John Suler & Yann Leroux  : la psychologie du cyberespace et son identité
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John Suler & Yann Leroux : la psychologie du cyberespace et son identité

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Description


Second Life est un fascinant, pointe monde virtuel avec beaucoup de fonctionnalités, des lieux, des activités, des gens et des sous-cultures à explorer. Beaucoup de gens adorent ça. Comme un emo-recherche avatar m'a dit: «C'est la dépendance."
&
L’identité est une notion moderne. Elle naît avec l’Etat et sa nécessité d’assurer un contrôle sur ses administrés. Dans les villes, les adresses permettent d’identifier les administrés et leurs richesses et donc de lever des impôts. Plus tard, les registres de naissance et de baptême permettront de contrôler les individus dans leurs déplacements sur le territoire.
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Langue Français

Extrait

L’IDENTITÉ DANS LE CYBERESPACE, PAR YANN LEROUX
Yann Leroux est psychologue et psychanalyste, Il blogue principalement sur les mondes numériques surhttp://www.psyetgeek.com mais vous le trouverez aussi facilement ailleurs. Il sait que « C’est toujours septembre quelque part. »
L’identité est une notion moderne. Elle naît avec l’Etat et sa nécessité d’assurer un contrôle sur ses administrés. Dans les villes, les adresses permettent d’identiïer les administrés et leurs richesses et donc de lever des impôts. Plus tard, les registres de naissance et de baptême permettront de contrôler les individus dans leurs déplacements sur le territoire. Plus l’Etat se centralise, plus il devient fort, plus Ego est objet de diFérenciation et de ségrégation dans des dispositifs de surveillance et de contrôle. A coté de cette surveillance de plus en plus tatillonne, les individus se vivent de leur coté de plus en plus libres. Leur identité n’est plus ïxée par les alliances anciennes. Elle ne dépend plus du lignage mais du tumulte des désirs individuels. Ego est ce qu’il désire… ou du moins c’est ce que l’idéologie actuelle chuchote. Son identité est avant tout réexive. Elle est l’image qu’il produit pour lui et pour les autres. C’est une totalité subjective.
Serge Tisseron a mis la construction de l’identité au regard du développement des dispositifs d’image : le miroir de bronze, puis le miroir argentique et enïn les images de la photographie et du cinéma ont conduit Ego à prendre de moins en moins appui sur l’autre dans la construction de certains aspects de l’image de soi (Tisseron, S. 2000)
L’identité est épreuve de soi. Elle est ce par quoi Ego prouve qu’il est bien ce qu’il dit. En ce sens, elle passe un tiers – ici l’Etat – qui garantit l’identité de chacun. Mais elle est aussi ce qui s’éprouve dans le secret des intimités. Elle est alors privée et secrète. L’identité est sang-mêlé. En elle s’aFrontent deux pôles qui s’opposent terme à terme. D’un coté, l’objectif, le corps, l’état, la raison, le passé. De l’autre le subjectif, la pensée, l’individu, l’imaginaire. Elle naît de la rencontre de ces deux opposés qui tantôt menacent Ego de la réduire dans la rationalité ou de la perdre dans les imaginaires.
L’identité est un carrefour.
L’identité est au carrefour de trois éléments : le corps, le groupe et Ego. L’identité s’enracine dans lecorps: le sexe, la taille, la corpulence, la carnation de la peau, la pilosité sont des éléments qui ont donné bon nombre de noms de famille. Legroupeest un des hauts fourneaux de l’identité. La famille, comme groupe primaire, participe bien évidement à la construction de l’identité, mais également tous les groupes auxquels Ego va appartenir : classes, clubs, groupes de travail… Enïn,Egoest lui-même le lieu ou se fonde son identité. Dans la façon dont se raconte ce qui est vécu, l’identité se construit. Elle se construit
également dans ce qui se tait : réserves conscientes, secrets maintenus ou dont Ego est l’objet, refoulements, cryptes inconscientes. Notre identité est remarquable : quelque soit la diversité des situations auxquelles nous sommes confrontés, quelque soit leur complexité, quelque soit le temps qui passe, nous nous sentons nous même. Notre identité est ce qui nous permet de nous sentir identiques et cohésifs à nous même et à nos idéaux. Elle est dynamique : elle s’actualise dans les relations que nous avons avec nous même, les autres et nos objets d’intérêt. inalement, on peut déïnir l’identité par les ux de discours conscients et inconscients tenus sur et par une personne. C’est une déïnition qui est susamment large pour prendre en compte l’identité dans ce qu’elle a de complexe et surtout qui permet d’avancer dans la compréhension de la façon dont fonctionne l’identité en ligne.
John Suler, un pionnier de la psychologie sur Internet
Qui suis-je dans le cyberespace ? Dès 1996, le psychologue américainJohn Sulerse pose la question et donne 5 facteurs de l’identité en ligne
1.Le niveau de dissociation et d’intégration: le cyberespace oFre une niche pour chaque facette de la personnalité. Nous n’avons pas besoin de nous y présenter en un tout puisque sur Internet nos diFérents investissements peuvent être dissociés. Nous pouvons être ici un professionnel, et là un amateur de sport et plus loin le membre d’une association sans que ces diFérentes dimensions ne soient mises en contact. A chaque espace social son rôle, et à chaque rôle son espace social, telle semble
être la promesse de l’Internet. Par rapport à l’espace physique, le travail d’intégration qui maintient l’identité en un tout cohérent est mis en suspens. Cela permet à des composantes de la personnalité de s’exprimer plus librement.
2.La valence positive et négative. Pour John Suler, le cyberespace peut être le lieu où satisfaire des composantes » positives » ou » négatives » de sa personnalité. C’est ainsi que pour certains, l’investissement du réseau sera surtout l’occasion d’agresser les autres, tandis que d’autres y découvriront des espaces où se penser, et parfois, s’accepter un peu mieux. Les groupes de soutien et d’information que l’on trouve sur le réseau peut ainsi aider quelqu’un à traverser des moments diciles ou à mieux installer en lui des idéaux. Par exemple, une personne se découvrant homosexuelle pourra mieux intégrer sa sexualité par la fréquentation de forums gay tandis qu’une autre pourra utiliser le réseau comme un espace où exprimer des rêveries en jouant à être une autre personne ou un personnage imaginaire.
3.Le niveau de fantasme et de réalitévarie selon les lieux. Certains dispositifs exigent que l’on se présente sous son identité réelle, tandis que d’autres exigent que l’on se présente sous une identité imaginaire. D’autres enïn permettent de mélanger les diFérents niveaux. Par exemple, une plateforme comme acebook permet de faire converger l’identité réelle et l’identité endossée dans un jeu comme World of Warcraft. Cependant, le terme d’identité réelle convient mal car Ego est toujours réel et ce jusque dans les identités qu’il se
rêve. Ce que l’on appelle identité réelle est une convention : c’est l’identité par laquelle on se fait reconnaître par l’Etat : âge, sexe, lieu d’habitation, profession.
4.Le niveau de contrôle conscient. La façon dont on se présente en ligne ne dépend pas uniquement d’éléments conscients. Des souhaits et des inclinaisons trouvent à se satisfaire sous l’identité en ligne d’Ego. Le choix d’Ego pour un nom ou un avatar répond également à des logiques inconscientes, même lorsqu’il s’agit d’éléments a priori « neutres » comme la reprise en ligne de son identité civile. Cela vaut également pour les groupes qu’Ego rejoint ou quitte
5.Le média choisi. Dans le cyberespace, les canaux de communication sont des moyens d’expression pour Ego. Certains préfèrent les longs échanges des forums tandis que d’autres sont attirés par le côté électrique des messageries instantanées et des bavardoirs. Les premiers donnent le temps de la réexion, tandis que les autres sont plus orientés vers la spontanéité et
l’immédiateté. Pour Suler, ces dispositifs attireront Ego en fonction de leur style cognitif.
Le média choisi dépend ïnalement d’une série de facteurs : le niveau d’intégration, de réalité et le style cognitif d’Ego le conduiront à investir préférentiellement les forums ou les bavardoirs. L’idée générale de ces premiers travaux est que l’Internet oFre un espace où l’on peut expérimenter diFérentes identités. Lisa Nakamura parle même de « tourisme identitaire » (Nakamura, L. (2000). Race In/For Cyberspace: Identity Tourism and Racial Passing on the Internet. Retrouvé Novembre 10, 2009, dehttp://www.humanities.uci.edu/mposter/syllabi/rea dings/nakamura.html) pour les avatars : chaque utilisateur, en empruntant une identité, explorerait en profondeur les caractéristiques que la culture prête à cette identité. A cette idée s’ajoute que les internautes proïtent largement des avantages que leur oFre l’Internet en gérant en ligne diFérentes identités. De ce point de vue, le texte de John Suler a un peu vieilli, car les pratiques d’aujourd’hui sont tout à fait diFérentes. Devant la multiplication des espaces d’écriture, les internautes trouvent plus économique d’utiliser une seule identité. Cela leur permet d’être repérés et reconnus plus facilement par les moteurs de recherche et les autres internautes indépendamment de l’espace où ils se trouvent. Ce mouvement est accompagné ou accentué par la mise en place de dispositifs centralisateurs comme Netvibes, friendfeed ou disqus.
Même si les conceptions de John Suler datent de 1999, elles sont toujours valables aujourd’hui. La diFérence majeure est que l’Internet n’est guère plus vécu comme une sorte de théâtre obscur dans lequel chacun pourrait essayer diFérents masques. Il y a à cela plusieurs raisons dont une tient à la psychologie. La multitude des lieux en ligne investis par Ego a produit une charge de travail trop importante. Trop dissocié, Ego a ressenti à nouveau le besoin de synthèse et cherché des dispositifs où réunir les ux de ses diFérents investissements.
L’identité s’écrit plusieurs fois
Sur Internet, l’identité s’écrit plusieurs fois. Elle s’écrit avec l’adresse email, l’adresse IP, le nom, la signature et l’avatar.L’adresse IPest la moins personnelle et la plus sociale des adresses. Elle rattache l’individu à une machine – on pourrait même dire qu’elle identiïe une machine à tous ses utilisateurs. C’est également elle qui rattache l’internaute au ournisseur d’Accès à Internet, et à tout le corps social. Cette adresse IP est un véritable cordon ombilical qui nous rattache profondément au corps social. Sauf à utiliser des systèmes de reroutage qui ne sont pas à la portée de l’utilisateur lambda, cette adresse donne aux jeux de cache-cache que l’on peut trouver sur l’Internet leur valeur exacte : il s’agit de positions imaginaires par lesquels se disent le rapport à la loi, à la culpabilité ou à sa propre origine.
L’adresse emailest double. Elle s’articule de part et d’autre du signe arobase « @ ». A droite, le nom de domaine du fournisseur de l’adresse indique à tous à qui l’utilisateur conïe son courrier
électronique et laisse transparaitre quelques informations quant à ses goûts ou son expertise de l’Internet : avoir une adresse email chez alice.fr ou chez gmail.com sont deux choses très diFérentes. A gauche de l’arobase, le nom que l’internaute s’est choisi. Le nom qu’il se donne, qu’il soit similaire ou diFérent de celui de son état civil, est toujours investi de façon consciente et inconsciente.
Le nom– ou le pseudo – peut correspondre à une partie de l’adresse email ou être diFérente. Là encore, un travail subtil entre les correspondances ou les diFérences des diFérentes parties de l’identité numérique est possible. Se donner un nom est toujours très chargé aFectivement. Cela nous place dans la position de nos propres parents à notre naissance, ou plus exactement la position que l’on imagine avoir été la leur. En dehors de cet aspect originaire, se donner un nom est aussi organisé par une fantasmatique de l’origine.
La signatureest un bout de texte que l’on appose à tous les messages que l’on rédige. Précédé des signes – suivis d’un espace, il indique que le mail ou le message est terminé. Il clôt un discours. Si l’on considère la mouvance dans laquelle nous somme pris sur Internet, c’est un point qui peut être investi comme représentant une permanence. Cela peut être une adresse géographique, une citation, un lien vers un site… En passant au Web, la signature s’est un peu sophistiquée : elle peut se faire image, ïxe ou animée. Elle peut également contenir des éléments d’informations issus d’un autre domaine, par exemple les statistiques de la personne à un jeu en ligne. Enïn, depuis le Web 2.0, la signature est
souvent utilisée pour faire connaître les réseaux sociaux où l’on peut être joint. Mais, de Usenet à aujourd’hui, la dynamique reste la même : la signature est le lieu de la permanence. Elle dit en eFet, quelque soit le contexte, quelque soit l’humeur ou la tonalité du message que l’on vient d’écrire, que le fond des choses reste toujours identique à lui-même. En ce sens, elle est un représentant de la continuité d’exister. Par exemple, Brian Reid avait pour signature «5th thoracic» pour rappeler la part qu’il avait prise à labackbone cabal.
L’avatarsignale le sujet pour les autres depuis que le Web s’est doté de dispositifs sociaux comme les forums. Il s’agit d’une image, choisie par l’utilisateur qui le représente. Lorsque l’utilisateur ne se choisit pas une image, le dispositif d’écriture lui en donne une par défaut : il aura la même que tous ceux qui souhaitent, de ce point de vue, rester anonyme. L’image est utilisée dans des buts narcissiques, agressifs ou séducteurs : les pouvoirs de l’image (Tisseron, 2005) jouent ici pleinement.
A l’exception de l’adresse I.P. qui est donnée par un tiers, tous les autres marqueurs d’identité sont des échos de la vie imaginaire et inconsciente de l’utilisateur. Les marqueurs d’identité disent vers qui vont les idéalisations ; ils peuvent commémorer des événements heureux ou malheureux, et cette commémoration peut être privée, familiale, ou publique.
Des silos et des tamis.
On peut comprendre l’Internet comme un énorme dispositif dans lequel les identités individuelles et
collectives sont recomposées au travers de silos et de tamis. Les archives de nos activités en ligne se constituent en lieu de mémoire, s’accumulent, se collectivisent parfois, se lient et se délient des composantes identitaires. Ces silos sont principalement les forums et les boîtes mails. Les tamis sont principalement les dispositifs defolksonomieet les ux RSS. Ils nous aident à trier, ïltrer, séparer, individualiser et sélectionner dans l’énorme multitude des possibles du WWW. Avec ces dispositifs, l’identité est prise dans des mouvements d’accumulation et de redistribution. Jour après jour,updateaprèsupdate,check inaprèscheck in, publication après publication, nous constituons une traîne de mémoires qui dit ce que nous faisons, là ou nous sommes ou les objets auxquels nous nous lions(J’ai appelé ce procédé la légendarisation : il s’agit d’une écriture de soi qui emprunte aux diFérents types d’autobiographie – journal intime, mémoire, essai). Les silos sont les lieux où se condensent les identités. En eux les nécessaires synthèses peuvent avoir lieu. Les trop grands écarts peuvent être réduits. Les ïltres sont des lieux de redistribution où Ego peut échapper à la tyrannie d’être Un et se laisser aller à la rêverie du multiple. iltres et tamis ne sont pas étanches l’un à l’autre. Les tamis comportent une composante historique. Eux aussi accumulent et collectent, tandis que les silos sont aussi d’une certaine façon un ïltre : tout dépôt en un lieu indexe le lieu, le dépôt et le déposant comme diFérents.
J’appelle identité en ligne tout dispositif par lequel Ego s’individualise dans le cyberespace le rendant à la fois à nul autre pareil et rattaché à l’ensemble.
L’adresse email en est le prototype parfait puisque les caractères à la gauche de l’arobase sont uniques tandis que le nom de domaine qui est à droite de l’arobase le rattache à l’ensemble. Cette identité en ligne passe par un travail autour des représentations de soi. En ligne, nous avons à choisir des éléments de représentation de soi et à les combiner avec d’autres. Au ïnal, il s’agit toujours d’assimiler des éléments de notre vie interne : par exemple un conit entre plusieurs désirs inconscients, donner une plus grande place à la réalisation de certains désirs, mieux comprendre certains aspects de notre fonctionnement. Il s’agit donc d’une assimilation de composantes psychiques. Le psychanalyste Nicolas Abraham (1978) a montré que cette assimilation passe par un processus qu’il a appelé introjection. Le destin de ce qui est introjecté est variable. Le processus peut conduire à une extension du moi ou à la mise en dépôt de ce qui n’a pas pu être intégré.
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