Évaluation et institution en psychanalyse AuteurChristophe Dejours
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REVENDICATIONS D’AUTONOMIE ET CRITIQUE DE L’INSTITUTION
Il est de bon ton entre psychanalystes de dénoncer l’institution psychanalytique, d’ironiser et de persifler sur ses effets pervers, de l’accuser d’entrave à la liberté de pratiquer conformément à son intime conviction, de frelater jusqu’à l’originalité de la pensée de ses membres. L’institution ne serait qu’une machinerie à produire du conformisme et de la normalisation.
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valuation et institution en psychanalyse AuteurChristophe Dejours du mme auteur 39, rue de la Clef 75005 Paris REVENDICATIONS D?AUTONOMIE ET CRITIQUE DE L?INSTITUTION Il est de bon ton entre psychanalystes de dnoncer l?institution psychanalytique, d?ironiser et de persifler sur ses effets pervers, de l?accuser d?entrave la libert de pratiquer conformment son intime conviction, de frelater jusqu? l?originalit de la pense de ses membres. L?institution ne serait qu?une machinerie produire du conformisme et de la normalisation. 2 Ces critiques ne sont pas toujours infondes. Mais elles le sont si elles sont profres au nom du spontanisme, c?est--dire de la glorification exclusive d?une fidlit infrangible soi-mme et l?irrductibilit de l?exprience singulire que chacun possde, par-devers soi, de la psychanalyse. 3 Le risque de drive vers l?autorfrence est indissociable de la revendication d?une autonomie souveraine sans contrepartie. Conjurer le risque de l?autosuffisance et de l?arbitraire, cela passe par la confrontation au regard et la critique de l?autre. Seulement, l?autre, ici, ce n?est pas seulement le patient, c?est avant tout le collectif de pairs. 4 Mais un collectif de pairs, en quoi cela consiste-t-il ? Il s?agit non seulement d?une formation empirique, mais aussi d?un concept. Le collectif, ce n?est pas un groupe, c?est beaucoup plus que cela. Il existe en effet des groupes dont tous les membres pensent rigoureusement de la mme faon. Sa forme caricaturale, la secte, est un groupe frapp par une normalisation radicale de ses membres. Le collectif est, au contraire, une formation qui s?est dote d?instruments spcifiquement destins lutter contre la drive sectaire. Or ces instruments, qui dpendent du nombre et de l?action concerte dans la pluralit, sont au principe de ce qu?on appelle le pouvoir instituant. 5 La revendication d?autonomie et d?originalit, profre par chaque analyste, n?est pas vaine mais elle ne se tient que comme diffrenciation ou singularisation par rapport des rfrences communes et partages avec les membres d?un collectif. Avant que de s?autoriser prendre de l?cart par rapport aux normes et aux valeurs de rfrence, l?analyste aurait d?abord faire la preuve qu?il peut trouver l?accord avec la communaut d?appartenance (cette dernire n?tant que la forme largie d?un collectif, jusqu? une communaut de mtier). 6 Cet article vise rassembler quelques-uns des constituants spcifiques du collectif, de la communaut d?appartenance et de l?institution, permettant d?viter les risques de la normalisation, du dogmatisme et de la drive sectaire. Il se trouve que, parmi ces constituants, une place particulire revient l?valuation. Je propose de commencer par une discussion sur l?valuation et de n?en venir au pouvoir instituant que dans un deuxime temps. L?VALUATION, DE FACTO 7 Originalit et conformisme en matire de pratique psychanalytique, on l?a dit, ne peuvent s?apprcier que par rapport des normes et des valeurs partages. Cette exigence s?applique d?abord au
psychanalyste lui-mme qui, ds qu?il cherche caractriser en quoi consiste sa propre indpendance thorico-pratique, a besoin de cette rfrence commune aux normes et aux valeurs. 8 Mais elle s?applique aussi la communaut professionnelle ds que cette dernire s?efforce d?laborer une rponse collective un collgue qui s?interroge, et l?interroge, sur la lgitimit de ses options pratiques et sur le bien-fond de ses orientations thoriques. 9 Qu?on le veuille ou non, l?valuation est une preuve invitable qui, de surcrot, n?a en soi rien de rprhensible. C?est prcisment le rle principal de l?institution que de proposer des procdures d?valuation des pratiques et de les mettre en ?uvre. La transmission, qui passe habituellement pour le noyau dur des institutions psychanalytiques, sur lequel elles se font et se dchirent ? la transmission, donc ?, est indissociable d?une conception implicite ou explicite de l?valuation. Car, travers l?valuation des candidats, ce sont aussi les matres qui se font, nolens volens, valuer et rvaluer par leurs pairs : pour pouvoir prtendre valuer les autres, il faut d?abord se prter soi-mme l?valuation de sa propre pratique avant mme que de montrer son aptitude en transmettre l?esprit ou les principes. 10 Notons au passage que le besoin d?valuation mane d?abord des psychanalystes eux-mmes. Pour leur propre gouverne. L?utilit de l?valuation vis--vis des instances extrieures ? l?tat et la socit civile ? est seconde par rapport ce besoin venant d?abord de l?intrieur pour pouvoir assurer la transmission du mtier d?analyste. Que l?on admette ces prmisses ? savoir, que l?valuation est au principe mme de l?institution psychanalytique ? n?implique pas pour autant que ladite institution sache rendre compte convenablement de ce en quoi consiste l?valuation que, pourtant, elle met en ?uvre en son propre sein. Il s?en faut de beaucoup ! C?est d?ailleurs l que le bt blesse et les dbats actuels rvlent au grand jour le malaise li pour une bonne part l?insuffisance d?laboration thorique de la notion d?valuation, au sein des institutions psychanalytiques. 11 Les psychanalystes ne sont, au demeurant, pas les seuls se heurter des difficults srieuses lorsqu?il s?agit d?expliciter le contenu, les buts, les principes et la pratique de l?valuation. D?une faon gnrale, l?valuation du travail soulve des problmes redoutables dj bien rpertoris au XIXe sicle. Jusque dans le temple de la connaissance, on retrouve un malaise : mme dans l?univers de la recherche exprimentale, aucune procdure d?valuation ne peut chapper aux soupons d?irrationalit (P. Joliot, 2001, p. 9-24 et 61-81). 12 Qu?est-ce dire ? LA CONCEPTION GESTIONNAIRE DE L?VALUATION 13 Cela veut dire que, par les temps qui courent, ceux qui rclament le plus l?valuation et exigent sa gnralisation toutes les activits humaines sont les gestionnaires. Ce qui les anime n?a que peu voir avec les nobles proccupations venant de l?intrieur de chaque profession, soucieuse quant soi d?abord et avant tout, de la qualit du travail bien fait. Les gestionnaires s?intressent l?valuation pour des raisons relatives au calcul de rentabilit. De ce fait, ils ont besoin de donnes quantitatives. Et l?valuation est pour eux une affaire de quantification objective. 14 Mais est-il seulement possible de mesurer quantitativement et objectivement la qualit d?un travail ? La rponse, on le verra plus loin, est : non ! Qu? cela ne tienne, on remplacera la mesure
quantitative de la qualit par le contrle de la qualit. Et voil promulgue la vulgate de la qualit totale et des certifications de qualit avec toute leur batterie de normes. Normes ISO... On est ici au seuil de l?aberration, car il est facile de montrer, ds qu?on tudie le travail stricto sensu, que prcisment la qualit totale n?existe pas. Au mieux s?agit-il d?un idal, car toute activit de travail est frappe d?imprvus et d?obstacles infranchissables qui, dans le meilleur des cas, se soldent par des compromis... avec ce que supposerait l?idal... auquel il faut bien renoncer. En imposant et en clamant la qualit totale contre la vrit du travail ordinaire, on ne fait qu?opposer un dni au rel. La consquence invitable et invariable consiste alors dissimuler le rel grce la fraude. 15 Revenons l?valuation proprement dite. En quoi consiste, lorsqu?on la pratique, la mesure quantitative et objective du travail ? Ou, pour le dire autrement, que mesure donc la mesure quantitative ? La mesure ne peut que mesurer le rsultat objectif (lorsqu?il existe) du travail. 16 Or le rsultat final du travail n?est pas le travail. Et il n?y a strictement aucune proportionnalit entre le rsultat du travail et le travail effectif qu?il a fallu fournir pour parvenir ce rsultat. C?est ainsi que le chercheur qui travaille et choue pendant plusieurs annes sur ses expriences, le chercheur qui travaille justement parce qu?il choue et parce qu?il s?obstine sur son chec, lorsque ce chercheur donc parvient enfin au rsultat, quelle proportionnalit y a-t-il entre son travail ? c?est--dire son obstination ? et l?absence de publication sur sa recherche pendant plusieurs annes (c?est--dire le rsultat de sa recherche) ? C?est que le travail stricto sensu est foncirement subjectif, individuel et vivant. Et c?est parce que l?essence du travail est d?tre un travail vivant, prcisment pour cela mme qu?il est subjectif, impliquant la mobilisation subjective, l?endurance subjective et l?intelligence subjective ?, c?est parce que l?essence du travail est d?tre un travail subjectif, donc ? que le travail ne peut pas tre mesur quantitativement et objectivement. TRAVAIL OU ACTION ? 17 L?affaire se complique encore lorsqu?on passe du travail ordinaire de production industrielle ou artisanale au travail de production de services o la fabrication n?est pas facile caractriser. Pour l?conomiste et le gestionnaire, la psychanalyse est une activit de service comme le sont l?enseignement, la formation, le soin... Soit ! Seulement, dans le cas de la psychanalyse, au terme de travail on prfre souvent celui d?acte. Tout le monde s?accordera facilement sur le fait que le nombre d?actes ne reflte pas du tout le travail. Celui qui comptabilise le moins d?actes peut tout aussi bien tre celui qui travaille le plus. vrai dire, le terme d? acte ne convient pas bien. Il serait certainement plus rigoureux de dire que la psychanalyse relve de l?action, au sens qu?a ce terme dans la philosophie morale et politique, c?est--dire d?un agir au cours duquel l?agent engage l?avenir d?autrui. En l?occurrence, par son agir ? ft-il de refusement et d?coute ?, le psychanalyste engage, de fait, le devenir de l?analysant. 18 Pour Aristote, l?action (praxis) s?oppose la fabrication (po sis). L?action se caractrise en particulier par le fait que son rsultat final ne parle pas pour son auteur, c?est--dire pour l?agent de l?action (Cottereau, 1994). Au contraire, dans la production, le rsultat final, c?est--dire l?objet fini, parle de lui-mme. Il reflte fidlement les talents et les dfaillances de son auteur, il peut tre valu sans passer par le discours de l?auteur. Dans le registre de l?action, le rsultat d?une dcision politique, par
exemple, ne peut pas s?valuer sans passer par la parole, le commentaire, la justification de l?auteur. L?valuation ne peut pas faire l?conomie d?une explicitation prcise de la dlibration qui a prcd l?action (Ladrire, 1990). Ainsi la dfaite au terme de la bataille ne condamne-t-elle pas automatiquement le prince. Mme en sachant l?issue incertaine, il tait peut-tre plus juste d?engager la bataille contre l?envahisseur que de livrer son peuple l?esclavage et au pillage. 19 Dans la pratique analytique, le rsultat objectif en termes de gurison , de stabilisation ou d? aggravation des troubles ne permet pas d?valuer l?action ? l?analyse ? ni, a fortiori, l?analyste. Quant l?action ? ici le travail de l?analyste ?, elle ne se voit pas, la diffrence peut-tre de la fabrication de l?artisan. La dcision de se taire, la dcision de parler au patient, la faon dont se forme chez l?analyste l?interprtation ou la construction, tout cela n?appartient pas au monde visible et ne peut donc tre mesur. Car il n?y a de mesurable que ce qui appartient au monde visible. Nous arrivons donc ici un obstacle : l?valuation du travail de l?analyste est invitable et souhaitable, mais la mesure de ce travail est, pour des raisons thortiques, impossible. L?VALUATION COMME JUGEMENT 20 La solution cette contradiction rside en ceci que l?valuation ne passe pas ncessairement par une mesure. valuer, c?est porter un jugement sur la valeur (dictionnaire Le Robert). Pour ce faire, il convient d?abord de mettre en ?uvre des procdures spcifiques en vue d?accder la connaissance du travail vivant de l?analyste. Pour rendre visible ce qui ne l?est pas, il n?y a qu?une voie : celle qui passe par la parole de l?analyste sur sa pratique, ce qui implique, indissociablement, la prsence de quelqu?un pour l?couter et... si possible... pour l?entendre. On peut montrer facilement que, pour entendre la parole de l?analyste sur son travail, il faut bien mettre en face de lui une ou plusieurs personnes aptes comprendre son dire. Les mieux placs pour ce faire, ce sont les autres analystes. Et ce n?est qu?au terme d?une dlibration entre l?analyste et ses pairs que l?on peut prtendre parvenir une valuation proprement dite, c?est--dire un jugement rationnel sur la valeur du travail vivant de cet analyste. 21 Tout cela est bien beau, mais porter un jugement sur la valeur suppose que l?chelle de valeur soit pralablement disposition, ce qui ne va pas de soi. La valeur du travail, nous l?avons vu, en tant que ce dernier relve de la praxis, ne peut pas tre juge sur le seul rsultat final de la cure. Ce qui compte ici, ce qui est valuer se situe donc en amont du rsultat final, c?est--dire dans le travailler lui-mme de l?analyste. Juger de la valeur de ce travail suppose donc une rfrence commune portant spcifiquement sur le travailler . Il est facile de montrer que cette rfrence ne peut tre extraite que d?un seul gisement : le mtier d?analyste, en tant qu?il se caractrise par des rgles de travail. LES RGLES DE MTIER ET LA QUESTION DE LA TECHNIQUE ANALYTIQUE 22 Mais alors, en quoi consistent ces rgles du mtier d?analyste ? Travailler avec le transfert et la rsistance , c?est ce qui caractrise la pratique de l?analyse, rpond Freud Groddeck. Certes, mais qu?est-ce que cela signifie ? La question est d?autant plus fonde que, sans insister sur l?cart entre la pratique de Groddeck et celle de Freud, il y a bien des faons, depuis Freud, de comprendre l?apophtegme. Y a-t-il seulement une technique analytique ? Bien des auteurs le contestent. Et l?on peut faire droit leur position lorsque ces derniers manifestent ainsi leur mfiance l?gard d?une
technique standardise derrire laquelle se profilerait le spectre d?une normalisation des patients passant par la normalisation des analystes. Mais ceux-l mmes qui vilipendent le plus vigoureusement l?ide d?une technique analytique ne soutiendraient pas pour autant que la pratique analytique, ce serait faire n?importe quoi. C?est pourquoi il vaut mieux soutenir l?ide de technique analytique en prcisant toutefois le sens que l?on donne cette notion (Freud, 1912). 23 Le recours la technique est en effet invitable ds lors qu?on s?efforce de caractriser en quoi consiste le travailler du psychanalyste. Car, comme tout travail, le travailler analytique a d?abord et avant tout faire avec le rel (Dejours, 2003). 24 Qu?est-ce que le rel ? Depuis Hegel, le rel, c?est ce qui se fait connatre par sa rsistance au savoir-faire, au mode opratoire, voire la connaissance ; plus gnralement, par sa rsistance la matrise. Le travail, en tant qu?il est travail vivant, consiste prcisment faire face ce qui rsiste, ce qui n?est pas prvu, voire l?imprvisible. Qu?est-ce que le rel pour le psychanalyste ? Ce n?est autre chose que ce par quoi se rvle parfois au moi qu?il n?est plus matre en sa demeure, c?est--dire la rsistance de l?inconscient la matrise de soi du moi (de M?Uzan, 1967). 25 L?identification de la quiddit de cette rsistance de l?inconscient du patient passe, pour l?analyste, par un travail stricto sensu qui est le c?ur mme du mtier. Seulement ce que montre l?anthropologie des techniques, en ce point o elle est aussi une pistmologie (c?est--dire une thorie des procdures de production de la connaissance), c?est que l?accs au rel n?est jamais direct (Sigaut, 1990). Le rel ne peut se rvler que par la mise en chec d?une technique correctement utilise. Sans technique et sans mise en chec de la technique par l?preuve qui lui oppose une rsistance, le rel ne peut tre connu. La technique est toujours la mdiatisation sans laquelle il ne peut y avoir d?accs au rel. Force est donc de reconnatre qu?il ne peut y avoir d?accs la connaissance de l?inconscient d?un patient, sans le truchement d?une technique : la technique analytique. Et la technique analytique, c?est la technique de l?coute. Il serait vain d?aller plus loin pour en prciser les principes, puisque prcisment, de l?coute comme technique, il existe autant de formalisations que d?coles de psychanalyse. Ce qui ne revient pas dire que la technique de l?coute serait n?importe quoi. Au contraire, elle est dans chaque institution analytique saisie par des rgles qui, de surcrot, caractrisent l?institution comme cette institution-ci, qui n?est pas semblable aux autres institutions. 26 Il y a effectivement ici un paradoxe : ce qui est au principe mme de l?coute en tant qu?coute non dogmatique passe prcisment par un effort de mise distance de la technique de rfrence, pour librer l?attention en gal suspens proprement dite. Il n?empche ! La mise distance comme principe de l?coute prsuppose qu?on sache pralablement ce qu?est l?coute de la pense associative mobilise par le transfert, c?est--dire qu?on en connaisse la technique. On pourrait toutefois caractriser aussi cette mise distance par le terme freudien de Versagung ? refusement (Laplanche, 1987). Mais le refusement n?a de sens et de pertinence que par rapport ce que l?analyste conjecture de la demande du patient, d?une part, de l?endurance de ce dernier au refusement de l?analyste, d?autre part. Au-del des limites de l?endurance du patient, le refusement de l?analyste constitue une erreur... qu?il faut bien qualifier d?erreur technique ou d?erreur dans l?usage de la technique. L?ACTIVIT DONTIQUE
27 La faon de manier les rapports entre refusement, coute et interprtation (ou intervention) est balise par des rgles propres chaque institution analytique. Les carts entre coles sont parfois importants. L n?est pas le problme. Ce qu?il s?agit d?lucider, c?est la faon dont les rgles qui caractrisent une institution particulire sont construites. Mme si chaque analyste d?une cole se forge une exprience singulire de la technique analytique et de son pouvoir de rvler le rel de la rsistance de l?inconscient du patient, chaque analyste est amen confronter sa propre exprience et l?laboration qu?il en fait l?exprience des autres analystes de ladite cole et l?laboration qu?ils en font. De cette confrontation, au demeurant extrmement complexe, surgit un espace de dlibration interne l?cole d?analyse o, au-del de la discussion, se forment des consensus sur ce qui est acceptable et validable et ce qui ne peut l?tre. 28 Cette activit de dlibration sur la technique constitue l?activit dontique des analystes d?une cole qui, oriente vers l?entente, aboutit la formation consensuelle des rgles de mtier des analystes de cette cole. 29 De l?approfondissement et du renouvellement permanent de cette activit dontique dpend la formation des normes et des valeurs de la profession d?analyste de cette cole. Normes et valeurs qui constituent la rfrence commune et partage par les membres de l?cole, partir de laquelle il est possible d?valuer une candidature, c?est--dire de porter un jugement sur la valeur du travail d?analyste du candidat. DLIBRATION ORIENTE VERS L?ENTENTE 30 La dlibration, qui constitue le c?ur de l?activit dontique des analystes d?une cole, est, dans son principe, interminable. Chaque nouveau membre de l?cole en effet apporte, ou peut apporter avec lui, un point de vue strictement singulier et original partir de son exprience de l?analyse, qui permet de renouveler, voire de dplacer progressivement les termes de la dlibration collective. La dlibration collective ne peut se poursuivre que si elle est, de faon volontaire, oriente vers l?entente, c?est--dire vers la recherche de consensus sur les rgles du mtier d?analyste. Ce qui importe ici, c?est la recherche de consensus et non le consensus lui-mme. Car, de toute faon, le consensus est destin tre tt ou tard dstabilis par de nouveaux arguments pertinents. L?orientation vers l?entente suppose non seulement la recherche de consensus mais aussi et avec la mme volont la recherche de ? et la curiosit authentique pour ? les arguments nouveaux, indits ou discordants. L?orientation vers l?entente exige donc une souplesse et une vritable capacit remettre en cause son propre rapport aux rgles du mtier d?analyste. La dlibration collective oriente vers l?entente est avant tout recherche de questionsneuves et non de rponses dfinitives. LA NORMATIVIT N?EST PAS LA NORMALISATION 31 L?activit de production de rgles ? l?activit dontique ? est assurment une activit normative, visant la recherche d?accords sur les normes et les valeurs du mtier d?analyste. Mais cette activit normative ne conserve son pouvoir de produire une culture d?cole que pour autant qu?elle reste ouverte sur son propre renouvellement : Kulturarbeit, au sens fort du terme. Le Kulturarbeit cesse ds que la dontique, c?est--dire cette activit normative, fait la moindre concession une fixation dogmatique. Ds qu?un consensus est tenu pour dfinitivement acquis et ne devant plus tre remis en cause, s?ouvre
invitablement la porte au processus de normalisation, c?est--dire de la mise en conformit des pratiques puis des tres humains concerns par cette pratique. Et presque immanquablement rsonnent jusque dans l?espace public les dclarations normalisantes, voire militantes de l?ordre moral, tonitruantes autant que dplaces, des collgues qui se rclamant soi-disant de la psychanalyse, se mutent en donneurs de leon et en ducateurs. DLIBRER SUR LE FAIRE 32 Pourquoi donc la dlibration collective, pourquoi la dontique se paralysent-elles si souvent dans les coles au profit de la dogmatique ? Cette msaventure se produit chaque fois que la dlibration oublie qu?elle ne porte que sur le travailler de l?analyste et non sur la personne de l?analyste. Travailler, c?est faire l?preuve du rel en usant convenablement d?une technique, c?est--dire de rgles de travail ou de rgles de mtier. L?valuation ne concerne que le travailler, c?est--dire non seulement l?art dans le maniement des rgles, mais aussi la manire dont la rencontre avec le rel amne le praticien remettre en cause ou prendre de l?cart par rapport la rgle pour pouvoir faire face la rsistance du rel que lui oppose le dveloppement d?une cure. 33 Comment valuer la pertinence ou l?infcondit d?un cart par rapport la rgle ? En fonction et uniquement en fonction de la faon dont l?analyste qui expose son travail la critique des autres rend compte de sa manire de pensercet cart, c?est--dire sa manire de travailler. Encore une fois, ce qu?il s?agit d?valuer n?est pas le rsultat du travail mais le travail lui-mme. En l?occurrence, le travail, ce n?est rien d?autre que le travail de penser qui permet d?couter, de se refuser (versagen) et d?intervenir ou d?interprter. Cela suppose une aptitude de l?analyste rendre compte, c?est--dire rendre intelligible d?abord, justifier ensuite, critiquer enfin son usage de la rgle et l?cart qu?il prend ventuellement par rapport cette dernire. Exercice difficile, oh combien ! Tout analyste le sait. PARLER DU TRAVAILLER 34 Comment l?analyste peut-il parler du travail de pense qui lui permet d?couter, de se refuser, d?intervenir ou d?interprter ? Pour l?analyste, parler d?autres analystes du rel, c?est parler de la faon dont il pense, en situation d?analyste. Le rel, on l?a dit, n?est jamais visible directement. On n?y a accs que par le truchement d?une technique. La technique ici est avant tout de l?ordre de la pense, celle qui accompagne et justifie le refusement. Car le rel en question ne se donne pas voir spontanment. L?adage dit : On ne trouve que ce que l?on cherche et l?on ne cherche que ce que l?on connat. L?attente, l?coute flottante, voire l?attention en gal suspens, sont aussi des faons spcifiques de chercher. On ne cherche que ce que l?on connat , dit la maxime. C?est le point cl du travailler de l?analyste. Pour trouver quelque chose, pour entendre quelque chose, pour saisir les configurations de la rsistance de l?inconscient, il faut mobiliser des connaissances. L?attention en gal suspens suppose pourtant de se dprendre du savoir thorique. Oui, sans doute ! mais se dprendre, ce n?est pas oublier le savoir et surtout ce n?est pas ignorer la mtapsychologie. 35 L?attention en gal suspens ressortit une forme de sensibilit. Mais, et c?est l sans doute encore un paradoxe, la sensibilit n?est pas une proprit des organes sensoriels ni de la subjectivit spontane. Tout au contraire ! La sensibilit est foncirement conceptuelle (Pharo, 1996). Il est difficile d?tre mu en coutant la musique de Berg si l?on n?a pas appris la thorie atonale et la technique dodcaphonique
srielle ; on ne peut pas pleurer en entendant un pome de Heine si l?on n?a pas appris l?allemand ; on sera d?autant plus subjugu par un tableau de Kandinsky que l?on aura de familiarit avec le Jugendstil, le Bauhaus, et plus encore si l?on a lu les crits thoriques de Kandinsky. Dans l?attention en gal suspens, la sensibilit outille par les concepts ne peut utilement se dprendre de la thorie que si cette dernire a pralablement t assimile. Pour l?analyste, rendre compte de sa confrontation au rel et de l?cart consentir par rapport la technique de rfrence, cela passe ncessairement par l?explicitation des connaissances thoriques l?aide desquelles il pense. Et c?est sur la base de ces connaissances thoriques communes qu?il devient possible pour les autres de discuter, de critiquer et de dlibrer. Soulignons-le : dans l?activit dontique, il ne s?agit pas de discuter de la clinique, mais bien des rapports entre la thorie et ce qu?elle permet de mobiliser comme moyens de penser et de chercher, d?un ct, la pratique ou la praxis de l?coute, du refusement et de l?interprtation, de l?autre. 36 Du ct des interlocuteurs, la difficult ? et elle est considrable ? c?est de s?en tenir strictement l?analyse, la dlibration et l?valuation du travailler sans jamais driver vers l?valuation de la personne de l?analyste. 37 Le travailler, dans la mesure o il a toujours faire avec l?nigme du rel, suscite gnralement la curiosit et la controverse. Et il convient de rester sur ce plan. Driver vers des considrations sur la personnalit de l?analyste, c?est lcher la proie pour l?ombre. En acceptant de s?carter du travailler, on ruine le ressort mme de l?activit dontique. 38 En fin de compte, l?valuation du travail d?un collgue porte sur sa capacit rendre compte de la faon dont il comprend les rgles du mtier d?analyste ? la technique ?, comment il est, en situation, amen prendre de l?cart par rapport cette technique pour faire face au rel ; comment, en soutenant avec suffisamment de fermet son point de vue, il parvient apporter une contribution l?activit dontique de l?cole laquelle il choisit d?appartenir. Dans cette perspective, valuer le travail d?un collgue, cela consiste porter un jugement sur le chemin qu?il parcourt entre le courage de tmoigner de sa pratique et le pouvoir d?apporter une contribution l?activit dontique de ses pairs. 39 On l?a dj dit, l?valuation du travail des analystes ne saurait tre dlgue des gestionnaires. Elle ne peut tre pertinente que si elle est faite par des pairs, respectant les mmes principes et les mmes rgles de mtier. Et si les analystes ont besoin d?institution, c?est prcisment pour pouvoir exercer, entre eux, l?valuation des pratiques. Le besoin d?institution vient d?abord des analystes eux-mmes ds lors qu?ils sont soucieux de se protger, chacun, des risques dltres de l?autorfrence. LE REGARD EXTRIEUR 40 l?institution peut tre assigne une deuxime fonction, tourne explicitement vers le monde extrieur la psychanalyse. Mais celle-ci n?a de sens que si l?institution se soutient d?abord de ce qui est exig d?elle de l?intrieur, c?est--dire de la demande formule par les analystes eux-mmes ? savoir, de mettre sur pied une instance capable d?valuer les pratiques de ses membres. 41 Cette seconde fonction, tourne vers l?extrieur, ne peut tre considre comme nulle et non avenue, parce que le regard extrieur sur l?institution analytique est aussi une ressource pour lutter contre les drives sectaires qui affecteraient une cole entire ayant dtruit en son sein les ressorts de l?activit dontique. Considrer toutes les demandes extrieures comme des menaces pour la psychanalyse est
une erreur dans la mesure o l?exaltation de la menace favorise la formation d?une cohsion du groupe des analystes par rfrence l?ennemi commun. La cohsion forme sur cette base est dltre car elle gnre, on peut le montrer, la formation d?idologies dfensives qui, tendanciellement, scrtent la violence l?extrieur et l?intrieur. 42 La fonction consiste ici, pour l?institution, se porter garante vis--vis de l?tat et de la socit civile de la qualit du travail exerc en son sein, c?est--dire, prcisment, de la qualit du travail d?valuation qui s?y fait. Mme si l?valuation est l?affaire des professionnels eux-mmes, il n?y a pas de raison de faire de ces procdures un secret. Rendre publique, c?est non seulement informer, c?est expliquer de faon circonstancie ces principes. 43 La qualit de l?valuation exerce en son sein, il n?est certes pas facile l?institution psychanalytique de la dmontrer. C?est possible toutefois, condition de savoir user des concepts propres la thorie du travail et de pouvoir montrer, ainsi que j?ai tent de le faire sommairement ci-dessus, comment ces concepts des sciences du travail, manis dans le champ spcifique de la formation, de la transmission et de la dlibration psychanalytiques, permettent de rendre compte de la rationalit de notre pratique. CONCLUSION 44 valuation et institution sont, vis--vis de la pratique psychanalytique, indissociables. Pour autant, les deux termes ne sont pas quivalents. 45 L?valuation porte exclusivement ? ou ne devrait porter que ? sur le travailler de l?analyste. Faire porter l?valuation sur les rsultats du travail est un contresens thorique, car les rsultats du travail (par exemple, la gurison ou l?aggravation des symptmes) n?ont aucune relation de proportionnalit avec le travailler proprement dit. L?valuation ne concerne pas la personne de l?analyste, elle ne devrait s?exercer que sur son savoir-faire. 46 L?valuation passe par des jugements sur la valeur du travailler. Pour la psychanalyse, plus encore que pour tout autre mtier, elle ne peut en aucun cas relever de la mesure quantitative et objective. En tant qu?elle passe par des preuves soumises un jugement, la praxis analytique exige une rfrence. Cette rfrence trouve sa source dans les rgles du mtier d?analyste. De ce fait, l?valuation rationnelle de la pratique d?un analyste particulier ne peut tre ralise que par ceux qui ont une vritable connaissance de ces rgles : l?valuation est l?affaire des pairs. 47 L?institution, quant elle, se porte garante de la transmission des rgles du mtier d?analyste. L?valuation et l?institution sont lies l?une l?autre par l?activit dontique de ses membres. Le pouvoir instituant des psychanalystes, c?est--dire le pouvoir de fonder une institution et de la faire voluer, repose sur ladite activit dontique. La vitalit de cette activit dpend, en dernier ressort, de la qualit de l?espace consacr la dlibration collective des analystes, d?une part, la nature de ce qui est mis en dlibration, d?autre part ? savoir, les rgles du mtier qu?il s?agit de confronter aux configurations du rel (ce qui rsiste au savoir-faire) rvles par le travail et la praxis analytiques de ses membres. BIBLIOGRAPHIE RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Aristote, thique Nicomaque, trad. de J. Tricot, Paris, Vrin.
Cottereau A. (1994), Thories de l?action et notion de travail : note sur quelques difficults et perspectives, Sociologie du travail, numro hors srie Les nigmes du travail . Dejours C. (2003), L?valuation l?preuve du travail. Critique des fondements de l?valuation, Paris, INRA d.. Freud S. (1912), Zur Dynamik der bertragung, ZBL Psychoanal., 2, p. 167-173 ; Sur la dynamique du transfert , OCF . P, t. XI, pp. 105-116. Joliot P. (2001), La recherche passionnment, Paris, Odile Jacob. Ladrire P. (1990), La sagesse pratique, Raisons pratiques, 1, Paris, ditions de l?EHESS, pp. 15-38. Laplanche J. (1987), La transcendance du transfert, Problmatiques V, Paris, PUF, pp. 207-309. M?Uzan M. de (1977), L?exprience de l?inconscient, in De l?art la mort, Paris, Gallimard, pp. 28-48. Pharo P. (1996), L?injustice et le mal, Paris, L?Harmattan, pp. 123-143. Sigaut F. (1990), Folie, rel et technologie, Techniques et culture, 15, 167-179. RSUM Rsum ? L?valuation quantitative et objective de la pratique psychanalytique est, pour des raisons scientifiques, impossible. Mais d?autres modalits d?valuation peuvent tre envisages. Elles passent alors par des mthodes qui font toujours rfrence des rgles de mtier. Or c?est propos de ces rgles de mtier que se font et se dfont les coles. Pratique de l?valuation, prennit de l?institution et rgles de mtier sont indissociables. En fin de compte, le problme le plus compliqu est celui des conditions qui permettent la formation et l?volution des rgles du mtier d?analyste tout en respectant le principe selon lequel la psychanalyse ne produit pas de normes de conduite. Mots cles Institution, Rgle, valuation, Praxis Summary ? The quantitative and objective evaluation of psychoanalytic practice is impossible for scientific reasons. Other modes of evaluation can, however, be envisaged. These make use of methods that inevitably conform to the nature of rules of the trade. The latter determine both the creation and closure of schools. The practice of evaluation, the durability of institutions and rules of the trade cannot be disassociated. In fact, the most complicated problem is related to the conditions that enable the creation and development of the analyst?s tools, whilst also respecting the principle according to which psychoanalysis does not produce norms of behaviour. Mots cles Institution, Rule, Evaluation, Praxis
Zusammenfassung ? Die quantitative und objektive Bewertung der psychoanalytischen Praxis ist, aus wissenschaftlichen Grnden, unmglich. Jedoch, andere Modalitten von Bewertung knnen in Betracht gezogen werden. Sie gehen dann ber Methoden, welche sich immer auf die Regeln des Berufs beziehen. Und es ist aufgrund dieser Berufsregeln, dass sich die Schulen aufbauen und auflsen. Praxis der Bewertung, Fortbestand der Institution und der Regeln des Beruffs, sind untrennbar. Schliesslich ist das komplizierteste Problem. Das der Konditionen, welche die Formation und die Entwicklung der Regeln des Berufs des Analytikers erlauben, jedoch gleichzeitig das Prinzip respektieren, nach welchem die Psychoanalyse keine Verhaltensnormen hervorruft. Mots cles Institution, Regel, Bewertung, Praxis Resumen ? La evaluacin cuantitativa y objetiva de la pr ctica psicoanaltica es, por razones cientficas, imposible. Pero, otras modalidades de evaluacin pueden ser consideradas. Las mismas implican mtodos que siempre est n asociados con reglas del oficio. Ahora bien, es en relacin con las reglas del oficio que se hacen y deshacen las escuelas. Pr ctica de la evaluacin, perennidad de la institucin y reglas del oficio son indisociables. En resumidas cuentas el problema m s complejo es el de las condiciones que permiten la formacin y la evolucin de las reglas del oficio de analista, respetando paralelamente el principio segn el cual el psicoan lisis no produce normas de conducta. Mots cles Institucin, Regla, Evaluacin, Praxis Riassunto ? La valutazione quantitativa e obiettiva della pratica psicoanalitica , per ragioni scientifiche, impossibile. Ma altre modalit di valutazione possono essere prese in considerazione. Esse passano attraverso metodi che fanno sempre riferimento a regole di mestiere. Ed appunto su queste regole di mestiere che le scuole si fanno e si difano. Pratica della valutazione, perennit dell?istituzione e regole di mestiere sono indissociabili. In fin dei conti il problema pi complicato quello delle condizioni che permettono la formazione e l?evoluzione delle regole del mestiere di analista, pur rispettando il principio secondo il quale la psicoanalisi non produce norme di condotta. Mots cles Istituzione, Regola, Valutazione, Prassi PLAN DE L'ARTICLE REVENDICATIONS D?AUTONOMIE ET CRITIQUE DE L?INSTITUTION L?VALUATION, DE FACTO LA CONCEPTION GESTIONNAIRE DE L?VALUATION TRAVAIL OU ACTION ?
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