Des idées reçues sur Jacques Lacan & . 10 idées reçues sur la psychanalyse et la psychothérapie
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...en un mot : un transfert négatif. Car il ne s'agit pas seulement de rectifier un discours éloigné du purisme du père fondateur ; on met aussi en évidence, dans le corpus conceptuel de Freud, des illusions, les semblants qui brouillent le réel de l'expérience. Ainsi, en 1964, date de la fondation de l'Ecole freudienne de Paris, Lacan procède à une désarticulation des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, dont l'orientation principale consiste bel et bien à opposer inconscients freudien et lacanien.
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...pour rectifier positivement l’erreur de la psychanalyse freudienne, une phrase apparemment anecdotique, sans grandes conséquences semble-t-il et qui trouve peu d’écho dans le reste de l’oeuvre. Nous sommes alors dans « l’Introduction à la schizo-analyse », quatrième partie intitulée dans le sommaire « Première tâche positive de la schizo-analyse »
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PSYCHOLOGIE - Caprice de riches, traitement pour névrosés, pratique narcissique, peut-être... En France, on parle beaucoup
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Serge Cottet, "Lacan et l'a-Freud" (2011)
{Cet article a paru dans le numéro 79 de la Revue de la Cause freudienne,2011, p. 136-140}
Lacan et l'a-Freud
Serge Cottet
Malentendu
Soit un dictionnaire des idées reçues sur Jacques Lacan, à l'article Freud on lirait :retour à...
Un retour qui emprunte à Freud même sa méthode : le déchifrage signiIants des mots de Freud. C'est la lettre de Freud contre les syntagmes Igés, les abâtardissements, les compromissions avec la psychologie, à quoi les postreudiens ont conduit la doctrine. Pour réaliser ce nettoyage des écuries d'Augias, Lacan réhabilite principalement la première topique, la plus lacanienne, puisqu'elle se onde sur un matériel de langage : rêves, lapsus, mots d'esprit, métaphores du symptôme. On sait que les élèves de Freud ont, au contraire, inéchi la psychanalyse dans le sens de la seconde topique, avec la promotion des concepts de moi, de stade, de régression, d'énergie, reléguant l'inconscient au passé de la psychanalyse. Freud serait-il lacanien sans le le savoir ? ïl anticipe bien Saussure !
ïl est en tout cas soluble dans la triplicité RSï ; on prend tout, on ne jette rien ou presque ; tout est réhabilité : son inconscient devient structuré comme un langage ; le ça, parle ; la suprématie du symbolique donne les pleins pouvoirs à l'interprétation. Un point d'arrêt pourtant : un reste indéchifrable de la pulsion, irréductible au sens sexuel, prémisse du réel sans loi du dernier Lacan. Erreurs,
préjugés, lapsus de Freud dont partie de l'invention elle-même, autant que la résistance à l'invention. S'il arrive à Lacan d'être inIdèle à la doctrine, c'est un hommage rendu à la subversion qui en restaure le tranchant. Lacan ne pratique pas le culte du père mort comme à l'ïPA.
Certes, les époques de l'enseignement de Lacan doivent être diférenciées, relativement à cette transmission. On peut dire qu'avant le SéminaireL'angoisse, les lignes de racture n'apparaissent guère. Les concepts essentiels de Freud sont toujours là et ont les titres des neu séminaires antérieurs, même si leur signiIcation est déplacée ou rectiIée à la lumière d'un corpus philosophique (le transert, les quatre concepts ondamentaux) et surtout, du structuralisme ; le roman amilial du névrosé est réinterprété comme un mythe de Lévi-Strauss. C'est dans ce même contexte que Lacan bricole, pour la psychose, le concept deVerwerfungpour en extraire la orclusion du Nom-du-Père.
Si bien des choses sont boiteuses ou tordues dans l'oeuvre de Freud, dans la période des neu premiers séminaires pourtant, les conusions du discours ont l'air de ne tenir qu'à des contingences extérieures à la psychanalyse. Notamment la langue allemande à laquelle Lacan n'adresse pas que des éloges, en particulier sur l'inconscient – l'Unbewusste, « drôle de mot ! », ait remarquer Jacques-Alain 1 Miller dans «Télévision» , un concept préreudien – et sur leWunsch, qui ne permet pas de distinguer demande et désir, ce qui justiIera plus tard les traductions louoques des œuvres complètes aux PUF endésiranceousouhaitéFreud est aussi desservi par la science de son temps : l'énergétique habille mal la pensée.
L'efort de Lacan consistera, après dissolution des concepts, à leur substituer des signiIants nouveaux, à tordre la langue de Freud pour éviter les syntagmes Igés, les hypostases de la subjectivité, l'objectivation des instances ; à créer des néologismes (leparlêtre) ; parois en trouvant aveur d'une consonance identique de l'allemand ou de l'anglais au rançais :une bévuepour l'inconscient, une dérive (drive) pour la pulsion ; ou encoreest-ce ?pour leesallemand tiré du côté du S. Les diférentes traductions et commentaires de l'apophtegme célèbreWo Es war, soll Ich werdendonnent la mesure de ce que Lacan peut déplier comme programme de la psychanalyse à partir d'un énoncé jusque là réduit à la plus grande platitude.
Lacan produit sur Freud des efets de loupe : grossissements, zooms, déormations, jouant sur l'équivoque des signiIants de la langue de Freud – comme letrait unaire, Inalement tiré du côté de l'Un, de la constance numérique en jeu dans la répétition. En témoigne aussi l'attention portée au vocabulaire 2 3 topologique – dans « L'Esquisse » , où les tresses anticipent les chaînes . Freud
lui-même, à la In de son œuvre, procède d'ailleurs à cette mise à plat : « La 4 psyché est étendue, n'en sait rien » . Ce bricolage n'entame pas le désir de Freud considéré comme unx– le désir d'un seul vaut pour un commencement absolu. Les dernières lignes de « La direction de la cure ... » condensent en manière d'ode cette période : « Freud commençant d'écrire {…}, nous donnait la pointe ultime d'une œuvre aux dimensions de l'être, la solution de l'analyse “inInie”, 5 quand sa mort y mit le mot Rien. »
L'a-Freud
ïl y a pourtant un Lacan beaucoup plus critique, exigeant une rectiIcation de l'intuition reudienne ondamentale. La ormalisation ne laisse pas le contenu à l'abri. Son déchifrage aboutit, non seulement à un détournement de ses concepts, mais à une inversion de leur sens et produit comme une opposition à sa politique ; en un mot : un transert négati. Car il ne s'agit pas seulement de rectiIer un discours éloigné du purisme du père ondateur ; on met aussi en évidence, dans le corpus conceptuel de Freud, des illusions, les semblants qui brouillent le réel de l'expérience. Ainsi, en 1964, date de la ondation de l'Ecole reudienne de Paris, Lacan procède à une désarticulation des quatre concepts ondamentaux de la psychanalyse, dont l'orientation principale consiste bel et bien à opposer inconscients reudien et lacanien.
Le lecteur ignorant de l'enseignement qui suivra ne remarque pas à quel point, dansLe Séminaire XI, les quatre concepts ondamentaux de la psychanalyse subissent une déormation du ait de l'introduction des signiIants propres à Lacan : le transert comme sujet supposé savoir, l'objeta, le ratage de la pulsion comme moteur de la répétition et enIn,last but not least, l'inconscient inadéquat à toute ontologie : il ait trou.
Aristote détourné, Descartes renversé, congé donné à Hegel, Lacan développe une pratique conceptuelle ironique pour désaxer Freud, tout en cherchant à en extraire l'agalma. Car le problème n'est pas seulement le retour à la lettre de Freud, mais la question de savoir comment se passer de syntagmes qui encombrent sa trouvaille, en poussant la subversion jusqu'à l'impensé de Freud. De quels concepts devrait-on se passer pour parvenir à une ormalisation de la 6 psychanalyse ? UnWitzcourt : il s'agirait de réduire la psyché à la théorie des ensembles.
La réévaluation de l'OEdipe et de la onction paternelle ait partie de ce programme. Les adversaires de la psychanalyse, qui la plupart du temps ignorent
Lacan, ne saisissent pas le rôle que joue le signiIant du père dans l'inconscient, et ont du complexe d'OEdipe le cœur de la psychanalyse. Cependant, Lacan a critiqué l'OEdipe reudien bien avant Deleuze, notamment dans son SéminaireL'envers de la psychanalyse, où il met en évidence des contradictions dans le texte de Freud,Totem et Tabou. On ne voit pas comment la mort du père générerait la culpabilité dans un monde sans Loi. ïl aut donc, pour s'y retrouver, poser l'amour des Ils pour le père.Totem et Tabou, c'est la névrose de Freud. ïl y a de la religion dans la doctrine, qui reste à dévoiler. Freud a cru à un certain nombre de semblants qui, depuis, ont pris du plomb dans l'aile : le phallus, le père, la vérité, la science comme idéal.
D'où les problèmes soulevés par la connexion chez Freud de la réalité psychique et du Nom-du-Père, que Lacan cherchera à dissocier dans le Séminaire « R.S.ï. ». Par exemple, se passer de la castration pour approondir le concept de l'angoisse ; se passer du Nom-du-Père pour la réalité psychique ; s'en passer pour le surmoi en tant qu'impérati de jouissance. Les conséquences pour la clinique s'imposent ; il audrait penser la structure du symptôme indépendamment du conit ou du retour du reoulé ; le symptôme n'est pas de même substance qu'un déplacement d'énergie libidinale ; il n'est pas que conversion ou compromis, mais suppléance à un déIcit de jouissance. Or, qui dit suppléance dit trou, béance. Mettre des trous à la place du manque. Au-delà du manque reudien et de la castration, Lacan découvre le réel comme impossible logique, et le trou : « J'ai 7 trouvé le trou » . Et la bonne question n'est pas l'interprétation, maisqu'est-ce qu'on met dans un trou ?
Plus tard, Lacan éloignera l'inconscient d'une matrice symbolique ou d'une chaîne signiIante pour le nommer Réel. En 1977, il renouvelle son armation : « L'inconscient donc n'est pas de Freud, il aut bien que je le dise, il est de Lacan. 8 Ça n'empêche pas que le champ, lui, soit reudien. » On désignera donc par « champ reudien » tout ce qui tient à la détermination de la jouissance par le langage. Lacan conservera tout au long de ses séminaires un intérêt marqué à cet égard pour laVorstellungsrepräsentanz.ïl y a du pulsionnel qui ne peut être représenté, une jouissance qui échappe aux cote mal taillées du symbolique. Telle est la structure commune du reoulement originaire, un aux trou ; le vrai trou est celui du symbolique lui-même en tant qu'inconsistant ; dira-t-on que Freud anticipe Lacan dans ses intuitions topologiques ? La béance du surmoi, le ratage de l'acte, les limites de l'interprétation tracent la voie à la série des impossibilités reudiennes : mais pas le réel.
C'est pourquoi Lacan tient à son invention :le réelque « ces choses que l'on 9 appelle reudiennes » n'anticipent pas. Concernant l'imaginaire du phallus, le Séminaire « R.S.ï. » met les choses au point : « ïl y a chez Freud comme une prosternation devant cette jouissance phallique, dont son expérience lui découvre
la onction nodale, et autour de quoi se onde cette sorte de réel auquel l'analyse 10 a à aire. »
L'autre exemple concerne la sexualité éminine. Lacan ne l'aborde pas à partir de la castration, mais par la logique. « La emme ne manque de rien », arme-t-il 11 dans le Séminaire sur l'angoisse . Dix ans après, le SéminaireEncoreest consacré à une élucidation en termes logiques d'une dissymétrie dans le rapport des hommes et des emmes à la jouissance. La olie de l'amour chez « la » emme relève de son inscription singulière dans les quanteurs de la sexuation. Freud est en efet animé par une logique du « pour tous », de l'universel. Longtemps, Lacan n'avait rien eu à redire à la dialectique phallocentrique, ni à l'imaginaire du phallus, comme en témoigne son grand article « La signiIcation du phallus ». Dans le séminaireEncore, par contre, il y a rupture avec le reudisme. Aussi le concept de castration sera-t-il ici complètement disjoint de l'imaginaire anatomique. C'est le langage qui ait trou ; le véritable agent de la castration, c'est la langue.
Avec le SéminaireLe sinthome, en 1976, le comble se produit : il semble que plus rien ne ressemble à la psychanalyse, qu'elle soit celle de Freud ou du Lacan desEcrits. En 1972, il y aL'envers de la psychanalyse; en 1976, c'est l'envers de 12 Freud. Ou plutôt, un point de vue joycien sur Freud ; c'est l'a-Freud, parois, 13 « Freud l'areud» qui donne tellement de Il à retordre . Les syntagmes majeurs 14 de la doctrine s'y trouvent subvertis. Selon Jacques-Alain Miller, l'Anti-OEdipede Deleuze et Guattari est passé par là, et le Séminaire livre XXïïï, c'est la psychanalyse vue par un schizophrène : le point de vue joycien sur les concepts de la psychanalyse subvertit aussi bien le Nom-du-Père que la orclusion, l'image du corps, la suprématie du signiIant – oui, et même la orclusion,Verwerfungde ait et non de droit. Reste le réel du corps comme substance jouissante.
15 Que devient « l'intolérable de la vérité reudienne » si l'on conteste la passion 16 de Freud pour la vérité, et s'il « n'a ait que du sensé » ? Doit-on voir dans le réel insensé l'anti-Freud ? Au-delà de ce balayage qui emporte une bonne partie de l'héritage lacanien lui-même, que reste-t-il de Freud, dénudé, privé de ses semblants ?
Reste le réel de la clinique presque inchangé – inhibition, symptôme, angoisse – mais réinterprété à partir du reoulement originaire. L'interprétation topologique 17 en ait un « “nœud dans le dicible” comparable au trou dans la pulsion » . Pour Inir, ce n'est pas la première topique qui sert de paradigme à l'interprétation de l'inconscient, mais – paradoxalement – la seconde : une « topique 18 antasmatique » , qui n'est pas loin de aire du moi un trou. Aussi bien le non-19 reconnu, l'UnerkanntdeLa Science des rêvesest-il étendu à tout le champ de
la jouissance en impasse avec le savoir. Freud butait sur les « restes symptomatiques » de l'analyse interminable, l'inanalysable, l'incurable, l'impossible comme noms du réel. Lacan prend Inalement son point de départ de ces apories.
Cette orientation, c'est donc plutôt l'Aufhebungde Freud ; car on voit aujourd'hui où mènent les non-dupes de Freud.
1Lacan J., « Télévision »,Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 511.
2Cf.Freud S., « Esquisse d'une psychologie scientiIque »,La naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1956, p. 307-396.
3Cf.Lacan J.,Le Séminaire,livre XXïïï,Le Sinthome, Paris, Seuil 2005, p. 131.
4Freud S., « Résultats, idées, problèmes »,Résultats, idées, problèmes, t. ïï, Paris, PUF, 1985, p. 288.
5Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir »,Ecrits,Paris, Seuil, 1966, p. 642.
6Cf.Lacan J., « Peut-être à Vincennes ... »,Autres écrits,Paris, Seuil, 2001, p. 313-315.
7Lacan J., Le Séminaire, livre XXïï, « R.S.ï. », leçon du 13 mai 1975,Ornicar ?n°5, hiver 1976, p. 57
8Lacan J., « Ouverture de la section clinique »,Ornicar ?n°9, avril 1977, p. 10
9Lacan J.,Le Séminaire,livre XXïïï,Le sinthome, op.cit., p. 132.
10Lacan J., Le Séminaire, livre XXïï, « R.S.ï. », leçon du 17 décembre 1974,Ornicar ?N°2, mars 1975, p. 102.
11Lacan J.,Le Séminaire,livre X,L'angoisse,Paris, Seuil, 2004, p. 211.
12Lacan J.,LeSéminaire, livre XXïïï,Le sinthome, op. cit.,p. 120.
13Lacan J., « Clôture des Journées de l'EFP », 25 septembre 1977,Lettres de l'EFP,n°22.
14Cf.Deleuze G., Guattari F.,L'Anti-OEdipe, capitalisme et schizophrénie, Paris, Ed. de Minuit, 1972.
15Lacan J., « L'étourdit »,Autres écrits, op. cit.,p. 494.
16Lacan J.,Le Séminaire,livre XXïïï,Le sinthome, op. cit.,p.128.
17Miller J.-A., « Notice de Il en aiguille », in Lacan J.,Le Séminaire, livre XXïïï,Le sinthome, op. cit.,p. 239.
18Lacan J., Le Séminaire, livre XXïïï, « R.S.ï. »,loc. cit.
19Cf.Zaloszyc A., « Lacan, lecteur de Freud. Quelques mots sur l'Unerkannt », dans ce numéro deLa Cause freudienne.
Posté par ttyemupt à 11:09 -Serge Cottet-Commentaires [0]- Permalien [#]
Schizo-analyse et espace schizode : Deleuze et Guattari ace à l’espace phénoménologique
Jean-Baptiste Faure
L’Anti-Œdipepourrait être divisé en deux moments distincts l’un de l’autre et pourtant en même temps indissociables. Le premier temps de l’oeuvre serait celui du moment proprement critique vis-à-vis de la psychanalyse héritée de Freud et de sa structure oedipienne de l’inconscient, triangulation limitée et ermée qui devait rendre compte du comportement de chacun et guérir le névrosé qui dort en chacun de nous. C’est en révélant les points aibles de cette triangulation, ce qui déborde toujours d’Œdipe, que Guattari et Deleuze vont élaborer la tâche positive de ce qu’ils nomment eux-mêmes la « schizo-analyse », véritableantidoteà la psychanalyse classique, et qui constituerait la seconde partie de cette oeuvre.
2Et c’est sur cette seconde partie que porte notre interrogation ; et plus particulièrement sur une phrase de cette tentative pour rectiIer positivement l’erreur de la psychanalyse reudienne, une phrase apparemment anecdotique, sans grandes conséquences semble-t-il et qui trouve peu d’écho dans le reste de l’oeuvre. Nous sommes alors dans « l’ïntroduction à la schizo-analyse », quatrième partie intitulée dans le sommaire « Première tâche positive de la schizo-analyse ». Les auteurs y développent l’angle sous lequel doit être pris l’individu : à la ois comme « corps sans organes »etcomme machine d’ « organes partiels », indépendants et diférenciés les uns des autres. Explicitant le rapport qui régit la mécanique des organes-partiels entre eux avec le corps sans organes, la notion d’espace ait alors irruption pour disparaître aussi brusquement qu’elle est apparue. Voici donc la phrase qui retient toute notre attention : « Le corps sans organes est la matière qui remplit toujours l’espace à tel ou tel degré d’intensité, et les objets partiels sont ces degrés, ces parties intensives qui produisent le réel dans l’espace à partir de la matière comme intensité = 0 ».
1Voir BERGSON, Henri,L’énergie spirituelle, p. 5
3Quelle conception de l’espace cette phrase signiIe-t-elle ? Vers quelle spatialité ouvre la schizo-analyse ? sont les deux questions qui s’imposent alors. Au premier abord, il semblerait que l’espace ainsi conçu soit, sinon une conséquence ou un résultat, du moins inéluctablement lié à la vision de l’ « individu » comme machine-corps-sans-organes et organes-partiels, c’est-à-dire comme machine-désirante schizophrénique. La schizo-analyse "schizophrénise" l’individu, le morcelle en une multiplicité, mais une multiplicité continue comme mécanique des organes-machines ou comme chaîne d’éléments indépendants et qui pourtant se répondent : un comportement ou une action (au sens bergsonnien du terme1) n’est pas le résultat de l’expression du Moi – conscient ou inconscient, transcendantal et structurellement déterminé à se représenter et à vouloir telle ou telle action – mais plutôt le résultat d’une réaction en chaîne mécanique d’organes coupeurs et producteurs deuxqui obéissent à leur onction.
2On pourrait ici parler d ’une "intimité réciproque" entre l’organe et l’objet partiels, chacun(...)
4L’espace n’est alors plus cet idéal transcendantal, déterminéa prioriet universellement le même pour tout « individu » en tant que tel, c’est-à-dire ondamentalement et essentiellement mathématique : il est uneproductionde chacun, c’est-à-dire uneproductionde chaque corps-machine appartenant à samécanique propre, diférent pour chaque corps-machine et évoluant dans le tempsselon cette mécanique. Le terme de production possède ici un sens particulier : il s’agit du résultat inhérent à toute activité de l’organe en tant que coupeur et producteur de ux. Chaque objet exerce sur le corps sans organes uneimpression. Cette impression doit être considérée de deux points de vue diférents qui se ont pourtant écho : elle est à la ois ce qui détermine l’apparition de tel ou tel organe sur le corps sans organes – dont l’activité est de coupé tel ux et par là même de produire tel autre ux – et l’objet partiel qui correspond à cet organe, c’est-à-dire qui "résulte" de cette apparition, ou de cette activité déterminées. Résultat inhérent ou production doivent être entendus au-delà du schéma de causalité traditionnel qui institue une succession temporelle dans l’enchaînement de la cause à son efet. Se demander ce qui, de l’objet partiel ou de l’organe partiel, est antérieur à l’autre est aussi absurde et insoluble que de demander ce qui, de l’oeu ou de la poule, précède l’autre. ïl n’y a de sein pour l’enant que parce qu’il est une bouche, portée à couper le ux lait en ux nourriture et inversement : c’est parce qu’il est une bouche, c’est-à-dire cette activité de coupeur et producteur de certains ux, que peut apparaître le sein2.
5L’espace lui-même, comme organisation d’objets et de moi-même, ne doit plus être par conséquent un espace mathématique mais un espace « schizophrénisé ». Le travail sur l’éclatement de l’individu en la multiplicité continue d’une chaîne de production de ux du corps-machine schizophrénique, qui reuse d’être subsumé sous une unité rassemblante et uniIcatrice de la « personne » de açon transcendante, doit trouver un écho,selon la phrase citée, dans une certaine conception de l’espace produit par cette machine. Est-ce efectivement le cas ? L’espace est comme composé de lieux, de localités selon
ces impressions ou ces intensités variables évoquées plus haut. Des intensités variables empêchent de penser un espace uniorme et vide. En efet, le rapport de l’objet partiel à l’organe partiel qui lui correspond étant pensé en termes d’impression, l’organisation des objets et organes pareils entre eux ne pourra être déterminée qu’en termes d’intensité – ouforcede ces impressions.
6Cependant, toute intensité n’est possible qu’en tant que diférence d’intensités, de degrés et de orce par rapport à une autre, la diférenciation par comparaison entraînant alors une certaine continuité des intensités et donc de l’espace lui-même bien que composé de diférentes localités. Et dire que ces « parties intensives […] produisent le réel dans l’espace à partir de la matière comme intensité = 0 » (souligné par nous, parler d’intensité = 0, n’est-ce pas parler d’a prioripur ?), n’est-ce pas revenir à un espace transcendantal comme étendue uniorme et vide que l’on remplitensuited’objets partiels, cet espace transcendantal devenant alors la condition de possibilité de l’espace réel, remplit, vécu, perçu ? Si tel est le cas, c’est aire du corps sans organes la condition de possibilité (par conséquent transcendantale) des onctions de chaque organe et donc du onctionnement du corps-machine; et alors on retombe dans une pensée de la transcendance pure, c’est-à-direde l’individu, du Moi ou du sujet, et la démarche "schizo-analytique" est rendue impossible.
I. Bandes d’intensités, subjectivité et schizophrénie
1) Du sujet transcendantal au sujet schizophrénique
3DELEUZE, Gilles et GUATTARï, Félix,L’Anti-Œdipe, p. 27
4Idid., p. 26
7Ce qu’il nous aut d’abord tenter d’élucider, c’est cette mécanique des intensités, production du rapport du corps plein sans organe avec les organes partiels. Tous deux – corps plein sans organes et corps-machine d’organes partiels – sont des dimensions de chacun de nous, simultanées. Le corps sans organes ne préexiste pas aux organes partiels, ni ceux-ci à celui-là. Les deux dimensions coexistent toujours déjà l’une avec l’autre et l’une contre l’autre dans un jeu d’attraction et de répulsion naturelle. Et c’est de ce jeu entre ces deux dimensions que les intensités apparaissent et surtout que le sujet apparaît. L’individu et son « identité » (ou ce que l’on nomme traditionnellement l’identité) n’est que le résultat de ce jeu d’attraction et de répulsion entre le corps plein sans organes et la machine d’organes, le résultat des intensités par lesquels passe la personne : « [Le sujet] n’est pas lui-même au centre, occupé par la machine, mais sur le bord, sans identité Ixe, toujours décentré,conclusiondes états par lesquels il passe »3. Mais quels sont ces états ? La réponse se trouve dans l’exemple reudien que nous donnent les auteurs à la page précédente, le cas du président Schreber dont «l’attraction et la répulsionproduisent d’intensesétats de nerfqui remplissent le corps sans organes à des degrés divers, et par lesquels passe le sujet-Schreber, devenant emme, devenant bien d’autres choses encore suivant un cercle d’éternel retour. Les seins sur le torse du président ne sont ni délirants ni hallucinatoires, ils désignent d’abord une
bande d’intensité, une zone d’intensité sur son corps sans organes. Le corps sans organes est un oeu : il est traversé d’axes et de seuils, de latitudes, de longitudes, de géodésiques, il est traversé de gradients qui marquent les devenirs et les passages, les destinations de celui qui s’y développe. Rien ici n’est représentati, mais tout est vie et vécu : l’émotion vécue des seins ne ressemble pas à des seins, ne les représente pas, pas plus qu’une zone prédestinée de l’oeu ne ressemble à l’organe qui va y être introduit. Rien que des bandes d’intensités »4.
5S’agit-il pour autant d’intégrer dans l’interrogation le concept de néant ?
8Contre Descartes et contre toute conception psychologique de l’âme ou de l’esprit dans un corps mais distincts de celui-ci, tel le navigateur sur son navire, Deleuze et Guattari initient une tentative pour penser autrement l’individu, plus proche des conceptions empiristes ou vitalistes. Ce que je suis, ce qui constitue ma personne ou ma personnalité, c’est cette structure organique – au sens littéral du terme – en tant qu’ensemble d’intensités vécues. Mon corps comme moi-même ne sont pas cette entité déterminée transcendantalement : au contraire, ce que je suis, "avant tout", c’est une absence de détermination5. Ce qui me détermine, ce sont les impressions qu’exercent les objets sur la matière brute et indéterminée qu’est le corps sans organes. Ces impressions se traduisent par des intensités sensitives vécues : les organes partiels. A ces intensités correspondant des organes partiels et ces organes étant de leur côté coupe et production de ux, les nouveaux ux et la multiplicité des objets exerçant tous à leur tour une impression, d’autres bandes d’intensité ont leur apparition, c’est-à-dire d’autres organes partiels viennent remplir le corps plein sans organes, donner du relie à l’oeu, ormant de la sorte un ensemble complexe d’organes : le corps-machine d’organes où chaque ux produit est récupéré et coupé par un autre organe qui produit ainsi à son tour un nouveau ux.
2)Le«entisr» original comme condition de possibilité du sujet
6DELEUZE, Gilles et GUATTARï, Félix,L’Anti-Œdipe, p. 23
9Ainsi, le « je » n’est qu’un résultat, toujours en mouvement, de passage pourrait-on dire, résultat de ces variations d’intensités « toujours positives » par rapportauetsurle corps sans organes « comme intensité = 0 ». « Je » n’est plus l’identité Ixe et transcendantale qui rend compte du comportement de chacun associé à l’idée d’une volonté : chacun est avant tout pure matière, un oeu, sans orme, uniorme. Chacun n’est pas un corps au sens de ce corps-ci : chacun est corps, ou corporel, sans intensités et sur lequel apparaissent des intensités variables constitutives des organes, et donc constitutives de l’ensemble de la machine d’organes. Ce rapport entre corps sans organes, intensités et organes constitue des états vécus, origine du « je », de la personnalité. Cette théorie originale, inspirée de la théorie empiriste humienne, nie tout sujet transcendantal immuable et substantiel : le sujet est lui-même produit, il est le résultat d’une mécanique évolutive, le sujet « naissant dans les états qu’il consomme et renaissant à chaque état »6. Mais bien que le sujet soit un résultat, l’état vécu
étant premier par rapport au sujet qui le vit, bien que le « je sens », voire le « je me sens », soient une production de ce jeu d’intensités, bien que le sujet puisse ainsi être en théorie n’importe quel sujet possible dans l’inInité des sujets possibles (même s’il est en réalité toujours déterminé « activement »), Deleuze, reprenant alors la phénoménologie heideggerienne pour critiquer le transcendantalisme kantien, ne peut que présupposer un « sentir »originelau ondement de toutes ces personnalités possibles du sujet, au ondement du « je sens » et « je me sens ».
10ïl est logique alors que l’on parle d’un « sentir » plutôt que d’un « percevoir » qui sous-entend une conscience transcendantale qui quadrille toujours déjà la réalité. Le « percevoir » est kantien ; le « sentir » : humien et permettant de supprimer le plan de transcendance et de onder sur ce « sentir » une schizophrénisation de l’individu. Avec une telle conception du sujet et du sentir s’impose la voie de la schizo-analyse comme seule voie possible pour Deleuze et Guattari. Le « sentir » mène à un « je sens », à un « je me sens », c’est-à-dire à un « je me perçois » dans un « je perçois » général.
7ïl aut cependant relativiser un tel propos. Chez Heidegger, leDaseinest existentialement ses(...)
11On comprend alors comment se constitue le corps, même si ce terme, bien trop Igé, désigne cette identité que je sens être la mienne. La açon dont je vis mon corps correspond à ce jeu d’intensités constuti de mon identité : mon corps évolue et n’est pas ce corps d’homme ou de emme comme le pensaient la psychanalyse héritière de la métaphysique. Mon corps est lui-même le résultat de cette attraction-répulsion entre le corps sans organes et les organes comme bandes d’intensités. L’identité de mon corps comme celle de ma personnalité de sujet (chez Deleuze et Guattari, c’est la même identité) est périphérique, une résultante de la mécanique désirante.Potentiellement, je suis hommeetemmeettoutes mes identités possibles. Comme le disait déjà Hiedegger dans une toute autre perspective, je suis toutes mes possibilités d’être7.
8Les auteurs rejoignent ici dans une certaine mesure la position de Heidegger et de la phénoméno(...)
12Mais la diculté est la suivante : est-ce que ce « sentir » est un sentir d’« objets », en prenant soin de ne pas considérer ce terme de açon kantienne ? La machine-désirante onctionne en termes d’intensités qui s’expriment sur l’oeu, sur la matière brute que je suis, et qui constituent ensuite – ensuite qui a ici un sens logique et non temporel, car dans les aits, il n’y a pas d’antériorité – mes organes sur ce corps sans organes qui coupent et produisent des ux. La séparation métaphysique entre d’une part moi, comme identité transcendantale et comme corps que je suis, et d’autre part le monde extérieur n’a plus lieu d’être dans une telle pensée. ïl n’est pas même d’objet ou de mondeextérieurouobjectifau sens kantien : il n’y a que des intensités qui s’impriment sur la matière brute comme intensité = 0.8Autrement dit, concernant la question de l’espace, cette dernière notion possède deux aces qui
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