Hegel critique de Kant
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Hegel, critique de Kant Hegel, critique de Kant parBergamele Sam 24 Jan 2009 - 19:34 - Hegel, critique de Kant Pour comprendre comment un auteur construit l'articulation de sa pensée, une bonne méthode peut consister à essayer d'identifier ce qu'il critique et ce qu'il retient chez ses prédécesseurs. Je me suis donc amusé à essayer de lister les critiques que Hegel adresse à Kant, et à essayer de les organiser. 1. Une connaissance limitée et subjective Evidemment, une première série de critiques porte sur la conception bornée de la connaissance selon Kant. Selon Hegel, il faut en chercher l'origine dans les fondements empiristesdu criticisme. La philosophie critique a cela de commun avec l'empirisme qu'elle considère l'expérience comme l'unique fondement de la connaissance. Mais pour elle la connaissance s'arrête au phénomène et n'atteint pas à la réalité. (Encyclopédie, §XLI) Par ailleurs, les catégories de l'entendement sont un concept vide de sens (sic) : Enseigner que les catégories sont en elles-mêmes des éléments vides, c'est enseigner une doctrine qui n'est pas fondée en raison, en ce que de toutes façons, par là qu'elles sont déterminées, les catégories ont leur contenu. (Petite Logique, 2nde édition) En effet, selon Hegel, Kant conçoit les catégories de l'entendement comme les éléments subjectifsde la conscience.

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Publié le 17 janvier 2017
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Hegel, critique de Kant
Hegel, critique de Kant parBergamele Sam 24 Jan 2009 - 19:34
-
Hegel, critique de Kant
Pour comprendre comment un auteur construit l'articulation de sa pensée, une bonne méthode peut consister à essayer d'identifier ce qu'il critique et ce qu'il retient chez ses prédécesseurs. Je me suis donc amusé à essayer de lister les critiques que Hegel adresse à Kant, et à essayer de les organiser.
1. Une connaissance limitée et subjective
Evidemment, une première série de critiques porte sur la conception bornée de la connaissance selon Kant. Selon Hegel, il faut en chercher l'origine dans les fondements empiristesdu criticisme. La philosophie critique a cela de commun avec l'empirisme qu'elle considère l'expérience comme l'unique fondement de la connaissance. Mais pour elle la connaissance s'arrête au phénomène et n'atteint pas à la réalité. (Encyclopédie, §XLI)
Par ailleurs, les catégories de l'entendement sont un concept vide de sens (sic) : Enseigner que les catégories sont en elles-mêmes des éléments vides, c'est enseigner une doctrine qui n'est pas fondée en raison, en ce que de toutes façons, par là qu'elles sont déterminées, les catégories ont leur contenu. (Petite Logique, 2nde édition)
En effet, selon Hegel, Kant conçoit les catégories de l'entendement comme les éléments
subjectifsde la conscience. Elles donnent une valeur objective à la pure intuition sensible, mais une objectivité conçue comme exprimant l'universel et le nécessaire, et non au sens d'une existence en soi de ce qui est posé devant nous. Or : Si les catégories (l'unité, la cause, l'effet, etc.) sont du ressort de la pensée comme telle, il ne suit nullement de là qu'elles ne sont que nos déterminations et qu'elles ne sont pas aussi les déterminations des objets. Car en réunissant l'élément subjectif et l'élément objectif des déterminations de la pensée dans le sujet, la philosophie critique ne laisse plus en face du sujet que lachose-en-soi(E, §XLI) qu'elle conçoit comme un "abîme infranchissable." (PL, 2nde)
De ce point de vue, la solution de Hegel est donc de conserver le principe selon lequel toutes les catégories ne sont pas contenues dans la sensation immédiate : Un morceau de sucre, par exemple, est dur, blanc, doux, etc. Nous disons que ces qualités se trouvent réunies dans un objet, et cette unité n'est pas dans la sensation. Mais de réfuter l'idée selon laquelle ces pensées ne seraient que subjectives (selon la définition hégélienne, toujours) : Ce qui fait, au contraire, la vraie objectivité de la pensée, c'est que les pensées ne sont pas simplement nos pensées mais qu'elles constituent aussi l'en soides choses et du monde objectif en général." (PL, 2nde)
L'objectivité, au sens de Hegel, c'est donc "l'en soipensé", c'est-à-dire tout à la fois la détermination de l'objet et la connaissance objective.
2. La valeur du criticisme
A parir de là, la notion devéritérisque évidemment d'être bien différente chez Kant et chez Hegel. En fait, selon Hegel, Kant ne parvient jamais à la connaissance vraie, et il en est incapable, du simple fait de l'origine sensible de cette connaissance. En effet, le criticisme prétend que tout ce qui peut être connu n'est que "l'être contingent et périssable", par conséquent il prétend "que ce qui peut être connu n'est pas le vrai, mais le faux." (Discours de 1816 à l'Université de Berlin).
Mais le criticisme ne se contente pas d'affirmer que l'origine de la connaissance est sensible, il pose cette connaissance comme une connaissance absolue en disant que l'intelligence ne peut aller au-delà, et que c'est la limite naturelle et absolue de la science humaine. Mais il n'y a que les choses de la nature qui soient limitées, et elles ne sont des choses de la nature que parce qu'elles ignorent leur limite ; car leur déterminabilité est une limite pour nous et non pour elles. (E, §LX) Or, que les formes de l'entendement n'aient aucune application à lachose en soi"ne peut avoir qu'un seul sens : ces formes en elles-mêmes sont fausses." (Grande Logique, Introduction)
Ailleurs, Hegel préfère dire que le criticisme, plutôt que de produire une connaissance fausse, produit une connaissance "superflue". En effet, dit-il, la doctrine de Kant n'a fait faire aucunprogrèsà la science : Montrer que les déterminations de l'universalité et de la nécessité sont les éléments de la connaissance, ce n'est qu'indiquer un fait qui ne réfute pas le scepticisme de Hume. La philosophie de Kant constate seulement un fait, et l'on peut dire en se servant du langage ordinaire de la science qu'elle s'est bornée à donner une nouvelle explication de ce fait. (E, § XLI) En fait, elle n'est tout simplement qu'une "description psychologique".
Au fond, tout se passe un peu comme si Kant, selon Hegel, ne voulait pas connaître le vrai. Alors que l'esprit éprouve naturellement "le désir de connaître cette identité ou cettechose-en-soi" (E, § XLIV), avec Kant, il est une recherche inquiète qui dans le processus de chercher déclare qu’il est absolument impossible d’avoir la satisfaction de trouver. (Phénoménologie de l'Esprit)
Finalement, la philosophie critique estpusillanime. En faisant porter la recherche sur l'usage légitime des catégories de l'entendement, elle interroge avec profit les formes de la pensée elle-même, et les élève au rang d'objet de connaissance. Mais dans cette saisie de la pensée par elle-même se glisse une confusion : C'est de vouloir connaître avant de connaître, c'est de ne pas vouloir entrer dans l'eau avant d'avoir appris à nager. (P.L., 2nde) Or, cette crainte d'un mauvais usage possible des formes de l'entendement présuppose beaucoup de choses : Elle présuppose notamment une représentation de la connaissance comme instrument et milieu, et aussi une distinction entre nous et cette connaissance ; mais surtout elle présuppose que l'Absolu se trouve d'un côté, et que la connaissance qui se trouve d'un autre côté, pour soi, séparée de l'Absolu, est pourtant quelque chose de réel ; en d'autres termes, elle présuppose que la connaissance (qui est certainement en-dehors de la vérité, puisqu'elle est en-dehors de l'absolu) est pourtant vraie -position qui fait découvrir en ce qui se proclame crainte de l'erreur, la simple crainte de la vérité. (Ph.)
En bref, Kant a reculé devant la difficulté et n'a pas su aller au bout de sa découverte. Du coup, "la critique de la raison pure n'est qu'un idéalisme timide et subjectif." [E., §XLIV)
Mais quel est précisément cet obstacle devant lequel le courage de Kant aurait fléchi ?
_________________ ...que vont charmant masques et bergamasques...
Re: Hegel, critique de Kant parBergamele Sam 24 Jan 2009 - 20:05
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3. La contradiction
Bergame Persona
Nombre de messages : 2254 Date d'inscription : 03/09/2007
Hegel reconnaît donc à Kant d'avoir d'avoir élevé la pensée à un niveau où elle devient à elle-même son propre objet, c'est-à-dire au niveau de laréflexivité: Il faut en général comprendre par ce mot l'entendement abstrayant et par là divisant, qui persévère dans ses divisions. Tourné contre la raison il se comporte commesens communfait valoir ses vues d'après lesquelles la vérité repose sur la réalité sensible, et et les pensées sont seulement des pensées, dans ce sens que c'est seulement la perception sensible qui leur donne contenu et réalité, et que la raison, dans la mesure où elle reste en et pour soi, n'enfante que des chimères. (GL, Introduction)
On voit donc ici ce que Hegel critique et conserve du moment kantien de la philosophie : Certes, le criticisme aboutit à un "renoncement de la raison à elle-même" mais en chemin, il a découvert le "conflit nécessaire des déterminations de l'entendement". Ce conflit a atteint son expression la plus manifeste chez Kant, avec l'exposé des antinomies de la raison. Mais autant la pensée d'une contradiction essentielle de la raison constitue selon Hegel "le progrès le plus important et le plus profond de la philosophie moderne", autant la solution des antinomies est "superficielle". (E., §XLVIII).
Ce que Hegel reproche fondamentalement à la philosophie critique, c'est d'avoir laissé la contradictionau seul niveau de la raison. Avec Kant, "on s'imagine que c'est la raison qui entre en contradiction avec elle-même." On notera à cet endroit comme le discours prend un tour ironique et un brin compatissant : On a éprouvé une sorte de tendresse pour le monde : on a pensé que la contradiction serait une tache sur lui, et que c'est à la raison, à l'essence de l'esprit qu'il faut l'attribuer. (E., XLVIII) Ou encore : Quelle tendresse pour les choses ! Comme ce serait dommage si elles se contredisaient ! Mais que l'Esprit soit la contradiction, cela n'a pas d'importance [...] Or, le contradictoire se détruit ; ainsi donc l'Esprit est en lui-même désordre, folie.(Leçons sur l'Histoire de la Philosophie, III)
On mesure l'étendue du crime...
La solution de Hegel consiste donc à réviser la notion d'aperception pure, et de poser "l'unitétranscendantale de la conscience de soi" selon laquelle "les déterminations de la pensée ont leur source dans le moi". Le moi est, si l'on peut ainsi dire, le creuset et le feu où la multiplicité vient se dissoudre, et est ramenée à l'indifférence et à l'unité [...] Il faut dire que cette doctrine exprime bien la nature de la conscience. L'homme aspire à la connaissance du monde, il aspire à se l'approprier et à se le soumettre, et il faut que la réalité du monde en quelque sorte s'efface, c'est-à-dire s'idéalise devant l'activité humaine.(PL, 2nde) En effet, tout au contraire de ce que dit Kant, ou plutôt de ce qu'il insinue, nous savons de l'expérience que le Moi ne se dissout pas ; nous savons que le Moi est. On peut donc se désintéresser de ses contradictions ; puisqu'il ne se dissout pas, il peut les supporter. (Leçons, III)
Toutefois, la contradiction ne disparait pas, elle est simplement placée dans les choses. Tandis que le Moi est l'être originairement identique, "l'être qui ne fait qu'un avec lui-même et qui est tout à fait en lui-même", l'être sensible est l'être extérieur, extérieur aux choses et à lui-même. C'est un être multiple qui n'est qu'autant qu'il n'est pas ses contraires, et que ces contraires sont : Le présent, par exemple, n'est que dans son rapport avec un avant et un après. De même, le rouge n'existe qu'autant que le jaune et le bleu viennent se poser comme contraires devant lui. (PL, 2nde)
La contradiction devient donc une détermination de toutes choses, qui trouve sa résolution en tant que réduction du multiple dans l'unité de la conscience : Le point essentiel qu'il faut remarquer ici, c'est qu'il n'y a pas seulement quatre antinomies tirées du monde, mais qu'il y en a dans tous les objets de quelque nature qu'ils soient, comme dans toute représentation, dans toute notion et dans toute idée. Etablir ce point et reconnaître cette propriété dans les choses, c'est là l'objet essentiel de l'investigation philosophique : c'est cette propriété qui constitue le moment dialectique de la logique. (E., §XLVIII).
On n'oubliera pas pourtant que cette conscience est objective et non plus subjective. Par conséquent, il faut aussitôt ajouter que : Cette unité est bien plutôt l'absolu lui-même, la vérité elle-même. C'est pour ainsi dire la bonté de l'absolu qui laisse aux existences individuelles la jouissance d'elles-mêmes et les stimule en même temps à revenir à leur unité absolue.
4. Le scepticisme
Outre la contradiction, l'autre grande avancée de la philosophie critique est d'avoir posé
l'autonomie absolue de la raison: Le résultat de la philosophie de Kant consiste à avoir affranchi la pensée et la raison de toute détermination extérieure et de toute autorité, et de leur avoir donné la conscience de leur absolue indépendance […] L’indépendance absolue de la raison, est, depuis Kant, le principe essentiel de toute philosophie, et l’une des croyances universelles des temps modernes. (E., § LX) J'avoue trouver très intéressant comment Hegel présente cette idée ici, car il ne la présente pas comme une connaissance vraie ou une certitude, du type de celle qui préside à la conscience de l'unité du moi, mais comme un postulat et une croyance, dont il s'avère simplement qu'elle n'est pas remise en cause aujourd'hui -enfin, aux jours de son époque, donc. Ici, nous pouvons le noter pour la suite, Hegel se fonde sur la connaissance commune.
Mais pour l'heure, ayant posé l'autonomie de la raison comme une croyance et non une vérité, Hegel peut demander en substance s'il est nécessaire de suivre Kant jusque dans tous ses développements. Car certes, suivre sa conviction propre vaut certainement mieux que se rendre à l’autorité ; mais par la transformation d’une croyance par autorité en une croyance par la propre conviction, le contenu de la croyance n’est pas nécessairement changé, ni l’erreur remplacé par la vérité. Être pris dans le système de l’opinion et du préjugé en vertu de l’autorité d’autrui ou par conviction propre, ne diffère que par la vanité inhérente à la seconde manière. (Ph.) Autrement dit sans le dire, pourquoi devrions-nous soumettre notre jugement à l'autorité de Kant sans examen ? Assurons-nous au préalable qu'il dise vrai. Or, précisément, les philosophes critiques ont délaissé la recherche du vrai : Ils sont allés aussi loin que Pilate, le proconsul de Rome, qui, ayant entendu le Christ prononcer le mot vérité, lui demanda : "Qu'est-ce que la vérité ?" comme quelqu'un qui sait à quoi s'en tenir sur ce sujet, qui sait, veux-je dire, qu'il n'y a pas de connaissance de la vérité. Et ainsi, cet abandon de la recherche de la vérité qui, de tous temps, a été regardé comme la marque d'un esprit vulgaire et étroit, est aujourd'hui considéré comme le triomphe de l'esprit. (Discours à l'Université de Berlin, 1816)
On voit, je crois, se dessiner la critique la plus forte : Il ne s'agit pas seulement de ce que Kant aboutisse à une doctrine qui, après tout, est la sienne et constitue un moment dans l'histoire de la philosophie ; il ne s'agit pas seulement de discuter de la valeur de cette doctrine pour la connaissance ; il ne s'agit pas seulement de ses lacunes, de ses erreurs, voire même d'une certaine lâcheté intellectuelle ; il s'agit d'une décision consciente, d'une revendication motivée et justifiée, que la connaissance vraie est une impossibilité et unégarementde la raison. Au fond, je crois que ce n'est pas par hasard si Hegel irait presque jusqu'à dire que le pauvre Kant est un peu trop sensible, voire un peu fou : Il ne fait jamais que renverser l'argument. Pourquoi faudrait-il que la philosophie s'arrête avec Kant ? De toutes façons, comme nous le verrons, selon Hegel, elle ne lepeutpas.
Faire de la critique un moment, seulement un moment, dans le déploiement de la
pensée, voila donc le projet de Hegel. Pour cela, il faut montrer que c'est la manière dont Kant comprend le rapport sujet-objet et les propres présupposés de sa théorie de la connaissance qui le conduisent à unscepticismeindéterminé, abstrait, qui, dans le néant, ne voit que le néant. Mais le néant n’est en fait rien d’autre, pris comme le néant de ce dont il résulte, que le véritable résultat ; par quoi il est un néant déterminé avec un contenu […] Dans la mesure où le résultat est compris, comme il l’est en vérité, c’est-à-dire comme négation déterminée, alors immédiatement une nouvelle forme naît, et dans la négation est effectuée la transition par laquelle le processus à travers la série complètes des figures de la conscience résulte de lui-même. (Ph.)
Seulement, le « contenu » dont il est ici question n’est évidemment pas un contenu sensible. A vrai dire, le contenu de la connaissance n’estaucunementsensible. C’est précisément la raison pour laquelle, lachose-en-soipeut être connue : Lachose en soi–et sous cette dénomination l’on comprend aussi l’esprit, Dieu, etc. – est l’objet où l’on fait abstraction de tout ce qui le rend saisissable à la conscience, de tout élément sensible comme de toute pensée déterminée. L’on voit aisément qu’il ne reste après cela, qu’une pure abstraction, un être vide qui recule indéfiniment et échappe à la pensée, une négation de toute représentation […] Mais on peut faire, à cet égard, cette réflexion bien simple, à savoir : Que cecaput mortuumest lui-même un produit de la pensée, de la pensée qui forme cette abstraction pure, ou du moi vide […] On doit, par conséquent, s’étonner d’entendre si souvent répéter qu’on ignore ce qu’est la chose en soi, car il n’y a pas de connaissance plus facile que celle-là. (E. § XLIV)
La méthode dialectique présentant un moment affirmatif et un moment négatif, critique, de la connaissance, le scepticisme kantien, "peu rassurant pour l'esprit", devient désormais "un peu superflu". Hegel peut alors affirmer avoirdépasséKant, mais sans pour autant en être revenu à la vieille métaphysique, à une pensée sans critique. Cela est bel et bon.
Sauf que, tout de même : L'ancienne métaphysique avait de la pensée un concept plus élevé que celui qui est devenu courant dans les temps modernes. Cette métaphysique acceptait l'idée fondamentale suivante : ce qui est connu par la pensée, des choses et dans les choses, est leur seule véritable vérité. Ainsi les choses n'étaient pas acceptées telles quelles, dans leur aspect immédiat, mais élevées à la forme de la pensée, en tant que pensées. Pour cette métaphysique donc la pensée et la détermination de la pensée n'étaient pas quelque chose d'étranger aux objets, mais plutôt leur essence ; autrement dit, les choses et leur pensée [...] s'accordent quand elles sont pleinement actualisées. La pensée dans ses déterminations immanentes et la nature véritable des choses, sont un seul et même contenu. (G.L., Introduction)
_________________ ...que vont charmant masques et bergamasques...
Re: Hegel, critique de Kant parBergamele Sam 24 Jan 2009 - 20:39
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5. Pensée et être
Bergame Persona
Nombre de messages : 2254 Date d'inscription : 03/09/2007
On aura peut-être noté, au passage d'une citation précédente, qu’en définissant Dieu comme unechose en soi, Hegel affirmait tout à la fois son existence (en soi) et la possibilité pour l’esprit de le connaître. Dès lors, on ne s’étonnera pas que Hegel s'attaque à la réfutation kantienne des preuves del'existence de Dieu.
Dans lIdéal de la Raison Pure(qui suit d'ailleurs, dans la CRP, l'exposé des antinomies de la raison), Kant avait montré que les différentes preuves de l’existence de Dieu se réduisaient toutes à l’argument ontologique. Cet argument peut être présenté ainsi : 1. Quelque chose de nécessaire ne peut pas ne pas exister (selon le concept de nécessité) 2. Dieu est un être nécessaire (selon le concept de Dieu) 3. donc Dieu existe.
Or, continuait Kant, l’existence de Dieu ne peut être déduite de son seul concept. Afin de montrer que « être n’est pas un prédicat réel », c’est-à-dire que d’une « idée », d’un possible, on ne peut déduire l’existence réelle, Kant avait utilisé l'argument devenu fameux des 100 thalers : Cent thalers réels ne contiennent rien de plus que cent thalers possibles […] Mais je suis plus riche avec cent thalers réels que si je n’en ai que l’idée (c’est-à-dire s’ils sont simplement possibles). (III, 401)
De là, découlait un raisonnement qui justifiait la quatrième antinomie selon laquelle on ne peut attribuer aucune réalité empirique au concept d'un être absolument nécessaire, et qu'il ne peut être objet pour la raison théorique qu'en tant qu'elle estspéculative: Une connaissance théorique estspéculative, quand elle se rapporte à un objet ou à des concepts d’un objet auquel on ne peut arriver par aucune expérience. Elle est opposée à la connaissance de la nature, laquelle ne s’étend à d’autres objets ou à d’autres prédicats qu’à ceux qui peuvent être donnés dans une expérience possible […] L’être suprême demeure donc pour l’usage purement spéculatif de la raison un simple idéal. (III, 421-425) Cet "idéal" servira d'ailleurs de modèle à Kant pour son concept d’ « idées régulatrices » de la raison théorique, à savoir Dieu, l’immortalité de l’âme et la liberté.
Que dit donc Hegel de tout cela ? Il commence par accepter la validité « évidente » de cette distinction entre la pensée et l’être, tellement évidente, à vrai dire, qu’ « il n’y a pas de connaissance plus vulgaire ». Mais, ajoute-t-il aussitôt, on ne devrait pas ignorer que, lorsqu’il s’agit de Dieu, l’on est en présence d’un objet d’une toute autre espèce que cent thalers.
Je soupçonne –si l'on me permet une hypothèse de psychologue- que le fond, ou le premier mouvement de la critique de Hegel porte sur le prix accordé à l’idée de Dieu. Et à bien y réfléchir, c’est assez amusant, d’ailleurs, que Kant ait utilisé précisément ce type d'exemple pour justifier de la non-existence de Dieu. « 100 thalers dans ma poche sont plus réels que Dieu. » Une vraie provocation...
Toujours est-il qu'à partir de là, Hegel développe la discussion dans deux directions -qui, bien sûr, se rejoignent. Il définit la notion de Dieu : Ce qui fait la finité des choses, c’est que leur existence se distingue de leur notion. Mais à l’égard de Dieu, la pensée et l’existence, la notion et l’être sont inséparables. Et c’est précisément cette unité de la notion et de l’être qui constituent la notion de Dieu. Nous retrouvons bien l’absolu en lequel se résolvent toutes les contradictions. Nous voyons aussi qu’« être » et « existence » sont synonymes, et consistent en un rapport immédiat (sans médiation) de la notion avec elle-même : Avoir une notion, c’est poser ce qui est. Ainsi, Hegel définit également l’être, la plus vide des déterminations. Il n’y a rien, en effet, qui ait moins de contenu que l’être, si l’on excepte toutefois ce qu’on est porté d’abord à prendre pour l’être, à savoir : une existence extérieure et sensible, ce papier, par exemple, qui est devant moi. Mais personne ne voudra arrêter un instant son attention sur cet objet fini et transitoire. (E, § LI)
Il me semble que cette discussion met en lumière les articulations respectives entre concept et existence, pensée et être, chez Kant et Hegel.Chez Kant, le concept, en
tant que possible, est toujoursplusque le réel, en tant qu’existence sensible. Chez Hegel, le concept est tellementplusque l’existence sensible qu’il est le résultat de sa négation, résultat qui est immédiatement le réel.
6. Le mouvement "ascendant" de la pensée
A la suite du passage cité précédemment, Hegel propos un second argument contre la réfutation kantienne de la preuve ontologique, un argument qui évoque lemouvement inéluctable de la pensée: En outre, cette remarque vulgaire de la critique kantienne, que la pensée et l’être sont deux choses distinctes pourra troubler l’esprit, mais elle ne parviendra pas à y arrêter ce mouvement par lequel il va de la pensée de Dieu à l’affirmation de son existence. La doctrine de lascience immédiateou dela foia, avec raison, rétabli la légitimité de ce passage et l’indivisibilité absolue de l’être de Dieu et de sa pensée.
Notons d'abord que cette nouvelle citation dévoile un autre aspect de la critique de Hegel à l'égard de Kant, et qu'on aura peut-être pu repérer en divers endroits de cet exposé tant elle est récurrente, l'idée selon laquelle la pensée critique est "vulgaire". Par exemple, le criticisme ressort trop aisément de l'opinion commune : Le concept de la logique repose sur la séparation admise d’avance dans la conscience ordinaire entre le contenu de la connaissance et sa forme, en d’autres termes entre la vérité et la certitude. (G.L., Introduction)
Mais ce qui peut apparaître amusant, c’est qu’il arrive aussi à Hegel de justifier la critique de Kant par le même sens commun. Ainsi, à propos du dualisme : Avec Kant, on maintient la différence, le dualisme est l'ultime ; chaque aspect pour soi est accepté comme absolu. Ce qui veut être ici l'absolu et l'ultime est le mauvais. Le bon sens humain est contre cela ; chaque conscience ordinaire dépasse ce point de vue, chaque action tend à dépasser une idée (subjective) et la rendre objective. Aucun homme n'est aussi bête que cette philosophie : quand il a faim, il ne se contente pas d'imaginer des nourritures, mais il agit pour se rassasier. (Leçons, III, 585)
Ou encore, lorsque Hegel réfute l'idée selon laquelle les catégories sont vides de contenu. Certes, ce contenu n’est pas sensible, dit-il, mais ce n’est pas là un manque, c’est plutôt une perfection. C’est ce que reconnaît la conscience ordinaire elle-même lorsque, par exemple, elle dit d’un livre, ou d’un discours que son contenu est d’autant plus riche, qu’il renferme d’autant plus de pensées, de résultats généraux, etc. ; et que par contre, elle n’accorde pas de valeur à un livre, disons à un roman, où l’on a entassé des situations, des évènements individuels, et d’autres traits semblables. Par là, la conscience ordinaire reconnaît elle aussi que la nature du contenu exige quelque chose de plus que la matière sensible. (PL, 2nde)
C'est l'avantage, bien sûr, d'avoir intégré le criticisme comme un moment de l'hégélianisme, on peut le retourner contre lui-même. La conscience ordinaire est donc hégélienne, tout comme l'est sa critique. Admettons donc, même si l'on n'est pas obligé de partager les convictions de Hegel quant à la hiérarchie des valeurs de la "conscience ordinaire". Toujours est-il qu'on peut se demander ce qui, selon Hegel, peut bien pousser la conscience ordinaire à s’élever ainsi du sens commun vers les idées les plus générales.
Selon Hegel, il existe unbesoinà l'origine du mouvement de la pensée, qui fonde d’ailleurs la philosophie : La philosophie a notamment pour fondement un besoin de l’esprit qui, en tant qu’esprit doué de sensibilité, d’imagination, de volonté, n’a comme objet que des êtres sensibles, des représentations et des fins diverses, et qui, en opposition avec ces formes de son existence et de ces objets, éprouve le besoin de satisfaire ce qu’il y a de plus intime en lui –c’est-à-dire à sa pensée- et de l’élever à ce degré où il n’a qu’elle pour objet. (E, §XI)
Le principe de la contradiction trouve donc ici son origine : De la confrontation entre le mouvement « naturel » de l’esprit qui n’aspire qu’à se « saisir lui-même » et la présence –au sens de ce qui est là, devant soi- d’êtres sensibles, tout aussi « naturellement » insatisfaisants pour ce même esprit. A partir de là, il me semble qu'on comprend mieux ce que signifie la résolution de la contradiction :La progression de l'esprit vers son essence en tant qu'absolunécessitel'anéantissement du monde sensible. La pensée trouve, d’une part, sa satisfaction dans l’idée de l’essence universelle du monde phénoménal (l’absolu, Dieu), idée qui peut être plus ou moins complète. D’autre part, la connaissance empirique elle-même est naturellement stimulée à effacer cette forme, où la richesse de son contenu se présente comme une existence immédiate et extérieure, comme un assemblage d’éléments qui se succèdent sans ordre, et d’une manière fortuite, et à élever ainsi ce contenu à la forme nécessaire de la pensée. C’est ce désir qu’éprouve la pensée d’atteindre à l’essence universelle, et la satisfaction qu’elle en tire, qui est le point de départ et le mobile de ses développements. (E. § XII)
Encore qu'ici, on parle de « nécessité » et de « nature », bref on parle d'être. Mais pour faire bonne mesure, je livre l’autre version de ce discours, où il s’agira plutôt de « foi » et de devoir-être : Le courage de la vérité, la foi en la puissance de l’Esprit sont la première condition de la philosophie. L’homme, puisqu’il est Esprit, a le droit et le devoir de se considérer comme digne des choses les plus hautes ; il ne peut surestimer la grandeur et la puissance de son Esprit […] La nature d’abord cachée et fermée de l’univers n’a pas la force qui puisse résister au courage de la connaissance ; elle doit s’ouvrir devant lui, offrir à ses yeux et à sa jouissance sa richesse et sa profondeur. (Leçons, 6)
Et enfin, la version anthropologique : S’il est juste de dire que l’homme se distingue des animaux par la pensée, tout l’humain n’est tel que parce qu’il est l’œuvre de la pensée. (E, §II)
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