Mise en page 1 - Musée des Confluences
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  • cours - matière potentielle : l' audience grâce
37L E S C A H I E R S D U M U S É E D E S C O N F L U E N C E S - L ' A U T H E N T I C I T É 1 VÉRITÉ ET AUTHENTICITÉ EN JUSTICE Denis Salas,Magistrat, secrétaire général de L'Association Française pour l'Histoire de la Justice. L'AUTHENTICITÉ : entre désir et recherche Résumé : La justice restauratrice, surtout développée dans les pays anglo-saxons, est un moyen de redonner son authenticité à l'acte de justice.
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Extrait

1 L'AUTHENTICITÉ : entre désir et recherche VÉRITÉ ETAUTHENTICITÉ EN JUSTICE Denis Salas,Magistrat, secrétaire général de L'Association Française pour l'Histoire de la Justice.
Résumé :La justice restauratrice, surtout développée dans les pays anglo-saxons, est un moyen de redonner son authenticité à l’acte de justice. Son but est de répondre aux besoins des personnes réelles et non à des acteurs de la procédure judiciaire. À la honte ressentie par les victimes, elle oppose la reconnaissance. À l’an-goisse insupportable, elle propose une confrontation à la vérité. À la dette infinie consécutive à la perte, elle offre de réparer les dommages causés à tous.
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Abstract :Restorative justice, mostly developed in Bri-tish and American countries, is a means to restore some authenticity to the act of justice. Its purpose is to meet the needs of real persons rather than those of the actors of the judiciary process. Opposed to shame, victims feel gratitude. Opposed to intolerable anguish, truth must be faced. Opposed to the endless liability following the loss, it offers to repair the harm done to everybody.
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’utopie de la justice « restauratrice » née dans le humanistes. Ce mouvement reste minoritaire et ses réa-monde anglo-saxon, s’oppose radicalement à la lisations limitées. L’initiative vient souvent de profes-justice pénale qui divise le monde en bourreaux et sionnels qui inventent des réponses inspirées par une L victimes. Son vocabulaire traduit l’ambition de sagesse pratique en marge du système pénal. Cette uto-retrouver la réalité du conflit et l’authenticité d’une pie modeste n’en est pas moins universelle. Elle veut réparation. Les infractionspunies d’unepeinedevien- sortir de l’équivalence pénale qui oppose sans fin un nent desoffensessusceptibles deréparation.mal subi (la Son ambi- peine) à un mal commis (l’infraction). Car si tion est de répondre avant tout aux besoins des victimes seul le mal répond au mal, quand celui-ci finira-il ? Sa en cherchant à réintégrer les force est de répondre aux auteurs avec la participation deDenis Salas est Magis-besoins authentiques des per-ouvre se nomme « conférence »,scène judiciaire. À la honte la communauté. L’espace qu’elle sonnes non des acteurs de la trat, Secrétaire général de L’Association Française « cercle », « médiation ». Ce sont ressentie, elle oppose la recon-pour l’Histoire de la Justice des lieux où la parole circule et naissance et l’exigence d’une qui a pour objet de « pro-d’où la solution jaillit. Ce n’est rencontre. À l’angoisse insup-mouvoir et développer l’his-pas un hasard si ce concept portable du « pourquoi moi ? », inconnu en France, vient destoire de la justice, y compriselle répond par une confronta-pays anglo-saxons. Il traduit unecelles des institutions etla vérité. En réponse à lation à volonté de rompre avec les dette infinie de la perte, elle professions judiciaires », excès de la justice pénale appli- offre de réparer les dommages afin de m ieux la faire quée aux populations autoch- causés à tous. connaître du grand public. tones au Canada, en Australie et provinces canadiennes en effet, alors que le taux d’amé-Satisfaire les besoins authentiques aux États-Unis. Dans certaines rindiens est de 20% il est de 75% pour ce qui est de la Comment parvenir à une satisfaction des besoins population carcérale. Peut-être cette démarche a-t-elle authentiques des personnes impliquées en justice pour origine la mauvaise conscience à l’égard des quelles soient victimes ou auteurs ? L’important est de peuples colonisés. Résidant au Kenya, Karen Blixen briser les schémas punitifs et les représentations qui dansLa Ferme africaineopposent les déplorait qu’on infligeait aux délinquants et les victimes. Il montre bien seuls Massaïs des amendes parce qu’au bout de deux le pari de cette voie alternative à la justice : redonner les mois en prison, ces hommes du vent et de la plaine se moyens à l’auteur de reprendre pied dans sa vie pour le 1 laissaient mourir. mettre en état de réparer sa dette à l’égard de la victi-me. Peut-on se reconnaître dans un système pénal qui Mais il ne faudrait pas voir dans la justice restauratrice ressemble à un miroir brisé ? Celui-ci est façonné pour une arme de guerre contre les politiques pénales anti- renvoyer l’image du délinquant depuis l’arrestation jus-
1 : Karen Blixen,La ferme africaine(1937, trad.Y. Manceron), Folio, p. 199.
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qu’à l’incarcération. Il sépare radicalement les auteurs et les victimes en infligeant avant tout une peine à l’au-teur sans dédommager la victime. Cette grille de lecture n’en autorise aucune autre. À ce qui est arrivé à la victi-me dans le registre de la perte affective, il est répondu par le formalisme d’une « procédure » achevée dans le registre d’une « peine ». Comment retrouver l’expérien-ce de la relation comme moyen de sortir d’une offense ? À cet appel, il n’est répondu qu’à travers un formalisme juridique qui n’ouvre qu’une issue : l’indemnisation qui banalise un drame subjectif telle une créance qui serait ainsi « liquidée ».
Donner, recevoir, rendre Il est possible de réhabiliter une personne en reconstrui-sant autour de lui des figures positives capable de lui faire confiance. La justice pénale est un concentré d’hostilité de la société à son égard. La justice restaura-trice, au contraire, réinvestit ses capacités. Ce qui sup-pose que tout individu est reconnu à partir du moment où il a quelque chose à recevoir et à rendre. Sa liberté est à la mesure de la confiance ce qui est, selon le phi-losophe américain John Dewey, le ressort éducatif de la démocratie. Son but est de donnerà chaque homme une chance renouvelée de redevenir une personne. Ainsi il lui sera possible derendre,notamment, en dédomma-geant la victime.
Sortir de la honte Quant aux victimes (surtout d’atteintes graves) contrai-rement aux apparences, elles ne veulent pas rendre le mal pour le mal. Au-delà d’un désir vindicatif immédiat, elles cherchent un dialogue sur leur agression. Il leur faut sortir de « l’entre deux mondes » où elles se vivent
abîmées par l’agression, enfermées dans le choix trau-matique. Elles demeurent dans la posture de cet « homme de la honte » qui s’éprouve comme « rien » face à l’agression qui l’anéantit. Elles crient moins vengean-ce qu’elles ne demandent d’être reconnues par l’institu-tion chargée de réagir en leur nom. Souvent, incapable d’élucider les affaires, celle-ci porte les échecs et les attentes déçues. L’audience est un lieu de parole dont l’enjeu est la maîtrise aléatoire de la violence subie. Ce qui renforce la condition tragique de la victime qui subit 2 un acte d’hostilité pure, sans auteur et sans réponse.
Reconstruire une relation Une justice qui réduit la réparation à un rapport de créance et de dette s’apparente à un déni de reconnais-sance. Les rencontres entre auteurs et victimes qui se pratiquent en Amérique du Nord, depuis le début des années 1980 (Victim Offender réconciliation Program), tentent d’apporter une autre réponse. Elles visent à mettre entre parenthèse les rôles assignés par la justice pénale. Elles refusent une bureaucratie qui détourne les conflits, culpabilise au lieu de réparer, monétarise les préjudices. La lutte contre le crime, selon elles, pro-voque une fracture pénale, morale, sociale dont l’État est le seul bénéficiaire. Il faut donc agir en vue d’une réorientation des gestes professionnels, des pratiques, du langage, bref de la finalité même de l’acte de justice.
La démarche restauratrice tourne le dos à la réduction chiffrée du nombre de victimes sans cesse invoquée au soutien des politiques pénales dures. Si leur point de départ est le même - toutes les deux ont le même souci des victimes – leur finalité est diamétralement opposée. Il fallait prendre le contre-pied de cette équation utilita-riste oùles chances d’une arrestationou ladurée d’une
2 : Voir Dominique Dray,Victimes en souffrance, une ethnographie de l’agression, LGDJ, 1999.
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incarcérationréduisent les opportunités prédatrices. Les tenants de la justice restauratrice présentent leur « bilan » : les innombrables victimes « épargnées » par une libération conditionnelle bien préparée ou, tout sim-plement, par les condamnés qui se réinsèrent et rem-boursent les parties civiles. Aux réponses immédiates, ils opposent la voie longue de la reconstruction non moins efficace.
La vérité comme enjeu Le paradoxe est cruel. Malgré l’antagonisme qui les sépare, les victimes attendent beaucoup de leur agres-seur. Les questions les plus pesantes qu’elles se posent s’adressent d’abord à lui. Les jeux de rôle d’un procès ne permettent pas de donner satisfaction à cette attente. Quand il se sent persécuté, l’accusé se mure dans le silence. Il se défend, refoule son acte, cherche avant tout à limiter les dégâts. Les lettres d’excuses présen-tées par leur avocat avant les délibérations du jury n’abusent personne. C’est rarement pendant le procès, plus souvent en marge de celui-ci ou longtemps après le verdict, que peuvent émerger les questions latentes.
« Pourquoi moi ? » Frappée par le mal directement, ou à travers un proche, encore sous le choc traumatique, la première réaction des victimes est violente, imprécatoire, à la mesure de leur détresse. Impossible de réaliser mentalement ce qui est arrivé. Encore moins de comprendre pourquoi elles sont frappées, elles et nul autre. Elles font l’expé-rience de l’absurdité du mal. La question du « pourquoi moi ? » résume le sentiment d’avoir commis une faute obscure et se formule aussi dans la question « qu’ai-je fait pour mériter cela ? » Très vite elles réalisent qu’elles sont face à une tragédie, que leur vie a basculée en un instant, que les conséquences sont incalculables. C’est
alors que vient l’illusion vindicative d’une peine si forte, si longue, si dure qu’elle pourrait effacer le mal qui les frappe.« Moi ma fille est dans la tombe et lui il vivrait en prison, espérerait retrouver la liberté un jour ».Resurgit la vieille fonction de l’équivalence pénale qui permet-trait seule d’effacer le mal subi par le mal infligé en retour. Il est démagogique de flatter ce sentiment et de promettre un surcroît de sévérité pénale. En réalité, on ne peut faire l’économie d’un temps long qui vise à déculpabiliser la victime, à mitiger cette résonance, à s’écarter des affects.
La condition tragique de la victime, fort heureusement, n’est pas sans issue. Le fait denommer l’actepar une autorité instituée peut arrêter l’engrenage des passages à l’acte où un acte succède à un autre acte dans le mimétisme de la violence. Dire ceci est une infraction, c’est aussi dire son imputation. Accuser un individu c’est d’abord qualifier son acte par une catégorie du lan-gage. En elle -même, la justice est le lieu d’exigibilité de la parole, le lieu du retour au monde du dicible après la violence destructrice des catégories du langage. Rendre ces catégories symboliques à nouveau disponibles pour la victime est sa première mission.
L’enquête puis le procès lui offre un possible chemine-ment. C’est une chaîne d’équivalence qui ne se limite pas à l’infliction d’une peine. Les mots peuvent tempérer le choc. Le récit rend intelligible la violence. Et, au bout du processus de justice, l’argent vient à la place de la souffrance. Ces compensations créent les conditions favorables d’un travail de deuil qui permet d’encaisser la perte avant de sortir de la rétribution pénale.
« Que s’est-il vraiment passé ? » Le désir de poser des questions à l’offenseur peut pro-voquer des chocs en retour. Cette vérité recherchée fait peur comme on le voit dans les rencontres détenus/
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victimes. Pour une femme agressée sexuellement, le fait d’apprendre par exemple que sa « sélection » a été par-faitement aléatoire (« j’ai pris la première femme seule qui tournait au coin de la rue » ou « vous aviez les che-veux courts ») est peut-être, à première vue, un choc. Mais ce type de révélation n’est jamais pire que leur imagination. La réalité freine la cavalcade des peurs irrationnelles. Les questions restées sans réponse blo-quent le processus de guérison, agrandissent le trou noir dans leur vie.
Il y a quelques années, une cour d’assises avait jugé l’affaire du bus incendié de Marseille où une jeune fille Mama Galledou avait été gravement brûlée. Ni elle, ni ses familles n’avaient crié vengeance contre les auteurs. Il n’attendaient qu’une chose : la vérité. Autre-ment dit : lequel des accusés avait réellement mis le feu au bus. Ce qui a pu finalement être établi au cours de l’audience grâce à l’aveu de son auteur. La vérité est souvent dérisoire et cruelle. Le choix du bus là était le fruit du hasard ; la présence des caméras de télévision fut sans doute un stimulant ainsi qu’une compétition stupide entre les groupes de jeunes des différents quar-tiers. C’est une pauvre et cruelle lumière qui met à vif la blessure. Cruauté pourtant nécessaire car elle permet de comprendre l’acte, de se libérer d’une violence sans visage et sans langage, d’ouvrir la voie à un travail de mémoire. On retrouve ici à l’audience, « l’antichaos », ce moment et ce lieu qui libère « l’énergie de la vérité » non 3 sans provoquer une utile souffrance.
Car la vérité seule permet de se représenter l’irrépré-sentable et de réduire l’anonymat menaçant d’un agres-seur. En le regardant dans les yeux, on n’inverse pas seulement une relation de pouvoir. On réintroduit une part d’humanité commune à la place d’une relation de domination. Tout se passe comme si on voulait se per-suader que cet agresseur en particulier - le « mien » -n’est pas celui qu’on imaginait dans ses peurs les plus folles. Il est là devant moi à la place que la loi lui assigne. Il est face à son acte et, face à la peine encou-rue, il a peur à son tour. L‘agresseur prend un visage humain, misérablement humain. La réalité des visages, des voix, des corps vue et entendue brise les représen-tations imaginaires ou fantasmatiques. En humanisant leurs agresseurs, les victimes s’humanisent.
« Que pensez-vous de votre acte maintenant ? » Tout se passe comme s’il fallait s’assurer que l’agres-sion ne se reproduise pas pour moi et pour d’autres. Il doit comprendre son acte, le mettre en sens, pour aider la victime à s’en saisir à son tour. Les questions des vic-times sondent presque insupportablement une culture de la violence. La « carrière » du criminel consiste à fran-chir les étapes dans la « hiérarchie » du crime à la recherche de la reconnaissance des pairs. Ce parcours se passe dans une spirale où l’ivresse des sensations, les réflexes de survie, la vitesse des enchaînements pré-suppose la réduction de l’autre à une chose appro-priable.
3 : Pour reprendre les formules du poète Haïm GouriFace à la cage de fer, Le procès Eichmann, 1961, Ed Tiresias, 1995, p. 153.
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« Un sauvage, un salaud, un sans nom ! » L’homme est cramponné à la barre. Il est accusé d’avoir voulu poignarder sa compagne dont il était séparé. Il revendique son acte. Son profil et son regard sont froids, déterminés, perçants. Ses bras nus sont plantés sur le rebord du box. La prémédita-tion est évidente : il a enregistré sur une cassette son acte. Il a préparé un couteau et une lame de rasoir. Il a voulu frapper au cœur. Il a manqué son geste d’un rien. La vérité crue du tueur est devant nous. Il dit fièrement qu’il est à l’isolement parce qu’il était à deux doigts de massacrer un autre déte-nu. Le procureur sort du dossier une pièce où il dit avoir frappé un jour sa mère avec unebatte de base ball. Voilà ce que dit le dossier, sa parole, son corps, son attitude : cet homme est dangereux. C’est « un salaud, un sauvage, un sans nom ! » Après que le parquet eut requis 15 ans, il a la parole une dernière fois. Il s’effondre en s’adressant à sa compagne : «Je te demande pardon à toi et à tes parents pour ce que j’ai fait… »Pardon réel ou feint ? Ultime perversion ou dévoilement de sa part d’humanité ? Condamné à 13 ans d’emprisonne-ment, il ne fera pas appel. Dans le tourbillon de la fin d’audience, le regard vide, sous le choc de la sen-tence, il répond mécaniquement à une greffière : « Voulez vous voir un médecin ? Comptez vous vous 4 évader ? Voulez vous vous suicider ?
Le fait d’entendre qu’il y a une prise de distance avec la culture du crime est une forme de réassurance. « Avez-vous vraiment quitté ce monde du crime ? » Mais le regard porté sur l’auteur de son agression contient une autre perspective : créer une forme de « honte » non
4 : Scène tirée du film« Zone d’ombres »de Mika Gianotti (2011).
stigmatisante au sens où aucune volonté de punir ne s’y attache en sorte que sa nouvelle identité se détache de l’ancienne.
Sous le masque du délinquant, une faille fait surgirla honte.Il se produit une inversion de la honte dégradan-te (« le tribunal vous déclare coupable de… ») en honte positive. L’humiliation conduit au repli dans les sous cultures du crime. La réintégration opère comme désap-probation compréhensive en vue d’un retour dans la communauté. Le regard porté sur l’acte ne désigne plus un coupable ; c’est plutôt un regard sans hostilité que la communauté porte à un de ses membres, gage d’une possible réintégration une fois la peine purgée.
« Et demain, qu’allez vous faire de votre vie ? » La dernière question résonne comme un appel à respon-sabilité induite par la relation de confiance qui s’est nouée. Elle prolonge une autre objection à laquelle répond souvent la victime : « ce n’est pas une affaire per-sonnelle ! » Comme elle veut rendre exemplaire sa démarche, elle désingularise son cas, comme si elle engageait la société toute entière dans sa quête d’exem-plarité. Cet appel à responsabilité, au delà de l’acte, tend à s’assurer que l’homme est sorti de l’identité du délin-quant que ses pairs ont bâti pour lui et que la prison a cristallisé autour de lui. Il est invité à se regarder non dans le miroir de son acte mais dans celui de sa vie futu-re. Cette demande cherche à savoir si un condamné a compris réellement les conséquences de son infraction. La question du « qu’allez vous faire de votre vie mainte-nant ? » en contient implicitement une autre : « votre res-ponsabilité à mon égard est de ne jamais recommencer avec d’autres ce que vous m’avez fait subir ». On peut y
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voir l’attente d’un engagement moral auprès de la com-munauté des hommes qu’il réintègre.
Toutes ces questions sont à l’opposé de la réaction vin-dicative (et de la sévérité des politiques pénales qui lui font écho) que peuvent avoir des victimes. Il y a entre les deux pôles du « mal radical » et du pardon impossible, des médiations qui rendent ces deux moments irréconci-liables comme le dit Jankélévitch. « Nous n’avons pas cherché à réconcilier l’irrationalité du mal avec la toute puissance de l’amour. Le pardon est fort comme le mal, 5 mais le mal est fort comme le pardon » Si le travail de la justice a un sens dans ses diverses moments, c’est bien au contraire de permettre à chacun de se restaurer par delà la déchirure. Pour y parvenir, l’humanisation de l’agresseur est un point de passage obligé. À l’autre lointain, il substitue l’autre proche. Un agresseur avouant, voire repentant, puis en voie de réinsertion, sera porteur d’une moindre souillure. Sa parole comme attestation de son avancée morale est un hommage rendu à leurs victimes. La peine circonstanciée et parti-
5 : Vladimir Jankélévitch,L’Imprescriptible, Points-Seuil, p. 14-15.
cularisée est l’image restaurée d’une humanité commu-ne que la violence avait brisée.
Cette ambition donne une application plus authentique à la justice pénale. Elle conduit à renforcer l’interdépen-dance des rapports sociaux éprouvés par les conflits et les actes de violences. C’est bien cette voie étroite que veut explorer la justice restauratrice : opérer une récon-ciliation en transformantla honteen désapprobation, en achevantla dette, en dominantl’angoisse. Ainsi est pur-gée la justice pénale de sa tendance antihumaniste que des attaques réelles ou supposées contre la société peut toujours justifier. C’est pourquoi les lois qui allon-gent ou automatisent les peines ne sont abusivement justifiées par l’attente des victimes. Elles enferment, dans les deux sens du terme, l’auteur dans la peine et la victime dans le ressentiment. S’il est vrai qu’un futur réconcilié ne doit pas se payer du prix de l’amnésie, il doit néanmoins prévoir les conditions d’un temps qui délie le passé. L’oubli est nécessaire bien plus que menaçant pour notre sécurité.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
De Villette (T.) Faire justice autrement, Le défi des rencontres entre détenu et vic-times,Mediaspaul, Montréal, 2009.
Dray (D.) Victimes en souffrance, une ethnographie de l’agression, LGDJ, 1999.
Gailly (P.) (dir.) La justice restauratrice, Larcier, 2011.
Jankélévitch (V.) L’Imprescriptible. Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité.Seuil, 1986.
Ricœur (P.) Amour et justice(1990), Points-Seuil.
Ricœur (P.) La mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, 2000.
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