Expansion des systèmes éducatifs et dynamique des inégalités sociales devant lenseignement : quelques jalons de la recherche comparative en sociologie (commentaire)
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Pour mettre en perspective l’article de Marie Duru-Bellat, Annick Kieffer et David Reimer sur la comparaison entre France et Allemagne des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur et leur évolution en une ou deux décennies, un préalable est de donner une vue d’ensemble des principaux jalons de la recherche internationale en sociologie dans ce domaine. Comment les sociologues ont-ils abordé les rapports entre expansion et diversification des systèmes éducatifs d’une part, et dynamique temporelle des inégalités sociales devant l’enseignement d’autre part ? Quels sont, en la matière, les principales directions méthodologiques qui ont été explorées, les principaux résultats qui ont été avancés et les éventuelles inflexions qui leur ont été apportées ? Au sein des sociétés développées et depuis les premières décennies du XXe siècle, les cohortes de naissance successives ont été confrontées à une offre d’éducation fortement croissante – ces sociétés se caractérisent par une distribution considérablement élargie de l’éducation. Dans nombre d’entre elles, des réformes ont été aussi mises en œuvre pour ouvrir l’accès à celle-ci aux enfants de tous les milieux sociaux. Les sociologues se sont donc efforcés d’évaluer si le niveau d’éducation obtenu était progressivement devenu moins dépendant des caractéristiques héritées des individus, notamment leur origine sociale, et si une allocation moins inégale de l’éducation avait émergé dans nos sociétés.

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Langue Français

Extrait

COMMENTAIRE
Expansion dEs systèmEs éducatifs Et dynamiquE
dEs inégalités socialEs dEvant l’EnsEignEmEnt :
quElquEs jalons dE la rEchErchE comparativE En sociologiE
louis-andré v allet, CNRS et CREST, Laboratoire de Sociologie Quantitative
Pour mettre en perspective l’article de Marie gramme de recherche international, Treiman
Duru-Bellat, Annick Kieffer et David Reimer et Ganzeboom (2000) ont remarqué que, dans
sur la comparaison entre France et Allemagne six des huit pays pour lesquels les régressions
des inégalités d’accès à l’enseignement supé- étaient présentées cohorte après cohorte, la part
de variance expliquée par le milieu social dimi-rieur et leur évolution en une ou deux décennies,
nuait signifcativement. Le même résultat a été un préalable est de donner une vue d’ensemble
observé pour la France : selon les analyses de des principaux jalons de la recherche internatio-
Duru-Bellat et Kieffer (2000), groupe sociopro-nale en sociologie dans ce domaine. Comment
fessionnel et diplôme le plus élevé du père et de les sociologues ont-ils abordé les rapports entre
la mère, conjointement au sexe, rendent compte expansion et diversifcation des systèmes édu-
de 32,3 % de la variance du niveau d’éducation catifs d’une part, et dynamique temporelle
parmi les hommes et femmes nés avant 1939 des inégalités sociales devant l’enseignement
contre 20,3 % seulement pour la génération d’autre part ? Quels sont, en la matière, les prin-
1964-1973. Comme l’a montré le sociologue cipales directions méthodologiques qui ont été
américain Robert D. Mare (1981), les coeff-explorées, les principaux résultats qui ont été
cients estimés dans ces modèles de régression avancés et les éventuelles infexions qui leur ont
linéaire ne refètent cependant pas uniquement été apportées ? Au sein des sociétés développées
le degré d’allocation inégale de l’éducation aux eet depuis les premières décennies du XX siècle,
différents milieux sociaux, mais ils sont aussi les cohortes de naissance successives ont été
affectés par l’élargissement, croissant au fl des confrontées à une offre d’éducation fortement
cohortes, de l’accès à l’éducation.croissante – ces sociétés se caractérisent par une
distribution considérablement élargie de l’édu-
On s’est alors orienté vers la recherche d’une cation. Dans nombre d’entre elles, des réformes
mesure intrinsèque de l’inégalité devant l’école
ont été aussi mises en œuvre pour ouvrir l’ac-
et de sa variation, c’est-à-dire d’une mesure qui
cès à celle-ci aux enfants de tous les milieux
reste indépendante de l’expansion scolaire. La
sociaux. Les sociologues se sont donc efforcés
proposition de Mare (1980) a été déterminante :
d’évaluer si le niveau d’éducation obtenu était
décomposer les trajectoires scolaires en tenant
progressivement devenu moins dépendant des compte des principaux points de bifurcation
caractéristiques héritées des individus, notam- – ou transitions – caractéristiques du système
ment leur origine sociale, et si une allocation éducatif étudié ; puis, au moyen de régressions
moins inégale de l’éducation avait émergé dans logistiques successives, mesurer les effets des
nos sociétés. variables d’origine sociale sur les chances
de passer avec succès une transition donnée
(sachant que l’on a survécu à la immé-
Mesurer l’inégalité devant l’enseignement 1diatement antérieure) (1). La thèse de Mare était
indépendamment de l’expansion scolaire… que, pour une transition donnée, l’expansion
scolaire s’accompagne d’une croissance des
Jusqu’à la fn des années 1970, le modèle clas- effets de l’origine sociale sur les chances de
sique de régression linéaire a constitué l’outil réussir cette transition. En effet, puisque, du fait
d’analyse privilégié. En utilisant une variable de cette expansion, la part d’une génération sou-
métrique pour représenter la « quantité fnale mise à une transition donnée augmente, il est
d’éducation » tirée par un individu de ses étu- probable que son hétérogénéité s’accroisse sous
des, il permettait de répondre à la question sui-
vante : quelle a été l’évolution de l’effet des
1. Les paramètres – ou les odds ratios – estimés dans de telles caractéristiques d’origine sociale sur le nombre
régressions logistiques ont en effet la propriété désirée de ne moyen d’années d’études suivies ? Par exem-
pas être affectés par les variations historiques dans la taille des
ple, en réexaminant les résultats d’un pro- catégories sociales et/ou des catégories de diplôme.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 433-434, 2010 23l’angle de caractéristiques généralement non Sociologie. Il s’agissait d’étudier l’évolution,
emesurées dans les enquêtes – notamment les au cours du XX siècle, de l’inégalité sociale
aptitudes individuelles ou la motivation – qui devant l’éducation dans six pays d’Europe de
affectent la réussite scolaire et sont aussi cor- l’Ouest, trois d’Europe de l’Est et quatre d’autres
rélées à l’origine sociale. Cette hétérogénéité continents dont les États-Unis. Sa conclusion
des populations soumises à une même transi- générale – Persistent Inequality – a retenu l’at-
tion serait donc croissante au cours du temps et tention : celle d’une quasi-stabilité au fl des
se reféterait alors dans des effets plus amples cohortes dans le lien entre origine sociale et
du milieu d’origine (Mare, 1981, note 5). Des succès (ou échec) dans les trois transitions ana-
observations empiriques ont pu corroborer cette lysées – de l’enseignement primaire à l’obten-
hypothèse. En France par exemple, les analyses tion du premier cycle du secondaire ; de celle-ci
de Duru-Bellat et Kieffer (2000) inspirées du à l’obtention du second cycle du secondaire ; de
modèle de Mare montrent sans ambiguïté, entre cette dernière à un diplôme de l’enseignement
la génération née avant 1939 et la génération supérieur. Ce n’est en effet qu’aux Pays-Bas
1964-1973, à la fois une réduction des inégali- et en Suède que les analyses statistiques déce-
etés sociales d’accès à la classe de 6 (première laient une diminution historique de l’impact de
transition) – concomitante de la généralisation l’origine sociale dans les transitions relatives à
de l’accès à ce niveau – et, en raisonnant sur la l’enseignement secondaire. La conclusion de
eseule population entrée en 6 , une accentuation Shavit et Blossfeld a cependant été progressive-
ndedes mêmes inégalités d’accès à la classe de 2 ment contestée par plusieurs recherches natio-
(deuxième transition). De même, Selz et Vallet nales : celles-ci ont souvent utilisé des données
(2006) ont observé que, parmi les titulaires plus nombreuses ainsi que des modèles statis-
d’un diplôme égal ou équivalent au baccalau- tiques plus puissants, et ont aussi complété les
réat – ou même parmi les seuls titulaires d’un analyses conditionnelles à la Mare par d’autres,
baccalauréat général – les inégalités sociales non conditionnelles, qui portent donc toujours
d’obtention d’un titre de l’enseignement supé- sur la population totale de chaque génération.
rieur ont régulièrement crû entre les générations Dans leur revue de littérature, Breen et Jonsson
1920-1922 et 1974-1976. Le modèle de Mare (2005) soulignent ainsi qu’une diminution de
constitue donc un instrument analytique puis- l’inégalité sociale devant l’école a pu être mise
sant pour révéler la dynamique interne des iné- en évidence aussi en Allemagne (Jonsson et al.,
galités sociales au sein d’un système éducati

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