Dénombrement, pluriel, singulier - article ; n°2 ; vol.1, pg 117-130
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Description

Faits de langues - Année 1993 - Volume 1 - Numéro 2 - Pages 117-130
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 63
Langue Français
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Extrait

Laurent Danon-Boileau
Dénombrement, pluriel, singulier
In: Faits de langues n°2, Septembre 1993 pp. 117-130.
Citer ce document / Cite this document :
Danon-Boileau Laurent. Dénombrement, pluriel, singulier. In: Faits de langues n°2, Septembre 1993 pp. 117-130.
doi : 10.3406/flang.1993.1311
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/flang_1244-5460_1993_num_1_2_1311LE PLURIEL DANS L'ENSEMBLE
DES OPÉRATIONS CONSTITUTIVES
DE L'ÉNONCÉ
Dénombrement, pluriel, singulier
LAURENT DANON-BOILEAU*
Pour un linguiste, la notion de nombre renvoie à trois ordres de pro
blèmes assez différents d'une part la formation des noms de nombre, d'autre
part le champ relatif à l'opposition entre dénombrables et indénombrables
(d'où vient qu'en français par exemple on ne dit pas « deux courages » aussi
aisément que l'on dit « deux fleurs » ?). A cela il faut enfin ajouter la ques
tion du pluriel du verbe, laquelle pose à son tour celle de l'itération d'événe
ments d'un côté et de l'accord avec le sujet (ou l'objet) de l'autre. Je me
bornerai ci-après aux deux premiers ordres de questions.
1 I PROCESSUS COGNITIFS ET NOMS DE NOMBRES
II existe un lien entre les noms des nombres et le processus cognitif de
comptage. Pour le saisir il convient de ne pas réduire ce dernier à une simple
enumeration. Tout semble se déployer entre l'œil qui regroupe et la main
qui distingue. Chacun des deux outils concourt au calcul sans relever des
mêmes aptitudes. Ainsi certains malades qui savent en gros jauger que la
somme de 55 et 33 se situe entre 90 et 100 sont incapables de calculer la
* Université de Paris Ш - Centre Alfred Binet
Faits de langues, 2/1993 Laurent Danon-Boileau 118
valeur exacte de 88 (Dehaene 1991 p.18-19). Ce fait n'avait pas échappé à
la perspicacité de Biihler qui notait déjà chez les enfants une faculté
d'apprécier au juger la valeur d'un ensemble d'éléments dispersés (des
pions sur une table), sans pour autant énumérer (Biihler 1930 p. 82). Que
fait l'œil qui jauge ? Il construit sans doute des configurations régulières
dans un ensemble informe: avec deux points, il fait une ligne, avec trois
points un triangle. En tout cas, il opère une sorte de puzzle silencieux qui
bâtit une cohérence de contour dans une masse initialement amorphe. L'œil
regroupe, retrouve, complète, construit. Ce qui pourrait faire saisir que dans
les langues indo-européennes les noms de nombres jusqu'à quatre varient en
genre, en nombre et en cas: ils indiquent en somme la « numérosité » de
l'ensemble dénombré tout comme le ferait un adjectif de couleur ou de
forme.
Sur le contour circonscrit, le doigt peut ensuite confirmer le travail en
égrenant d'un geste identique les items dont se constitue le tout.
Souvent les systèmes de numération conservent encore la trace de la dual
ité du processus cognitif, celle qui permet le regroupement en figures
reconstruites par l'œil (elle se manifeste d'ordinaire sur des horizons de six
ou de douze), et celle qui permet Г enumeration reposant sur l'usage des
doigts (elle procède par dizaines). D'où des « anomalies » incessantes. En
voici quelques exemples: en français, de 11 à 16, l'annonce de l'unité précè
de celle de la dizaine (on-ze, dou-ze,.sei-ze) et ne se conforme à l'ordre
d'écriture qu'à partir de 17 (dix-sept). De dix-sept à dix-neuf, l'unité et la
dizaine ne sont pas reliées par le « et ». On dit « vingt et un » et non « vingt-
un » alors que l'on dit « dix-neuf » mais non « dix et neuf ». Par ailleurs les
dizaines entre cinquante et cent, même si la francophonie n'est pas unanime
sur le choix, sont également irrégulières « soixante-dix » plutôt que « sep
tante », « quatre-vingts » plutôt qu'« octante », « quatre-vingt-dix » plutôt
que « nonante ». Enfin, la terminaison de la dizaine entre dix et dix-sept (on
ze, dou-ze, trei-ze, quator-ze) diffère de celle que l'on trouve au dessus de
vingt (quar-ante, cinq-ante, soix-ante). L'anglais n'est guère plus régulier :
« eleven » (1 1) et « twelve » (12) viennent de « one-lif » « two-lif » c'est-à-
dire « one-left » « two-left » (un reste, deux restent), mais cela ne se pours
uit pas au-delà de « thir-teen » (13). De 13 (thirteen) à 19 (nineteen) à nou
veau, et comme en français jusqu'à sei-ze, la dizaine précède l'unité : on ne
dit pas « ten-nine », alors que l'on dit « twenty-nine » et non « nine-twent
y ». En outre la marque de la dizaine en deçà de vingt (seven-teen, eigh
teen, nine-teen) est différente de celle que l'on rencontre au delà de vingt
(four-ty, fif-ty, six-ty).
Pour expliquer toutes ces constructions, qui contrastent fortement avec la
régularité du système écrit, on avance en général l'idée d'une concurrence pluriel, singulier 119 Dénombrement,
entre système duodécimal et système décimal. Mais ceci, même pour
l'anglais, reste insatisfaisant. Si l'idée permet à la rigueur de rendre plus
naturelle la rupture qui survient entre « twelve » et « thirteen », elle
n'explique pas le sens même du mot « twelve » : « two-left » (deux restent),
puisque, en base duodécimale, 12 ne correspondrait à aucun « reste » ; ce
serait une unité de rang supérieur. L'explication réside dans les modes de
dénombrement plutôt que dans les bases. S'il est vrai que chaque manière de
compter trouve à s'incarner de façon privilégiée dans un type de base- la
base de dix pour la main, la base de six ou de douze pour l'œil- le nom de
nombre révèle surtout un effort pour conserver les méthodes de l'œil malgré
le passage uniforme au système de la main. En dessous de 20, par exemple,
l'œil cherche à retrouver dans un tas la forme de la dizaine ou d'un multiple.
L'écart avec la collection-type fait alors figure d'obstacle à l'assimilation,
soit par manque, soit par surplus: 18, en latin, se dit duodeviginti, et peut se
gloser par « il manque deux à ce que je dénombre pour y retrouver la collec
tion type de la double dizaine » ; le twelve anglais, « two-left » (deux de
chute), incite à voir dans douze ce qui pourrait s'identifier à la collection
type de dix, à condition de laisser deux unités de côté. Dans l'un et l'autre
cas la technique de l'œil s'applique, mais la base de référence reste dix ou
son premier multiple.
2 I DÉNOMBREMENT ET INDIVIDUS
Bien entendu, des processus de dénombrement (et des noms de nombre)
aux opérations correspondant à la catégorie linguistique qui porte le même
nom, il y a solution de continuité. On peut être tenté de la méconnaitre en
rapportant l'opposition dénombrable / indénombrable à la nature des réfé-
rents par exemple. Ainsi Langacker (Langacker 1987, cité 1991 p.122) pro-
pose-t-il de réputer seulement dénombrable ce qui ne peut pas se couper
n'importe où : un tas de farine coupé en deux reste un tas de farine, donc il
n'est pas dénombrable, et ne peut pas se mettre au pluriel, un chat
coupé en deux n'est plus un chat, donc il est dénombrable, et chat peut se
mettre au pluriel. Cette problématique fonde la question du nombre sur le
postulat réaliste d'individu, lequel est défini comme une entité qui n'est pas
pareille en tous sens. A cela, plusieurs objections: tout d'abord, dans cer
taines langues comme l'arménien ou le san (voir ici même les articles
d'A. Donabedian et de S. Platiel), l'usage du pluriel ne va pas nécessaire
ment de pair avec la construction d'un réfèrent constitué d'un ensemble
d'individus. Alors que le pluriel existe pour la notion correspondant à 1 20 Laurent Danon-Boileau
« homme », on pourra dire « j'ai vu 3 homme-0 » sans faire recours à la
marque du pluriel pour « homme », ce qui montre nettement que le pluriel
n'est pas constamment explicable par le recours à l'idée de « n » fois « un ».
Il ne sanctionne pas un comptage et ne repose pas nécessairement sur le
préalable d'une constitution d'individus.
3 I COMPARAISON <

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