Une terrible beauté est née

Bernard Saubot

Description

Nouvelle brève

Informations

• Publié par: Lebren
• Publié le: 11 juillet 2012
• Nombre de lectures: 198
• Langue: Français

Extrait

Une terrible beauté est née

Dessin. Ta bouche est fine, délicate, spirituelle. Ma bouche est lourde, épaisse, charnue comme un fruit mur, poire et figue mêlées. Tes lèvres sont pâles, de carnation subtilement rosée. Douce amande d’ouverture prudente. Rose buée. Les miennes sont vives, incarnat, promesse de festin : rouge baiser ! Ta bouche est discrète, précise, économe. La mienne s’affiche sans pudeur, s’étale sans précaution, se donne sans compter. Dans le plus charmant sourire, tu égales en perfection Botticelli ou Bellini quand je suis d’abord peinture charnelle et généreuse. Je suis un Renoir, un Arcimboldo ! Je suis un Botero, tu es un Picasso.

Tout dans le visage commence par la bouche. L’épure de la tienne exprime l’intelligence. Le volume de la mienne affirme la primauté objective du désir. Sans crier gare, je peux cracher et vomir rires et apostrophes, avaler et engloutir aliments et sentiments. Ma bouche est de force, de cri, de passion. La tienne est raison, douceur et pénombre, tendresse. Ta bouche dit juste, dans la vivacité comme dans le murmure,là où la mienne jure et crie, portant fièrement la couleur pourpre du « i » de Rimbaud : « sang craché, rire de lèvres belles, dans la colère et les ivresses pénitentes ». Bourgeon du cœur et ramure de l’esprit, les lèvres sont intimement affectives, pour le meilleur et pour le pire !

Lorsque nous avons risqué l’aventure merveilleuse du baiser, pour la première et pour la dernière fois,la douce meurtrissure de nos lèvres, pressées à en perdre le souffle, n’était-elle pas autre chose qu’une erreur de calcul ? De cette union entre contraires, une terrible beauté est née, éphémère, enclose dans le mystère de la vie. Nous échoit un bonheur désespérant, sans lendemain. Nous cherchions la sincérité du partage mais la vie nous a transformés en Judas, à bouches défendues. Lèvres de trahison, bourrelées de regrets, de remords. Nous échangerons bien d’autres mots, nous sourirons peut-être encore, nous ne nous embrasserons plus !