Création et mythes de la création
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Gymnase de Nyon 2004 © Daniel Gloor -1 « À la recherche de nos origines » HCréation et mythes de la création A. Introduction ............................................................................................................................... 2 1.Symboliquescommunesauxrécitsmythiques.....................................................................22. Étapes classiques de création du monde .............................................................................. 3 B. Création et mythes de la création ............................................................................................ 3 1. Typologie des mythes cosmogoniques................................................................................. 3 2. Création par la pensée, la parole et léchauffement dun dieu ............................................. 4 3. Le plongeon cosmogonique ................................................................................................. 5 Éléments communs....................................................................................................... 5 La création du dieu et les forces du mal ....................................................................... 5 Élaborations dualistes................................................................................................... 6 4. La division de la matière primordiale .................................................................................. 7 Les Parents du monde................................................................................................... 7 Le Chaos....................................................................................................................... 7 Luf cosmogonique.................................................................................................... 8 5. Le démembrement dun géant ou dun monstre .................................................................. 8 Limmolationlibrementconsentie...............................................................................8Victoire du dieu et morcellement du monstre .............................................................. 9 C. Mythes fondateurs................................................................................................................... 11 1.Lamythologiemésopotamienne........................................................................................11Extraits du poèmeEnouma Elish............................................................................... 12 2. La Chine ............................................................................................................................. 15 3. LEgypte............................................................................................................................. 17 4. La cosmogonie hindoue ..................................................................................................... 18 5. La cosmogonie scandinave ................................................................................................ 18 6. La Grèce ............................................................................................................................. 18 Extraits de laThéogoniedHésiode............................................................................ 20 7. Les textes judéo-chrétiens de la Genèse............................................................................. 24 Extraits du livre de la Genèse..................................................................................... 24 8. Les textes cosmogoniques de lIslam................................................................................. 28 9. Récits mythiques des Amérindiens et Précolombiens........................................................ 31 10. Textes de l'Afrique noire.................................................................................................... 39 11. De la création à lévolution................................................................................................ 43 12. La « cosmogonie » scientifique ......................................................................................... 46 Annexe : cosmogonie chrétienne et représentations artistiques ................................. 49 D. L'évolution de l'homme .......................................................................................................... 56 1. Les enjeux idéologiques autour de la paléontologie humaine............................................ 56 2. La diversité des hominidés................................................................................................. 59 3. Rameaux éteints ................................................................................................................. 62 4. Les prémices de la civilisation ........................................................................................... 62 5. Le calendrier de l'évolution ................................................................................................ 63 E. Réflexion du philosophe Paul Ricoeur .................................................................................. 64 F. Document : « Les poètes et lUnivers ».................................................................................. 66 Références ...................................................................................................................................... 69 Questions ouvertes ......................................................................................................................... 70
Gymnase de Nyon 2004 © Daniel Gloor -2
A. Introduction - Comment sont nés lUnivers, le ciel, la Terre, les créatures, lhomme ?
Sila question des originesa suscité de nombreux récits mythiques, elle nourrit aujourdhui les re-cherches les plus brûlantes de lastrophysique, de la biologie et de la paléoanthropologie. Récits mythiques autrefois, modèles scientifiques aujourdhui proposent des conceptions sur la naissance de lUnivers et de lhomme. Ces cosmogonies (du grec cosmo- « monde » et gon- « engendrer ») reflètent et fécondent tout à la fois limagination des peuples. Tous, dans le fonds le plus ancien de leurs traditions, ont développé leurs récits fondateurs, le plus souvent ancrés dans la religion. Si Dieu précède sa création dans les religions monothéistes, lathéogonie(récit relatant la naissance des dieux) succède à la cosmogonie dans la plupart des autres : les dieux sont eux-mêmes issus dun élément premier, dunprincipecréateur  dieu, idée ou élément  à la source de toute chose, tels le Désir, lArbre, lOeuf, lEau, le Vide, le Chaos. Les mythes s'attachent donc à rendre compte de la question des origines, que celles-ci soient du monde, des dieux ou des institutions. Ils évoquent des figures idéales, des modèles intemporels et fondateurs, quils associent aux récits cosmogoniques ou aux légendes de création du monde. Der-rière cette variété se retrouve la volonté immuable de rendre compte des transformations radicales justifiant l'existence du monde observable, de la Terre et de l'homme. Ainsi, les mythes disent les fondements des sociétés, leurs visions du monde. Ils affirment du « sens », expriment une compré-hension de lUnivers et de lexistence humaine. 1. Symboliques communes aux récits mythiques La genèse du monde est le premier sujet auquel sattachent les mythes. À lorigine de toutes choses, le chaos, le néant, ou bien une grande étendue deau ou plus souvent encore un uf primordial pré-lude à tous les possibles. L'uf (uf cosmique) ƒ Il est souvent représenté comme le germe contenant l'Univers en puissance. Il symbolise la ré-novation périodique de la nature, la possibilité de renaissance du monde. L'éclosion de l'uf donne naissance à l'Univers (Pan Gu en Chine, Partholon chez les Celtes, Puruska en Inde, Nommo au Mali). ƒL'eau Symbole de pureté, l'eau est souvent exprimée par le biais du déluge, qui se retrouve dans de nombreuses cosmogonies. Il rappelle à l'homme sa faiblesse face aux puissances célestes et permet le renouvellement du monde grâce aux meilleurs des humains (le roi Manu, sauvé par Vishnu et transformé en poisson, Noé et son arche, Deucalion et Pyrrha sauvés par Prométhée). ƒLe chaos primordial La naissance d'un monde harmonieux est souvent la résultante de conflits entre forces antago-nistes, l'ordre et le désordre. Cependant, dans laThéogonied'Hésiode, le chaos originel n'est pas un ensemble en conflit avec l'ordre, mais plutôt une entité renfermant l'ensemble des éléments à venir, mélangés. ƒAutres Dans la majorité des cosmogonies traditionnelles, les créateurs sont un ou des dieux anthropo-morphes qui génèrent l'Univers et l'homme par la parole, le geste, un membre, des sécrétions...
Gymnase de Nyon 2004 © Daniel Gloor -3 Aujourdhui, la cosmogonie moderne a, dune certaine manière, remplacé les dieux par les lois de la physique et de la chimie, et tente de dépasser les principes anthropomorphes des mythes traditionnels. 2. Étapes classiques de création du monde La majorité des mythes ne présupposent pas l'existence d'un Univers incréé, immuable et éternel, mais suggèrentdes étapes et des devenirspossibles : ƒ(rien) ou du chaos ou de l'inconnu ;apparition de l'Univers à partir du vide ƒl'espace, de la lumière et de la matière. À partir du chaos primordialnaissance du temps et de inerte, les éléments, eau, terre, feu et air (en Occident ; dans d'autres cultures, les éléments fon-damentaux sont organisés différemment) s'animent ; ƒapparition de la vie à partir de la rencontre et du mélange de ces éléments ; ƒpossibilité de création d'un nouvel Univers après un cataclysme mondial. Aux mythes cosmogoniques répondent les mythes eschatologique, qui décrivent la fin du monde. B. Création et mythes de la création Dune manière générale, on peut dire que tout mythe raconte comment quelque chose est venu à lexistence : le monde, lhomme, telle espèce animale, telle institution sociale. Mais du fait que la création du monde précède toutes les autres, la cosmogonie jouit dun prestige spécial. Le mythe cosmogonique sert de modèle à tous les mythes dorigine. La création des animaux, des plantes ou de lhomme présuppose, en effet, lexistence dun monde. Même dans les cas où il nexiste pas de mythe cosmogonique au sens strict du terme (comme en Australie), il existe toujours un mythe cen-tral qui raconte les commencements du monde, ce qui sest passé avant quil soit devenu tel quil est aujourdhui. On trouve donc toujours une histoire primordiale, et cette histoire a un commence-ment: le mythe cosmogonique proprement dit ou un mythe qui nous présente le premier état, lar-vaire ou germinal, du monde. 1. Typologie des mythes cosmogoniques Il existe un assez grand nombre de thèmes et variantes cosmogoniques, mais les plus importants se laissent classer en quatre catégories. 1. Les mythes décrivant la création du monde par la pensée, la parole (le «verbe») ou l«échauffement» dun dieu. 2. Les mythes mettant en vedette le «plongeon» cosmogonique : Dieu, un animal ou un personnage mythique plonge au fond de lOcéan primordial et en rapporte un peu de glaise, à partir de laquelle est formée la Terre. En Sibérie et dans lAsie centrale, ces mythes ont reçu une interprétation dua-liste. 3. Les cosmogonies qui expliquent la création par la division dune matière primordiale non diffé-renciée. On distingue au moins trois variantes importantes : a) lunité primitive représente le couple Ciel-Terre étroitement embrassé, et leur séparation équi-vaut à un acte cosmogonique (thème connu également sous le nom de «Parents du monde») ; b) létat originel est décrit comme une masse amorphe, le Chaos ;
Gymnase de Nyon 2004 © Daniel Gloor -4 c) lunité primordiale est imaginée comme un uf englobant la totalité cosmique, ou comme un uf flottant dans lOcéan primordial. La Création commence avec la division de luf.
4. La cosmogonie comme résultat du démembrement dun géant anthropoforme ou dun monstre marin ophidien. Il importe de distinguer deux types différents :
a) limmolation librement consentie, ou supposée telle, dun être primordial anthropomorphe (Pu-rusha, dans la mythologie védique ; Pan Gu, dans les traditions chinoises, etc.) ;
bdun dieu contre un monstre marin, suivi de son morcellement (Tiamat,) le combat victorieux dans la mythologie mésopotamienne).
Cette classification sommaire ne recouvre pas la totalité des mythes cosmogoniques ; en outre, il faut tenir compte du fait que certains thèmes peuvent être classés en plusieurs catégories.
2. Création par la pensée, la parole et léchauffement dun dieu
Selon un mythe des Indiens Winnebago, le Père créa le monde par la pensée. Il pensa et désira la lumière et la Terre  et la lumière et la Terre apparurent. Les Omaha estiment que «au commence-ment, toutes les choses étaient dans la pensée de Wakonda. Toutes les créatures, lhomme inclus, étaient des esprits.» Finalement Wakonda créa la Terre, et alors «les esprits descendirent et devin-rent chair et sang». Les Uitoto de la Colombie ont élaboré une cosmogonie encore plus audacieuse : au commencement, tout était «apparence, phantasme, illusion». Le Père lui-même rêvait, mais par le truchement de ses rêves il réussit à capturer ces phantasmes et les transforma en réalités palpa-bles. Ainsi le monde vint à lexistence.
Un mythe cosmogonique polynésien décrit un commencement où nexistaient que les Eaux et les Ténèbres. Io, le Dieu suprême, sépara les Eaux par la puissance de la pensée et de ses paroles, et créa le Ciel et la Terre. Il dit : «Que les Eaux se séparent, que les Cieux se forment, que la terre soit !»  et aussitôt apparut la lumière. Une cosmogonie similaire se rencontre en Égypte, élaborée sur-tout dans la théologie memphite : le dieu Ptah créa lUnivers par soncur(cest-à-dire son esprit et sa volonté) et par salangue(son Verbe).
Quant à la création par léchauffement (et la sudation) dun être divin, le mythe est attesté surtout dans les cosmogonies des Indiens de lAmérique du Nord. Mais le thème se rencontre également dans les traditions védiques et brahmaniques. Selon le fameux hymne duRig Veda, X, 129, au commencement il nexistait ni le Non-Être ni lÊtre ; dans les ténèbres et lindistinct lUn prit nais-sance par léchauffement. LeShatapatha Brâhmanaexplique lapparition de luf dor comme le résultat de l«ardeur» des Eaux primordiales. Selon leTaittirîya Brâhmana, «au commencement rien nexistait. Le Ciel nexistait pas, ni lespace intermédiaire. Le Non-Être seul existant se fit es-prit en disant : «Que je sois.» Il séchauffa ; de cet échauffement naquit la fumée. Il séchauffa da-vantage ; de cet échauffement naquit le feu. Par échauffement progressif naissent la lumière, puis les éléments, finalement Prajâpati, qui créa tout lUnivers.
Un thème similaire est la création par émanation ou par la transformation de lêtre divin en un agent cosmique actif. Les cosmogonies par émanation ont été élaborées surtout dans lÉgypte ancienne. La création par la transformation de lêtre divin présente de nombreuses variantes. En voici un exemple typique, emprunté à la mythologie Zuni : au commencement, il nexistait que Awonawilo-na, le Créateur. Il se transforma en Soleil, et, de sa propre substance, il produisit deux germes avec lesquels il imprégna les Eaux. Une écume apparut sur les vagues, qui donna forme plus tard au Père-Ciel et à la Terre-Mère.
Gymnase de Nyon 2004 © Daniel Gloor -5 Lélément commun de toutes ces cosmogonies est lidée que le monde dérive directement du Créa-teur : de ses rêves, de sa pensée, (ou de son cur), de son verbe, de sa transpiration («échauffe-ment») de sa substance. La puissance démiurgique du Créateur se manifeste indifféremment par son «esprit» (rêve, pensée, verbe) ou par son «corps» (sueur, transformation, émanation). Seulement dans les spéculations cosmogoniques indiennes, la puissance créatrice de léchauffement («lardeur» obtenue par lascèse) semble précéder lapparition de lÊtre et, par conséquent, du prin-cipe créateur.
3. Le plongeon cosmogonique Éléments communs
Le scénario comporte les éléments suivants : au commencement nexistaient que les Eaux ; Dieu ordonne à un animal amphibie de plonger au fond de lOcéan et de lui rapporter une poignée de terre ; à la troisième immersion, lanimal réussit à rapporter un peu de glaise, et avec cette infime particule Dieu forme la Terre. Il sagit très probablement dun mythe cosmogonique fort ancien, car sa diffusion est considérable. Dans lInde, lanimal plongeur est un sanglier. Il descend au fond des Eaux et soulève la Terre. Mais lidentité de ce sanglier cosmogonique a été différemment interpré-tée au cours des âges. LaTaittirîya Samhitâprésente Prajâpati se mouvant comme le vent au-dessus des vagues. Il vit la Terre et, se transformant en sanglier, descendit dans les profondeurs et la soule-va. LeTaittirîya Brâhmanadonne plus de précisions : au commencement, alors que nexistaient que les Eaux, Prajâpati vit une feuille de lotus et pensa : «Il y a quelque chose sur quoi elle repose.» Il prit la forme dun sanglier, plongea et trouva de la terre. En détachant une partie, il revint à la sur-face et létendit sur la feuille de lotus. Dans leRâmâyanace rôle est dévolu à Brahmâ. Mais, dans le Vishnu Purâna,la coalescence entre Brahmâ et Vishnu est déjà parfaite : Brahmâ-Vishnu, sous la forme dun sanglier, descend au fond de lOcéan et soulève la Terre. Dans leBhâgavata Purânale sanglier est un avatar de Vishnu.
Le fait que cest un grand dieu qui plonge sous laspect thériomorphe souligne larchaïsme du my-the (en effet, on ne trouve pas ce motif chez les peuples pasteurs de lAsie centrale). Le mythe du plongeon cosmogonique est attesté chez plusieurs populations aborigènes de lInde, surtout chez des tribus Munda. Voici comme le racontent les Birhor du Chota Nagpur : lesprit suprême Sing-bonga, qui se trouvait dans le monde inférieur, séleva à la surface des Eaux par la tige creuse dun lotus. Il sassit sur la fleur de lotus et ordonna à la tortue de lui apporter du fond un peu de limon. La tortue sexécuta, mais, dans sa remontée vers la surface, le limon fut lavé. Singbonga intima alors au crabe lordre de plonger. Celui-ci rapporta du limon dans ses pattes, mais, comme la tortue, il le perdit en remontant. Finalement, Singbonga envoya la sangsue : elle avala un peu de limon et le dégorgea dans la main de lEsprit suprême, qui en fit la Terre. Des mythes plus ou moins similaires sont attestés chez les Santals, en Assam, et chez les Négritos Semang de la péninsule malaise. Spo-radiquement, le mythe du plongeon cosmogonique se rencontre en Indonésie et en Mélanésie. En Micronésie le mythe subit un processus dérosion et de contamination avec dautres motifs mythi-ques et finit par disparaître.
La création du dieu et les forces du mal
Dans les mythes des Indiens de lAmérique du Nord, les animaux plongeurs sont des oiseaux aqua-tiques, mais aussi des quadrupèdes nageurs, des crustacés, des poissons. En Sibérie et dans lAsie centrale, le thème de limmersion est intégré dans une cosmogonie «dualiste». Selon un mythe sa-moyède, Num, le Dieu suprême, ordonne à des cygnes et à des oies de plonger, afin de voir sil existe de la terre au fond des Eaux. Les oiseaux reviennent sans avoir rien trouvé. Dieu dépêche alors le plongeur polaire. Après six jours celui-ci revient à la surface : il a aperçu de la terre, mais il navait plus la force den rapporter. Loiseauljuruplonge à son tour et, le septième jour, il revient avec un peu de boue dans son bec. Alors que Num avait déjà créé la Terre, «de quelque part» arriva
Gymnase de Nyon 2004 © Daniel Gloor -6 un «vieux» qui lui demanda la permission de se reposer. Num commença par refuser, lui intimant de plonger et de se procurer de la terre, mais, finalement, il céda. Le matin, il surprit le vieux sur le bord de lîle, en train de la détruire. Il en avait déjà détruit une bonne partie. Num le somma de sen aller, mais le vieux demanda autant de terre quil pouvait en couvrir avec la pointe de son bâton. Il disparut dans ce trou, après avoir déclaré que dorénavant il habiterait là et ravirait les hommes. Consterné, Num reconnut son erreur : il avait pensé que le vieux voulait sinstallersurla Terre, et non passouselle. La leçon secrète du mythe est que Num na rien à voir avec les forces du mal qui ravagent sa création et nest pas non plus directement responsable de la mortalité des humains.
Élaborations dualistes
Dans dautres mythes, Dieu nest plus seul à planer au-dessus des Eaux. Il rencontre un homme ou le Diable, et lui ordonne de plonger et de lui rapporter une poignée de terre. Le Diable essaie de garder la terre pour lui seul, ou, une fois la création achevée par Dieu, sefforce de la ruiner. Il réus-sit à introduire le mal dans le monde, et pour cette raison Dieu le maudit. Par là il se révèle lennemi à la fois de Dieu et des hommes. Ainsi, dans un mythe des Tatars de lAltaï, Dieu et lhomme na-geaient ensemble sous la forme doies noires. Dieu envoya lhomme chercher du limon. Mais lhomme en garda un peu dans sa bouche, et lorsque la Terre se fut mise à grandir, le limon com-mença à gonfler. Il fut obligé de le cracher, donnant ainsi naissance aux marais. Dieu lui dit : «Tu as péché, et tes sujets seront mauvais. Mes sujets seront pieux.»
Attesté aux confins orientaux de la Sibérie (Samoyèdes, Tchouktches, Yukagirs), le mythe cosmo-gonique «dualiste» connaît une énorme diffusion en Asie centrale et septentrionale, aussi bien chez les Turcs (Altaïques, Tatar-Lebed, etc.) que chez les Mongols (Mongols et Bouriates). On le ren-contre également chez les peuples ougriens de la Russie européenne (Ostyaks, Vogouls, Tchere-miss, Mordvins) et, intégré dans le folklore chrétien, en Ukraine, en Pologne, chez les Baltes, les Finlandais, les Roumains et les Bulgares. O. Dähnhardt et Uno Harva croyaient que ce mythe était le résultat de lamalgame de deux motifs différents : le thème des Eaux primordiales, originaire de lInde, et le thème dualiste, dorigine iranienne. Lamalgame se serait effectué en Iran ; de là, par lintermédiaire de sectes chrétiennes hérétiques, le mythe aurait été diffusé dans lAsie centrale, en Sibérie et, finalement, en Amérique du Nord. Lhypothèse ne simpose pas, car le mythe nest pas attesté en Iran, là où, selon Dähnhardt, aurait pris place la fusion des deux motifs. En outre, il im-porte de tenir compte des faits suivants : que lélément «dualiste» nest pas organiquement dépen-dant du thème du plongeon cosmogonique ; quil est imprudent de faire dériver toute forme dantagonisme du dualisme iranien. À des niveaux de culture sensiblement plus anciens que le dua-lisme iranien, plusieurs formes dantagonisme sont déjà attestées (conflit Lumière-Ténèbres, mytho-logies lunaires, etc.). Bien que lopposition entre deux êtres surnaturels soit longuement évoquée dans de nombreux mythes nord-américains, il est significatif que ce thème ne soit jamais intégré dans le mythe du plongeon cosmogonique.
Dépendant de limage des Eaux primordiales, le thème du plongeon cosmogonique doit être très an-cien. Il sest vraisemblablement diffusé à partir dun centre unique. La pénétration du mythe en AmériqueavantleIIIemillénaireindiquequilétaitdéjàconnudespopulationspréhistoriquesdelAsie centrale et septentrionale. Très probablement, la forme originelle du mythe présentait le Créateur plongeant lui-même au fond des Eaux, sous la forme dun animal, pour en ramener la substance nécessaire à la création de la Terre. Cette forme se rencontre dans lInde et dans quelques versions nord-asiatiques et nord-américaines.
Lépisode du Créateur thériomorphe plongeant au fond de lOcéan a été élaboré plus tard, dans ce quon pourrait appeler la deuxième phase du mythe, en ces termes : le Créateur envoie plonger des animaux, ses serviteurs ou ses auxiliaires. Cest à partir de cette deuxième phase que se développent les possibilités dramatiques et, en dernière instance, «dualistes» du plongeon cosmogonique. Les péripéties du plongeon et de luvre cosmogonique qui lui fait suite sont invoquées désormais pour
Gymnase de Nyon 2004 © Daniel Gloor -7 expliquer les imperfections de la Création. Comme ce nest plus le Créateur lui-même qui plonge pour se procurer la substance de la Terre, mais que la besogne est accomplie par un de ses auxiliai-res ou un de ses serviteurs, il devient possible dintroduire dans le mythe, grâce justement à cet épi-sode, un élément dinsubordination, dantagonisme ou dopposition. Linterprétation «dualiste» de la Création a été rendue possible par la transformation progressive de lauxiliaire thériomorphe de Dieu en son «serviteur», son «compagnon», et finalement son adversaire.
4. La division de la matière primordiale Les Parents du monde
Selon la tradition transmise par Hésiode dans saThéogonie, «Terre [Gaïa], elle, dabord enfanta un être égal à elle-même, capable de la couvrir tout entière, Ciel [Ouranos] étoilé, qui devait offrir aux dieux bienheureux une assise sûre à jamais» (trad. P. Mazon). Ce couple primordial donna nais-sance à la famille innombrable des dieux, des cyclopes et des autres êtres mythiques. Comme il les «haïssait dès le premier jour», Ouranos les cachait dans le corps de la Terre (Gaïa), qui souffrait et gémissait. Encouragé par Gaïa, le dernier des enfants, Kronos, attend que son père sapproche de la Terre, comme il le faisait toujours à la tombée de la nuit, lui coupe lorgane générateur et le jette dans la mer. La mutilation dOuranos met un terme à ses créations et, par là même, à sa souveraine-té. Ouranos, le Ciel, séloigne définitivement de la terre.
Le motif cosmogonique du couple primordial Ciel-Terre est présent dans beaucoup de mythologies. Les Maoris appellent le Ciel Rangi et la Terre Papa ; au commencement, pareils en cela à Ouranos et à Gaïa, ils étaient réunis en un étroit embrassement. Les enfants qui étaient nés de cet accouple-ment sans fin et qui, assoiffés de lumière, tâtonnaient dans les ténèbres, se décidèrent à séparer leurs parents. Cest ainsi quun beau jour ils coupèrent les tendons qui reliaient le Ciel à la Terre et pous-sèrent leur père de plus en plus haut, jusquà ce que Rangi fût projeté dans lair et que la lumière fît son apparition dans le monde.
Le mythe des «Parents du monde» est extrêmement répandu en Asie du Sud-Est et en Océanie, de lIndonésie jusquen Micronésie. Le motif de la séparation brutale du Ciel et de la Terre réapparaît parfois sous une forme différente ; à Tahiti, par exemple, on croit que cette opération a été effectuée par une plante qui, en poussant, a élevé le Ciel. Le thème des «Parents du monde» se rencontre éga-lement en Afrique et dans les deux Amériques. Il sagit, à coup sûr, dun motif archaïque. Selon la tradition sumérienne, au commencement le Ciel et la Terre étaient confondus  et le dieu Enlil les sépara. La présence dun mythe semblable est attestée en Égypte : la Terre et le Ciel se tenaient étroitement embrassés, le dieu Geb sous la déesse Nout. Leur père, Chou, les sépara, en haussant par-dessus sa tête la déesse qui devint la voûte céleste.
Le Chaos
Selon Hésiode (Théogonie, 116), le Chaos était avant toutes les choses. Il consistait en brumes et ténèbres, et donna naissance à Erebos et Nuit, à Éros et Désir. Dans les cosmogonies orphiques, Ai -ther et Chaos furent engendrés par Chronos (le Temps) ; du Chaos se forma un uf dargent duquel sortit Phanes (Éros). Ces deux conceptions cosmogoniques trahissent une origine orientale. En effet, selon les traditions phéniciennes telles que les ont transmises Sanchoniaton et Mochos, Chaos était le principe primordial. En sunissant à lEsprit, il produisit le Désir. À son tour, le Désir se combina avec le Chaos et lEsprit et engendra Mot (terme généralement rattaché àmo, eau). Celui-ci donna naissance à un uf qui contenait en germe lUnivers tout entier. Luf se brisa en deux : une moitié devint le Ciel, lautre moitié la Terre.
Dans nombre de mythologies, létat originaire est présenté comme un vide, un abîme primordial, enveloppé dans les ténèbres. (Le terme utilisé par Hésiode,chaos, est apparenté àchasma, abîme.)
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