2323AVERTISSEMENT
Dans un but d’authenticité, l’auteur, et lui seul, a décidé de
n’apporter aucune modification au texte et de le conserver tel
qu’il a été écrit.
En conséquence, l’éditeur ne saurait être tenu pour
responsable des erreurs d’orthographe, de grammaire,
syntaxe ou autres substantes dans ce récit.
L’auteur
23RECIT DE VOYAGE
Ces quelques mots sont le récit de ce qui reste d'un voyage au
travers du temps d'une personne qui se croyait devenue adulte
mais qui a conservé l’esprit joueur toute sa vie
A mes enfants
23Je suis arrivé sur terre un soir de décembre du siècle dernier,
au dire de ma mère que je pense être mieux placée que
quiconque pour le savoir. Je ne fus pas le bienvenu, mon père
désirant avoir des filles uniquement, allant même jusqu’à
refuser de me reconnaître.
Mon grand-père maternel se chargea de ces formalités, et eut
le courage et la franchise de plus tard me le dire.
Ma vie commençait donc sous de bons auspices .
De tout ce qui fut par moi vécu en deçà des événements
narrés ici, il ne reste pratiquement rien, si ce n’est un flou qui
n’a rien d’artistique.
Les images, et aussi curieux que cela puisse être, les odeurs et
les bruits qui reviennent aujourd’hui à mon esprit, sont dus
aux efforts des rares neurones encore actifs sous un crane
quelque peu dégarni et non aux photos ou films saisis par
mon père.
Ce fut d’abord cette senteur, mélange d’odeurs de peinture et
de graisse, et cette agitation permanente qui me rappelait une
ruche.
Nous étions sur un quai du port de Bordeaux.
Nous embarquâmes à bord d’un paquebot, le départ était
prévu le lendemain.
Commença alors la période la plus riche en émotions de ma
jeunesse.
La traversée du golfe de Gascogne, en pleine tempête et
marée d’équinoxe, ne me fit pas penser à une croisière. Nous
23sommes restés affalés sur nos couchettes deux jours durant,
n’avalant que l’eau nécessaire à la régurgitation et destinée à
calmer nos douleurs stomacales. Mon frère, mon père et
quelques autres passagers osèrent affronter la salle à manger.
Une tablette fixée à une cloison de notre cabine se décrochât
même !
Vous dire le déchaînement de la nature.
Après une semaine de voyage, dont deux jours escortés par
des dauphins, nous arrivâmes à Dakar, qui représentait pour
moi les portes de l’Afrique. Une chaleur et une humidité
tombèrent sur mes épaules telle une chape de plomb, des sons
inconnus, de nouvelles couleurs et des senteurs ignorées
laissaient présager des années à venir palpitantes.
Elles le seront……
Un peu plus tard, eut lieu ce que l’on nommait le passage de
la ligne. Il s’agissait en fait d’une cérémonie réservée aux
adultes franchissant cette ligne toute symbolique qu’est
l’équateur pour la première fois. Elles devaient avaler des
sandwiches immondes, mais bien sûr comestibles, étaient
enduites de colle et de plumes, pour finir tout habillées dans
la piscine du bateau. Pas moyen d’y échapper. Deux matelots
déguisés « visitaient » les cabines désignées par le
commandant de bord.
Le soir même, leur était offert un vrai festin de rois.
Un incident des plus graves vint ternir ce voyage.
Les enfants réunis mangeaient avant les parents afin que ces
derniers soient tranquilles le temps de leurs agapes.
23Nous attendions, si possible calmement, dans les cabines qui
nous avaient été attribuées.
Un jeune de notre âge gardait son bébé de petit frère. Las de
l’entendre pleurer, il ouvrit le hublot………. et jeta le bambin
à la mer.
Recherches sans résultats, évidemment.
Puis ce furent dans le désordre, Abidjan, Conakry, Lomé où il
n’y avait pas de port, les transbordements s’effectuant en
pirogue, Cotonou, Libreville et enfin Pointe-noire.
Là, nous attendaient un véhicule tout-terrain et son chauffeur.
Il ne nous fallut pas moins de huit jours pour parcourir les
cinq cents kilomètres séparant Pointe-noire de Kéllé, poste
désigné à mon père par le ministère pour y exercer ses
fonctions d’administrateur civil.
Nous dormions sous une sorte de tente et sur des lits pliants
en toile et aux armatures en bois, protégés par une
moustiquaire, bercés par des cris étranges venant de la forêt.
La route me parut assez confortable à son début. Nous
avancions sur une piste en latérite. Mais dès que nous l’avons
quittée, nous fumes particulièrement secoués. Une petite
bouteille de boisson à base d’orange aurait eu sa place en nos
mains, si elle avait existé à l’époque.
Enfin, nous arrivâmes à Kéllé.
Le poste était situé au sommet d’un tertre et l’on y accédait
par une large allée bordée de canas aux fleurs géantes et
délicieusement parfumées.
23Au pied de ce monticule, s’étaient développés un village
africain et un marécage dont je vous reparlerai.
Nous étions libres de vaquer où bon nous semblait, mais cette
permission fut suspendue rapidement tant par notre faute que
dû à la nature.
En effet, un matin, nous entendîmes ma mère hurler dans le
salon. Nous nous y sommes précipité ainsi qu’un « boy ». U n
superbe serpent noir et vert, dont la « marque » m’a
aujourd’hui échappé, était gentiment lové sur les livres
apportés par mon père. Nous n’avions bien sur pas de
téléviseur, mais une t.s.f. constamment branchée sur ce qui
deviendrait r.f.i., nous permettant ainsi sembler ne pas être
trop éloignés de la métropole.
Le boy se saisit du reptile et « l’expulsa ».
Il nous indiqua comment attraper un serpent sans risques.
----------------------------------------
J’ai, plus âgé, expérimenté sa méthode, sur une
couleuvre……(courageux, je crois, mais pas téméraire).
En effet, saisi par la queue et nous gardant le bras bien tendu,
un serpent ne pouvant remonter sur lui-même, ne peut nous
mordre.
---------------------------------------
Interdiction nous fût alors faite de sortir nu-pieds comme
nous le faisions de coutume, et sans être accompagnés.
23Les noirs étaient assez chapardeurs et très paresseux. Alcools,
essence, tout était bon. Ils remplaçaient le liquide volé par de
l'eau.
Mon père mit un moment à comprendre pourquoi le groupe
électrogène chargé de nous fournir un peu de lumière, le
véhicule ou encore le réfrigérateur qui fonctionnait au
pétrole, s'étouffaient souvent.
Quelle ne fut pas la surprise du boy qui avait chipé de
l'anisette quand il vit l'alcool se troubler !
C'est ainsi qu'il fut démasqué.
Un matin, nous voulûmes, mon frère et moi, aller au bord du
marigot (sorte de marais dont je vous ai dit un mot plus haut )
pour tenter d’y pêcher. Et là, nous vîmes de superbes grappes
translucides avec lesquelles nous remplîmes nos seaux.
De retour à la maison, nous avons versé notre récolte dans les
touques (genre de fûts) disposées aux quatre coins de la
maison et destinées à récupérer les eaux de pluie utiles à la
cuisine et aux douches.
Quelques jours après, cette invasion de crapauds ! Et des
crapauds-buffles, c’est-à-dire énormes !
Une bonne fessée et un début d’éducation sexuelle ( œufs
devenus têtards, têtards changés en batraciens…) plus tard,
ma mère se crut devoir devenir institutrice. Elle nous
inculqua les bases du calcul et de la lecture.
Nous fîmes ainsi la connaissance de Félix, chat sa-u-vage qui
lavait ses cha-u-ssettes.
23Les tables n’eurent bientôt plus de secrets pour nous, la
sanction fût levée. Nous pûmes ainsi rejoindre ceux qui
étaient encore nos petits copains au village africain.
Nous échangions nos petites voitures métalliques contre des
véhicules en bambou de leur fabrication. Nous les utilisions
pour descendre le monticule par tous les chemins et faisions
des courses dans la grande allée devant la maison.
Que de mercurochrome sur nos genoux et coudes… !
Les noirs avaient pour habitude de laisser leur sac de sel à
l’entrée de leur case. Manière à eux de montrer leur richesse.
La vessie pleine, que nous est-il passé par la tête à mon frère
et moi pour nous soulager sur un de ces sacs ?
Surpris en plein « acte », nous fûmes traînés devant monsieur
commandant ( ainsi était surnommé notre père, bien qu’il fut
civil ) qui faisait office de juge entre autres fonctions.
Ce dernier, et à la grande joie des nègres (rappelez-vous la
négritude de Léopold Sédar Sangor et Aimé Césaire),
commença à jouer du tam-tam sur notre postérieur avant de
nous infliger une peine de vingt-quatre heures de prison.
Et couper de l’herbe sous le soleil équatorial n’a rien d’une
partie de plaisir. Le soir, nous eûmes droit à un régime de
faveur : tous deux enfermés dans la même cellule, avec eau et
pain ( fabrication maison avec de la farine de manioc ! ) sec.
Vous dire que mon père n’était pas du genre « plaisantin ».
Nous avions, mon frère et moi, attrapé des chats, dits
sauvages, qui se civilisèrent vite, une bonne pâtée journalière
aidant.
23