Les premières femmes psychanalystes - article ; n°1 ; vol.16, pg 27-41
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Description

Mil neuf cent - Année 1998 - Volume 16 - Numéro 1 - Pages 27-41
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 24
Langue Français
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Extrait

Élisabeth Roudinesco
Les premières femmes psychanalystes
In: Mil neuf cent, N°16, 1998. pp. 27-41.
Citer ce document / Cite this document :
Roudinesco Élisabeth. Les premières femmes psychanalystes. In: Mil neuf cent, N°16, 1998. pp. 27-41.
doi : 10.3406/mcm.1998.1182
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1998_num_16_1_1182premières femmes psychanalystes l Les
ELISABETH ROUDINESCO
À la fin du xixe siècle, lors de la naissance de la psychanalyse,
les femmes n'étaient présentes dans l'histoire des disciplines
psychopathologiques qu'au titre de patientes : femmes folles
ou hystériques, soignées à la Salpêtrière ou dans les divers
asiles d'Europe, puis « écoutées » par Josef Breuer et Sigmund
Freud 2 dans le secret d'un cabinet médical, elles entraient en
scène par la maladie psychique. Le féminin était alors assimi
lable à un corps enfermé dans des contraintes et des convul
sions et ce se mettait à parler, soit dans les cris des
femmes du peuple comme à la Salpêtrière à Paris, soit dans les
aveux des femmes de la bourgeoisie viennoise. À cet égard, il
existe une différence radicale entre l'hystérie des femmes du
peuple, montrée et exhibée sur une scène publique, et l'hysté
rie des femmes de la bourgeoisie. Les femmes folles ou demi-
folles issues des faubourgs servaient d'enjeu à l'élaboration
d'une clinique du regard - celle de Charcot - tandis que les
femmes viennoises, dissimulées dans le secret du cabinet
privé, aidaient à la construction d'une clinique de l'écoute, une
clinique de l'intériorité et non plus de l'extériorité.
Au contraire des femmes du peuple, ces bourgeoises eurent
droit à une vie privée, à un sens intime. Elles existaient parce
que leur souffrance permettait aux hommes de science d'éla
borer une nouvelle théorie de la subjectivité. Jusqu'à une
période récente, toutes ces femmes, quelle que soit leur ori
gine, furent désignées comme des « cas » et appelées par des
prénoms inventés : Augustine, Anna O., Emmy von N., etc.
1. Transcription remaniée d'une conférence donnée à l'Univers
ité de Columbia, le 13 octobre 1997.
2. Sigmund Freud et Josef Breuer, Études sur l'hystérie (1895),
Paris, PUF, 1956.
27 À partir des années 1960, les travaux de l'historiographie
savante permirent de les identifier, de leur donner un nom et
de leur assigner une place à part entière dans l'histoire de la
psychanalyse et de la psychopathologie. En d'autres termes, il
fallut que se développe dans ce domaine une critique du savoir
classique et que se construise une « histoire des femmes » pour
que ces femmes puissent acquérir enfin un statut dans l'his
toire générale de la
Les premières femmes psychanalystes furent tantôt d'an
ciennes patientes, soignées en général pour de graves troubles
psychiques, tantôt des femmes marquées par un destin excep
tionnel : psychose, assassinat, suicide, violences diverses.
Leurs souffrances et leur volonté de se faire reconnaître expri
maient une protestation et une révolte contre leur condition au
sein de la société occidentale de la fin du siècle. À cet égard,
il faut comparer la situation de ces femmes à celle des pre
miers hommes psychanalystes.
Grâce au travail de l'historienne Elke Miihlleitner, nous
connaissons avec une certaine exactitude la composition de la
première société de psychanalyse fondée par Freud à Vienne
en 1902. À ce premier groupe de disciples réunis autour de lui,
Freud donna le nom de Société psychologique du mercredi 3.
Les « hommes du mercredi », premiers freudiens de l'histoire,
se réunissaient le soir au domicile de Freud. Véri
table banquet platonicien immergé dans l'esprit viennois du
début du siècle, cette société du mercredi fut un laboratoire
d'idées nouvelles. Pendant cinq ans, jusqu'en 1907, ces
hommes eurent l'impression d'inventer une utopie des temps
3. Les premiers psychanalystes. Minutes de la Société psychanal
ytique de Vienne, 1, 1906-1908 (New York, 1962), Paris, Gallimard,
1976, précédé de « introduction » par Hermann Nunberg, p. 9-26 ;
Ibid., II, 1908-1910 (New York, 1967), Paris, Gallimard, 1978; Ill, 1910-1911
Ibid., IV, 1912-1918 (New York, 1975), Paris, 1983, avec
une présentation de Michel Schneider, « Le trouble des commenc
ements », p. III-XXIII. Vincent Brome, Les premiers disciples de
Freud (Londres, 1967), Paris, PUF, 1978. Elke Muhlleitner, Bio-
graphisches Lexikon der Psychoanalyse : die Mitglieder der Psy-
chologischen Mittwoch-Gesellschaft und der Wiener Psychoanaly-
tischen Vereinigung von 1902-1938, Tubingen, ed. Diskord, 1992.
Edward Shorter, « The Two Medical Worlds of Sigmund Freud », in
Toby Gelfand et John Kerr (eds.), Freud and the History of Psy
choanalysis, Londres, The Analytic Press, 1992, p. 59-79.
28 une méthode capable d'éclairer le côté nocturne de modernes,
l'âme humaine et de comprendre la signification profonde de
la dialectique de la vie et de la mort. Explorateurs des profon
deurs de l'inconscient, ces héritiers d'un romantisme devenu
scientifique se voulaient les représentants d'une nouvelle
science qui incarnait à leurs yeux l'idéal de la philosophie des
Lumières. Presque tous étaient juifs et issus d'une diaspora qui
refusait le communautarisme et le ghetto, au nom des grands
principes de la Haskala. Soucieux d'interpréter le présent en
fonction des mythes d'un passé atemporel, ils avaient le culte
de la Grèce antique et voyaient en elle la source originelle la
plus féconde de la pensée occidentale.
Liés par une insatisfaction commune à l'égard de la science
de leur époque, ils ressemblaient aux patients qu'ils soi
gnaient. Comme eux, ils étaient souvent atteints de troubles
psychiques et quand ils exposaient leurs cas cliniques, ils se
référaient aussi à leur vie privée, à problèmes, à leurs
désirs. La volonté de comprendre leurs semblables était pour
eux une interrogation sur leur enfance, leur sexualité ou leur
généalogie. Aucune femme n'était présente dans les rangs de
ce cénacle masculin qui comptait vingt-quatre membres. Dix-
huit d'entre eux étaient juifs, dix-huit étaient médecins et dix
étaient viennois de souche. Les autres membres étaient issus
de la Mitteleuropa : Autrichiens, Polonais, Tchèques ou Hong
rois. Sept d'entre eux périrent de mort violente : quatre furent
exterminés par les nazis, trois se donnèrent la mort.
À l'exception de deux hommes, farouchement misogynes
(Isaac Sadger et Fritz Wittels), les premiers freudiens furent en
général des adeptes de l'émancipation féminine, favorables
aussi bien à la généralisation de la contraception qu'à l'accès
des femmes à la liberté sexuelle ou à des métiers jusque-là
réservés aux hommes. L'image d'un Freud misogyne, telle
qu'elle a été véhiculée par les mouvements féministes, est à
cet égard parfaitement fausse, voire ridicule. À l'intérieur de
la Société du mercredi, Freud ne cessa pas de combattre la ten
dance antiféminine de ses deux disciples misogynes. De
même, il s'opposa aux thèses de Karl Kraus et d'Otto Weinin-
ger qui associaient Г antiféminisme à la « haine de soi juive ».
En 1907, Freud annonça la dissolution de la Société du mer
credi qui se transforma en une association, la Wiener Psy-
choanalytische Vereinigung (WPV), première institution psy
chanalytique du monde. À partir de cette date, la fièvre des
29 commencements et l'utopie se dissipèrent au profit d'une rai
son institutionnelle et d'une organisation de la profession de
psychanalyste. À la horde dite « sauvage » du début succéda
donc une association libérale moderne, régie par les règles
d'un consensus démocratique. En 1910, au moment de la fon
dation par Freud et Sandor Ferenczi de l'International Psy
choanalytical Association (IPA), la WPV comptait cinquante-
huit membres dont une seule femme qui venait d'adhérer cette
année-là. Par la suite, la progression du nombre des femmes
s'amplifia. En 1938, sur cent quarante-

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