Baccalauréat général - Corrigés de l épreuve de philosophie
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Discuter, est-ce renoncer à la violence ? Un sujet qui met en jeu les notions de vérité, raison, connaissance, morale, devoir, et la philosophie politique en général. Introduction : construction et position du problème.

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Publié le 17 juin 2021
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Langue Français

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Discuter, est-ce renoncer à la violence ?
Un sujet qui met en jeu les notions de vérité, raison, connaissance, morale, devoir, et la philosophie politique en général.
Introduction : construction et position du problème. «L’autre de la vérité, ce n’est pas l’erreur mais la violence.» écrit Eric Weil. Ce qui est dire que la discussion qui cherche la vérité n’exclut pas l’erreur à laquelle elle donne même une place par l’établissement des arguments contradictoires, des divergences de vues ou même des conflits d’intérêts purs et simples qui la jalonnent mais en revanche, elle interdit la violence au sens de l’affrontement physique qui la rendrait impossible et signifierait son échec. Discuter, c’est placer entre les interlocuteurs, susceptibles de cogner l’un sur l’autre, l’inter-dit, ce qui implique à la fois la juste distance qui sauvegarde l’intégrité du corps de chacun et la situation d’interlocution à partir de laquelle il est possible de s’entretenir. Le renoncement à la violence serait donc fondateur de l’acte de discuter, à l’origine de sa possibilité même. Pourtant, qui discute agace. D’autant plus qu’il discute tout ou de tout et que son interlocuteur possède un pouvoir qu’il n’entend pas voir ainsi contesté. Discuter, peut alors faire naître la violence de celui qui ne s’y attendait pas, n’y était pas prêt ou préparé, ou ne consent pas à se laisser imposer ce détour à l’efficacité de son projet ou de sa volonté. La discussion impose en effet à l’action des modalités de retard ou de suspension qui font obstacle à l’immédiateté d’un désir ou à l’empire d’une volonté orgueilleuse qu’elle révèle et réveille tout à la fois, en suscitant sa violence. Discuter réclame donc de suspendre la violence mais peut aussi bien la provoquer. D’autant que la violence résiste à la discussion qui la suspend certes mais ne la dissout pas. A moins de considérer que la seule chance pour la violence de s’écarter de son défoulementsans frein, c’est précisément d’entrer dans la médiation du langage qu’implique l’acte de discuter.Il faut alors, pour discuter effectivement, accepter de transposer la violence dans l’ordre symbolique du langage pour, sinon l’éradiquer, du moins désamorcer les effets dévastateurs de sa production dans l’ordre matériel. Dans quelles mesures dira-t-on par conséquent que discuterest synonyme d’un renoncement à la violence? Ce renoncement est-il la condition ou la conséquencede l’acte de discuter ? Et s’il en est la conséquence, ne faut-il pas considérer que la discussion doit l’assumer plutôt qu’y renoncer pour ne pas risquer d’en subir les effets en retour, et voir ainsi le bénéfice de la dispute rationnelle frappé de nullité ? Comment cela se traduit-il concrètement dans le champ politique ?
I.
Toute discussion suppose d’avoir renoncé à la violence. C’est la condition fondamentale, condition de possibilité même de l’acte de discuter.
Discuter c’est reconnaître que j’ai quelque chose en commun avec mon adversaire: l’usage de la parole et du raisonnement. Le choix de la raison est ainsi l’implicite fondateur de toute discussion, qui consiste à faire de l’autre un semblable lorsque la violence fait du semblable un autre.C’est le parti pris et la sagesse du dialogue auquel s’efforce la philosophie depuis son origine.
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Toute discussion suppose l’ordre et la paix qui permettent l’écoute mutuelle et la liberté de s’exprimer. Pas de réforme possible d’une situation dont on peut et veut discuter, sans l’ordre et la concorde qui sont la condition d’une conduite du changement. C’est pourquoi aussi, lorsqu’il enjoint les citoyens d’une République à s’exprimer pour contribuer au perfectionnement des lois et de l’administration de l’Etat, Kant, dans l’opuscule intitulé Qu’est-ce que les Lumières ?, fait de leur obéissance une condition de la liberté de leur expression.
Transition :Tant qu’on discute, par la voie diplomatique en particulier, on n’entre pas dans le conflit armé. Discuter suppose d’avoir renoncé à porter des coups, mais cela nous prémunit-il pour autant contre toute violence ?
II.
Discuter, c’est toujours en même temps refuser d’obéir, ne pas obtempérer, demander à examiner par des raisons. Ce qui suscite le rejet et fait naître la violence.A moins que l’espace même de la discussion devienne le terrain d’une violence, contaminé, pour ainsi dire, par la violence qu’aurait dû combattre la discussion.
Discuter suppose de ne pas admettre ce qui est réputé aller de soi, ou admis comme ce qui « ne se discute pas », ne pas admettre ce qui est posé comme indiscutable. Ne pas consentir à l’argument d’autorité propre à l’opinion qui cherche la tranquillité ouau pouvoir tout particulièrement, dans ce qu’il peut avoir d’impersonnel et d’autoritariste. Cela ne va pas sans heurt, et suscite la haine. Comme celle qui conduit à la mort de Socrate. C’est pourquoi il y faut un courage exemplaire. Discuter, dès lors, c’est accepter de s’exposer à la violence, celle de l’adversaire qui, lui, ne veut pas discuter et remplace l’argumentation par l’invective particulièrement en vogue en ces temps où il suffit par exemple d’invoquer la notion de complotisme pour réduire la position de l’adversaire à l’obscur ou à l’absurde d’une logorrhée prétendument inconsistante.
Ne pas admettre ce qu’on refuse de discuter peut être hautement légitime mais tout aussi bien superflu et provocateur voire injuste ou malveillant.Au livre Γ de sa Métaphysique,Aristote conteste ainsi la demande de ceux qui « demandent des raisons de tout» et veulent en particulier qu’on démontre le principe même de contradiction qui sert de fondement au raisonnement et constitue l’autorité même de la raison. C’est une mesquinerie courante en effet que de demander des définitions ou des raisons de tout, en refusant tout sous-entendu ou tout postulat, ce qui n’aboutit qu’à empêcher la discussion et constitue bel et bien une forme de violence, mais au sein même de la discussion voire par la discussion ou un usage abusif de l’acte de discuter qui en subvertit l’ordre. La discussion même, pour avoir lieu, doit admettre de l’indiscutable.Par exemple qu’un homme est un homme et non une femme, ni une femme un homme. Sans quoi le principe de contradiction est bafoué et l’on ne peut discuter. Ce qui conduit à tétaniser l’adversaire qui se voit alors imposer un flot de considérations exonérées de toute consistance rationnelle.
Transition :Discuter n’efface pas toute violence, soit qu’elle succède à la discussion qui ne l’aurait que suspendue, soit qu’elle se fasse jour au sein même de la discussion
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comme tentative de subvertir l’autre par le discours. Mais cette tentative qui n’est autre que l’antique tentation dénoncée par Platon s’opposant à l’usage sophistique de la parole n’en est pas moins contrainte, pour entrer sur le territoire de la parole, de se prêter peu ou prou aux conditions de l’interlocution. Pour discuter, quoi qu’il en soit, il faut convertir sa violence en mots, qui à leur tour donnent une chance aux interlocuteurs de convertir le mépris en considération, par la nécessaire prise en considération du point de vue de l’autre.
III.
Discuter, selon l’antique figure du dialogue, ce n’est pas chercher à éradiquer la violence mais tenter de l’assumer en s’efforçant de la transmuer dans l’ordre symbolique du langage.
C’est l’objet du dialogue socratique, mais aussi de la délibération politique, qui à son image, doit permettre de faire émerger le rationnel à partir de l’opposition des idées, des points de vue ou même des intérêts contradictoires. C’est en particulier le pari de Rousseau, tel qu’il s’explicite dans leContrat social, où le transfert de la souveraineté au peuple s’accompagne de la construction du concept de « volonté générale », pour formuler et traduire en loi le bien commun, ce qui ne peut avoir lieu qu’à travers la discussion dont Habermas reprendra le principe pour penser une morale politique fondamentale dans son Ethique de la discussion.On échappe ainsi selon Rousseau à l’imposition, et peut-être aussi l’imposture, d’un pouvoir absolu, et donc potentiellement violent – comme celui prôné par Hobbes dans l’Etat Léviathan pour garantir la sécurité de ses citoyens. La discussion apparaît donc bien comme le moyen d’échapper à la violence du pouvoir en renonçant à son autorité a priorimais aussi à la violence qu’elle risque d’induire,au profit de l’autorité d’une loiconstruite par et à travers la discussion.
La vérité ne peut sortir que de la discussion, dans la mesure où elle fait droit à la pluralité en assumant la conflictualité. En science même, comme l’écrit Karl Popper, «la marque du vrai, c’est le discutablecoopération amicalement». Et la science est la « hostile des citoyens du savoir ». Non pas ce qui éradique la conflictualité dans une pensée unique, un récit unilatéral ou un ordre sans vis-à-vis, mais ce qui l’assume pour le meilleur service de la vérité, au risque de voir toujours surgir ou ressurgir la violence des partisans fanatiques faute d’avoir jamais éliminé les oppositions qui sont partie prenante de la vie de l’esprit et garantie de la vérité du vrai.
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