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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 44 |
EAN13 | 9782824709901 |
Langue | Français |
Extrait
HONORÉ DE BALZA C
LA MAISON DU
CHA T -QU I-P ELO T E
BI BEBO O KHONORÉ DE BALZA C
LA MAISON DU
CHA T -QU I-P ELO T E
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-0990-1
BI BEBO OK
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compris à Bib eb o ok.LA MAISON DU
CHA T -QU I-P ELO T E
DÉDI É A MADEMOISELLE MARI E DE MON T H EA U
la r ue Saint-D enis, pr esque au coin de la r ue du
Petit-Lion, e xistait naguèr e une de ces maisons pré cieuses quiA donnent aux historiens la facilité de r e constr uir e p ar analogie
l’ancien Paris. Les mur s menaçants de cee bico que semblaient av oir été
bariolés d’hiér ogly phes. el autr e nom le flâneur p ouvait-il donner aux
X et aux V que traçaient sur la façade les piè ces de b ois transv er sales ou
diag onales dessiné es dans le badig e on p ar de p etites lézardes p arallèles ?
Évidemment, au p assag e de toutes les v oitur es, chacune de ces soliv es
s’agitait dans sa mortaise . Ce vénérable é difice était sur monté d’un toit
triangulair e dont aucun mo dèle ne se v er ra bientôt plus à Paris. Cee
couv ertur e , tordue p ar les intemp éries du climat p arisien, s’avançait de
tr ois pie ds sur la r ue , autant p our g arantir des e aux pluviales le seuil de
la p orte , que p our abriter le mur d’un gr enier et sa lucar ne sans appui. Ce
der nier étag e était constr uit en planches cloué es l’une sur l’autr e comme
1La maison du chat-qui-p elote Chapitr e
des ardoises, afin sans doute de ne p as char g er cee frêle maison.
Par une matiné e pluvieuse , au mois de mar s, un jeune homme ,
soigneusement env elopp é dans son mante au, se tenait sous l’auv ent de la
b outique qui se tr ouvait en face de ce vieux logis, et p araissait l’ e x aminer
av e c un enthousiasme d’ar ché ologue . A la vérité , ce débris de la b our g e
oisie du seizième siè cle p ouvait offrir à l’ obser vateur plus d’un pr oblème à
résoudr e . Chaque étag e avait sa singularité . A u pr emier , quatr e fenêtr es
longues, étr oites, rappr o ché es l’une de l’autr e , avaient des car r e aux de
b ois dans leur p artie inférieur e , afin de pr o duir e ce jour douteux, à la
fav eur duquel un habile mar chand prête aux étoffes la couleur souhaité e
p ar ses chalands. Le jeune homme semblait plein de dé dain p our cee
p artie essentielle de la maison, ses y eux ne s’y étaient p as encor e ar rêtés.
Les fenêtr es du se cond étag e , dont les jalousies r ele vé es laissaient v oir ,
au trav er s de grands car r e aux en v er r e de Bohême , de p etits ride aux de
mousseline r ousse , ne l’intér essaient p as davantag e . Son aention se p
ortait p articulièr ement au tr oisième , sur d’humbles cr oisé es dont le b ois
travaillé gr ossièr aurait mérité d’êtr e placé au Conser vatoir e des arts
et métier s p our y indiquer les pr emier s efforts de la menuiserie française .
Ces cr oisé es avaient de p etites vitr es d’une couleur si v erte , que , sans son
e x cellente v ue , le jeune homme n’aurait pu ap er ce v oir les ride aux de toile
à car r e aux bleus qui cachaient les my stèr es de cet app artement aux y eux
des pr ofanes. Parfois, cet obser vateur , ennuyé de sa contemplation sans
résultat, ou du silence dans le quel la maison était ense v elie , ainsi que tout
le quartier , abaissait ses r eg ards v er s les régions inférieur es. Un sourir e
inv olontair e se dessinait alor s sur ses lè vr es, quand il r e v o yait la b
outique où se r encontraient en effet des choses assez risibles. Une for midable
piè ce de b ois, horizontalement appuyé e sur quatr e pilier s qui p araissaient
courbés p ar le p oids de cee maison dé crépite , avait été r e champie
d’autant de couches de div er ses p eintur es que la joue d’une vieille duchesse en
a r e çu de r oug e . A u milieu de cee lar g e p outr e mignardement sculpté e se
tr ouvait un antique table au r eprésentant un chat qui p elotait. Cee toile
causait la g aieté du jeune homme . Mais il faut dir e que le plus spirituel
des p eintr es mo der nes n’inv enterait p as de char g e si comique . L’animal
tenait dans une de ses p aes de de vant une raquee aussi grande que
lui, et se dr essait sur ses p aes de der rièr e p our mir er une énor me balle
2La maison du chat-qui-p elote Chapitr e
que lui r env o yait un g entilhomme en habit br o dé . D essin, couleur s,
accessoir es, tout était traité de manièr e à fair e cr oir e que l’artiste avait v oulu se
mo quer du mar chand et des p assants. En altérant cee p eintur e naïv e , le
temps l’avait r endue encor e plus gr otesque p ar quelques incertitudes qui
de vaient inquiéter de consciencieux flâneur s. Ainsi la queue moucheté e
du chat était dé coup é e de telle sorte qu’ on p ouvait la pr endr e p our un
sp e ctateur , tant la queue des chats de nos ancêtr es était gr osse , haute et
four nie . A dr oite du table au, sur un champ d’azur qui déguisait imp
arfaitement la p our ritur e du b ois, les p assants lisaient GU I LLA UME ; et à
g auche , SUCCESSEU R DU SI EU R CH EV REL. Le soleil et la pluie avaient
r ong é la plus grande p artie de l’ or moulu p ar cimonieusement appliqué
sur les ler es de cee inscription, dans laquelle les U r emplaçaient les V
et ré cipr o quement, selon les lois de notr e ancienne orthographe . Afin de
rabar e l’ or gueil de ceux qui cr oient que le monde de vient de jour en jour
plus spirituel, et que le mo der ne charlatanisme sur p asse tout, il convient
de fair e obser v er ici que ces enseignes, dont l’éty mologie semble bizar r e à
plus d’un nég o ciant p arisien, sont les table aux morts de vivants table aux
à l’aide desquels nos espiègles ancêtr es avaient réussi à amener les
chalands dans leur s maisons. Ainsi la T r uie-qui-file , le Sing e-v ert, etc., fur ent
des animaux en cag e dont l’adr esse émer v eillait les p assants, et dont
l’éducation pr ouvait la p atience de l’industriel au quinzième siè cle . D e
semblables curiosités enrichissaient plus vite leur s heur eux p ossesseur s que
les Pr o vidence , les Bonne-foi, les Grâce-de-Dieu et les D é collation de saint
Je an-Baptiste qui se v oient encor e r ue Saint-D enis. Cep endant l’inconnu
ne r estait certes p as là p our admir er ce chat, qu’un moment d’aention
suffisait à grav er dans la mémoir e . Ce jeune homme avait aussi ses
singularités. Son mante au, plissé dans le g oût des drap eries antiques, laissait
v oir une élég ante chaussur e , d’autant plus r emar quable au milieu de la
b oue p arisienne , qu’il p ortait des bas de soie blancs dont les mouchetur es
aestaient son imp atience . Il sortait sans doute d’une no ce ou d’un bal car
à cee heur e matinale il tenait à la main des g ants blancs et les b oucles
de ses che v eux noir s défrisés ép ar pillé es sur ses ép aules indiquaient une
coiffur e à la Caracalla, mise à la mo de autant p ar l’École de D avid que
p ar cet eng ouement p our les for mes gr e cques et r omaines qui mar qua
les pr emièr es anné es de ce siè cle . Malgré le br uit que faisaient quelques
3La maison du chat-qui-p elote Chapitr e
maraîcher s aardés p assant au g alop p our se r endr e à la grande halle ,
cee r ue si agité e avait alor s un calme dont la magie n’ est connue que
de ceux qui ont er ré dans Paris désert, à ces heur es où son tap ag e , un
moment ap aisé , r enaît et s’ entend dans le lointain comme la grande v oix
de la mer .