his
toire de sa vie, Firdousi montre pour son personnage de l'admiration, peut-
être même de la tendresse, de la compassion. Il lui applique aussi une cer
taine sévérité et, en tout cas, une grande lucidité. De toutes les manières, il
cherche à pénétrer dans le cœur et dans l'esprit de ce jeune roi, héros bouil
lant et brave comme un lion («cœur de lion» est un qualificatif qu'il lui
donne parfois). Et c'est par un portrait psychologique très fouillé que Fir
dousi nous fait entrer dans l'intimité d'Alexandre, dans ses sentiments, ses
émotions, ses idées mais aussi dans son tempérament passionné, ardent,
entier qui est sa caractéristique majeure. L'Alexandre de Firdousi n'a rien
de hiératique, de lointain. C'est au contraire un être proche de nous, un
être d'exception, sans aucun doute, qui fascine par son excellence, mais qui
est aussi vulnérable et qui ne le cache pas. Ce que Firdousi nous montre, ce
n'est pas seulement un héros déjà accompli, c'est un homme jeune, qui doit
encore se former, qui doit devenir plus complètement homme, et plus
complètement lui-même. Un être qui, parfois, confond avoir et être, qui a
tendance à construire son identité à travers ses conquêtes.
La première œuvre d'Alexandre est de partir en guerre contre l'Iran, en
réponse à Dârâ qui exige un tribut. La victoire d'Alexandre est totale, puis
qu'elle est à la fois militaire et dynastique : tenant entre ses bras Dârâ mour
ant, il lui confie, dans une scène émouvante et célèbre (souvent représent
ée dans les peintures de manuscrits), qu'il n'a jamais voulu sa mort :
«nous sommes de la même branche, de la même racine, de la même che
mise» (Shâh-nâmeh, p. 89)1, métaphores à peine voilées pour dire que tous
1 Je renvoie ici à une édition et traduction que le lecteur peut trouver en biblio- ROI «AU CŒUR ÉVEILLÉ» 87 LE
deux ont une même origine par le sang. Dans un épisode précédent, alors
qu'Alexandre était venu à la cour de Dârâ sous un déguisement, Dârâ l'avait
quasiment reconnu, quoiqu'il ne l'eût jamais vu, à la gloire et à l'éclat qui
émanaient de lui, marque indubitable des rois Keyânides (Shâh-nâmeh,
p. 67-69). Ce titre de Keyânide lui est d'ailleurs attribué par Firdousi après
la mort de Dârâ. Celui-ci, en effet, lui confie, lors de ses derniers instants, le
soin de régner sur l'Iran, lui confie sa femme, lui donne sa fille en mariage,
lui remet le soin de protéger la religion zoroastrienne et les traditions pro
prement iraniennes : Alexandre monte donc sur le trône non en usurpateur
ou en conquérant sanglant, mais en véritable héritier de la lignée royale
iranienne.
Avec la reconquête de cette légitimité iranienne, Alexandre complète la
part manquante de son identité. Toutefois, il est encore comme un enfant à
qui rien n'a jamais résisté. Sa valeur personnelle l'a toujours emporté, par
tout. Mais une identité se construit, on le sait, en se confrontant à des résis
tances, 

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