Homosexualité, vu de G.Devreux et de l Eglise
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L'homosexualité grecque pré-platonicienne et a fortiori pré-hellénistique, qui fait l'objet de cette étude, a plus souvent été " oblitérée " par les explications plutït qu'élucidée [1]. De ce fait, il n'existe à ma connaissance aucune tentative pour l'aborder psychanalytiquement, ceci bien que la perversion soit un problème psychiatrique; peut-être la cause doit-elle en être cherchée dans la conviction erronée que la psychanalyse fait paraître les choses pires qu'elles ne sont [2]. Pourtant, à observer les faits en toute bonne foi, on découvre d'ordinaire qu'ils sont moins monstrueux que ne le sont leurs ombres sur les murs. Psychiatriquement, le comportement homosexuel est, sous certains rapports, moins pathologique que ne l'est l'homosexualité psychologique idéalisée par Platon.
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Langue Français

Extrait

* Texte paru en français dansEthnopsychiatrica, II, 2, 1979, 211-241
Introduction
L'homosexualité grecque pré-platonicienne et a fortiori pré-hellénistique, qui fait l'objet de cette étude, a plus souvent été " oblitérée " par les explications plutït qu'élucidée[1]. De ce fait, il n'existe à ma connaissance aucune tentative pour l'aborder psychanalytiquement, ceci bien que la perversion soit un problème psychiatrique; peut-être la cause doit-elle en être cherchée dans la conviction erronée que la psychanalyse fait paraître les choses pires qu'elles ne sont[2]. Pourtant, à observer les faits en toute bonne foi, on découvre d'ordinaire qu'ils sont moins monstrueux que ne le sont leurs ombres sur les murs. Psychiatriquement, le comportement homosexuel est, sous certains rapports, moins pathologique que ne l'est l'homosexualité psychologique idéalisée par Platon.
Nous défendons ici le point de vue selon lequel l'homosexualité pré-platonicienne, bien que manifeste au niveau du comportement, était psychologiquement inauthentique. Elle était un produit dérivé de la manière malencontreuse dont les Grecs faisaient fonctionner une conIguration psycho-sociale, dont le vrai fruit était le " Miracle Grec ".
L'homosexualité grecque était un phénomène à la fois psychiatrique et culturel; son interprétation requiert donc l'utilisation conjointe de données cliniques et socio-(ethno)logiques. Je n'entends nullement par là que les Grecs fussent mi-Hottentots, mi-névrosés mais que les Grecs, Hottentots et névrosés sont également humains; qu'ils ne pourraient être ni Grecs, ni Hottentots, ni névrosés s'ils n'étaient en premier lieu des hommes. Refuser d'appréhender les Grecs avant tout comme des être humains ne peut que nous conduire -pace Wilamowitz - à l'incompréhension totale de leur grécité. Si, d'ailleurs, l'expérience grecque n'est pas celle d'hommes comme nous-mêmes, elle n'a aucun rapport avec nous et ne mérite pas qu'on l'étudie.
Une rigoureuse application des " insights " psychanalytiques et ethnologiques prouvera que le Grec moyen - même le dandy athénien laconisant, même le Spartiate - n'était pas, psychiatriquement, un perverti, en dépit de son comportement homosexuel. A certains égards il était peut-être même plus hétérosexuellement orienté que l'homme moderne.
Un adolescent contemporain, courtisé par des hommes adultes, encouragé à en tirer gloire et soumis de plus à des pratiques homosexuelles deviendrait, dans la plupart des cas, un perverti authentique et permanent et dans le reste des cas, un névrosé. L'adolescent grec devenait pourtant un adulte non névrosé - totalement (ou en grande partie) hétérosexuel. En fait les Grecs considéraient le rïle d'éromenos comme un stade du développement de l'enfant vers la masculinité. Ce n'était assurément pas la meilleure voie, mais elle était rendue nécessaire par un paternage inadéquat, comme il sera montré plus loin[3].
En somme, l'homosexualité grecque fut un phénomène à la fois psychologique et sociologique; pour autant qu'elle fut un comportement individuel, elle doit être expliquée psychologiquement, en tant qu'activité culturellement encouragée, de manière sociologique. Des explications multiples et également complètes sont courantes dans le monde scientiIque[4].
Les explications psychologiques et sociologiques d 'un phénomène donné étant complémentaires[5]dans le sens heisenbergien du terme, on peut, par exemple, faire à la fois sociologiquement et psychanalytiquement l 'analyse longitudinale d'un cas d'homosexualité, déterminer la convergence des deux explications et démontrer que les deux ensembles discrets de causes et de mobiles se renforcent mutuellement[6].
La capacité de " fonctionner " homosexuellement fait partie du répertoire potentiel global de l'humanité, au même titre que la capacité (également anormale) d'avoir des visions. Le névrotique actualise de telles potentialités poussé par des besoins idiosyncrasiques; dans une large mesure les Grecs manifestèrent les leurs en réponse à une demande culturelle[7]. Cela ne signiIe pas que l'actualisation de notre potentiel humain global soit normale, simplement parce qu'elle répond aux pressions culturelles[8]; la société exige souvent de ses membres qu'ils se comportent anormalement et récompense ceux qui obtempèrent à cette demande: la Pythia, les Bakchai, le berserker, le ghazi, le visionnaire crow.
La nature d 'une perversion authentique
Ce qui est signiIcatif d'une perversion, ce n'est pas une forme particulière de comportement, mais le fait que ce comportement soit rendu nécessaire et possible par des fantasmes pervers sous-jacents. On ne peut guérir une perversion en interdisant certains actes au perverti; ce qui doit être aboli, c'est le fantasme qui la sous-tend[9]. On doit donc placer au cœur de toute discussion sur l'homosexualité grecque - et sur la sexualité en général - la fantasmatique grecque, telle qu'elle nous est transmise par les mythes et la littérature. Comme cette étude se limite à l'homosexualité courante, les pervertis authentiques qui ont réellement exiaté ne seront mentionnés qu'au
passage[10].
La perversion, au sens psychiatrique, a trois caractéristiques fondamentales:
1)Stabilité. Les perversions - et l'homosexualité masculine en particulier - sont extrèmement diciles à guérir. Toutefois l'homosexualité grecque courante n'était pas une conIguration comportementale stable. Les étapes de son évolution vers l'hétérosexualité étaient méme standardisées: eromenos, erastes, mari[11]. Ceux dont le comportement s'écartait de cette forme -l'eFéminé, le " coureur de garçon " - étaient critiqués, tournés en ridicule et pénalisés par la société.
2)Compulsion. Une perversion est une sorte de compulsion; le perverti a aussi peu de contrïle sur sa perversion que le mysophobe n'en a sur son incessant lavage de main. Vingt cinq ans d'expérience clinique m'ont convaincu qu'une perversion est surtout un mécanisme de défense contre l'angoisse et seulement en second lieu un exutoire pulsionnel et une source de plaisir. Le perverti, privé de la pratique de sa perversion (compulsion), ressent d'abord de l'angoisse; ce n'est que plus tard qu'il éprouve également une frustration sexuelle. Le contraire se produit chez des personnes normales privées de rapports hétérosexuels. Je n'ai connaissance d'aucune donnée mentionnant que le Grec moyen, privé de relations homosexuelles devint angoissé. Certains comportements excessifs et exhibitionnistes d'amoureux éconduits nous semblent des performances théatrales stylisées, comparables aux poses aFectées des soupirants français du dix-septième siècle ou du désespoir d'histrion des amoureux romantiques. En bref, il n'existe aucune preuve que l'homosexualité grecque courante fut une compulsion, au sens où une perversion authentique est une compulsion.
3)Atténuation du plaisir. Un des buts (inconscients) d'une perversion est de réduire l'intensité des expériences sexuelles de peur qu'une jouissance totale puisse amener une " perte de contrïle "[12]. Dans une perversion, la pulsion est fusionnée avec et mise au service des pulsions agressives non-sexuelles; cela explique non seulement pourquoi les actes pervers procurent un plaisir moindre que les normaux, mais encore pourquoi une " perte de contrïle " y est redoutée: le " danger " réside dans l'éventualité d'une désinhibition possible de l'agressivité directe et non déguisée. Les Doriens résolurent partiellement le problème en associant homosexualité et militarisme, ce qui fournit un exutoire supplémentaire à l'agressivité. En somme, nous n'avons aucune preuve que l'homosexuel grec fut un anti-hédoniste larvé ou que son homosexualité ait recèlé une somme considérable d'agressivité et d'hostilité fusionnée avec la
sexualité.
Puisque l'homosexualité grecque n'était ni stable, ni compulsionnelle, ni anti-hédonistique, ni fusionnée avec une quantité appréciable d'agressivité, le Grec moyen n'était pas un perverti authentique, dans le sens strictement psychanalytique du terme. Son comportement homosexuel avait donc des racines psychologiques radicalement diFérentes.
La sexualité pubertaire indiférenciée
La perversion authentique a ses racines dans la prime enfance. L'homosexualité grecque semble avoir eu les siennes dans la sexualité pubertaire dont elle représentait probablement le prolongement. La notion d'une sexualité indiFérenciée - et non diFérenciante - était probablement connue des Grecs[13]. La sexualité diFuse de la puberté n'est normale qu'à cet âge; elle doit être dépassée par la suite. Les Grecs retardèrent l'abandon de cette " névrose de développement " par des moyens culturels.
1.Spontanéité et étrangeté. A la puberté, le besoin sexuel est vécu comme force spontanée et presque extérieure, dans le sens où Medeia éprouve son " thumos " comme presque extérieur à elle[14]. La tumescence spontanée fascinait les Grecs comme elle fascine les adolescents[15]. L'expérience d'une telle excitation comme " étrangère au moi " est - pour des raisons évidentes -plus marquée chez le garçon que chez la Ille. l semble que seule Eos soit constamment et spontanément excitée[16]; l'excitation d'autres femmes mythiques semble toujours provoquée par un " objet d'amour ". Cela suggère que la femme grecque, bien maternée, atteignait la maturité psychosexuelle[17]plus tït que l'homme. Cette particularité du " vécu " de la pulsion sexuelle chez les adolescent et les Grecs explique en partie l'attrait obsessionnel de l'erastes pour le phallus (et non pour la "puge"[18]). Une telle attitude est certainement inhabituelle chez les pervertis authentiques (actifs); on la trouve par contre fréquemment chez le garcon psychosexuellement immature[19].
2.L'érotisme centré sur lui-mêmede l'adolescent est une conséquence directe de ses préoccupations phalliques; les émotions et le " vécu " du (ou de la) bien-aimé(e) ne l'intéressent pas réellement. Les Grecs le savaient: ils n'attendaient " d'anteros " que de la part des jeunes adultes[20]. Un examen approfondi des poèmes d'amour de la haute antiquité conIrme la prédominance de l'érotisme centré sur lui-même[21], ce qui est un signe typique d'immaturité; l'adulte
authentique, au contraire, est attentif aux sentiments du (ou de la) bien-aimé(e), au lieu de ne l'être qu'à sa docilité; pour lui, " l'anteros " est indispensable.
Une manifestation de ce type d'érotisme adolescent apparaît peut-étre à travers les nombreux viols rapportés par les mythes grecs; ils sont plus nombreux là que dans aucune autre mythologie que je connaisse.
3.IndiFérenciation. L'adolescent - et spécialement le pubescent - n'est pas (encore) hétéro ou homo-sexuel; il est seulement " sexuel ". Presque chaque objet extérieur peut déclencher une réponse libidinale ou être fantasmé comme moyen potentiel de gratiIcation[22]. De plus presque chaque humeur fait surgir un cortège d'associations sexuelles: joie, tristesse, plaisir esthétique, bien être physique après l'eFort etc. peuvent toutes mobiliser désirs et fantasmes érotiques. Les enquêtes orientées purement vers les comportements - comme les rapports Kinsey - et les investigations psychanalytiques prouvent toutes deux que les adolescents se livrent à des expériences sexuelles variées.
4.Pseudo-diFérenciation et prestige. Puisque l'adolescent peut " fonctionner " presque aussi aisément dans des registres divers, il le peut également dans le registre Ixé par la société. Les adolescents américains multiplient avec une sorte de frénésie les rendez-vous amoureux, non parce qu'ils sont déjà hétérosexuels, mais parce que c'est là ce qu'on attend d'eux et ce qui leur confère du prestige; certains d'entre eux optent par la suite pour l'homosexualité. Les garçons grecs recherchaient vivement la cour - et peut-étre même des actes - homosexuels de la part des adultes, non qu'ils fussent des homosexuels déjà stabilisés mais en raison du prestige que cette façon d'agir leur conférait; la plupart d'entre eux optaient plus tard pour l'hétérosexualité[23]. Nous montrerons plus loin que l'homme grec adulte conservait de nombreuses caractéristiques d'un manque de diFérenciation sexuelle propre à l'adolescence et " glissait " facilement d'un type d'objet d'amour (Liebesobjekt, reud) à un autre: plusieurs textes décrivent sans ambiguité ce " glissement " .
En résumé, la sexualité adolescente peut être dénommée " névrose de développement "; elle est transitoire par déInition et révèle une diculté d'adaptation relative à un état nouveau et de stress: la puberté.
5.Identité sexuelle incomplète.Le sens de l'identité sexuelle doit avoir deux composantes: " je suis un mâle, j'ai un pénis " et " je suis un mâle, je couche avec des femmes " . Le sens complet de cette identité fait souvent défaut chez les homosexuels ainsi que dans les cas graves de névrose obsessionnelle (où les sujets sont de pseudo-hétérosexuels)[24]. l est incomplet chez les adolescents avant l'apparition de ce qu'on appelle les " caractéres sexuels secondaires ". Les Grecs trouvaient les garçons plus attrayants avant qu'ils ne soient devenus des adultes pleinement et manifestement barbus[25].
On note également que l'Athénienne se mariait presque immature, c'est-à-dire incomplètement diFérenciée. La Spartiate se mariait plus tard mais la pratique de l'athlétisme lui donnait une allure garçonnière et l'éducation la rendait psychologiquement virile; ces deux faits équivalent à une diFérenciation incomplète.
En somme, le pouvoir séducteur de l'eromenos, certainement, et celui des Illes, selon toutes probabilités, était évalué en Grèce en fonction de l'inachèvement de leur diFérenciation morpho- et psychologique, et donc de leur sens encore incomplet de l'identité sexuelle (cf. infra)[26].
Prolongation sociale de l'adolescence
La société grecque encourageait l'adolescent indiFérencié à manifester des penchants homosexuels et l'adulte à conserver des caractéristiques juvéniles, le bel adolescent représentant l'idéal de groupe grec[27]. l était aussi ce que La Barre appelle un " point de mire social "[28]. L'adulte grec manifestait de nombreuses réactions adolescentes[29]et cet aspect de son comportement explique aussi maintes formes de conduites irresponsables dans la vie publique: Alkibiades est un exemple classique de ce que j'ai dénommé: " adolescents honoraires "[30].
De tels types d'adultes sont courants dans les sociétés dont l'idéal est la jeunesse; la prolongation artiIcielle de l'adolescence jusqu'à un âge adulte avancé fait partie de ce que les sociologues américains appellent " youth culture "[31]. La Grèce classique possède maintes caractéristiques d'une " youth culture ", spécialement pour ce qui est des hommes. L'un des moyens par lequel l'homme adulte pouvait rester en contact avec le monde privilégié, admiré (et irresponsable) de l'adolescence consistait à devenir l'erastes d'un garçon ou bien, d'une autre façon, dissimulé derrière la barbe d'un philosophe ou d'un sophiste, son " maître ". Notre admiration pour Sokrates ne devrait pas nous faire oublier qu'il aurait pu répéter, mot pour mot, les paroles de Lysimachos s'accusant d'être un père négligent[32]et suivre lui-même les conseils qu'il prodiguait à un jeune homme pour être un bon mari[33]. A passer son temps en discussions de rue avec des étrangers, il ne pouvait lui en rester beaucoup pour parler à Xanthippe[34].
Ainsi la prolongation de la non-diFérenciation sexuelle à l'âge adulte fut un épiphénomène du caractére de " youth culture " de la société grecque; elle eut beaucoup d'inconvénients, mais aussi certains avantages qui seront discutés plus loin.
L'aspect le plus " compréhensible " semble-t-il, - et par conséquent le moins exploré - de l'homosexualité grecque est la relation entre un adulte actif et un
adolescent passif[35]. Une question se pose impérativement: pourquoi les garçons se tournaient-ils vers des hommes adultes et vice-versa. Lysimachos confessant ses insusances en tant que père nous en fournit la réponse[36]. Habituellement, le père grec se souciait peu de son Ils; au lieu de cela il s'occupait du Ils (qui l'attirait sexuellement) d'un autre homme. Le garçon, quant à lui, ayant besoin d'un père eFectif sur lequel se modeler[37]devait compter sur son erastes qui jouait également le rïle d'un père suppléant. C'est là le phénomène anthropologique bien connu du " paternage " déplacé, un peu plus commun dans les groupements matrilinéaires que patrilinéaires. Que la présence de ce phénomène au sein de la société grecque ait quelque portée sur l'hypothèse toujours débattue du matriarcat pré-hellénique, c'est là un problème qu'il vaut mieux laisser au spécialiste. Tout ce qu'on peut en dire est qu'il semble sous-tendre quelques mythes grecs[38].
Dans la plupart des sociétés, le père est responsable de la mauvaise conduite de son Ils; à Sparte, de façon caractéristique, c'était l'eraste qui etait tenu pour responsable de la méconduite de l'eromenos. Le " paternage " déplacé peut dicilement aller plus loin[39].
Ceci nous amène à une particularité apparemment inobservée des mythes grecs. Peu de mythologies rapportent autant de cas d'inceste et de perversion. Pourtant il ne semble pas y avoir de cas d'inceste homosexuel dans les mythes[40]. Ce fait requiert une explication. l se peut que, l'erastes étant le père suppléant (éducateur) et l'eromenos Ils suppléant (pupille), l'invention de tels mythes devint ou superue ou trop anxiogène. C'est là, en mettant les choses au mieux, une explication partielle, bien qu'indirectement étayée par A. Dict. 802 sqq. (Ll.-J). Silenos essaie de se mettre dans les bonnes grâces du petit Perseus dont on dit qu'il aime bien le pénis (781). l lui promet de l'embrasser, de le laisser jouer avec des animaux sauvages et de lui permettre d'épier son coït avec Danae (810). Lorsque Silenos sera trop vieux pour chasser, Perseus chassera à sa place - manifestement comme son substitut -pour Danae.
Cette scène est frappante sous deux aspects:
1. La scène primitive (reud) traumatise plutït que n'amuse les petits garçons; certains d'entre eux y réagissent en devenant par la suite homosexuels.
2. Le texte contient des implications " didactiques " saugrenues. Comme il le fait pour la chasse, Silenos veut apparemment enseigner aussi pour le coït " comment cela se fait "[41].
Dans un contexte clinique, le fantasme " paternel " de Silenos suggérerait des pulsions homosexuelles-incestueuses latentes; c'est là ce que cette scène pourrait mettre en évidence.
Nous voici ainsi conduits à la théorie magique de Bethe, que Dover rejette, en partie sur la base qu'une telle magie est étrangère à l'aire culturelle
méditerranéenne[42]. Bethe soutenait que la " paiderasteia " dorienne était originellement une pratique magique. Elle visait à transmettre " l'excellence morale " d 'homme à homme. Le seul point faible réel de la thèse de Bethe est que " l'excellence morale " aurait dicilement pu étre transmise dans des temps (présumés) archaïques par des " pratiques magiques " d'ordre aussi primitif. S'il y a quelque chose de vrai à retenir de cette théorie, c'est que la force physique aurait pu être ainsi transmise éventuellement, puisque la semence est presque partout considérée comme substance magique; sur ce point, il existe des analogies avec les primitifs[43]. De façon plus atténuée, diverses tribus pensent que la croissance du fœtus est favorisée par la semence paternelle mise à sa disposition[44]. Là où l'on trouve irréfutablemant la notion qu'une chose telle que " l'excellence morale " peut se transmettre homosexuellement, c'est chez le psychotique " borderline " moderne[45]. Mais il va sans dire que les Grecs n'étaient pas une nation de " borderlines ". Ainsi amendée, la théorie de Bethe est moins improbable que Dover ne le considère; ce qui, bien entendu, n'implique pas automatiquement qu'elle soit vraie. Très probablement, le problème de sa justesse ou de sa fausseté peut être considéré comme oiseux, au même titre que la plupart des spéculations sur " l'origine " des choses. Ce qui est analysable, c'est la fonction sociale du type grec d'homosexualité.
Considérations sociologiques
Chaque groupe social cherche à se diFérencier des autres groupes, habituellement par des moyens voyants mais dysfonctionnels[46]. L'homosexualité grecque semble avoir eu ce sens; Solon en interdit la pratique aux esclaves[47]et je n'ai pu découvrir pour ma part aucun indice d'une homosexualité courante chez les lotes[48]. Quant à savoir si une telle diFérenciation se fait en termes de l'homosexualité, de lois somptuaires, du droit à demander réparation par les armes, etc. cela ne relève pas de la sociologie, dans la mesure où l'on reconnaît qu'un aspect fonctionnellement sans importance est survalorisé de façon obsessionnelle[49].
l serait sociologiquement erroné de conclure du fait que les Grecs survalorisaient la cour homosexuelle, en discutaient ad inInitum et la pratiquaient de façon ostentatoire, que l'homosexualité tenait un rïle fonctionnellement important[50]. Elle n'appartenait pas au courant principal de la culture. Certains complexes-de-traits marginaux et très peu fonctionnels se voient souvent élaborés bien au-delà de leur signiIcation inhérente. De fait, quelques-uns d'entre eux ne doivent leur survie qu'à cette surélaboration. Les
éléments vraiment fonctionnels de la culture n'ont pas besoin pour subsister d'être perpétuellement discutés[51]. Parfois ces complexes-de-traits artiIciellement " gonés " ont une grande " masse sociale "[52]; ainsi en fut-il du duel au dix neuvième siècle et des stars de cinéma des années 20, sans toutefois que ceux-ci appartiennent au courant dominant de la culture fonctionnelle.
Une large part de ce que la culture humaine a de meilleur et une part plus large encore de ce qu'il y a de pire en elle, se présentent comme quelque produit de luxe dont la perpétuation est assurée par une surévaluation. La pratique d'une cour homosexuelle en Grèce était un " étalage voyant " au sens accordé par Veblen à cette expression. Elle était hautement stylisée, ostentatoirement et méticuleusement chevaleresque[53]. L'homme ressent apparemment le besoin d'être chevaleresque, spécialement de façon dysfonctionnelle[54]; le mariage grec oFrait peu d'exutoires à ce besoin. C'est là un point fondamental pour une compréhension de cet aspect propre à " l'amour " homosexuel grec et particulièrement à ses justiIcations et idéalisations philosophiques[55], qu'il dissocia l'élite du reste de la cité, fut générateur de prestige et partant ostentatoire.
L'indiFérenciation sexuellene peut être mise en évidence ni par l'inventaire des actes mythiques pervertis, ni par celui des perversions successives d'Herakles, par exemple. La première démarche se bornerait à prouver l'existence de pervertis " spécialisés "; la seconde celle de la " perversité polymorphe " d'Herakles. Unecontinuitéest nécessaire, le sujet devant glisser d'un objet d'amour vers un autre ou transposer les techniques sexuelles; c'est là une question de " substituabilité " fonctionnelle. Un expert des généalogies grecques pourrait éventuellement rechercher si chaque membre des couples d'amants homosexuels avait tendance par la suite à se marier avec une parente de l'autre; d'un point de vue psychologique cela est probable, des éléments d'homosexualité latente pouvant intervenir dans le choix d'une épouse[56].
Le processus de glissement est brillamment mis en évidence par Bakchylides 33. 165 sqq. Sn. Herakles est excité par la beauté de l'eidolon de Meleagros; il propose donc à celui-ci d'épouser sa sœur, si toutefois celle-ci lui ressemble. Or, cela n'est possible que dans la mesure où, elle aussi, est " garçonne ", athlétique et guerrière, ce qui est précisément le cas[57]. Dans ce récit, Herakles, excité par l'eidolon d'un homme, glisse sous nos yeux:
1. D'un garçon à une " garçonne ", ce qui est facilité par leur ressemblance
familiale.
2. Du mort au vivant, ce qui est facilité par le fait que l'eidolon ressemble à la fois à Meleagros et à Deianeira. Les sources grecques décrivent plusieurs types de glissement :
3. D'homme à femme (psychologiquement): cf. supra B. 33.165 sqq. Sn.
4. D'homme à femme (techniquement): Photios s.v. kusolakon. Dover (pp. 36-7) accepte comme " all but inescapable " la correction dûe à Ruhnken de " Melaine " (Melaneus?) en Hélène et en déduit que Thésée pratiquait le coït anal avec Hélène pré-pubère[58]. Citant ensuite Hagnon (Athen. 602d) et Ar. ,ys. 1173 sqq., il conclut fort justement que les jeunes Spartiates faisaient l'amour de cette façon avec des Illes nubiles et rappelle à ce propos qu'il existait à Sparte " un degré anormal d'émancipation féminine en même temps qu'un système d'héritage patrilinéaire et une ignorance des moyens contraceptifs ecaces "[59]. Ceci réète la transposition d'une technique homosexuelle à un contexte quasi hétérosexuel. On pourrait, au moins en ce qui concerne la Grèce, en dire autant de la fellation hétérosexuelle[60].
5. D'homme à garçonne (cf. supra (58). L'athlétique Iancée spartiate était tondue et habillée en homme[61]; c'est là, prétend-t-on, un travestissement " apotropaïque "[62]. Mais il se peut qu'il ait eu également une fonction psychologique: aider le partenaire masculin à glisser vers l'hétérosexualité[63]. L'hypothèse d'une facilitation sociale de ce glissement vers la normalité est anthropologiquement défendableb[64], les Grecs sachant que cette façon de traiter les femmes comme des hommes se pratiquaient aussi en Lydie[65].
6. De femme (peut-être) à rival masculin: Sapph. fr. 31 LP[66].
7. Des vivants aux morts[67]. Periandros coucha avec sa femme morte qu'il avait tuée à coups de pieds dans l'abdomen, alors qu'elle était enceinte[68]. Peu de temps après que sa femme incestueuse se fut pendue, Dimoites pratiquait le coït avec le cadavre d'une noyée (pendaison =noyade= suFocation = mort)[69]. Dans tous ces exemples - et spécialement dans celui de Periandros - le glissement de corps vivant à cadavre est manifeste[70].
8. D'être vivant à statue de mort. C'est là un type de glissement très semblable au précédent, et décrit à la fois pour les hommes et pour les femmes. Admetos promet de partager son lit avec la statue d'Alkestis[71]. Laodameia étreint amoureusement la statue de Protesilaos.
9. D'être vivant à personnage onirique et/ou fantïme de personne morte. Admetos décrit les délices qu'il va éprouver à rêver d'Alkestis morte[72]. l existe des versions du mythe de Laodameia dans lesquelles celle-ci couche, semble-t-il, avec le fantïme de Protesilaos relâché de l'Hades pour un court moment (variantes dans Roscher Lex. s. w).
Excursus.Les traditions relatives aux glissements de corps vivant à statue,
rêve et/ou fantïme sont parallèles aux transformations d'un seul mythe, celui d'asion et de Demeter:
a) Demeter sous forme humaine: Hom. Od. 5, 125 sqq; Hes. TH. 969 sqq.
b) Demeter sous forme de statue: Symn. 685 sqq. GGM 1.223; Hellan. fr. 129 HG 1.63.
c) Demeter comme fantïme: Con. 21.73].
Or, la nécrophilie, perversion peu commune, ne peut rendre compte du fait qu'Aphrodite fut tumboruchos. La pratique des rites mortuaires obscènes considérant la mort comme une noce avec Hades ou Persephone, la libération de Thésée (non mort) des enfers etc. ne constituent pas des profanations de sépulture (vol)[74]. L'épithète tumboruchos n'est ni " orphique " ni obscène: seul l'amour conjugal peut dépouiller la tombe, ne fut-ce qu'en rêve[75]. " L'amour " perverti par contre n'a pas ce pouvoir. Les perversions, et en particulier l'érotisme anal (reud), impliquent des Ixations incestueuses et des pulsions destructrices; elles sont en outre stériles. Si la sexualité existe dans l'Hades, elle ne peut être d'un point de vue psychanalytique, qu'incestueuse, anale et stérile[76].
10. D'un être vivant au néant. Malgré la dématérialisation d'Athéna, Hephaistos parvient à engendrer Erichthonios[77].
11. Les métamorphoses sont de plusieurs genres:
a) Peleus désire une Thetis anthropomorphe; son désir ne s'amoindrit pas cependant lors des rapides métamorphoses de celle-ci[78].
b) Demeter se transforme en jument; nullement découragé, Poseidon se transforme à son tour en étalon et la saillit[79].
c) Atalante et Meilanion furent transformés en lions. C'était là une punition, puisque, selon la croyance grecque, les lions ne pouvaient s'accoupler qu'avec des léopards: leur perpétuel désir réciproque ne put de ce fait être réalisé au niveau comportemental[80]. d) Même la métamorphose de l'amoureux, l'être aimé restant inchangé, n'abolissait pas le désir: Zeus, excité, se transforma en cygne et s'unit à Leda sous cette forme[81](cf. Zeus et Kallisto, infra).
Peut-être est-il légitime, au moins à titre de tentative, de mettre en corrélation la persistance du désir sexuel jusque dans les métamorphoses, avec le sentiment typiquement adolescent, que nous avons évoqué plus haut, de l'autonomie (et presque de l'extériorité) de la pulsion sexuelle, voire de l'organe sexuel. Ceci, à son tour, est rendu psychologiquement et
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